A couper le souffle

Dans le nord de l’Inde, un marathon atypique emmène les participants à plus de 5000 mètres, une altitude parfois mortelle. Prenez une bonne bouffée d’oxygène, enfilez vos baskets et embarquez pour une folle course à la rencontre de ses habitants et de ses paysages…

Dimanche 8 septembre. 5 heures 30 du matin sur les hauteurs de Leh (Jammu-et-Cachemire). Il fait nuit noire sur la capitale du Ladakh et rien ne semble déranger le tranquille sommeil des habitants. En apparence. En remontant vers la Shanti Stupa, un monument bouddhiste qui domine cette ville de 50 000 âmes, l’atmosphère devient au fil des minutes de plus en plus électrique. La faute n’incombe pas aux moines levés pourtant aux aurores pour la prière et qui occupent le lieu depuis sa construction dans les années 80, mais aux pratiquants d’un autre culte bien particulier : le marathon.

Sur la ligne de départ, à quelques centaines de mètres, les premiers athlètes se préparent tant bien que mal dans la pénombre avant le Ladakh marathon. L’un des plus hauts du monde. C’est le cas de SalimJaved, ado de 16 ans, tee-shirt jaune et short du Real Madrid, pas du tout impressionné par l’épreuve à laquelle il s’apprête à faire face.  » Jeveuxgagner ! « , argue-t-il dans un anglais timide.

A quelques mètres de lui, Akash et Kanupriya un jeune couple trentenaire venu exprès de l’Etat du Rajasthan pour courir les 42 kilomètres n’est guère effleuré par le doute.  » Noussommesarrivésily aunesemaine. C’estsuffisantpours’acclimater « , explique, confiante Kanupriya, habituée des marathons et professeur d’aérobic de son état. Ça aide.

Si les touristes indiens et étrangers portent pour la plupart une tenue clinquante, les locaux, provenant en majorité des jeunes des écoles environnantes, sont loin d’avoir un équipement adéquat. C’est peu dire. Chaussures en toile, de foot, jean et pantalon de ville, entres autres… L’attirail de certains ferait pâlir n’importe quel médecin du sport.

Anna, une Anglaise dynamique de 61 ans, cheveux poivre et sel, installée dans le Colorado et qui s’apprête à courir le 10 kilomètres est choquée.  » C’estincroyabledelesvoirhabilléscommecela. Amonretour, jevaisfairemonpossiblepourcontacterdesgrandesmarquespourqu’ilspuissentavoirdeschaussurescorrectes.  »

Chacun son style

A un quart d’heure du début de la course, la tension monte, malgré le froid matinal. Tous les concurrents se mettent soudainement à sauter et à crier. Lorsqu’à 6 heures 30 tapantes RigzinPalbart, le président du gouvernement du Ladakh débarque armé d’un drapeau en damier, les jeunes sont à deux doigts de faire tomber le panneau symbolisant la ligne de départ. Il faut finalement le courage de trois organisateurs pour le maintenir à flot.

Le doux son du Surna et du Daman, deux instruments traditionnels joués par un groupe local, n’a pas non plus raison de la fougue des écoliers ladakhis qui dès les premiers mètres de la course partent en furie. Le départ de celle-ci n’a rien à envier à un 100 mètres au Mémorial Van Damme. D’autres, plus prudents, préfèrent ménager leur monture et décident de prendre la route en marchant.

Deux styles, deux écoles… KeithMacIntosh, marathonien écossais averti, avait pourtant décidé d’accrocher deux ballons de baudruche à son dos pour servir de  » lièvre  » à ses cadets. En vain.  » Ils sont partis à une vitesse extraordinaire. Je n’ai jamais vu cela. J’ai décidé de partir tranquillement, beaucoup plus lentement que lors d’un marathon ordinaire. Et j’ai bien fait « , témoigne-t-il après coup.

Les coureurs partis, les organisateurs et les journalistes locaux présents sur place partent à leur poursuite. L’occasion pour nous d’embarquer à l’arrière d’un vieux pick-up Tata accompagné d’un jeune photographe freelance venu du sud du pays et doté d’un prénom hors du commun : Hashish.

Ce périple nous permet de nous rendre compte des failles de l’organisation. L’Inde est un joyeux bordel et malgré les grandes différences du Ladakh avec le reste du pays, les situations rocambolesques sont aussi légion. Il ne faut d’ailleurs pas cinq minutes pour s’en rendre compte lorsqu’à un rond-point, on croise quatre jeunes filles ladakhis hilares après avoir pris le mauvais chemin.  » Les policiers devaient mettre des cordes pour l’indiquer mais ils ne l’ont pas fait « , chuchote un badaud amusé.

Une succession de paysages sublimes

Ce petit tour improvisé à travers le Ladakh, douloureux pour les fessiers mais un délice pour les pupilles, nous permet de découvrir les paysages magnifiques de la région. Très prisé par les touristes, surtout depuis quelques années, le Ladakh est plébiscité par les amateurs de treks venus du monde entier en été mais aussi maintenant en hiver. Quoi de plus logique pour cette terre traversée de part et d’autre par la chaîne himalayenne et surnommée  » land of passes « .

Des paysages lunaires de Lamayuru, à la vallée verte de Markha en passant par les rives de l’Indus, le fleuve mythique parcouru par AlexandreLeGrand et ses troupes, l’environnement peut difficilement être plus grandiose. Les symboles bouddhistes, les hommes conduisant leurs mules et les femmes en habits traditionnels ladakhis rajoutent encore un peu plus de sublime au parcours.

 » C’est la plus belle course que j’ai jamais courue. Les paysages sont extraordinaires « , s’enthousiasme JonathanGavra, jeune coureur israélien a l’issue des 21 kilomètres.  » Le Ladakh est sans doute l’un des endroits les plus beaux au monde.  »

La terre du Ladakh est magnifique, c’est indéniable. Elle n’est certainement pas la plus accueillante pour courir un marathon. Très désertique, le Ladakh est drapé d’une poussière étouffante. De même, une fois sorti des routes bitumées, les chemins empruntés par les athlètes sont chaotiques, minés par les trous, truffés par les cailloux.

Pour ne rien arranger, le soleil à peine sorti de sa torpeur commence déjà son travail de sape sur l’organisme des participants. L’organisation l’y aide bien en ne mettant à disposition des coureurs que deux points d’eau tout au long du parcours… Que dire enfin de l’altitude qui laisse les touristes sans souffle dès leur descente d’avion ? Certains participants tirent la langue quand d’autres abandonnent.

Les touristes, pour la plupart, crachent leurs poumons comme AmitSutar, coureur plein d’humour venu de Bombay.  » J’ai arrêté de fumer il y a un mois. Ça m’a conforté dans mon choix ! », plaisant-t-il en s’achetant dans une petite échoppe une boisson salvatrice.

Chaque année, des décès liés à l’altitude

A 9 heures, les premiers concurrents du 10 et du 21 kilomètres sont déjà arrivés. Près de la ligne, dans la cour de la petite école publique, l’équipe médicale constate les dégâts engendrés par l’altitude sur les premiers participants. Une jeune ladakhi arrive ainsi en pleurs épaulée par ses copines se plaignant de douleurs au genou.

 » On n’a eu pour le moment que quelques problèmes respiratoires et articulaires mais pas énormément « , rassure le Docteur TseringSonam, dépêché sur place depuis l’hôpital de Leh. Quelques minutes plus tard, un coureur débarque, vacillant, à deux doigts de perdre conscience. Une bonbonne d’oxygène a heureusement été prévue pour aider ceux qui, comme lui, ont du mal à respirer. Tous les hôtels et auberges de jeunesse de la région ont d’ailleurs en principe l’obligation d’en avoir une à la disposition de leurs clients. Un minimum.

Car il ne faut pas plaisanter avec le mal de l’altitude qui touche plus ou moins tous les nouveaux arrivants au Ladakh et dans les régions du monde ou l’altitude dépasse les 3000 mètres. Tous les guides de voyage recommandent aux touristes d’éviter de voler directement de Delhi jusqu’à Leh et de préférer la route (pourtant périlleuse) venant des villes voisines de Manali ou de Srinagar afin de pouvoir s’acclimater.

Nausées, mal de tête, vertiges, irritation de la gorge, perte d’appétit, troubles du sommeil, difficultés à respirer… Les symptômes sont gênants et peuvent toucher n’importe qui, peu importe l’âge, le sexe ou encore la condition physique.

 » Ce n’est pas facile de s’adapter au climat du Ladakh. Il y a des effets physiologiques lorsqu’on arrive à une telle altitude. Certaines personnes font des oedèmes pulmonaires et cérébraux. On est parfois obligé de les faire redescendre. Chaque année, on a des décès liés à l’altitude. Surtout des touristes indiens qui ne se renseignent pas et ne prennent pas de précautions « , déplore le docteur. L’altitude n’a en tout cas pas l’air de gêner plus que cela les Ladakhis qui, juste derrière lui, au même moment sont en train de faire la fête…

Julley, un mot passe-partout

Apres avoir couru 10 et 21 kilomètres, on pourrait imaginer que les finisseurs et finisseuses lorgnent sur un coin à l’ombre et un bon siège pour se reposer. Il n’en est rien. Il est à peine 9 heures 30, le soleil tape, la température dépasse allègrement les 30 degrés mais les deux grosses enceintes installées près du podium ont raison des corps fatigués des adolescents.

Au Ladakh, il n’y a pas de boîte de nuit. En tout cas, pas à notre connaissance. La musique locale, les tubes indiens et même internationaux passés par l’organisation sont donc une aubaine pour ces jeunes qui reprennent en coeur, en dansant, tous les refrains. L’école se transforme en véritable dance-floor. L’alcool et la drogue en moins…

 » J’imagine la même chose en France. C’est impossible. On a besoin de se défoncer pour se désinhiber « , constate Kiam, un Français du sud de l’Hexagone qui ose quand même quelques pas aux côtés de la jeunesse locale.  » C’est vraiment un marathon joyeux « , ajoute Peter, le doyen du jour, un Italien de 73 ans pas plus marqué que cela malgré l’effort. C’est un peuple extraordinaire ! »

La première chose qui frappe les étrangers en arrivant au Ladakh, c’est la gentillesse et l’hospitalité des gens. Coupés du monde jusqu’en 1974 et la décision du gouvernement indien d’ouvrir le Ladakh au tourisme, les Ladakhis ont longtemps vécu selon un mode de vie basé sur l’entraide, le partage et la communauté.

Des valeurs qui restent omniprésentes malgré l’arrivée de la modernité et l’ouverture à la société de consommation. Pas étonnant que le mot le plus prononcé ici par les locaux et les touristes soit le mot  » Julley  » qui signifie en Ladakhi aussi bien  » bonjour « ,  » merci « , qu' » au revoir « .

Charmés par la région, Marianne et son époux en sont à leur cinquième voyage dans le pays. En devenant bénévole pour le marathon, les deux Gallois ont décidé de rendre à leur manière une partie de ce qu’ils avaient reçu.  » Les gens ne sont pas violents. Ils sont accueillants. Il n’y a pas meilleur endroit pour se faire de vrais amis.  »

Une future terre de champions ?

Le marathon de Leh n’en est qu’a sa seconde édition mais il est déjà très populaire dans la région. Il faut dire qu’à part les tournois de hockey-sur-glace hivernaux, (l’équipe nationale canadienne s’entraîne chaque hiver au Ladakh) les jeunes sportifs ladakhis n’ont pas beaucoup d’événements sportifs à se mettre sous la dent.

 » Le gouvernement avait organisé un marathon. On a senti qu’il y avait un gros potentiel « , explique SkarmaNorboo, le directeur de l’événement, dans un moment de répit.  » Notre objectif était de promouvoir la course auprès des jeunes. Surtout, on voulait redonner espoir aux Ladakhis qui avaient perdu leur âme il y a trois ans.  »

Dans la nuit du 5 au 6 août 2010, en effet, des terribles inondations ont touché la région. Une catastrophe au cours de laquelle 234 personnes ont perdu la vie et 440 familles leur habitation. Malgré l’engouement et les 1919 participants inscrits, le but premier des organisateurs n’est donc pas lucratif.

 » On perd de l’argent. On n’a pas de sponsor et on n’en cherche pas. On veut garder l’événement local. On offre l’inscription aux jeunes écoliers et on leur donne des tee-shirts et des casquettes. On grandit petit à petit. Dans quatre ou cinq ans on pensera peut-être à un événement plus commercial.  »

Les organisateurs sont d’ailleurs déjà en contact avec des homologues éthiopiens et kényans qui aimeraient faire courir leurs athlètes au Ladakh. La vallée du Rift kényane, le berceau de l’humanité pourvoyeuse de nombreux champions, n’est finalement pas si différente du relief himalayen.

Et à voir des enfants de 10 ans courir 10 kilomètres dans des temps plus que corrects, on se dit que les jeunes pousses Ladakhis bien entraînées pourraient être de redoutables compétiteurs une fois descendu au niveau de la mer.  » Ils voleraient « , s’imagine rêveur M. Norboo.

Khardungla Challenge

Il est 9 heures 55 et 33 secondes lorsqu’un oiseau nommé ShabirHussain et vainqueur du 42 kilomètres passe la ligne d’arrivée sous les applaudissements de la foule. Impressionnant ? Attendez de voir l’exploit d’un jeune soldat ladakhi de 19 ans prénommé RigzinNorboo. Depuis 3 heures du matin, en effet, 33 concurrents, dont un Hongrois sans doute un brin masochiste, blasés par la facilité du marathon traditionnel ont décidé de participer au Khardungla challenge, l’ultra-marathon le plus haut au monde.

En clair, 75 kilomètres à parcourir de nuit, en passant un col situé à plus de 5600 mètres. A cette altitude, le corps a 50 % d’oxygène en moins… Le vainqueur du jour, a parcouru la distance en 6 heures 55 minutes et 02 secondes. Impressionnant. Stupéfiante, aussi et surtout, la sérénité de Rigzin, chahuté par ses camarades militaires dès son arrivée.

TakayukiEhomoto, qui a rejoint le Ladakh deux jours seulement avant l’épreuve ne peut pas en dire autant. L’athlète japonais pétri de crampes après 42 kilomètres n’arrive plus à marcher et peine à s’exprimer.

 » C’était très dur. J’ai eu mal a la tête, mes jambes n’avaient pas assez d’oxygène. J’ai été stupide. Je suis parti très vite car c’était en pente. Je me suis dit que j’étais super bien. Plus ça allait, plus c’était dur. Les 10 derniers kilomètres en montée ont été terribles.  »

Habitué des marathons, Takayuki a un record personnel de 3 heures et 22 minutes établi à Singapour en décembre 2009. En bouclant l’épreuve en 4 heures et 53 minutes, le marathon de Leh restera sa pire performance…

Peu importe. Dans 10 ans, il sera peut-être fier de l’avoir terminé lorsque les meilleurs mondiaux viendront s’y frotter. En attendant, comme beaucoup de touristes, il peut déjà se consoler d’avoir découvert cette région extraordinaire de beauté et d’humanité. Julley !

PAR JACQUES BESNARD EN INDE

Poussière, cagnard, crevasses : le Ladakh n’est pas la terre la plus accueillante pour un marathon.

L’altitude laisse la plupart des touristes sans souffle à leur descente d’avion. Dans ces conditions, que dire des participants ?

La vallée du Rift kényane n’est pas si différente du relief himilayen. Verra-t-on bientôt des coureurs de fond ladakhis aux Jeux ?

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