» À ANDERLECHT, JE PEUX REGARDER TOUT LE MONDE DROIT DANS LES YEUX « 

Le choix d’Anderlecht pour Davy Roef, son étonnant transfert à Ostende, l’affaire Anthony Vanden Borre. Silvio Proto nous a accordé sa première interview depuis son passage à la Côte et n’élude aucun sujet.

Marc Coucke a doté son club d’Ostende d’une nouvelle attraction. Silvio Proto n’a pas peur de se retrousser les manches. Pendant que ses équipiers ingurgitent leurs sandwiches, l’ancien gardien d’Anderlecht aide le préposé au matériel. Malgré sa professionnalisation, le club côtier n’a rien perdu de son caractère familial. Proto n’en demandait pas davantage. ll s’est directement senti chez lui. Un supporter lui a déjà attribué le surnom de Proctopus.  » Tout est très bon enfant, ici « , constate-t-il.  » Le directeur sportif se joint même à nous pour le casse-croute. C’estchouette. J’ai découvert un bon groupe, avide d’apprendre, qui m’a directement accepté. Certains journalistes me considèrent comme un tyran, mais demandez plutôt aux joueurs. Je n’ai jamais eu de querelle personnelle avec aucun d’entre eux. Et la plupart des adversaires me respectent.  »

L’officialisation de ton transfert a pris un certain temps. Tu as craint que ça ne capote ?

SILVIO PROTO : C’est la première fois depuis de longues années que je suis parti en vacances sans savoir où je jouerai la saison suivante. Pour un célibataire qui n’a besoin que de quelques heures pour rassembler ses affaires, ce n’est pas un gros problème, mais j’ai une femme et trois enfants dont je dois tenir compte. Mes enfants sont encore petits et ne comprennent pas tout. Ils associent toujours leur papa avec Anderlecht. Dernièrement, l’un de mes fils m’a encore demandé : -Papa, quand est-ce que tu recommences les entraînements avec le Sporting ? Ils ne se rendent pas compte que j’ai déjà entamé la préparation avec Ostende.

Qu’est-ce qui t’a séduit dans le projet ostendais ?

PROTO : J’ai adhéré à un projet qui me permettra de grandir calmement avec le groupe. Marc Coucke en veut toujours plus : si nous terminons troisièmes cette saison, il voudra faire mieux la saison prochaine. Deuxièmes, et puis premiers, oui. Il est comme ça, Coucke. Il suffit de jeter un coup d’oeil sur son impressionnant parcours dans le monde des affaires pour comprendre à quel point il est ambitieux. Mais, en même temps, il reste très humble. Sa simplicité m’a épaté. Le défi sportif et le personnage de Coucke m’ont finalement amené à accepter l’offre d’Ostende.

Coucke affirme qu’il y a quelques années, tu n’aurais même pas décroché le téléphone pour lui.

PROTO : Il y a trois ans, Ostende ne faisait pas encore partie du paysage footballistique belge. Depuis lors, le club a connu une progression fulgurante. La saison dernière, j’ai affronté quatre fois Ostende avec Anderlecht. A chaque fois, c’étaient des matches très compliqués. Que nous n’avons pas toujours gagnés. Je ne débarque donc pas dans une équipe dépourvue de qualités. Au contraire. J’ai été agréablement surpris par l’intensité des entraînements. Yves Vanderhaeghe, qui dirige tout mais reste à l’écoute de ses joueurs, exige de faire aussi bien que la saison dernière. Et, si nous atteignons les play-offs I, tout sera possible.

 » JE SUIS PEUT-ÊTRE UN GARS DE LA VIEILLE ÉCOLE, OUI  »

Dans l’une de tes premières interviews, tu as déclaré que tu tenteras de devenir le numéro un à Ostende. C’est de la fausse modestie.

PROTO : Ostende a consenti un sérieux effort pour acquérir mes services, je suppose que ce n’est pas avec l’idée de me placer sur le banc. Mais, pour autant, cela ne constitue pas une garantie. Si je ne suis pas bon, Wouter Biebauw, Didier Ovono et Jean Chopin – le quatrième gardien – sont prêts à prendre ma place. Ils me pousseront à donner le maximum et j’adore ça.

Tu pouvais signer à Mainz et à l’Olympiacos. Tu ne vas pas le regretter, dans quatre ans ?

PROTO : Non ! Une expérience à l’étranger n’a jamais représenté un but en soi dans ma carrière. Pour moi, une seule chose compte : le bonheur de ma femme et de mes enfants. Est-ce qu’ils seraient heureux à l’étranger ? Je ne pense pas. En Belgique, ils le sont. On peut continuer à habiter à Waterloo, mes enfants peuvent rester auprès de leurs amis et ma femme ne doit pas abandonner son projet d’obtenir un master en psychologie. Je suis peut-être un footballeur de la vieille école, oui. Mais je ne sacrifierai pas ma vie pour gagner 1.000 euros de plus ailleurs. C’est, en partie, à ce comportement que je dois ma popularité. Les supporters savent que j’ai refusé des offres financièrement intéressantes pour rester à Anderlecht.

Quel effet ça t’a fait, de pousser la porte d’un autre vestiaire après onze ans ?

PROTO : Je me suit dit : –Voilà, c’est une nouvelle aventure qui commence ! C’est comme lorsqu’on reçoit un nouveau jouet : on ouvre l’emballage et on essaie avec précaution. Je constate que les autres joueurs me dévisagent d’une autre manière parce que j’arrive d’Anderlecht. Avoir joué onze ans au Sporting, cela force le respect. Mais, inversement, je respecte aussi beaucoup ces garçons. Le respect doit être mutuel. S’il y a une chose que j’ai apprise ces dernières années à Anderlecht, c’est qu’on doit respecter tout le monde comme il est. C’est la meilleure manière de former un vrai groupe.

En tant que capitaine, tu dois donc accepter certaines choses.

PROTO : Je ne veux pas jouer les anciens combattants, mais la mentalité a changé dans le vestiaire. C’est dû à la composition du groupe. Autrefois, on y trouvait trois jeunes. Aujourd’hui, c’est l’inverse : on y trouve trois anciens. Les anciens ont tendance à se rassembler, c’est naturel. A Ostende, je me suis directement bien entendu avec des gars comme Franck Berrier, Kevin Vandendriessche et Wouter Biebauw. Il est inutile de me parler de la nouvelle PlayStation. Néanmoins, dans l’attitude de certains jeunes, je me revois avec quelques années de moins. A cette différence près que lorsque j’étais jeune, je n’aimais pas trop sortir. Je suis avec Barbara depuis seize ans. Je n’ai jamais pris les discothèques d’assaut pour trouver l’âme soeur.

Comme à Anderlecht, on attend de toi que tu sois le leader du groupe.

PROTO : Je ferai ce que l’entraîneur me demande. S’il estime que je dois rester en retrait, je le ferai. S’il veut que je prenne davantage mes responsabilités, je le ferai aussi. Je ne découvrirai mon rôle précis qu’en cours de saison. En tant que nouveau venu, on n’a pas le droit de revendiquer le brassard. Je peux m’ériger en leader sans avoir nécessairement un bout de textile autour du bras. Etre un leader, c’est inné, cela ne s’apprend pas.

 » L’HOMMAGE LORS DE MES ADIEUX AU PARC EST INOUBLIABLE  »

Tu as eu les adieux que tu souhaitais à Anderlecht ?

PROTO : Je regrette de ne pas avoir pu décrocher le titre, mais j’ai quitté Anderlecht la tête haute. J’ai tiré le maximum de mon passage au Parc Astrid, personne ne pourra jamais m’adresser le moindre reproche. J’ai puisé beaucoup d’énergie dans le comportement de mes détracteurs qui cherchaient à me déstabiliser. C’est pour eux que je me suis défoncé tous les jours à l’entraînement, pour les faire taire. Et j’y suis parvenu. L’hommage que j’ai reçu lors de mon dernier match contre Zulte Waregem était inoubliable. Dans ces moments-là, lorsque le public vous témoigne toute son estime, on est capable de traverser un mur.

Tu veux parler de ces quelques supporters isolés qui t’ont sifflé de temps en temps ?

PROTO : J’ai remis ce petit groupe à sa place, certains ont même revu leur jugement à mon égard. A quoi dois-je attribuer ces remarques négatives ? Probablement à ma réputation de dikkenek. (il hausse les épaules) Mais cette réputation ne repose sur rien. J’ai, depuis longtemps, renoncé à combattre ces ragots, c’est de la perte de temps. On ne peut pas plaire à tout le monde. Je suppose que, chaque matin, quelqu’un se lève en pensant : –Silvioestuncon.

Tu comprends le raisonnement qui a poussé la direction d’Anderlecht à te laisser partir ? Roef a 22 ans et tout l’avenir devant lui. Tu as déjà 33 ans.

PROTO : Je peux comprendre qu’Anderlecht veuille rajeunir le groupe et lancer Davy Roef. Mais on ne doit pas oublier que je viens de livrer ma meilleure saison depuis longtemps. C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes ont été surprises de me voir quitter le Sporting. On m’en parle encore régulièrement : –Silvio, nous ne comprenons pas que certains dirigeants t’aient chassé. C’est inhérent au football : parfois, on actionne des mécanismes que l’on ne comprend pas toujours. J’étais sans doute arrivé à l’âge où je devais quitter Anderlecht. J’en profite pour souhaiter beaucoup de succès à Davy… et au Sporting. Je n’ai aucune rancoeur. Au lendemain du dernier match de championnat, je suis parti trois semaines en vacances et j’ai tout pardonné.

Tu n’as pas vécu la même situation, à ton avantage, lors de ta première saison à Anderlecht en 2005 ? A l’époque, tu avais été préféré à Daniel Zitka, qui avait huit ans de plus que toi.

PROTO : Le contexte était totalement différent. A l’époque, ce n’était pas la direction ou l’entraîneur qui avait pris la décision. Zitka et moi avons commencé la saison sur un strict pied d’égalité, comme cela a d’ailleurs été le cas la saison dernière entre Roef et moi. Frankie Vercauteren n’était pas du genre à offrir des cadeaux. J’ai dû gagner ma place sur le terrain. Si je ne m’étais pas gravement blessé aux ligaments croisés, Zitka n’aurait plus joué. L’épisode avec Zitka résume à lui seul mon passage à Anderlecht : j’ai dû faire mes preuves chaque semaine.

 » LA DIRECTION EST AUSSI RESPONSABLE DE LA DEUXIÈME PLACE  »

Sur le plan mental, la saison dernière a été éprouvante pour toi ? Après un match, tu as souvent dû tourner sept fois ta langue dans ta bouche.

PROTO : Vous avez appris à me connaître. Après une défaite, cela peut parfois bouillir terriblement en moi et ma frustration ressort. Je dis ce que je pense, sans prendre des pincettes. C’est mon caractère. En interne, et même parmi les joueurs, on m’a parfois reproché d’avoir été trop dur envers un coéquipier. Mais j’ai le sentiment de ne jamais avoir dépassé les bornes. A Anderlecht, je peux regarder tout le monde droit dans les yeux. Je n’ai planté de couteau dans le dos de personne, pas plus la saison dernière que les années précédentes.

Tu as tenu le même discours envers la presse qu’envers le vestiaire ?

PROTO : Nous y voilà ! Je n’ai jamais fui mes responsabilités face à la presse. C’est tout de même plus facile de supporter la critique lorsqu’on vous dit les choses en face, que lorsqu’on lit tout le lendemain dans le journal ?

Tu as souvent pris les coups à la place de tes coéquipiers, après une défaite. C’était difficile à supporter ?

PROTO : En tant que capitaine, c’était mon rôle de protéger le groupe. Je l’ai fait sans sourciller. Une règle tacite veut aussi qu’il faille toujours défendre l’entraîneur. Le capitaine est tout de même le bras droit de l’entraîneur, que je sache ? C’est la raison pour laquelle j’ai soutenu Besnik jusqu’au bout.

Avec le recul, tu considères que le groupe manquait de qualité pour remporter le titre ?

PROTO : Bruges a mérité son titre, il n’y a pas à discuter là-dessus. Quelques personnes du Club m’ont expliqué comment ils avaient abordé les play-offs. Leur titre n’est pas dû au hasard. Prenez l’exemple du match au stade Jan Breydel au terme duquel ils ont été sacrés. Que s’est-il passé la veille de ce match ? Nous voulions gagner, mais eux le voulaient encore un peu plus. Dans le couloir qui mène des vestiaires au terrain, ils n’ont pas paradé. Ils ont montré sur la pelouse quelle était la meilleure équipe de Belgique. Avec un peu de chance, nous aurions pu leur ravir la première place, mais je dois reconnaître que cela aurait constitué un petit hold-up. En fait, avec le groupe qui était le nôtre la saison dernière, nous avons réussi une saison plus qu’honorable.

Le vestiaire d’Anderlecht était plus facile à gérer il y a cinq ans ?

PROTO : Il y a cinq ans, nous aurions géré les incidents de la même manière. Ecoutez : je me suis dévoué avec tout mon coeur pour le Sporting. J’ai foncé à cent à l’heure tous les jours, j’ai essayé d’organiser des activités afin que tout le monde tire à la même corde. Lorsqu’on voit le résultat, force est de constater que cela n’a pas porté ses fruits. Mais je pars d’un principe de base : dans un sport collectif, tout le monde porte la même part de responsabilité. Que l’on ait 18, 20 ou 40 ans. La direction est aussi responsable de la deuxième place.

 » IL FAUT APPRENDRE À VIVRE AVEC LA CRITIQUE  »

Mais tu as souvent été le bouc émissaire.

PROTO : Cela ne m’a pas dérangé. Vraiment. Les journalistes qui critiquent gratuitement, n’ont qu’un seul objectif : vendre du papier. Je peux comprendre qu’un article sur Silvio Proto se vende mieux qu’un article sur un autre joueur. Mais je ne suis pas rancunier. Les journalistes en question peuvent m’appeler quand ils veulent pour aller manger un bout et régler le problème. Lorsqu’on joue à Anderlecht, on doit apprendre à vivre avec la critique, qu’elle soit justifiée ou non. Cela fait partie du métier. Certains joueurs d’Anderlecht la supportent plus difficilement, mais qu’ils le veuillent ou non, ils devront s’en accommoder. J’essaie de remettre chaque chose à sa place. Ce n’est pas avec les supporters ou les journalistes qu’on passera ses vieux jours. Qu’est-ce qui compte, à la fin ? Pas les 90 minutes passées sous les feux de la rampe, mais la santé de votre famille.

Tu es parti en bons termes avec tout le monde ?

PROTO : Je n’avais de soucis avec personne… Essayez de trouver un joueur qui aurait pu me reprocher quelque chose. Vous n’entendrez personne dire du mal à mon sujet, même pas Anthony Vanden Borre. Je n’avais rien contre Anthony ! Lors d’une réunion, Herman Van Holsbeeck et Roger Vanden Stock m’ont demandé si le groupe serait d’accord de le réintégrer. Je leur ai répondu : -Oui, pas de problème. S’il nous permet de remporter le titre, je lui verserai même 20 % de mon salaire. Tous les gens présents peuvent en témoigner.

Pourquoi étais-tu montré du doigt ? Tout le monde affirme que tu étais celui qui s’opposait au retour d’Anthony.

PROTO : Personne ne connaît la vérité à propos de cet incident. Aucun journal n’a encore parlé de ce qui s’est réellement passé dans le vestiaire. Mais, croyez-moi : ce qu’a fait Anthony, a dépassé l’entendement. C’était à moi de tout déballer sur la place publique ? Non, certainement pas. Ce n’est pas dans ma nature de salir quelqu’un. Tout comme cela n’a pas de sens de vouloir démentir, dans les médias sociaux, tout ce que la presse a écrit sur moi. Anthony a eu de la chance que personne n’ait mis le doigt sur la vraie raison de son éviction. (il réfléchit) Après tout, c’est peut-être mieux ainsi. Je suis heureux qu’il ait reçu une nouvelle chance à Anderlecht. Je ne suis pas du genre à lui souhaiter tout le malheur du monde.

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je n’ai aucune rancoeur vis-à-vis d’Anderlecht.  » SILVIO PROTO

 » Aucun journal n’a encore parlé de ce qui s’est réellement passé avec Vanden Borre. Mais ce qu’a fait Anthony, a dépassé l’entendement.  » SILVIO PROTO

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