© PHOTOS KOEN BAUTERS

 » À BRUGES, ON A LE CHOIX ENTRE GAGNER OU GAGNER « 

Dans l’équipe actuelle des Bleu et Noir, l’influence sud-américaine est notoire. Un tour de table en compagnie de José Izquierdo, Felipe Gedoz, Claudemir et Wesley.

« On commence ou pas ?  » José Izquierdo, Felipe Gedoz et Claudemir, qui discutaient entre eux, interrompent subitement leur conversation, tout étonnés, et dévisagent Wesley, le benjamin de la bande du haut de ses 19 ans. Ils éclatent de rire et défient leur jeune équipier :  » Fala, fala ! Parle, alors ! Dis quelque chose !  » Wesley reste muet. Les quatre Latinos du Club de Bruges s’entendent comme larrons en foire et passent leur temps à se charrier.

Si l’on attribuait un carton pour chaque provocation, ils seraient déjà – à l’exception du taiseux Wesley – suspendus à vie. Le quatuor donne la répartie en espagnol, en portugais ou en portuñol – un mélange des deux langues. Izquierdo, d’origine colombienne, est hispanophone. Les trois autres sont brésiliens et parlent le portugais. Gedoz a joué un moment en Uruguay, où il a aussi appris l’espagnol. Claudemir se débrouille également dans la langue de Cervantes, mais il ne peut cacher son accent portugais. Quant à Wesley, il est le plus souvent un spectateur attentif…

Bruges fête ses 125 ans, c’est donc un club de grande tradition. Cet élément a-t-il joué un rôle lorsque vous avez signé ici ?

FELIPE GEDOZ : Honnêtement, je savais peu de chose du Club lorsque je suis arrivé. J’avais, en revanche, entendu parler d’Anderlecht et du Standard, après leurs campagnes en Champions League. Comme la plupart des Sud-Américains… Ce n’est qu’après la victoire en Coupe de Belgique en 2015, suivie du titre la saison dernière et de la participation à la Champions League cette saison, que Bruges a commencé à être un peu connu en Amérique du Sud.

CLAUDEMIR : En fait, la perception que nous avions du Club était différente pour chacun d’entre nous. Personnellement, je connaissais Bruges pour y avoir joué avec Copenhague. Tom Høgli(un ancien joueur du Club qui porte aujourd’hui le maillot du FC Copenhague, ndlr) m’avait renseigné sur l’histoire du club et de la ville. Pour Felipe et José, ce n’était pas pareil.

Et pour toi, Wesley ?

WESLEY : Je jouais en Slovaquie (à l’AS Trencin, ndlr), mais je ne connaissais pas Bruges non plus.

CLAUDEMIR : Le championnat de Belgique est d’un niveau supérieur au championnat danois ou slovaque. C’est aussi un argument qui penche en faveur de Bruges.

GEDOZ : Tous les Sud-Américains espèrent pouvoir jouer un jour en Europe. Donc, lorsque Bruges m’a proposé un contrat, je n’ai pas hésité. FernandoMenegazzoet VíctorVázquezm’ont beaucoup aidé pendant les premiers jours.

RESPECT

CLAUDEMIR : Aujourd’hui, on fait également partie de l’histoire du Club, puisqu’on a contribué à la conquête d’un nouveau titre après de longues années.

GEDOZ : En effet. Pour moi, à 23 ans, ça a été une grande joie.

Mais, pour vous, Bruges ne doit constituer qu’une étape ?

JOSÉ IZQUIERDO : Ça va de soi, mais le premier objectif est de poser le pied en Europe. Ensuite, il faut combler un sérieux handicap. Car le football est bien différent, ici. En plus, en Colombie, on doit payer soi-même ses repas, on ne touche parfois pas son salaire, il n’y a pas de primes… Ici, on peut déjeuner au stade, le salaire est toujours payé en temps et en heure, et il y a des primes. Ce n’est qu’alors qu’on se rend compte qu’être footballeur professionnel ici ou chez nous, ce n’est pas pareil. En Colombie, on est aussi professionnel, mais on n’est pas traité en tant que tel. Dans la rue, aussi. Ici, les gens vous disent bonjour et veulent être pris en photo avec vous. C’est tout à fait normal ici, mais on en rigole. Ils nous considèrent presque comme des dieux ou des extra-terrestres.

GEDOZ : Chez nous, ça ne se passe pas ainsi. C’est à peine si les gens nous dévisagent.

IZQUIERDO : Ou pire ; ils nous insultent ou nous agressent.

CLAUDEMIR : C’est aussi la principale différence avec le Brésil : le respect qu’on nous témoigne en rue. Au Brésil, après trois défaites d’affilée, on ne peut plus aller dîner en famille au restaurant. Les gens viennent vous provoquer et veulent se battre.

GEDOZ : Oui, enfin : que l’on sorte en famille ou seul, c’est pareil. Les gens ne font pas la différence. Ici, si l’on perd cinq fois d’affilée, il se trouvera bien quelqu’un aussi pour venir vous donner une petite tape sur l’épaule et vous demander : ‘Hey, qué pasa ? ‘ Mais toujours avec respect.

SÉCURITÉ

Y a-t-il quelque chose, en Belgique, que vous aimeriez emporter dans votre pays ?

IZQUIERDO : Sûrement pas le climat (il rit).

CLAUDEMIR : (sérieusement) Le plus important est tout de même : le respect. Si vous vous baladez en ville à vélo, les voitures s’arrêtent pour vous laisser le passage.

GEDOZ : La sécurité. Ici, si on se promène en rue à dix ou onze heures du soir, on n’a rien à craindre. Au Brésil, il vaut mieux ne pas essayer…

CLAUDEMIR : Ici, les voitures peuvent passer la nuit à l’extérieur. Au Brésil, si vous la laissez dehors, vous ne la retrouvez plus le lendemain matin.

Et le professionnalisme ?

IZQUIERDO : Oui, mais ça, c’est une question de culture et d’argent. Et aussi de mentalité. Sur ce plan-là, j’ai beaucoup changé, moi aussi. Je jouais dans une petite équipe en Colombie. Notre objectif était de terminer parmi les huit premiers, afin de jouer le tour final. Mais ici, on a le choix entre gagner et gagner. C’est fou.

CLAUDEMIR : C’est à ça aussi que l’on constate que Bruges est un grand club. On vise toujours le sommet.

GEDOZ : En Amérique du Sud, si l’on se qualifie pour les play-offs, on considère déjà que c’est une performance fantastique. Pas ici, il faut viser plus haut et être champion.

Vous avez du mal à gérer cette pression ?

IZQUIERDO : On s’adapte, parce que ça vaut pour toute l’équipe. Tout le monde est sur le même navire et doit fournir les mêmes efforts.

En parlant de pression : Bruges peut déjà faire une croix sur une victoire finale en Champions League…

WESLEY : A la PlayStation, c’est toujours possible. (il rit)

… et gagner l’Europa League, vous pensez que c’est possible ?

GEDOZ : Ce sera difficile, il faut être réaliste. De grandes équipes jettent leur dévolu sur l’Europa League, lorsqu’elles se rendent compte qu’elles n’ont plus aucune chance en Champions League.

CLAUDEMIR : Pourtant, on constate qu’il y a deux ans, une équipe comme Dnipro – qui n’est tout de même pas un ténor – a atteint la finale.

MUSIQUE

Sur YouTube, on peut voir un petit film hilarant qui montre Neymar, Dani Alves et Marcelo dans le vestiaire de l’équipe nationale. La musique de fond est lancinante, mais subitement le rythme s’accélère et les joueurs commencent à se déhancher comme des fous. On voit de telles scènes ici, dans les vestiaires ?

GEDOZ : Vous avez pointé du doigt l’une des grandes différences. En Amérique du Sud, l’ambiance est beaucoup plus joyeuse. Ici, lorsqu’on part en déplacement avec le bus, l’entraîneur ne nous autorise pas à mettre de la musique.

IZQUIERDO : La concentration doit être maximale.

GEDOZ : Lorsque j’ai disputé la demi-finale de la Copa Libertadores (l’équivalent sud-américain de la Champions League, ndlr), on a déjà fait la fête dans l’avion qui nous emmenait au Paraguay. Comme si on avait déjà gagné le match. Ici, tout le monde reste à sa place dans le bus, point à la ligne.

Et dans les vestiaires, il n’y a pas de musique non plus ?

GEDOZ : On aimerait bien en mettre, mais je ne sais pas si ça plairait à tout le monde (il rit). Les autres préfèrent la musique électronique, la pop, le rock et tous ces genres-là.

CLAUDEMIR : (il soupire) Mais la musique de Jelle (Vossen, ndlr), c’est la pire !

IZQUIERDO : Oui, il chante toujours un peu sur cette musique, quelque chose avec banana.

CLAUDEMIR : Une chanson des Minions. (il se met à chanter, Izquierdo et Gedoz l’accompagnent) Bababa baba nana. (hilarité générale)

Et danser ? Il arrive aux autres joueurs de danser ?

IZQUIERDO : (sèchement) Non. (il se met à bouger) No tienen la cintura ! (ils n’ont pas le bon déhanchement, ndlr). (il rit)

SNORLAX

Vous avez déjà visité la ville de Bruges ?

IZQUIERDO : Oh là là, je connais la ville par coeur. Elle est si petite. Le premier jour, je me suis dit : waw ! Le deuxième jour : pas mal ! Le troisième jour : OK. Le quatrième jour : mouais. Le cinquième jour : pffft. Et le sixième jour, on voulait rentrer chez nous ! (il rit) Par contre, ce qui m’a vraiment impressionné, c’est le nombre de restaurants. Et de bons restaurants, on mange vraiment très bien ici. L’un des problèmes qu’on a rencontrés, c’est lorsqu’on a dû donner notre adresse au chauffeur de taxi. Je suis incapable de prononcer le nom de ma rue.

José, on vous surnomme Joske et Felipe a aussi un surnom…

GEDOZ : Excusez-moi, c’est quoi mon surnom ?

Selon Wikipedia : Snorlax.

GEDOZ : Vraiment ? Snorlax ?

C’est un personnage des Pokémon, un grand ours connu pour être un peu endormi…

IZQUIERDO : (il cherche sur son smartphone et le montre aux autres) Ouhaha ! Vous devez voir ça ! (hilarité générale)

Pour conclure : quel est, selon vous, le meilleur joueur de l’histoire de l’Amérique latine ?

IZQUIERDO : LionelMessi.

CLAUDEMIR : Ronaldo, le Brésilien cela va de soi.

WESLEY : Ronaldinho.

GEDOZ : Pour moi aussi : Ronaldinho.

PAR STEVE VAN HERPE – PHOTOS KOEN BAUTERS

 » Suite au titre, nous faisons nous aussi partie de l’histoire du Club.  » CLAUDEMIR

 » Les gens, ici, nous considèrent comme des dieux. On en rigole.  » JOSÉ IZQUIERDO

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire