A FESTA DA BOLA

La Coupe du Monde commence demain. Après des incertitudes au sujet des stades, des équipes, des vedettes et sur fond de protestations et de récits de corruption. Un Mondial avec un grand favori, le pays-hôte, et les Diables Rouges, que les observateurs considèrent pour la première fois comme des outsiders. Bem-vindo ao Brasil.

Samedi, à la station de métro Luz, une étrange vision. Des supporters de Jesus se baladaient avec un maillot brésilien frappé du numéro 33. Ils étaient en route pour la Marcha para Jesus. La 22e déjà, destinée à éveiller les gens à l’évangile. Ils étaient quelque 200.000, réunis par leur foi, à parcourir les rues de Sao Paulo.

Notre franc n’était pas encore tombé : le vol avait été long, nous avions la tête au football. Nous pensions que les Brésiliens requéraient un peu de soutien du ciel, pour ce qui serait leur sixième sacre mondial. Puis deux filles ont tenté de nous convertir et nous ont expliqué l’objectif de leur promenade : ne pose pas de question, crois et prie.

Ce n’était qu’une manifestation parmi tant d’autres mais une des plus pacifiques. La veille, police et manifestants – cette fois, le personnel du métro – s’étaient durement affrontés à la gare Ana Rosa. C’était une de ces manifestations brutales, jamais dirigées contre le Mondial lui-même mais contre les gaspillages éhontés des autorités brésiliennes.

Il existe ici un institut qui effectue des enquêtes auprès du grand public, avec la régularité d’une horloge suisse. Instituto Datafolha. D’après son dernier sondage, 48 % de la population soutient le Mondial, 41 % y sont opposés. Il y a six ans, la Coupe du Monde ralliait 79 % des Brésiliens. D’après une autre enquête, 61 % des gens pensent que le Mondial aura une résonnance négative.

Des sentiments mitigés

D’où vient ce revirement ? Il y a six ans, on n’avait aucune idée du coût de l’événement. Il y a six ans, les gens étaient heureux que la fête du football revienne dans leur pays, après 64 ans. Au berceau du football, bien que l’Angleterre se prévale du titre. Après 64 ans, enfin, le Brésil allait pouvoir prendre sa revanche. En outre, assuraient les pouvoirs publics, cette fête n’allait presque rien coûter au peuple.

Le Brésil est le pays qui récolte le plus de succès en football. Ses joueurs se produisent aux quatre coins du monde, il a été champion du monde à cinq reprises, Pelé est le seul à avoir été sacré trois fois champion du monde tandis qu’un autre Brésilien Ronaldo (15 buts) est le meilleur réalisateur de la Coupe du Monde. Le pays a inscrit 210 buts durant les phases finales, un autre record, et il a participé à toutes les éditions. Malgré cela, les sentiments sont mitigés.

Pourquoi ? Le climat économique a changé. L’économie brésilienne ne progresse plus aussi spectaculairement que les dernières années. On prévoit toujours une croissance de 2 %, voire plus, mais c’est moins que les 5,6 % du passé et que les 7 % de 2010. Donc, il faut gérer le budget avec prudence. Les syndicats trouvent que l’argent pourrait être utilisé autrement, ne pas être investi dans des stades coûteux ni de prestigieux aéroports mais dans des installations de base : davantage de transports publics de meilleure qualité, de meilleurs soins de santé, une révision du salaire minimum, l’enseignement. Cela représente 5,6 % du PNB actuel, soit le même niveau que les USA, la Suisse ou l’Angleterre, mais le Brésil est un pays du Tiers-Monde, qui doit rattraper les autres.

Des cheveux blancs à la FIFA

Il faudrait donc porter ce budget à 7, voire 10 %, selon les détracteurs du régime. D’où les protestations car il ne faut pas oublier que les élections présidentielles ont lieu cet automne. Et les manifestations ne peuvent plus être matées comme avant, à la matraque. Le Brésil n’est plus une dictature. D’autres régimes l’ont constaté ces dernières années : il est facile d’organiser une manifestation grâce aux réseaux sociaux. Le peuple ne se laisse plus opprimer. Un bus ou une voiture en feu sont devenus des armes populaires de rébellion, surtout que, c’est une tradition en Amérique du Sud, on affiche toujours le prix des travaux de grande envergure – du moins le prix initial car il augmente toujours. Or, ces montants sont impressionnants. Ils se chiffrent en millions.

Quel effet cela va-t-il avoir sur le Mondial ? Nul ne peut le prédire. En tout cas, recevoir autant de gens, distribuer les billets, tout organiser à temps, c’est un défi. Le Brésil sait depuis sept ans qu’il organise cette Coupe du Monde mais il a donné des cheveux blancs à la FIFA.

Samedi, nous avons pu constater que ceux qui aiment l’ordre et la clarté en sont pour leurs frais. Le chemin de l’Arena Corinthians est bien indiqué dans les transports publics mais une fois sur place, tirez votre plan. On fait la file devant le centre d’accréditations : volontaires, journalistes, spectateurs qui veulent un ticket pour le match d’ouverture, personne ne sait quelle file suivre. Elle s’étend sur plus de 200 mètres et elle n’avance pas. Ce n’est qu’une fois passé le garde, qui ignore où nous guider, qu’on peut aller où on veut. En dix minutes, on a ses papiers. Même si toute une équipe de collaborateurs n’est pas arrivée, sans qu’on sache pourquoi.  » C’est pour ça que c’est le chaos, Monsieur.  »

Entre foi et angoisse

Les gens sont tous gentils, y compris la police militaire, qui arbore le badge du Mondial. Ce pourrait devenir le Mondial de l’improvisation. Autour du stade, on s’affaire à placer des tuyaux d’évacuation, à fixer l’éclairage. Deux électriciens, câbles en mains, se penchent sur un plan. Il va falloir travailler jusqu’à la dernière minute, c’est clair. Brésil-Croatie, qui se déroulera devant plus de 60.000 spectateurs, se jouera dans un stade dont on n’a jamais testé cette capacité. Une première à ce niveau. Le Brésilien d’un naturel anxieux retient son souffle.

Le Brésil oscille entre foi et angoisse. Comme la FIFA, qui sera certainement soulagée d’enfin voir rouler le ballon, pour faire oublier les histoires de corruption. La Coupe du Monde se déroule sans Joao Havelange, âgé de 98 ans et hospitalisé la semaine dernière, Ricardo Teixeira, son gendre qui a émigré aux States, ni une partie des dirigeants qui ont fraudé ces dernières années. Place au ballon et aux vrais héros.

Qui est favori ? Pour les bookmakers, que nous avons tendance à croire davantage que les rankings, il y en a quatre : le Brésil, l’Argentine, l’Espagne et l’Allemagne, dans cet ordre. Ce classement reflète la tradition. Jamais encore un pays européen ne s’est imposé sur le continent sud-américain. L’Uruguay s’est imposé en Uruguay et au Brésil, l’Argentine a gagné sur ses terres, le Brésil au Chili. Aucune finale n’a jamais opposé les deux géants de ce continent mais le tirage au sort de cette édition le permettrait. Tout le monde rêve de voir Neymar face à Messi, l’ancien roi de Barcelone contre le nouveau.

Un combat de coqs

C’est une statistique parmi d’autres. Depuis 1978, la dernière édition organisée en Amérique du Sud, le monde du football a changé. Les meilleurs footballeurs jouent pratiquement dans les mêmes équipes, dans les trois ou quatre meilleurs championnats. Ils se connaissent. Il n’y a plus de surprise climatologique, chaque pays dispose d’un staff médical et psychologique. On n’improvise plus. Le temps est passé où les Diables Rouges logeaient dans un hôtel choisi par le consul – au Mexique 1970.

L’avantage du terrain va jouer un rôle. Dimanche, nous avons croisé un collègue de Globo, qui nous a parlé, tout excité, de la dernière Coupe des Confédérations. La FIFA limite les hymnes nationaux à 90 secondes. Or, le brésilien est très long : 3 minutes 33, avec une introduction musicale de 30 secondes. On arrive à la limite avant la fin de la première partie : il reste trois lignes. Le brave homme a eu la chair de poule l’année dernière en entendant les joueurs et les supporters brésiliens achever l’air a capella.  » J’espère que ça se reproduira, que toute la nation se joindra à nous.  »

Neymar, le meilleur joueur de ce tournoi, et Fred ont alors réconcilié le Brésil avec leur équipe. Ils doivent remettre ça à un niveau supérieur. Ce gosse de 22 ans porte une lourde responsabilité, alors qu’il reste sur une saison difficile à Barcelone : un transfert difficile qui a coûté sa tête au président, les premières blessures, la collaboration avec Messi… La semaine passée, la presse brésilienne a finement fait remarquer que Neymar a délivré des assists à Messi mais que l’Argentin ne lui a pas rendu la pareille une seule fois. Ici, les gens trouvent que Cruijff a raison : deux coqs dans le même poulailler… Leur équipe nationale s’appuie sur eux. Ce qui est arrivé à Messi avec Sabella se produit aussi pour Neymar avec Scolari : il est très libre et il marque les yeux fermés.

Des questions en vrac

En marge, encore cette statistique issue de la Coupe des Confédérations : c’est Neymar qui a commis le plus de fautes. Sous les ordres de Scolari, les attaquants sont les premiers défenseurs et ils ne reculent devant rien pour mettre fin à une contre-attaque.

Qu’apporte ce Mondial ? Beaucoup de questions. Neymar est-il capable de jouer son rôle et le Brésil a-t-il un plan B au cas où ? Qui est susceptible de reprendre son rôle ? De quoi sont encore capables ces stars après leur longue et pénible saison ? Montolivo est out, Ribéry aussi, comme Falcao, qui aurait pu faire de la Colombie un outsider. Cristiano Ronaldo est blessé, Messi a eu son lot de bobos musculaires pendant un an et l’Allemagne panse ses plaies. L’Espagnol Diego Costa sera-t-il délivré à temps de ses problèmes musculaires ? Rooney est-il assez bon pour l’Angleterre et qu’en est-il de l’aine de Van Persie ? Luis Suarez sera-t-il rétabli de son arthroscopie au genou ? Chaque favori semble avoir un joueur-clef en panne. Cela rend la Coupe du Monde très imprévisible, même si le surplus de classe sera déterminant, comme en Ligue des Champions. Il sera d’ailleurs intéressant de mener cette discussion-ci : en 2014, le football de club de l’élite, style Barça, Real, Bayern, n’est-il pas plus fort que le football des pays ?

PAR PETER T’KINT À SAO PAULO

D’après un dernier sondage, 48 % de la population soutient le Mondial, 41 % y sont opposés.

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