Les 22 vainqueurs toujours vivants de la Grande Boucle.

1950

Ferdi Kübler avait 31 ans

Suisse, né en 1919

Equipe de Suisse

Autres victoires : champion du monde sur route 1951, Liège-Bastogne-Liège 1951, 1952, champion de Suisse 1948, 1949, 1950, 1951, 1953

Le doyen

Ferdi Kübler a fêté ses 83 ans. C’est le doyen du Tour. Souriant, il a gardé la ligne. Ses camarades de course disparus, il se sent un peu seul et incarne toute la nostalgie des années 50 et des noms mythiques tels que Coppi, Bartali, Anquetil ou Bobet :  » On formait une jolie bande d’amis et on était très intimes. On luttait farouchement sur la route et on n’avait pas l’habitude de se faire des cadeaux. Mais dès que les vélos arrêtaient de rouler, on devenait les meilleurs amis du monde. On séparait bien l’amitié et la compétition. Notre amitié restait intacte parce que nous avions un grand respect les uns des autres, connaissant tous le prix de l’effort. C’était une époque difficile qui ne nous faisait pas non plus de cadeaux. Nous ne bénéficiions pas de l’assistance actuelle « .

Premier citoyen helvétique à remporter le Tour, il devint vite un héros très populaire. En 1950, c’est Orson Welles qui donne le départ et, au fil des étapes, les champions défaillent. Fausto Coppi abandonne et Louison Bobet est fatigué. Kübler, lui, fait preuve d’une persévérance de tous les instants. C’est avec lui que le Tour découvre les qualités d’un coureur complet. Bon rouleur et bon grimpeur, il est intouchable et le profil de l’athlète fait son apparition dans le cyclisme.

1956

Roger Walkowiak avait 29 ans

Français, né en 1927

Equipe du Nord-Est Centre

Un inconnu crée le suspense

Grand favori, Louison Bobet vient de remporter les trois derniers Tours. Le challenge s’annonce difficile, surtout qu’il y a les champions Gaul et Bahamontes. Roger Walkowiak n’est que l’outsider de l’équipe régionale du Nord-Est Centre. La seule idée qu’il puisse l’emporter en fait sourire plus d’un. Il est timide et émotif, et il n’a pas la réputation d’un ambitieux. Mais il a pour lui un atout d’importance : son entraîneur Ducazeaux croit en lui. Mais celui-ci le cache à son coureur, de peur d’aiguiser sa nervosité.  » La veille du contre-la-montre, Ducazeaux m’ a invité à aller me coucher tôt et, le matin, je dormais tellement bien qu’il n’a pas osé me réveiller. J’ai alors perdu deux minutes lors de l’épreuve et je suis arrivé deuxième. Mais je voyais qu’il n’y accordait pas beaucoup d’importance. Il mettait en route sa stratégie « .

Le duo Walkowiak-Ducazeaux se fait appeler la tête et les jambes : pendant que l’un réfléchit à une tactique, l’autre tente tous les jours d’être présent sans pousser l’effort jusqu’à l’épuisement. Le Tour est une affaire de régularité et de stratégie, et le couple fonctionne à merveille :  » Alors que je menais correctement ma course sans faire d’erreur, Ducazeaux établissait un plan d’attaque. Cela faisait trois jours que j’avais le maillot jaune et il m’a demandé de le laisser pour le reprendre dans les Alpes « .

1958

Charly Gaul avait 26 ans

Luxembourgeois, né en 1932

Equipe Hollande-Luxembourg

Palmarès au Tour : 3e en 1955 et 1961, 2 titres de meilleur grimpeur en 1955 et 1956, 10 victoires d’étape

Autres victoires : Tour d’Italie 1956 et 1959, Tour du Luxembourg 1956, 1959 et 1961

L’Ange de la Montagne

Il avait un visage de chérubin et, avec Federico Bahamontes, reste l’un des meilleurs grimpeurs de l’histoire du Tour. C’est un petit braquet qui fuit la chaleur comme la peste mais qui, à chaque mois de juillet, est prêt à souffrir. Il a déjà abandonné dans un Tour du fait de la canicule mais le froid lui va si bien… Cet été-là, justement, le temps se montre variable et le passage du massif de la Chartreuse plutôt apocalyptique. Charly Gaul a 25 minutes de retard et accumule les malheurs, entre le matériel brisé et un mal de genou suite à une chute. Mais ce mercredi 16 juillet, il retrouve une énergie nouvelle. Une pluie glaciale s’abat sur les coureurs. Il fait froid et l’orage éclate. Il construit un écart de 12 minutes par rapport à ses adversaires. Anquetil crache le sang et abandonne, Geminiani s’effondre en pleurs, même Bahamontes ne peut rattraper le grimpeur déterminé.  » Je ne sais pas pourquoi j’aime particulièrement la pluie. Elle me donne des ailes. Mais dans la vie, je n’ai pourtant rien d’un ange  » !

Malgré une santé moyenne, Charly Gaul a gardé son humour et son £il vif.

1959

Federico Bahamontes avait 31 ans

Espagnol, né en 1928

Equipe d’Espagne

Palmarès au Tour : 2e en 1963, 3e en 1964, 6 titres de meilleur grimpeur en 1954, 1958, 1959, 1962, 1963, 1964,

7 étapes

Autres victoires : Championnat d’Espagne 1958, Tour des Asturies 1955 et 1957

L’Aigle de Tolède

Federico Bahamontes a un caractère fantasque. De carrure fluette, l’homme est digne et n’en fait qu’à sa tête. Dès le début, le Tour lui apparaît comme un conte de fées auquel il n’a pas le temps de s’habituer :  » Lors de ma première participation en 1954, je venais de courir le Tour des Asturies et rentrais de Madrid. J’avais pour seul bagage un petit sac. Mon entraîneur voulait à tout prix monter une équipe espagnole pour participer au Tour de France. Il fallait prendre la décision sur-le-champ et partir le jour même. J’étais sélectionné et je n’avais pas le temps de m’en réjouir. J’étais obsédé par l’idée qu’il fallait prévenir mes parents, me préparer un autre sac… J’ai découvert l’envergure de l’organisation du Tour : en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, j’avais en main une valise remplie et le numéro 41, celui qui a gagné le plus de Tours. Cette année-là, j’ai remporté le prix de la montagne. J’étais extrêmement fier de ce titre et il me suffisait « .

Au sommet des cols, il attend les autres coureurs, tranquillement assis avec une glace :  » C’est Coppi qui m’a poussé à me battre pour le classement général « .

1965

Felice Gimondi avait 23 ans

Italien, né en 1942

Equipe Salvarani

Palmarès au Tour : 2e en 1972,

7 étapes.

Autres victoires : champion du monde sur route 1973, Tour d’Italie 1967, 1969, 1976, Tour d’Espagne 1968, GP des Nations 1967 et 1968, Milan-Sanremo 1974, Paris-Roubaix 1966, Tour de Lombardie 1966 et 1973, champion d’Italie 1968, 1972

Au nom de Saint-Isidore

Felice Gimondi n’a que 23 ans en 1965. L’organisation du Tour le trouve bien jeune. Trop jeune même pour qu’une équipe mise sur lui. L’année précédente, il a remporté le Tour de l’Avenir, excellent galop d’essai, mais son palmarès est encore trop restreint. C’est donc comme remplaçant qu’il prend place dans l’équipe Salvarani. C’est alors que Fantinato se blesse et que Gimondi est sélectionné par forfait. Si le hasard le propulse dans le Tour, il n’en fait pas moins vite ses preuves et impose son style et son élégance.

 » A partir du moment où j’ai été sélectionné, je me sentais prêt à tout et notamment à affronter les plus redoutables, Poulidor en tête. Je me suis fait distancer par lui sur le Ventoux et c’est là que j’ai entendu des rumeurs : Poulidor serait imbattable, mon seul espoir serait de bien me placer derrière lui. Ce peu de confiance que l’on me témoignait a renforcé mes convictions. Jusqu’à la fin, j’ai mis ma tête dans le guidon. C’est alors que j’ai été baptisé du nom de Saint Isidore, le protecteur des travailleurs « .

1966

Lucien Aimar avait 25 ans

Français, né en 1941

Equipe Ford-Geminiani

Palmarès au Tour : 1 étape

Autres victoires : champion de France 1968

La patience d’un idéaliste

Aimar le romantique, Aimar l’ami des femmes. Quand il cherche les financements pour participer au Tour, c’est une danseuse qui promet de l’aider. En échange, elle propose que son nom soit en lettres noires sur un maillot rose. Lorsqu’elle demande à ce que le cuissard soit bleu clair, la proposition est refusée. Reste qu’Aimar fait son entrée dans l’équipe du nom de la danseuse Da Kova. Il devra cependant attendre 1966, année où la popularité de Poulidor sera à son apogée, pour faire son entrée dans l’histoire. On attend alors un spectacle entre Poupou et Anquetil. Fin stratège, Lucien Aimar laisse les deux rivaux attirer l’attention sur eux et se concentre tranquillement, aidé en cela par son coach Geminiani qui pronostique sa victoire. C’est dans l’ Aubisque qu’il crée la surprise en se détachant du peloton : » Le Tour, pour le gagner, il ne faut pas le perdre « . Aimar est quotidiennement présent, laisse Anquetil abandonner à Chamonix et distance Poulidor :  » Le Tour se joue sur trois semaines. C’est une mise en condition jour après jour et l’arrivée fut une consécration. J’étais loin de pouvoir l’emporter et quand j’ai fait part de mes doutes à mon entraîneur, il m’a passé un savon : -On ne te paye pas pour perdre. Tu restes et tu gagnes ou tu changes d’équipe « .

1967

Roger Pingeon avait 27 ans

Français, né en 1940

Equipe de France

Palmarès au Tour : 2e en 1969,

4 étapes

Autres victoires : Tour d’ Espagne 1969

L’homme de la canicule

Cette fois-ci, Poupou devait gagner. Près du tandem de l’équipe de France Poulidor-Aimar, Roger Pingeon faisait figure de lièvre. Mais dans le Ballon d’Alsace, Poulidor a dû affronter un brouillard épais et a chuté, abîmant son vélo. Un coéquipier lui a passé le sien, mais il n’était pas réglé à sa taille et, dans l’effort, Poulidor attrapa des crampes et finit l’étape à pieds. Il perdit 15 minutes. Pour sauver l’équipe de France, il décida de se mettre au service de Pingeon, qui faisait alors preuve d’une régularité exemplaire. Aussi, dans l’Isoard, quand Pingeon fléchit, Poulidor lui proposa de se mettre dans sa roue pour récupérer.

Pingeon s’imposa en effectuant une échappée solitaire lors de la cinquième étape :  » Cet été-là, il faisait vraiment très chaud et j’ai la chance de ne pas craindre la canicule.

En lâchant les autres, je me suis aperçu que j’avais un atout qu’il fallait jouer. J’essayais de boire peu pour ne pas transpirer. J’ai pris le maillot jaune et, à partir de ce moment, j’ai voulu le défendre. Plus les jours en jaune passaient, plus je me sentais invincible. J’ai eu la chance de ne pas paniquer « .

1968

Jan Janssen avait 28 ans

Hollandais, né en 1940

Equipe des Pays-Bas

Palmarès au Tour : 2e en 1966,

7 étapes, maillot vert 1964, 1965, 1967

Autres victoires : champion du monde sur route 1964, Tour d’Espagne 1967, Paris-Roubaix 1967, Paris-Nice 1964

Le professeur

Avec ses lunettes et son air sérieux, Jan Janssen décroche le surnom de professeur. Lui qui a longtemps couru sous les couleurs des marques françaises et a été adopté par la France, doit affronter le grand favori : Raymond Poulidor. Ce dernier est en tête et la victoire est proche. C’est le coup le plus dur de toute la carrière de Poulidor. Dans l’étape de Font Romeu, il se fait renverser par une moto et est gravement blessé. Obligé d’abandonner, il entraîne avec lui l’équipe de France dans la débâcle. Reste à Janssen l’épreuve du contre-la-montre, l’étape finale, où il arrive vainqueur pour 38 secondes sur Herman Vanspringel !  » Je me souviendrai toute ma vie de l’arrivée à Vincennes. Les gens levaient les bras au ciel et, dans la foule, je regardais ma femme enceinte qui donnait la main à ma fille de quatre ans. Elle serrait un bouquet de fleurs contre elle. Je me rappellerai toujours cette image, car elle était ma récompense, le but de tous ces efforts. En arrivant avec le maillot jaune à Paris, je savais que c’était pour eux que j’avais couru ce Tour et grâce à eux si je l’avais gagné « .

1969-70-71-72-74

Eddy Merckx avait de 24 à 29 ans

Belge, né en 1945

Equipe Faema puis Molteni

Palmarès au Tour : 2e en 1975, meilleur grimpeur en 1969 et 1970, maillot vert 1969, 1971, 1972, 34 étapes

Autres victoires : champion du monde sur route 1967, 1971, 1974, Tour d’Italie 1968, 1970, 1972, 1973, 1974, Tour d’Espagne 1973, Milan-Sanremo 1966, 1967, 1969, 1971, 1972, 1975, 1976, Liège-Bastogne-Liège 1969, 1971, 1972, 1973, 1975, Tour des Flandres 1969, 1975, Tour de Lombardie 1971, 1972, champion de Belgique 1970, GP des Nations 1973, Paris-Roubaix 1968, 1970, 1973

Le Cannibale

Eddy Merckx rafle tous les honneurs. Cinq Tours de France, 34 étapes, 96 jours en jaune. Servi par une boulimie de victoires, il ne laisse pas l’once d’une récompense à ses concurrents. Imbattable au sprint ; excellent dans les cols ; rouleur infatigable ; bon attaquant ; gagneur ; pugnace ; courageux… Et il se bat jusqu’à l’épuisement pour arriver le premier :  » J’ai très vite compris que la première chose qu’il fallait savoir pour remporter le Tour de France, c’est souffrir. Gamin, je jouais avec des cyclistes en plomb, mais dès que je me suis mis à la place de ces petits coureurs, j’ai arrêté de m’amuser. Je ne voulais participer au Tour que pour gagner et j’ai dû faire preuve d’un acharnement de bête. Un jour, une petite fille m’a donné le surnom de cannibale et cela a été repris par les journalistes. Il y avait quelque chose de vrai : je ne voulais rien laisser au autres « .

1975-77

Bernard Thévenet avait de 27 à 29 ans

Français, né en 1948

Equipe Peugeot

Palmarès au Tour : 2e en 1973,

9 étapes

Autres victoires : Dauphiné Libéré 1975, 1976, Tour de Romandie 1972, champion de France 1973

Nanard face à son destin

Bernard Thévenet arrive comme remplaçant en 1970 dans l’équipe Peugeot et, déjà, il ne laisse pas indifférent. Merckx s’en méfie et flaire même en ce jeune prodige un futur grand champion. Il pronostique dès 1970 une victoire prochaine et, sans le savoir, il en subira lui-même les frais. Cette victoire ne tardera pas à arriver. Cinq années plus tard. Alors que Poulidor, atteint d’une bronchite, s’essouffle, que Gimondi est lâché dans l’étape de Pra-Loup, Thévenet réussit un coup de maître après un duel mémorable contre Merckx. Il lui prend six minutes en deux jours.

 » Quand j’étais tout jeune « , se souvient Thévenet,  » j’avais un recueil de conseils pour tous les cyclistes, écrit par Louison Bobet. C’était mon livre fétiche. Il disait que, pour devenir un grand coureur de Tour, il fallait passer l’Izoard avec le maillot jaune. C’est ce que j’ai fait en 1975 face à Merckx. C’est avec cette victoire que j’ai compris pourquoi les champions de ma jeunesse s’emballaient quand ils parlaient de leurs succès dans le Tour de France. C’est la victoire la plus dure. La plus physique. La plus regardée. Depuis mes deux victoires, je suis serein, j’ai le sentiment d’avoir accompli une partie de mon destin « .

1976

Lucien Van Impe avait 30 ans

Belge, né en 1946

Equipe Faema puis Molteni

Palmarès au Tour : 2e en 1981, 3e en 1971, 1975, 1977, 6 fois meilleur grimpeur en 1971, 1972, 1975, 1977, 1981, 1983, 8 étapes.

Autres victoires : champion

de Belgique 1983

Le grimpeur qui doutait

Il ne pensait pas avoir l’étoffe d’un champion. Il aura fallu que son coach, Cyrille Guimard, l’en persuade pour que Lucien Van Impe décroche la victoire. On dit même en coulisses que Guimard a fait gagner le Tour à un coureur qui n’en avait pas envie. Van Impe se satisfait de ses trophées de grimpeur. C’est l’un des meilleurs grimpeurs de l’histoire du Tour mais cela ne suffit pas à son entraîneur, qui déploie une tactique différente à chaque étape pour le faire gagner.

En 1976, Van Impe prend le maillot jaune avant d’attaquer les Pyrénées. Guimard considère que la victoire est prématurée et lui demande de ne pas suivre les attaquants et de laisser le maillot. C’est un coup de poker et nombreux sont ceux qui le voient déjà sacrifié. C’est à tort qu’on le croit perdu. Jamais bien loin des premiers, Van Impe ne s’essouffle pas et quand arrive l’étape pyrénéenne de Saint-Lary, Guimard lui donne le feu vert. Tout se joue sur ces étapes. Toute la stratégie de Guimard repose sur le potentiel du coureur à vaincre la montagne. Van Impe reprend le maillot et attaque jusqu’à Paris « .

1978-79-81-82-85

Bernard Hinault avait de 24 à 31 ans

Français, né en 1954

Equipe Renault-Gitane puis

La Vie Claire

Palmarès au Tour : 2e en 1984 et 1986, meilleur grimpeur 1986, 28 étapes

Autres victoires : champion du monde sur route 1980, Tour d’Italie 1980, 1982, 1985, Tour d’Espagne 1978 et 1983, GP des Nations 1977, 1978, 1979, 1982 et 1984, champion de France 1978, Paris-Roubaix 1981.

Le Blaireau

Réputé caractériel, Bernard Hinault s’était lui-même surnommé le Blaireau. Exigeant, déterminé et doué d’un talent inné pour la course, il parvenait même sans grand entraînement à s’imposer. Il a remporté cinq Tours comme Merckx et Indurain mais possède le meilleur score d’ensemble de l’histoire du Tour.

A 32 ans, il se retire alors qu’il est encore en pleine forme. Il n’aurait, pardi, jamais accepté d’être considéré comme sur le déclin. Il a aussi toujours refusé de tenter de battre le record de l’heure puisqu’il s’agit-là d’un record toujours susceptible d’être battu par d’autres. Un vrai battant :  » Le Tour est un plaisir qui ne pardonne rien. Il faut s’aligner en pleine forme, y croire jusqu’au bout, même quand tout paraît perdu. J’ai toujours fonctionné sur base d’objectifs et je pense en avoir atteint 95 %. Je m’alignais souvent sur certaines courses en me forçant à ne pas gagner pour me réserver pour d’autres rendez-vous. Il ne faut pas vouloir tout gagner, il ne faut viser que des victoires importantes « .

1980

Joop Zoetemelk avait 34 ans

Hollandais, né en 1946

Equipe Raleigh puis La Vie Claire

Palmarès au Tour : 2e en 1970, 1971, 1976, 1978, 1979, 1982, 11 étapes

Autres victoires : champion du monde sur route 1985, Tour d’Espagne 1979

Le héros malchanceux

Joop Zoetmelk est un fidèle malheureux, un peu à la manière de Poulidor. Pendant 16 années, il est sur la ligne de départ. Mais ce Tour, il l’a manqué de peu à cinq reprises et laisse à Poulidor le soin de détenir le record du podium. Toutefois, il monte sept fois dessus. En 16 ans, il fut dans le giron des Hinault et des Merckx, et s’il a des succès manqués, il reçoit du moins la récompense de sa ténacité et de sa régularité. A 33 ans et après six essais, ce miraculé brave la malchance, lui qui est rescapé d’une chute grave en 1974 où il se fracture le crâne.  » Le Tour est une grande partie de ma vie et si j’y ai vécu des moments de souffrance, de chutes et de peur, je n’en garde que de bons souvenirs. Moi qui suis très attaché à la France puisque ma femme est française, j’aimais voir les Hollandais m’encourager.

Dans les Alpes notamment, ils étaient nombreux au bord des routes. Et l’année où j’ai gagné, je me souviens avoir été très ému par les supporters sur les Champs-Elysées, des tulipes à la main et habillés selon le folklore de mon pays « .

1983-84

Laurent Fignon avait 23 et 24 ans

Français, né en 1960

Equipe Renault

Palmarès au Tour : 2e en 1989,

9 étapes

Autres victoires : champion de France 1984, Tour d’Italie 1989, GP des Nations 1989, Milan-Sanremo 1988 et 1989

Laurent le magnifique

Force de la nature et surdoué du vélo, Laurent Fignon est formé comme Bernard Hinault à une approche athlétique de la compétition cycliste. Il remporte des classiques comme Milan-Sanremo et on attribue un peu trop vite le succès de son premier Tour au hasard. Pascal Simon, en tête, se fracture l’omoplate et est obligé de laisser la place dans les Alpes à Fignon.

Il prend sa revanche sur les rumeurs l’année suivante, en 1984, et gagne à la manière des grands, devant Hinault et LeMond. Fignon remportera même trois étapes contre la montre :  » Ma forme physique était telle que je pouvais rouler au maximum de mes capacités et atteindre mes limites sans jamais prendre de risques. Mais c’est le premier jour avec le maillot jaune que tout se décide. Une fois qu’on porte le maillot, on veut le garder et on est prêt à tout pour cela. Il devient l’adrénaline du coureur « .

En raison des études supérieures qu’il avait entreprises û événement plutôt rare chez les coureurs de l’époque û, il était considéré comme l’intellectuel du Tour.

1986-89-90

Greg LeMond avait 25, 28 et 29 ans

Américain, né en 1961

Equipe ADR puis La Vie Claire

Palmarès au Tour : 2e en 1985, 3e en 1984, 5 étapes

Autres victoires : champion du monde route 1983 et 1989, Dauphiné Libéré 1983

Le héros d’outre-Atlantique

La victoire de Greg LeMond est aussi celle de l’Amérique. Bernard Tapie, à la tête de l’équipe LeMond- Hinault, l’avait bien compris. Jusqu’alors, le Tour se courait entre Européens et son internationalisation cette année-là, grâce à la victoire d’un Américain, a marqué un tournant important dans l’histoire du Tour. LeMond introduit un nouvel esprit, à la recherche de nouvelles innovations technologiques et aussi d’investissements financiers. Il ne pouvait trouver meilleur interlocuteur que Tapie. Le salaire des coureurs partit en flèche et les grandes entreprises non spécialisées arrivèrent en masse dans la compétition financière. LeMond lui-même apporta sa part d’innovation technique, grâce à un guidon offrant un meilleur point d’appui. Sans doute l’idée vint-elle du mountain bike, où il faisait carrière auparavant… Aimé du public européen, LeMond gagna la réputation d’un homme confiant et détendu. En 1989, face à un Fignon stressé, il joua de son atout : la décontraction. C’est dans l’étape contre la montre Versailles-Paris que tout se joua. Seulement 8 secondes les séparaient, ce qui sera le plus petit écart de temps de toute l’histoire du Tour de France « .

1987

Stephen Roche avait 28 ans

Irlandais, né en 1959

Equipe Carrera

Palmarès au Tour : 3e en 1985,

3 étapes

Autres victoires : champion du monde sur route 1987, Tour d’Italie 1987, Paris-Nice 1981

Une victoire d’outre Manche

Le Tour s’était étendu en Europe, il s’était américanisé, mais en plus de 75 ans d’existence, il ne comptait toujours pas à son palmarès de coureur d’outre-Manche. Les espoirs se formaient autour d’un cycliste de qualité, Stephen Roche.

Mais il s’ était vu souvent barrer la route par Greg LeMond. Comme une victoire dans le Tour est la réussite de toute une équipe et d’un entraîneur, Roche bénéficia de l’appui de son coach, Geminiani.

En 1985, Roche monte en troisième position sur le podium et deux ans plus tard, le pronostique se confirme. Il a su s’imposer par sa régularité tout en profitant des occasions. Parce que le Tour est toujours affaire de chance et de circonstances, Roche a tiré parti de la crevaison du leader, Jean-FrançoisBernard, pour lui prendre un temps précieux et gagner la course. 1987 est pour lui l’année de toutes les consécrations, car il réalise un triplé fantastique en arrivant vainqueur du Tour de France, du Tour d’Italie et en remportant le titre de champion du monde.

1988

Pedro Delgado avait 28 ans

Espagnol, né en 1960

Equipe Reynolds

Palmarès au Tour : 2e en 1987,

3e en 1989, 4 étapes

Autres victoires : Tour d’Espagne 1985 et 1989

Une relation passionnelle

Entre le Tour de France et Pedro Delgado, c’est une histoire de passion et de rendez-vous manqués. Habitué à se confronter aux coureurs espagnols, Delgado souhaite se mesurer au Tour en 1983 :  » Je me donnais deux années pour me mettre au niveau. En 1985, j’étais prêt. Juste avant le départ, je me suis malheureusement cassé la clavicule. Je suis revenu l’année suivante. Mais j’ai eu un drame familial, car j’ai perdu ma mère au même moment. J’étais très frustré de subir ces événements alors que j’étais confiant dans ma réussite. Ma relation avec le Tour est devenu très passionnelle. Enfin, en 1987, rendez-vous est pris et Delgado est à la hauteur de ses espoirs. Il décroche la deuxième place. L’année suivante, c’est la consécration : il remporte le Tour, mais non sans devoir affronter une terrible polémique. Au c£ur des problèmes de dopage, Delgado est fortement soupçonné. Mais il garde son titre. Le médicament qu’il a pris et qui se trouve au centre de la polémique figure sur la liste noire des Jeux Olympiques mais pas sur celle de l’UCI. Ce médicament n’était donc pas illicite mais permet d’en masquer d’autres. La fête fut un peu gâchée pour Delgado. Grand favori l’année suivante, il manque son prologue et perd un temps qu’il ne pourra plus rattraper.

1991 à 1995

Miguel Indurain avait de 27 à 31 ans,

Espagnol, né en 1964

Equipe Reynolds-Banesto puis Banesto

Palmarès au Tour : 12 étapes

Autres victoires : Paris-Nice 1989, 1990, champion du monde CLM 1995, Tour d’Italie 1992 et 1993, Jeux Olympiques CLM 1996, champion d’Espagne 1992

L’Econome

Miguel Indurain est le seul à réussir un quintuplé parfait. Formé à la même école que Pedro Delgado, il devient, comme son concurrent espagnol, le spécialiste du contre la montre. Les deux compatriotes détiennent encore aujourd’hui les records du Tour. C’est d’ailleurs sur le contre la montre qu’Indurain s’appuie pour remporter ses victoires.

Coureur complet, il s’inspire sur la méthode Anquetil : s’adjuger le Tour grâce à des moments décisifs. Le reste du temps, il se contente de maintenir le contact. Dans les cols, il se maintient au niveau du peloton de tête mais s’autorise à perdre. Il analyse. Il anticipe. Il programme. Athlète tactique, il s’interdit tout effort inutile. Sa théorie est celle de la tortue : rien ne sert de remporter le Tour en creusant un grand écart de temps avec les autres coureurs ; le tout est de la gagner. Placide, maîtrisant ses joies et ses émotions et pratiquant l’économie d’énergie. Mais la fatigue du coureur surviendra d’un seul coup et en 1996, lorsqu’il part pour remporter son sixième Tour, il défaille, chez lui, dans l’étape de Pampelune.

1996

Bjarne Riis avait 32 ans

Danois, né en 1964

Equipe Deutsche Telekom

Palmarès au Tour : 3e en 1995,

4 étapes

Autres victoires : champion du Danemark 1992, 1995, 1996

Une leçon d’obstination

Une grande interrogation accompagne ce Tour : Miguel Indurain réussira-t-il le record absolu d’une sixième victoire ou découvrira-t-on son successeur sur les jolies routes de l’Hexagone ? C’est bien la question que tout le monde se pose. Pour tous les coureurs, le challenge est double : gagner le Tour de France et battre un des plus grands cyclistes de l’histoire. Dans un premier temps, c’est un néophyte de 22 ans qui talonne Indurain et le bat dans le contre la montre : Jan Ullrich. Puis, l’abandon de Jalabert et la défaillance d’Indurain ouvrent la porte à Riis.

C’est la septième participation du Danois à l’épreuve et il est déjà arrivé à deux reprises parmi les cinq premiers. Il a 32 ans, le même age qu’Indurain qui, lui, termine sa carrière. Le vrai successeur d’Indurain reste encore à trouver et Riis marque simplement une période transitoire. Mais la Scandinavie tout entière salue ce triomphe et fait rentrer l’enfant du pays dans sa grande histoire sportive. Bjarne Riis se reconvertira ensuite comme directeur sportif. Non sans succès.

1997

Jan Ullrich avait 24 ans

Allemand, né en 1973

Equipe Deutsche Telekom

Palmarès au Tour : 2e en 1996, 1998, 2000 et 2001, 6 étapes

Autres victoires : champion du monde CLM 1999 et 2001, Jeux Olympiques 2000, Tour d’ Espagne 1999, champion d’Allemagne en 1997 et 2001

Le potentiel d’un grand

Le public est unanime : le successeur d’ Indurain, le voilà. Il est allemand, jeune et possède une carrure athlétique. Révélation du Tour 1996 où il est arrivé deuxième derrière Bjarne Riis, on le dit volontiers surdoué. Et dans ce Tour 1997, il n’a de cesse de créer la surprise. En montagne, sur les étapes les plus difficiles où seuls excellent les meilleurs grimpeurs, comme en Andorre, il talonne Richard Virenque, maillot à pois depuis trois ans. Puis, il se révèle dans des étapes décisives et se montre indéniablement supérieur au challenger français. Ce jeune Allemand de l’Est qui a fait ses armes à Rostock se montre enragé. Il remporte la victoire et enthousiasme l’Allemagne qui ne connaissait plus le podium depuis 1932 ! Le public sent Ullrich lancé pour remporter une série de Tours. Il n’a pas tout à fait tort. Si Ullrich ne remporte pas la première place, du moins se place-t-il second, à l’exception d’un seul Tour. Armstrong n’a pas l’intention de lui laisser sa place et, contrairement à l’Américain, on le trouve plus désinvolte mais peut-être moins prêt à faire les sacrifices nécessaires.

1998

Marco Pantani avait 28 ans

Italien, né en 1970

Equipe Mercatone Uno

Palmarès au Tour : 3e en 1994 et 1997, 8 étapes

Autres victoires : Tour d’Italie 1998, Tour de Murcie 1999

Le pirate

Personnage atypique, Marco Pantani cultive un look branché qui fait partie de sa notoriété. Malheureusement, il remporte le Tour de France lors du plus grand scandale de dopage de l’histoire de l’épreuve, en cette fameuse année 1998. A plusieurs reprises, les coureurs se mettent en grève. Psychologiquement au bout du rouleau, ils font les frais d’une suspicion générale sur les qualités athlétiques du cyclisme.

Avec l’arrestation du soigneur belge Willy Voet et d’une cargaison de produits dopants destinés à l’équipe Festina, Richard Virenque doit quitter le tour en larmes, sous les feux des projecteurs. Avec l’élimination de Festina, l’adversaire principal disparaît. Mais Pantani brave la tourmente et crée le spectacle en haute montagne. Il bat le record de montée de l’Alpe d’Huez et remet au goût du jour la légende des grands grimpeurs dans le Tour de France.

Aussi bon grimpeur que Gaul ou Bahamontes, il prouve que les qualités de grimpeur peuvent suffire pour déboucher sur la récompense suprême.

1999 à 2002

Lance Armstrong avait de 28 à 31 ans

Américain, né en 1971

Equipe US Postal Service

Palmarès au Tour : 15 étapes

Autres victoires : champion du monde sur route 1993, GP des Nations 2000, champion des Etats-Unis 1993

Le phénomène

Champion des USA de VTT et de triathlon, il est, à 22 ans, l’un des plus jeunes champions du monde sur route. Engagé par une équipe française dirigée par Guimard, il apprend qu’il est atteint d’un cancer. Ses métastases n’augurent rien de bon. On lui laisse peu d’espoir de survie. Il est licencié par son équipe et, entre 1996 et 1998, subit un traitement de chimiothérapie. Obstiné, il continue l’entraînement, à son rythme. Il récupère petit à petit. Jamais il ne perd confiance. Il lui suffit de deux années pour revenir, plus enragé que jamais. Il devient l’homme de tous les terrains et de tous les temps. Bon en montagne et sur la piste, résistant sous la pluie et les grosses chaleurs. Il peut tout. Certains ne pourront s’empêcher de dénoncer la prise de médicaments tolérés dans son cas, en raison de sa maladie. Quoi qu’il en soit, il gère sa carrière comme celle d’un businessman. Il s’entoure et se prépare comme aucun autre. Il suit des stages en montagne et surtout, il va reconnaître les cols et apprend par c£ur l’itinéraire. Il lui arrive de reprendre le parcours sept à huit fois, apprenant méticuleusement les moindres détails du relief. Il connaît certainement mieux la géographie française que la plupart de ses habitants  » !

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