A flot dans le Bosphore

Secouée par des vents d’une violence rare durant une semaine, l’équipe à la rose n’a pas démâté à Istanbul.

L’équipe nationale d’Angleterre était attendue au tournant, samedi passé, dans l’enfer de Fenerbahce où elle disputait face à la Turquie un match décisif en phase qualificative del’EURO 2004. Nul blanc et mission réussie : la phalange a arraché de façon plus que méritoire son billet pour le Portugal.

Pourtant, avant de se concentrer sur cette rencontre, les boys de Sven Goran Eriksson, le coach suédois de l’équipe nationale d’Angleterre, avaient dû essuyer une volée de boulets rouges expédiés avec une virulence rare par les tabloïds, soit la presse à sensation. Les récentes affaires concernant le football anglais ne se comptent plus. Il faut dire que c’est une tradition. Tout le monde se souviendra des frasques et autres beuveries du légendaire Irlandais George Best qui attend une nouvelle transplantation du foie ou de Paul Gascoigne.

Des légendes vivantes se sont abîmées dans l’alcool, les jeux, la drogue, la violence, le destruction de bars ou de chambres d’hôtels. Il faudrait presque un dictionnaire pour égrener le nom de ceux qui ont mal tourné. Une affaire de faux passeports accordés à des joueurs d’Europe orientale a refait surface mais ce trafic n’est que du pipi de chat à côté de deux viols où furent cités des noms de joueursde Premier League et de FirstDivision. L’un des décors ne fut autre qu’un hôtel luxueux de Londres. Un joueur de Leeds, Jody Morris, a été suspendu par son club en attendant de voir s’il a été impliqué dans un des deux viols.

On se souviendra aussi des incidents qui opposèrent récemment les joueurs de Manchester United et d’Arsenal. Les Londoniens reprochèrent à Ruud Van Nistelrooy d’avoir tout fait pour que Patrick Vieira obtienne une carte rouge. Les deux joueurs s’expliquèrent durement dans les catacombes du stade et cela fit les choux gras des tabloïds. Dans un autre ordre d’idées, Rio Ferdinand, l’arrière central de Manchester United, avait  » oublié  » de passer un test antidopage de routine le 23 septembre. Il devait déménager et cette obligation passa au second plan de ses préoccupations. Etonnant pour un pro. Rio Ferdinand se soumit finalement à cette obligation avec 36 heures de retard. L’examen fut négatif mais, prudente (ou méfiante ?), la fédération anglaise préféra ne pas le sélectionner pour le match de samedi passé en Turquie.

David Beckham rate un penalty

Les joueurs n’admirent pas la prise de position de leur fédération dans l’affaire Ferdinand. Paul Scholes, Nicky Butt, Gary et Phil Neville, ainsi que David Beckham, songèrent à faire grève, le mot boycott pour leur voyage en Turquie fut cité mais les joueurs ont affirmé qu’il n’en fut jamais question. Tout s’est finalement arrangé, à la demande de Rio Ferdinand. Mais ce ne fut pas facile car quand les tabloïds anglais ont un os à ronger, ils ne le lâchent pas facilement, et ne s’intéressent pas qu’à David Beckham et à sa famille. La semaine passée, ils ne cessèrent de casser du sucre sur le dos des internationaux. Pas facile pour eux, dès lors, de se rendre chez les Turcs qui, petit à petit, deviennent une des puissances en vue du football européen. Cette évidence fut étayée par leur belle Coupe du Monde en Asie. Des observateurs avertis estiment même que la Turquie pourrait devenir un nouveau Brésil tant ses joueurs sont talentueux.

Aucun supporter anglais n’a fait le déplacement du Bosghore : le stade de Fenerbahce était solidement entouré par 5.000 policiers. Les incidents entre supporters anglais et turcs n’étant pas chose rare, il valait mieux écarter les hooligans de cet enfer. S’il y avait beaucoup de bruit dans le stade, et quelques jets d’objets parfois non identifiés vers David James, l’excellent gardien de but de l’équipe nationale anglaise, l’ambiance ne fut pas intenable pour les Anglais. Sven-Göran Eriksson avait remarquablement organisé son équipe. En l’absence de Rio Ferdinand, Sol Campbell et John Terry se sont remarquablement entendus au centre de la défense anglaise.

A l’attaque, tenant compte du forfait de Michaël Owen, touché au tibia, le coach suédois lança une fois de plus le prodige d’Everton, Wayne Rooney, 17 ans, dans la bagarre et son association avec Emile Heskey fut une parfaite réussite. Sacré gaillard que ce jeune homme né dans un quartier pauvre de Liverpool. Il avait débité en équipe nationale le 12 février dernier face à l’Australie, à 17 ans et 111 jours. Rooney n’est pas toujours partant lors de tous les matches de son club qui ne veut pas le brûler. Fils d’un ancien boxeur amateur, il travailla la défense turc au corps. Il en fut voir de toutes les couleurs à Bulent Korkmaz et Alpay Ozalan avant de provoquer un penalty à la demi-heure de jeu. A ce moment-là, personne n’aurait pu crier au scandale en cas d’avance des Anglais au marquoir. Leur jeu était plus limpide, mieux orienté, plus serein que celui d’une équipe turque ayant une grosse possession de balle mais finalement peu inventive.

Beckham, la star hollywoodienne du Real Madrid, s’avança mais son pied se déroba légèrement avant la frappe. La balle fila loin au-dessus du but de Rustu Reçber. Une tuile qui ne désarçonna pas du tout l’équipe anglaise. Elle resta bien en ligne, contrôla les événements, ce qui gêna les Turcs qui s’attendaient probablement à un football typiquement british.

En fait, l’Angleterre jouait à l’italienne, préservant d’abord le nul avant de lancer ses deux pointes. Les Anglais ont amené moins d’hommes dans la zone de vérité mais ils furent plus dangereux que les nombreux attaquants turcs qui se marchèrent sur les pieds devant John Terry et Sol Campbell. Au repos, Alpay Ozalan et Wayne Rooney se frottèrent un peu devant les vestiaires. En bon capitaine, David Beckham vola au secours de son jeune équipier. L’arbitre, Pierluigi Collina, se rendit dans le vestiaire des Anglais et des Turcs afin d’éteindre l’incendie. La deuxième mi-temps ne fut pas plus éprouvante pour les Anglais. La Turquie réclama en vain un penalty pour une faute de Sol Campbell sur Hakan Sukur. Cette rage turque, et la carte jaune infligée au Tuareau du Bosphore, résumaient tous les problèmes turcs.

 » L’Angleterre méritait de mener au repos  »

Les gars du Bosphore s’évertuèrent trop à passer par le centre au lieu d’aérer le jeu via les ailes. L’Angleterre méritait finalement mieux qu’un nul mais l’essentiel était de garder la tête de son groupe et de se qualifier ainsi pour la phase finale de l’EURO 2004, au Portugal. La Turquie, elle, devra passer par les matches de barrage afin de prendre part à cette fête. Le coach anglais était évidemment très heureux au terme de la rencontre.

 » Une fois de plus, et dans des conditions stressantes, nous avons prouvé que l’Angleterre détient une bonne équipe « , affirma Sven-Goran Eriksson.  » Sur le terres turques, elle fut extrêmement professionnelle de la première à la dernière minute de jeu. L’Angleterre a été excellente tant dans son approche du match, sur le plan tactique etmental, que dans la gestion des événements sur le terrain. Je suis fier de ces joueurs qui ont réussi cela après une semaine au cours de laquelle il fut difficile de se concentrer sur le football. A mon avis, l’Angleterre méritait de mener à la marque au repos. En plus du penalty raté, nous nous sommes forgés d’autres très belles occasions de but. Quand on gaspille autant de cartouches, un entraîneur est toujours inquiet. Je l’étais et je redoutais que la Turquie, elle, ne transforme sa première occasion. Au repos, j’ai demandé à tous les joueurs de garder la tête sur les épaules. C’était bien le moment d’être cool. Notre tactique était finalement assez simple. Il fallait à tout prix assurer nos arrières. L’ambition état surtout de ne pas encaisser de but. Mais il ne s’agissait pas de ne faire que cela, pas du tout. La Turquie devait prendre des risques. Elle devait gagner pour terminer en pole position du groupe. Nous l’avons bloquée dans ses intentions et des espaces allaient forcément apparaître dans leur occupation du terrain. Il convenait d’exploiter ces failles. L’Angleterre répond toujours présent quand il le faut « .

Senol Gunes, le sélectionneur turc, était évidemment déçu. Il affirma clairement que sa phalange n’avait pas répondu à l’attente. Ce ne fut pas une prestation digne de son incroyable richesse tactique. Selon lui, la Turquie ne maîtrisa parfaitement son sujet que durant les dix dernières minutes de la première mi-temps. Mais pourquoi ses joueurs s’évertuèrent-ils à vouloir entrer dans la cage de David James balle au pied ? Où étaient le artilleurs de la deuxième ligne et les ailiers ? Senol Gunes avança une explication curieuse :  » Ce match ne s’est pas joué sur le terrain mais bien durant le quart d’heure de repos. A la rentrée aux vestiaires, il y eut l’incident entre Alpay Ozalan, d’une part, et Wayne Rooney et David Beckham d’autre part. Ce ne fut pas très grave en soi mais cela a eu des répercussions importantes. L’arbitre s’est entretenu avec les joueurs. Moi, de mon côté, vu cette initiative de l’homme en noir, je n’ai pas eu assez de temps afin de rectifier le tir avec mes hommes sur le plan tactique. Tout va vite au repos et j’ai bien senti que cet incident avait ébranlé mes joueurs. Ils étaient stressés et je n’ai pas eu suffisamment de temps afin de tout expliquer, de bien recadrer le match, son déroulement, et le travail de chacun. Je m’excuse mais la perte de ce quart d’heure explique pas mal de choses. Sir le terrain, mes joueurs n’étaient pas les mêmes que d’habitude. A un moment, j’ai évidemment insisté afin qu’ils s’expriment plus sur le ailes mais les Anglais ont deviné la man£uvre « .

La messe est dite : l’équipage à la rose n’a pas démâté sur les flots du Bosphore. Les Anglais s’étaient mis beaucoup de pression sur les épaules. A Fenerbahce, Sven-Goran Eriksson a aussi battu la presse à sensation, comme la Belgique de Robert Waseige l’avait fait au Japon en battant la Russie avant de signer un match de légende contre le Brésil. Il y a des ressemblances parfois étranges.

 » L’Angleterre répond toujours présent quand il le faut  » (Sven-Goran Eriksson)

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