à KEEPER gagne

Bruno Govers

Comment les clubs gèrent-ils la concurrence entre leurs portiers ?

Les trois gardiens qui se situaient en tête de notre enquête concernant les meilleurs portiers de l’élite (n°44 du 27 octobre 2004) sont aussi ceux qui comptent le maximum de présences entre les perches à mi-saison : 17 matches pour Bertrand Laquait (Charleroi), le numéro 1 de notre referendum, et autant pour Silvio Proto (La Louvière) et Frédéric Herpoel (La Gantoise), respectivement deuxième et troisième. Si Vedran Runje (Standard), qui les suivait dans la hiérarchie, peut s’enorgueillir lui aussi d’une activité ininterrompue, au même titre que Francky Vandendriessche (Mouscron) d’ailleurs, pour les autres keepers les chiffres sont moins éloquents.

Partout ailleurs, en effet, deux voire davantage de gardiens ont pris place dans le goal. Parfois de manière anecdotique, comme pour Bram Verbist (G. Beerschot), qui n’a été sollicité qu’à une reprise tout au long du premier tour, ou encore pour Patrick Deman (Lierse) qui a dû remplacer deux fois, au pied levé, le titulaire, Yves Van der Straeten. Mais d’autres clubs ont été moins vernis. Chez eux, ce ne sont pas tant les blessures et autres arrêts, pour suspensions, qui ont dicté un changement mais, tout simplement, la forme du moment. Comme à Mons, entre autres, où Kris Van de Putte, Jimmy Schmidt et Ivan Willockx se sont relayés au poste.

Dans certains cas, le passage de témoin a même pris l’allure d’un carrousel. C’était le cas, tout spécialement, à Anderlecht où ni Daniel Zitka ni Tristan Peersman n’ont réussi à faire l’unanimité autour de leurs prestations cette saison. Une situation dont a profité, en définitive, le troisième larron, Jan Van Steenberghe, avant qu’il ne doive lui-même céder le relais, pour cause de blessure, au jeune Kevin Van den Noortgaete, aligné à l’âge de 18 ans à peine face au Hertha Berlin, mercredi passé, en match amical. Face à l’hécatombe de ses gardiens, le staff technique du RSCA avait même dû se résoudre, pour l’occasion, à jeter son dévolu sur un autre teenager, Mike Van Hamel en guise de doublure.

Situations différentes

Les vicissitudes rencontrées par les champions de Belgique posent un autre problème : celui de la composition ainsi que de la gestion de la cellule des gardiens. On relève bon nombre de configurations différentes dans notre championnat. Dans les rangs du leader brugeois, la préséance a, par exemple, été donnée à Tomislav Butina, qui relègue allégrement à l’arrière-plan Glenn Verbauwhede et Stijn Stijnen. Une situation toute neuve, au demeurant, puisqu’on se souviendra que pas plus tard que la saison passée, le Croate disputait encore à Dany Verlinden la place de numéro 1. Avec moins de souveraineté qu’aujourd’hui si on veut bien se souvenir, notamment, de quelques-unes de ses bourdes en championnat ou même sur la scène européenne, au Borussia Dortmund.

A l’instar de Tomislav Butina, d’autres ont fait le vide autour d’eux également. Comme l’autre portier croate de l’élite, Vedran Runje, dont l’hégémonie n’est pas inquiétée par MichaelTurnbull ou Jérémie De Vriendt. Idem pour Proto qui ne souffre pas vraiment de la concurrence de Benoît Daniel ou Michael Cordier. Ailleurs encore, on trouve non pas un gars qui mène les débats, mais des duos de valeur plus ou moins égale. C’est le cas à Westerlo avec Bart Deelkens et Jonathan Bourdon ou au FC Brussels, qui comptait à l’aube de la compétition sur le savoir-faire de deux chevronnés : Patrick Nys et Istvan Dudas avant que le jeune Isa Izgi ne flaire la bonne occase.

Non loin de là, à Anderlecht, il en est allé de même, à cette nuance près que le troisième homme n’était pas un jeunot mais une valeur sûre, Van Steenberghe. Avec les suites que l’on sait.

Existe-t-il un trio idéal au sein du département gardiens d’un effectif ? Faut-il une hiérarchie bien établie au départ ou bien rien ne doit-il être établi avec certitude ? Un mélange d’expérience et de jeunesse est-il souhaitable ou seules les qualités doivent-elles être prises en considération ? Autant de questions que nous avons soumises à trois éléments qui ont eu un long vécu en la matière : Jacky Munaron, ex-keeper du RSCA et actuel entraîneur des gardiens tant chez les Mauves qu’en équipe nationale ; Gilbert Bodart, condamné autrefois à l’alternance avec cet autre monument des Rouches qu’est Michel Preud’homme et Dany Verlinden, le Little Big Man brugeois qui a résisté à la déferlante étrangère composée entre autres, ces dernières années, d’ Ibrahim Nader El Sayed, Dejan Nemec et Tomislav Butina.

Hiérarchie

 » Au moment où j’ai été incorporé pour la toute première fois au sein du noyau de Première, j’allais sur mes 18 ans « , observe Jacky Munaron.  » A l’époque, le Sporting comptait deux gardiens chevronnés qui se disputaient la place dans le but : Jan Ruiter et Leen Barth. Plus tard, deux autres noms les ont relayés : Nico De Bree et le n°1 de l’équipe nationale d’Autriche, Friedrich Koncilia. Par rapport à ce temps-là, une seule chose a changé chez nous : le profil du troisième gardien. Jadis, c’était un jeune, comme moi, aujourd’hui c’est un chevronné en la personne de Van Steenberghe. Cette évolution me paraît logique. Voici 30 ans, il était plutôt rare qu’un coming man ait voix au chapitre. Hormis quelques bribes de matches, en période de préparation surtout, je devais essentiellement me contenter d’emmagasiner de l’expérience à l’entraînement. Pendant cinq ans, j’ai dû me contenter du strict minimum avant de tirer finalement bénéfice d’un conflit entre Friedel et Nic, qui ne pouvaient se piffer. De nos jours, la situation est totalement différente. Le football a changé du tout au tout au cours de ces trois décennies : les matches se sont multipliés et ont gagné en intensité. Dès lors, il n’est pas rare qu’outre les numéros 1 et 2 traditionnels, le 3 soit sollicité aussi. Pour un club de la dimension d’Anderlecht, il est évident qu’à ce niveau, il faut être paré à toute éventualité. Et c’est la raison pour laquelle Van Steenberghe, qui avait pris des planches à Alost et La Louvière auparavant a débarqué chez nous la saison passée « .

Pour l’ancien Loup, tout était clair au départ : il devrait se satisfaire d’un rôle dans l’ombre, comme cette saison. En revanche, le flou artistique a toujours entouré le poste de numéro 1 au Parc Astrid. Cette nébulosité est-elle souhaitable ou bien l’ordre doit-il être établi d’entrée de jeu ?

 » J’emboîte le pas de Tristan quand il affirme que le mot hiérarchie est davantage d’application pour la monarchie que pour les gardiens « , ajoute Jacky Munaron.  » A notre niveau, on doit posséder des solutions de rechange idéales. Pour bien faire, la concurrence doit pousser les acteurs à se transcender. Personnellement, j’ai peut-être livré mes meilleurs matches à Anderlecht au moment où Filip De Wilde y a débarqué. Le coach, Georges Leekens, avait clairement fait comprendre que le meilleur jouerait, même si je restais sur huit saisons de présence ininterrompue entre les perches. Ces mots-là m’ont fustigé et, en mon for intérieur, je me suis dit : – Flupdevra me passer sur le corps pour jouer. A qualités de keeping plus ou moins égales, il n’y a pas de secret : c’est le mental qui fait la différence. Cette force-là, je l’avais, au même titre qu’un Verlinden qui ne s’est jamais avoué vaincu face à tous ceux qui se sont érigés en ses rivaux. Cet aspect, c’est sans doute ce qui manque un peu chez les gardiens du RSCA actuellement. A un moment donné, il faut avoir la volonté de dire : – Ote-toi de là que je m’y mette. Et y demeurer pour de bon. Mais Zitka et Peersman sont trop gentils pour ça. J’admets qu’on s’entende bien. C’est même un plus quand on est pros. Mais l’amitié doit s’arrêter là où le boulot commence. A partir de là, c’est chacun pour soi « .

Alternance

Au gré des blessures et des sautes de forme, le duo en question a été amené à devoir passer son tour plus d’une fois cette saison. Au Standard, au milieu des années 80, l’entraîneur, Michel Pavic, poussa le bouchon plus loin encore : puisqu’il était incapable de choisir entre Preud’homme et Bodart, il se prononça ni plus ni moins pour un système d’alternance entre les deux. Une méthode qui ne recueillait pas vraiment l’adhésion des intéressés et qui entraîna le départ de Preud à Malines.

 » L’alternance se justifie peut-être en début de saison, au moment où tout le monde a besoin de temps de jeu pour retrouver ses sensations mais, par la suite, il faut quand même bien trancher « , souligne Gilbert Bodart.  » Doublure de Michel au début des eighties, j’avais profité de son malheur û sa suspension suite à la fameuse affaire Standard-Waterschei û pour m’imposer au but. Lorsqu’il revint dans le parcours, le choix pour l’entraîneur fut très épineux. Je n’avais nullement démérité pendant tous ces mois d’intérim alors que Michel n’avait jamais fauté non plus auparavant. Le passage de relais n’arrangeait personne. Sur quelle base, d’ailleurs, devait-il se faire ? Avec l’un jouant les matches à domicile et l’autre en déplacement ? Ce n’était pas heureux. A la longue, c’était devenu invivable. Aussi, au bout d’un an, nos chemins se séparèrent puisque mon rival s’en alla au FC Malines en 1986. Dans notre cas, le mieux était probablement l’ennemi du bien. Deux gardiens internationaux dans un même groupe, c’est logique dans le contexte de l’équipe nationale mais c’était un luxe superflu en club. Finalement, la césure a été profitable à nous deux : d’un côté, Michel a rebondi de manière formidable tandis que moi j’ai tenu le haut du pavé à Sclessin pendant près de dix ans. Par la suite, j’ai dû composer avec une sérieuse concurrence aussi : Dirk Rosez d’abord, qui allait encore faire les beaux jours du RWDM, puis Jacky Munaron qui avait lui aussi ses lettres de noblesse. Mais comme il le dit lui-même, l’aspect psychologique est très important à ce niveau. Si j’ai fait une aussi belle carrière, c’est sans doute dû, en partie, à un mental d’airain « .

S’imposer

Un point de vue que corrobore Dany Verlinden, qui s’est maintenu pendant près de 15 ans contre vents et marées à Bruges.

 » J’ai débarqué au Club en 1988, en tant que doublure de Philippe Vande Walle « , dit-il.  » C’était logique puisque lui-même avait repris les rênes de Birger Jensen à ce moment. Au bout de deux ans, j’étais toutefois parvenu au même niveau que lui et il fallait trouver une solution pour que l’un ne vive tout de même pas trop dans l’ombre de l’autre. Phil a alors pris les devants en optant pour le Germinal Ekeren, tandis que je m’installais moi-même dans la durée au Club. Au cours de toutes ces années, j’ai tout connu sur le plan de la concurrence : de modeste avec l’Américain Ian Feuer, elle s’est corsée au contact de garçons comme Hans Galjé, Jurgen Belpaire, Ibrahim Nader El Sayed, Dejan Nemec et Tomislav Butina. Je n’ai toutefois jamais eu besoin d’une rivalité plus accrue pour me sublimer. Cette envie de m’imposer en toutes circonstances, je l’avais en moi. Et c’est elle qui m’a permis de faire le ménage. Mais un cas n’est pas l’autre : depuis que Tomislav Butina n’a plus affaire à moi, pour la place de numéro 1 du moins, il s’est indéniablement transformé. Il joue de manière beaucoup plus libérée et a été irréprochable depuis le début de la saison. Comme quoi, un gardien n’est pas l’autre. Il est toujours difficile de dire, dans ces conditions, quelle est la panacée. Même si les tout grands, pour moi, sont ceux que l’émulation sublime « .

Bruno Govers

 » DEPUIS MA RETRAITE, BUTINA joue de manière plus libérée  » (Dany Verlinden)

 » A qualités égales, c’est LE MENTAL qui fait la différence  » (Jacky Munaron)

 » AVEC MICHEL, le mieux était l’ennemi du bien  » (Gilbert Bodart)

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