« A Chypre, c’étaient des vacances à tous points de vue » (Gunther Thibaut)

Gunther Thibaut a joué 11 mois à Nicosie. L’ancien attaquant de l’Eendracht Alost a effectué des tests à Den Bosch, aux Pays-Bas, et à Luton Town, à Londres. Que peut-il raconter sur Nicosie?

« Après deux jours, mon amie et moi sommes allés à la plage avec John Ottevaere et Henk Houwaart. Notre entraîneur roulait trop vite mais quand la police nous a arrêtés et qu’il a dit qu’il entraînait Omonia, elle a présenté ses excuses. Une fois, j’ai été arrêté pendant 25 minutes pour un contrôle de routine. Nous n’avons parlé que de football. Tout le monde regardait, évidemment, car c’était impressionnant: deux véhicules de police collés au mien. Quelques jours après l’incident survenu avec Henk, nous sommes retournés à la plage. Mon moteur a explosé. Les gens roulent longtemps avec la même voiture, à cause des taxes d’immatriculation. J’ai usé six voitures, moi. Une fois, le verre de mon rétroviseur s’est brisé. On m’a emmené chez un voisin. Il a trouvé un rétroviseur sur une vieille voiture rouge et l’a monté sur mon auto blanche.

Au bout d’un moment, j’ai déménagé dans un superbe appartement, bien situé, avec trois chambres à coucher et une piscine. J’ai tout déménagé en un jour. Le soir, de retour de l’entraînement, j’avais faim. J’ai allumé la lumière dans la cuisine. J’ai eu la peur de ma vie! Il y avait au moins 200 cancrelats dans la pièce. Je les ai massacrés à l’aide de deux sprays. Cette semaine-là, mes parents me rendaient visite. Ils ont passé cinq de leurs sept jours à nettoyer. Je les ai réinvités ensuite mais pour de vraies vacances, en récompense.

En été, vous vous sentez constamment en vacances. Le club nous autorisait à nous rendre à la plage car l’air y est plus frais qu’en ville. A midi, on allait boire un verre, on déjeunait dans un café et on mangeait une glace. Parfois, il était difficile de s’extraire de cette atmosphère de vacances. Il y a beaucoup à voir, je trouve, surtout si on apprécie les sites historiques, comme le mur de Nicosie. Nous sommes allés dans la partie turque de la ville. Elle est interdite aux Chypriotes grecs mais pas aux touristes. Les Grecs détestent les Turcs et on n’en trouve pas un seul joueur turc dans les clubs de la partie grecque. On voit souvent des tanks sur les routes. La première fois, j’ai eu peur, j’ai cru qu’on allait se battre mais mes coéquipiers m’ont rassuré. Les joueurs sont constamment rappelés à l’armée. Le service militaire reste obligatoire et dure 26 mois. Même après, il faut monter la garde deux ou trois fois par an. Les jeunes venaient en uniforme à l’entraînement, avant de repartir à la caserne finir leur travail.

Les supporters jettent tout ce qu’ils trouvent: pierres, bouteilles et même gsm! Les matches commencent à sept heures, ce qui veut dire à sept heures cinq ou dix car les gens ne sont absolument pas ponctuels. Ils s’achèvent en général vers dix heures. On arrête souvent le match, surtout après le repos. On crache sur les arbitres -même les joueurs- sans qu’ils réagissent. C’est étrange. Quand ça va, on est au septième ciel, il ne faut même pas payer au restaurant, ni au supermarché. Mais en cas de défaite… Avec Henk, suite à un revers 3-0, nous sommes restés deux heures au stade car ils voulaient notre peau. Nous avons couru vers le bus, protégés par une haie de policiers en armure, puis le car a fait demi-tour jusqu’au stade, sous la protection de quatre jeeps.

La corruption est omniprésente. Henk a, un jour, tout révélé mais son récit a été démenti officiellement. J’ai dû me présenter à la télévision car j’avais cité notre gardien mais j’ai nié aussi -j’avais déjà son avocat aux fesses. Le problème, c’est qu’on en parle beaucoup mais qu’on peut difficilement prouver quelque chose. On voit des choses étranges, comme des garçons qui ne parviennent plus à shooter dans un ballon. La FIFA devait prendre contact avec Henk, mais je n’ai plus eu de nouvelles. Depuis ses déclarations, il est interdit de parier sur le championnat mais qui contrôle le marché noir?

L’organisation est parfois catastrophique. Par exemple, j’ai joué un an sans permis de travail. Demain, demain, demain… Pas de problème, me disait-on: la police n’oserait pas expulser un joueur de l’Omonia. Un autre problème: l’argent. On vous propose des contrats mirobolants mais pour toucher votre dû, c’est une autre paire de manches. Suite à la plainte, la FIFA m’a écrit qu’elle n’avait pas beaucoup de temps à consacrer à l’affaire. Mon avocat vient d’envoyer une lettre à la fédération mais celle-ci n’a pas encore réagi. Je recevais des livres chypriotes pour vivre mais je voulais que mon salaire soit versé en dollars. éa prenait du temps.

Le paiement se déroule bizarrement. Vous attendez au bureau. Un homme en motocyclette transporte l’argent en liquide. Parfois, il se promène avec un million… Il vous donne votre argent, devant tout le monde. Si je suis parti, c’est à cause de l’argent. J’en avais marre de devoir mendier alors que j’y avais droit. Je n’en pouvais plus ».

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