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 » A Bamberg, le basket est une religion « 

Après quatre saisons aux Antwerp Giants, Roel Moors (40 ans) a choisi de tenter une aventure à l’étranger : à Brose Bamberg, en Allemagne. Aucun Belge n’avait encore coaché à un tel niveau international Sport/Foot Magazine a rendu visite au Lierrois en Bavière.

« Mon appartement est situé au milieu des bois et des champs « , avait prévenu Roel Moors sur Whatsapp. Effectivement : après avoir quitté le centre de Bamberg, nous parcourons dix kilomètres avant d’atteindre Fensdorf, dans un écrin de verdure. C’est là que Moors a élu résidence depuis l’été dernier, au rez-de-chaussée d’une maison où – à part le propriétaire – personne ne passe.

Il a préféré s’installer au calme, dans la campagne, plutôt qu’au centre de Bamberg, une ville de 70.000 habitants connue pour son superbe centre historique classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Originaire de Lierre, Moors est pourtant un citadin, mais vu qu’il est loin de la famille et des amis, c’est l’endroit idéal pour se concentrer sur le basket.

 » Je ne voulais pas retirer mes enfants Vik (11 ans) et Lieke (8) de leur environnement familier, alors que mon « aventure » peut s’arrêter à tout moment « , explique-t-il. Depuis le mois d’août, il n’a encore parcouru que deux fois les six heures de route qui le séparent de Lierre.

 » Bien sûr, ma famille me manque ( sur l’armoire du salon, est affiché un dessin avec pour légende  » papa » , ndlr), mais c’est mon choix, je ne peux donc pas me plaindre. Et je peux garder le contact grâce à Facetime.  »

 » Anvers, c’est mon club  »

Il a pris son temps avant d’accepter l’offre de Bamberg, après avoir conduit les Antwerp Giants à une victoire en Coupe de Belgique et à une troisième place au Final Four de la Champions League.  » Anvers, c’est « mon » club. J’étais en lien étroit avec mon staff, mes collaborateurs, les supporters, les dirigeants (en particulier le président Roger Roels). Et je n’avais pas l’impression d’être arrivé en fin de cycle. Il restait encore tant de choses à faire : reconstruire une nouvelle équipe, remporter enfin un nouveau titre…  »

Mais l’appel de l’étranger était trop fort.  » En tant que joueur, je n’ai jamais eu l’occasion de franchir le pas, si l’on excepte un court intérim à Villeurbanne, à cause (entre autres) d’un contrat de (trop) longue durée à Charleroi. Donc, lorsque l’occasion s’est présentée en tant que coach, je savais que c’était le bon moment.

C’est cette campagne en Champions League qui m’a permis, moi le petit Belge, de me révéler aux yeux de clubs étrangers comme Bamberg ( qui a perdu la petite finale du Final Four contre Anvers, ndlr). Lorsque ma femme et mes enfants ont marqué leur accord, j’ai foncé.  »

Lorsque Moors a signé, Bamberg avait déjà engagé Leo De Rycke, le manager sportif des Antwerp Giants ( voir encadré).  » Mais je voulais que le club allemand me choisisse pour mes qualités de coach, pas pour mon lien avec Leo.  » Et c’est ce que Bamberg a fait, car Moors a été choisi parmi six candidats.

 » Comment je me suis « vendu » ? En répondant honnêtement à chaque question qui m’était posée. Après tout, ma vie et ma carrière n’en dépendaient pas. J’ai expliqué ma vision du basket, en dévoilant comment j’envisageais la structure d’un club.  »

 » J’avais envie de m’extraire de ma zone de confort  »

Ses idées semblaient parfaitement correspondre avec la nouvelle vision de ce club de tradition, qui a été neuf fois champion d’Allemagne entre 2004 et 2017. Ou plutôt avec l’ancienne vision, car après deux années compliquées, Bamberg voulait retrouver son identité d’autrefois : en misant sur les jeunes, sans attirer des vedettes surpayées. Et en jouant un basket agressif et rapide, basé sur un bon collectif. Bref, la formule que Moors avait appliquée avec succès à Anvers.

Bamberg a offert à notre compatriote un contrat de deux ans et a racheté son contrat, toujours en cours, chez les Giants. Une belle marque de confiance envers Moors, de la part d’un club qui a utilisé quatre coaches en deux saisons. Michael Stoschek, le propriétaire de Bamberg, qui est aussi le président du sponsor principal Brose Fahrzeugteile, n’est pourtant pas réputé pour sa patience. Mais cela n’a pas effrayé Moors.  » J’avais envie de m’extraire de ma zone de confort. Car, si je réussis ici, dans ce club réputé « difficile » pour les coaches, cela pourrait m’offrir un beau tremplin pour viser encore plus haut par la suite.  »

Roel Moors dans le centre historique de Bamberg, site classé au patrimoine de l'Unesco.
Roel Moors dans le centre historique de Bamberg, site classé au patrimoine de l’Unesco.© belgaimage

Pour l’instant, Moors ne doit pas trop s’inquiéter. Après onze journées de championnat, il a remporté sept duels, et il a réalisé un beau 4 sur 6 en Champions League. Malgré une nouvelle équipe, qui compte huit nouveaux joueurs, dont l’Américain Paris Lee, actif aux Antwerp Giants la saison dernière, et le Belge Retin Obasohan.

 » La direction comprend que les clubs des grandes villes, comme l’Alba Berlin et le Bayern Munich, disposent d’un très gros budget et sont hors catégorie. Notre budget à nous a été réduit de moitié et l’accent a été mis sur les jeunes. Comme les résultats du début de saison sont bons, et que l’équipe dispose encore d’une marge de progression appréciable, mon crédit s’est accru. Le propriétaire m’a d’ailleurs envoyé un message de félicitations, pour les « efforts constants et le comportement exemplaire des joueurs ». Un tel message, m’a-t-on dit, est très exceptionnel.  »

 » J’ai insisté pour avoir mon assistant d’Anvers à mes côtés  »

Pourtant, Moors a aussi dû s’adapter. Notamment, aux avis parfois divergents d’un staff beaucoup plus étendu.  » A Anvers, j’avais un kiné, qui officiait en même temps comme préparateur physique, et deux assistants. Ici, en plus de mes assistants, j’ai aussi deux préparateurs physiques, deux entraîneurs individuels et deux kinés, tous engagés à plein temps. Au début, ils étaient logiquement sceptiques envers un nouveau coach « inconnu » qui provenait d’un petit championnat.

Devoir déléguer, et en même temps vouloir contrôler, c’est ce qui a été le plus difficile au début. C’est la raison pour laquelle je voulais avoir Thomas Crab, mon assistant à Anvers, auprès de moi. Un homme de confiance, qui connaît ma philosophie du basket, et qui peut m’aider à communiquer avec les joueurs et les autres membres du staff.

Le fait que je puisse parler l’anglais avec la plupart des gens constitue un avantage. Je peux me débrouiller en allemand, mais je ne maîtrise pas assez la langue pour expliquer certaines choses en détail. Je me limite pour l’instant à l’anglais. Y compris lorsque je m’adresse à la presse, même si je suis très protégé par les deux attachés de presse, également full-time, soit dit en passant. A Anvers, j’avais davantage de contacts directs avec les journalistes.  »

La pression vient aussi des supporters. Bamberg est encouragé à chaque match par au moins 4.000 abonnés. Mais c’est aussi un stimulant. La ville est surnommée Freak City et la Brose Arena, qui compte 6.150 places, est appelée der Frankenhölle, l’enfer des Francs. Les membres des nombreux clubs de supporters (dont le plus grand d’Allemagne) forment le Mur Rouge. Ils sont tous habillés dans un T-shirt rouge. Ils agitent des drapeaux, battent les tambours, et encouragent les joueurs de la voix durant tout le match.

A l'instar de Roel Moors,  le manager sportif Leo De Rycke a lui aussi quitté les Antwerp Giants pour rejoindre Bamberg.
A l’instar de Roel Moors, le manager sportif Leo De Rycke a lui aussi quitté les Antwerp Giants pour rejoindre Bamberg.© belgaimage

 » C’est le mérite de Moors d’avoir formé un collectif  »

Nous en avons nous-même fait l’expérience, la veille de l’interview avec Roel Moors, lors du match de Champions League contre les Grecs de Peristeri. Pas besoin, pour le speaker, de chauffer l’ambiance ou de hurler dans le micro : les supporters de Bamberg n’arrêtent pas une seconde. Dans la tribune d’honneur aussi, les gens sont restés debout durant les dernières minutes d’un match haletant, qui se clôturera par une victoire 72-69 de l’équipe locale. Le match n’a pas été d’un niveau très élevé, mais les joueurs de Bamberg se sont battus jusqu’au bout et ont démontré qu’ils formaient un véritable bloc.

 » La saison dernière, nous aurions perdu un tel match, car les joueurs n’étaient pas soudés. C’est tout le mérite de Moors d’avoir formé un collectif « , affirme Jochen Kiel, le tambourineur du Mur Rouge. Un beau compliment pour le coach belge, qui a toujours porté un attention toute particulière à l’état d’esprit et au collectif.

Et il émane d’un public de connaisseurs, très exigeant. Moors l’avait déjà découvert l’été dernier, lors d’une soirée du supporters pour laquelle il s’était spécialement déplacé jusqu’à Bamberg.  » Dans une petite salle remplie de 250 personnes, j’ai dû prendre place sur le podium et les supporters pouvaient poser leurs questions, parfois critiques. J’ai directement pu me rendre compte que Bamberg n’était pas un club comme les autres. Le basket est une religion, ici, dans une ville qui n’a pas de club de football au plus haut niveau.  »

Pendant le match, Moors est toujours resté d’un calme olympien, en restant concentré sur sa tâche.  » J’ai peut-être l’air calme, mais intérieurement, cela bout « , rigole Moors.  » J’essaie de m’adresser poliment aux arbitres. Si vous franchissez la ligne rouge à chaque décision, ils vous prennent en grippe. C’est pareil avec mes joueurs : cela les aide-t-il vraiment, si je gesticule et hurle constamment le long de la ligne ? Lors des temps morts, je vais pourtant droit au but, et je n’hésite pas à m’adresser individuellement à un joueur. Cela ne me derange pas qu’il réagisse de façon émotionnelle, pour autant qu’il réponde sur le terrain.  »

 » Je suis rarement euphorique  »

Moors n’a pas laissé transparaître davantage ses émotions après la victoire sur le fil contre Peristeri.  » Je suis rarement euphorique. J’étais cependant heureux et soulagé, mais j’ai directement réfléchi à ce que je pouvais encore améliorer. Et il y avait beaucoup de choses à perfectionner. Je suis aussi très critique envers moi-même, je ne cherche jamais d’excuses après un choix erroné. Je n’hésite même pas à admettre devant mes joueurs que je me suis trompé. Après tout, personne n’est parfait.  »

Moors espère que la satisfaction sera au rendez-vous, lorsque son contrat arrivera à échéance en fin de saison prochaine. Avec, dans un coin de la tête, le rêve d’atteindre un jour le meilleur championnat d’Europe : la Liga ACB en Espagne.  » Un coach ne peut pas passer, sans transition, de la Belgique à l’Espagne. A partir de l’Allemagne, c’est déjà plus facile, mais pour cela, il faut que je réussisse à Bamberg. Je ne « rêve » donc pas vraiment, je me concentre uniquement sur les tâches que j’ai à accomplir ici. C’est déjà suffisamment compliqué comme cela.  » ( il rit)

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Leo De Rycke en duo avec Roel Moors

Avant que Roel Moors ne décide de rejoindre Bamberg, Leo De Rycke (54 ans), le manager sportif des Antwerp Giants, avait déjà pris la direction de la Bavière et apposé sa signature au bas d’un contrat de directeur sportif. Contrairement à ce qui était le cas chez les Giants, où il combinait sa fonction avec un job à temps partiel à la ville d’Anvers, De Rycke est désormais employé à plein temps. Il est responsable de toute la direction sportive : du scouting au recrutement de joueurs pour l’équipe Première, en passant par l’organisation pratique du team et du staff, jusqu’au développement de l’école des jeunes.

 » Un job, tout compte fait, plus ‘facile’ qu’à Anvers, où je m’occupais un peu de tout : du sportif mais aussi de l’administratif, de la logistique… Mes journées étaient très longues, c’était quasiment intenable sur le long terme « , explique De Rycke.  » Même si, ici, je travaille tout autant. Comme Roel, j’habite seul, sans ma famille, et je me concentre sur le basket. Et je reste tout aussi perfectionniste que Roel. Pour les joueurs et le staff, le planning est déjà établi jusqu’en janvier, jour par jour, heure par heure. La ponctualité à l’allemande. J’essaie de parler l’allemand avec tout le monde. Roel dit même que je suis à moitié allemand ( il rit). Je dois, davantage que lui, communiquer avec le ‘monde extérieur’ : les jeunes joueurs du club, les parents, les dirigeants, les sponsors…

Un avantage supplémentaire, lorsqu’on travaille dans un club réputé :  » Les agents bien introduits sur le marché et les scouts de NBA prennent leur téléphone pour me contacter. Lorsque je travaillais à Anvers, je ne figurais pas sur leur liste.  »

Comparé à l’Euromillions League (le championnat de Belgique), De Rycke et Moors ont découvert un autre monde en Allemagne.  » La Bundesliga est très structurée, et parfois même trop réglementée, Lorsqu’on se trompe dans la composition de l’équipe avant un match, par exemple, on reçoit une amende de 250 euros « , explique De Rycke.  » Chaque match est diffusé en direct sur une chaîne payante de la Deutsche Telekom, et on joue toujours dans de superbes salles, devant des milliers de spectateurs. Le seul inconvénient, ce sont les longs déplacements en bus : jusqu’à six heures pour se rendre à Hambourg par exemple. Même si les bus sont confortables, c’est fatigant. D’autant qu’on rentre directement à Bamberg, durant la nuit qui suit le match. Mais on s’y fait.  »

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