A COPA DAS COPAS

Réflexions et aventures au Brésil.

samedi 7 juin

Bem-vindo. Vai ter Copa. Bienvenue, c’est ici que se déroule le Mondial. Encore discrètement mais il y a quand même de la pub pour ce 19e Mondial. Compte tenu des critiques soulevées par la population, les grandes marques ne prennent pas de risque. Donc, on fait de la pub dans les centres commerciaux mais en dehors, on reste discret pour ne heurter personne. Les sondages d’opinion indiquent que la moitié des Brésiliens soutient le Mondial. Ils ne sont que 40 % dans ce cas à Sao Paulo.

Le quartier Jardins est un des plus beaux de la ville. Ici, une quarantaine de vendeuses s’affairent dans la librairie où nous cherchons de la littérature sur le football brésilien. Elles ont reçu des consignes pour bien accueillir les touristes. Cecilia Moura, 56 ans, professeur d’université, analyse le comportement des acheteurs. Premier conseil : ne vous occupez pas des apparences. Elle explique aux vendeuses que le touriste qui voyage au Brésil a été prié de ne pas afficher sa prospérité, pour des raisons de sécurité.  » Ne croyez donc pas qu’ils ont tous des Rolex « , dit Cecilia. Ou des Hublots, dans le cas de la FIFA. Notre short et notre T-shirt sont parfaits, apparemment. Nous entendons quelques clichés : les Anglais se plaignent de tout, les Néerlandais n’ont pas d’argent (sic) et les Belges… sont toujours pressés.  » C’est notre cas…

dimanche 8 juin

Un dimanche à Sao Paulo, c’est le calme, d’autant que le métro est en grève. Personne n’arrive au centre, à part les cyclistes. Certains tronçons ont été réservés aux joggeurs et aux cyclistes. Comme la population du monde entier, le Sud-Américain prend du poids mais une minorité essaie quand même d’y remédier.

Nous voyons l’arrivée des premières équipes à la TV. Les Pays-Bas envahissent Rio. Ces jours-ci, nous allons être invités à poser pour la photo avec des Hollandais sur la plage, dans l’eau, en excursion. Tout le pays est-il en vacances ?

A Praça de Sé, religion et pauvreté vont de pair. La place de la cathédrale est remplie de sans-abris et de délaissés de la société.  » Je veux la Coupe mais je veux aussi une maison « , a écrit l’un d’eux sur un panneau. Il n’est pas encore midi et beaucoup d’entre eux sont déjà ivres. La police est attentive. Nous assistons à la fin de la messe dans la cathédrale. Que va dire le prêtre du Mondial ? Allez en paix et que Dieu offre une belle Coupe au Brésil. Amen.

As Mães da Sé, des représentants d’une association qui s’engage pour les enfants disparus, sont sur les marches. Deux mères qui ont perdu leur enfant ont fondé cette association à l’image des Madres de la Plaza de Mayo à Buenos Aires. Elles sont devenues célèbres pendant le Mondial 1978. Ici aussi, une association de ce genre tient une manifestation silencieuse le deuxième dimanche de chaque mois, sur les marches de la cathédrale. Nul ne pipe mot. Les panneaux reprenant les noms des disparus sont suffisamment éloquents. Les mères sont bien structurées, explique un sympathisant : elles ont une batterie d’avocats et des psychologues. Le groupe existe depuis 18 ans et a enregistré 9.000 cas de disparitions. Un tiers a été résolu.

Le soir, nous découvrons l’autre Sao Paulo. La FIFA a invité des journalistes au Sky Bar de l’hôtel Unique. Pelé et Cafu sont présents, comme le beau monde de la FIFA. La vue du toit, avec piscine et fauteuils, est phénoménale. Sao Paulo est à nos pieds. Pelé intervient brièvement, suivi par une meute d’admiratrices, Cafu s’attarde plus longtemps. Neymar ne va pas gagner la Coupe à lui tout seul mais il est bien entouré, précise l’arrière droit. Et oui, il y a des manifestations, c’est inévitable. En passant, il brise un mythe : le beau jeu ne compte pas dans une Coupe du Monde. Seulement le résultat.

lundi 9 juin

Le métro est toujours paralysé, même s’il y a moins de grèves. On a limogé 42 représentants syndicaux et infligé de lourdes amendes. Au fil de la journée, de plus en plus de lignes sont ouvertes mais le matin, il y a encore une manifestation.

Nous devons aller au centre à la nova sede da Associação dos Correspondentes Estrangeiros de São Paulo. Au quinzième étage d’un bâtiment administratif où, ô hasard, siège aussi l’administration des transports. L’immeuble est gardé par des robocops. A notre arrivée, ils se mettent justement en colonne pour prendre leurs postes. C’est terrifiant. La police est omniprésente, d’ailleurs. La sécurité du tournoi coûte un fameux paquet d’argent à l’Etat. Au-dessus de nos têtes, pendant des heures, un hélicoptère de la police tourne.

Christopher Gaffney vient parler. Cet Américain est économe du transport. Il vit et travaille à Rio et les pouvoirs publics l’ont chargé d’étudier l’impact du Mondial sur le transport et la mobilité, les stades, la sécurité. Le Texan aime le football mais il est las du Brésil et du chaos. En automne, il mettra le cap sur Zurich. Il a essayé de calculer le prix de revient par siège des stades. La tâche n’était pas aisée car les chiffres varient en fonction des sources.  » Je remarque une nette augmentation. Le coût du travail est assez faible au Brésil mais le prix par siège est bien plus élevé que lors des autres Coupes du Monde. Le Japon et la Corée ont bâti vingt stades, ce qui est absurde pour un tournoi, mais un siège coûtait 3.746 euros. Quatre ans plus tard, en Allemagne, ce n’était que 2.543 euros contre 3.915 euros en Afrique du Sud. Au Brésil, c’est 4.450 euros.

C’est pire à Manaus, qui accueille quatre matches du Mondial mais pas de grand club : l’Arena de Amazonia a coûté 540 millions de dollars pour 360 minutes de football. Gaffney :  » Par minute, ça fait 1,1 million d’euros. C’est dingue.  »

A titre de comparaison, les travailleurs du métro manifestent pour obtenir une augmentation de 10 %, ce qui leur ferait un salaire mensuel de 900 euros. Il ne faut donc pas s’étonner que les autorités brésiliennes aient lancé une campagne pour vendre le Mondial à leur peuple. Gaffney :  » Qui l’aurait cru en 2007, lors de l’attribution du Mondial ?  » Mais ceci doit être le Mondial des Mondiaux.

mardi 10 juin

Vous pensiez que les bonzes de la FIFA étaient protégés ? Pas tant que ça. Avant de rejoindre le Transamerica Expo center, nous passons devant le Grand Hyatt, l’hôtel le plus chic de Sao Paulo. Les dirigeants y défilent. La police est présente en masse mais nous parvenons sans mal à nous glisser à travers la foule et à entrer, sans qu’on nous pose de question. Après un passage au lobby et au bar, nous revoilà dehors. L’Expo Center n’est pas très strict non plus. Il y a un contrôle, il faut passer le sac à dos au scanner mais un collègue néerlandais qui l’ignore passe par une autre porte, sans scanner.

mercredi 11 juin

En métro en pleine heure de pointe dans une ville de onze millions d’âmes, c’est l’aventure. On se fait piétiner. Le programme du jour ? Le grand show de SeppBlatter. Ou le 64e congrès de la FIFA. Blatter suscite l’ire de la délégation européenne en y préparant son cinquième mandat présidentiel. C’est un grand show, durant lequel on étale les brillants rapports financiers de la FIFA. Cela permet à Blatter de jouer les Saint-Nicolas. 250.000 dollars maintenant et 500.000 autres par pays début 2015.  » Ma mission n’est pas achevée.  » Des membres des délégations de Cuba, Haïti, du Pakistan et du Congo s’emparent du micro pour louer le président. C’est tout juste s’ils ne chantent pas. Pourtant, il y a des signes d’espoir. Le colosse qu’est la FIFA bouge, lentement. L’année prochaine, on pourrait s’en prendre à la puissance des managers. Il n’y aurait plus d’indemnités pour les transferts des joueurs de moins de 18 ans et on conseille à chaque pays d’instaurer un maximum de 3 %. Vous direz que c’est lent : la première affaire connue dans le monde entier date de 2005. Elle concernait les droits sur CarlosTevez et JavierMascherano quand ils jouaient pour les Corinthians. Mais ces commissions discutent. L’année prochaine, à Zurich, le 29 mai, elles effectueront un nouveau point de la situation. Blatter, qui aura alors 79 ans, sera certainement réélu.

Un Brésilien nous interroge, pour être sûr : Louis van Gaal va-t-il vraiment faire fi de la tradition et jouer avec cinq défenseurs ?

jeudi 12 juin

Enfin du football ! Cafu a raison, il y a des protestations mais la police les maintient loin de l’Arena Corinthians. Celle-ci affiche encore bien des lacunes : toilettes qui ne fonctionnent pas, nourriture qui n’arrive pas à temps, panne partielle d’électricité pendant la première mi-temps mais bon, on y est. Quelques heures après le match, AndresSanchez, qui exploitera le stade après le Mondial et qui est un des principaux dirigeants des Corinthians, est dans tous ses états. Fâchés, les Croates ont inondé leur vestiaire.

On a la chair de poule quand les supporters brésiliens continuent à chanter leur hymne – qui s’est arrêté après 90 secondes, sur ordre de la FIFA. A noter l’absence de la présidente Dilma Rousseff. En fait, elle est là mais en toute discrétion. Pas de discours, pas d’image d’elle sur l’écran du stade, si ce n’est à une reprise ; quand elle fête le penalty de Neymar. Le public hue. A quelques reprises, les supporters entament un refrain vilain : la Coupe, elle peut se la mettre… Vous devinez où.

Dans le métro qui nous ramène au centre, nous rencontrons Mario, un médecin, supporter de Palmeiras. Il a un peu suivi le match, entre deux soins à des blessés car il y en a eu. L’un d’eux, ivre mort, est tombé sur le visage, de cinq mètres de haut.

Comprend-il la politisation de ce Mondial ? Oui, c’est une année électorale. Une victoire permettrait-elle à Dilma de rester au pouvoir ? Il en doute. En 1994, le triomphe du Brésil a aidé Fernando Cardoso à combler son retard dans les sondages sur Lula. Celui-ci a perdu en 2002 des points dans les sondages aussi, pendant le Mondial. Un succès du Brésil a un impact positif pour le gouvernement en place mais il y a douze ans, Lula est quand même parvenu à être élu. Mario :  » Reste à voir quel impact cela aurait sur les résultats des élections en octobre…  »

vendredi 13 juin

E tudo nosso, titre Lance. Vitória é nossa. Neymar é nosso ! A Copa é nossa ! Juizão é nosso ! Até o gol da Croácia é nosso ! Voilà résumé le premier match, en quatre lignes. Tout appartient au Brésil, y compris l’arbitre et le but adverse.

Le soir, Louis van Gaal prouve qu’il avait raison. On l’a conspué pendant des semaines pour oser abandonner le style batave mais il bat le champion du monde 5-1. Reste à voir si ça restera le style de jeu. La Croatie a procédé de la même façon contre le Brésil et quelques heures plus tard, le Chili adopte une autre recette : il prend un départ rapide et fait directement la différence.

Les statistiques sont parfois intéressantes : après son sacre, l’Espagne est celle qui est restée la plus fidèle à ses champions. Seize des 23 joueurs étaient déjà là il y a quatre ans. La France détenait le record précédent : en 2002, elle avait rejoint l’Asie avec quinze champions du monde. Vous savez ce qui s’est passé…

samedi 14 juin

Salvador de Bahia, ses plages, sa musique et ses racines africaines. Sa pluie, aussi, pour le moment. Il fait délicieusement chaud mais humide. Avec quatre matches en un après-midi, ce n’est pas grave. La Colombie imite le Chili : pressing direct et but. Allons-nous assister à un choc des styles, l’Europe contre l’Amérique du Sud, le contre versus la pression ? L’Angleterre va être prise à la gorge, plus tard, par la canicule de l’Amazonie et le talent de l’Italie.

dimanche 15 juin

Salvador de Bahia, ses plages, sa musique et ses racines africaines. Orange Mécanique, d’après le roman d’Anthony Burgess et le film de Stanley Kubrick, mais qui désigne ici la légion hollandaise, est de retour à Rio. Mais la nuit, pour elle, a été manifestement longue et chaude. Récupérer un jour sur la plage, ça fait plaisir.

PAR PETER T’KINT À SAO PAULO ET À SALVADOR – PHOTOS: BELGAIMAGE

Quand la présidente Dilma Rousseff fête le pénalty de Neymar, le public hue…

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