» À Anderlecht, ça manquait d’ amour du maillot « 

Les deux arrières congolais des Mauves tirent le bilan de leur dernière saison (ensemble ?) au RSCA ainsi que de leur avenir en équipe nationale du Congo.

Les clients de l’hôtel Vandervalk, un quatre étoiles de Mons, se demandent ce qui leur arrive lorsqu’une vingtaine de types vêtus de la tenue de la République du Congo s’installent dans les fauteuils en rigolant, mélangeant allègrement le lingala et le français. Jusqu’à cette semaine, les Léopards ont en effet pris leurs quartiers dans la cité du Doudou, où ils préparent leur premier match de qualification pour la prochaine Coupe d’Afrique des Nations. Celui-ci aura lieu le 14 juin à Kinshasa face à Madagascar, 113e au ranking FIFA. Après ce dernier rendez-vous de la saison, Fabrice N’Sakala (24) et Chancel Mbemba (20) seront en vacances.

Les deux défenseurs anderlechtois ont passé deux ans ensemble au stade Constant Vanden Stock mais rien ne les prédestinait à évoluer en équipe nationale. N’Sakala a grandi à Le Blanc Mesnil, une banlieue pauvre de Paris, tandis que Mbemba est un véritable Kinois. A Limete-Mososo, un quartier de Kinshasa, il a connu l’ère post-Mobutu. Il était donc logique qu’il choisisse de porter les couleurs de la RDC. Pour N’Sakala, c’était moins évident car, il y a vingt ans, le Congo ne recrutait pas ses internationaux en France.

La donne a changé avec la globalisation du football et c’est donc en équipe nationale que les deux hommes tentent d’oublier la saison moyenne d’Anderlecht.  » Quand on veut être champion et qu’on ne termine que troisième, on a échoué « , dit N’Sakala.  » Sur certains points tout au moins. Les phases arrêtées, notamment. C’est ça qui nous a coûté le titre.  »

Herman Van Holsbeeck prétend que ce sont les blessures encourues en Coupe d’Afrique qui vous ont coûté le titre. Vous êtes clairement visé, Chancel.

Chancel Mbemba : C’est une excuse bon marché. Si la saison d’un grand club comme Anderlecht dépend d’un seul joueur, où allons-nous ? Je râle d’avoir manqué autant de matches. En février, lorsque je suis rentré de la CAN, j’ai demandé à ne pas jouer le match suivant, contre Malines, mais l’entraîneur a refusé. Je me suis mis dans le rouge et je me suis blessé. Si Anderlecht m’avait accordé une semaine de repos, ça ne serait pas arrivé.

A un certain moment, on a eu l’impression que l’équipe manquait de solidarité.

Fabrice N’Sakala : Au fil du temps, la dynamique de groupe a changé. Certains joueurs se sont vus attribuer davantage de responsabilités, les jeunes ont progressé dans la hiérarchie et cela a eu des conséquences sur les relations internes.

Mbemba : Il y avait suffisamment de leaders mais ce qui nous a manqué, ce sont des joueurs qui aiment le club plus que tout. Il n’y avait pas non plus suffisamment d’esprit de camaraderie. Quand on a des affinités avec un joueur, on se bat davantage pour lui.

Ça manquait de guerriers ?

N’Sakala : Oui, ça s’est surtout ressenti en fin de championnat. Les défenseurs étaient souvent envoyés au casse-pipe. Nous sortions pour tenter quelque chose mais personne ne prenait notre place. Le lendemain, c’est nous que la presse désignait du doigt alors que nous avions juste tenté de réparer les erreurs de quelqu’un d’autre. A la longue, nous n’osions plus rien entreprendre.

A Gand, il y avait moins d’egos. Est-ce grâce à cela que ce club a été champion ?

Mbemba : Gand n’a pas volé son titre mais Depoitre, Milicevic et Gershon ne sont pas des extra-terrestres, hein. Ils ont juste prouvé qu’avec de la volonté et l’amour du maillot, on peut aller très loin. Quand il fallait durcir le jeu, ils ne retiraient pas le pied. Quand on croisait leur regard dans le tunnel, on sentait qu’ils étaient prêts à courir comme des fous pendant 90 minutes. C’était moins le cas chez nous.

Mitrovic, seul au monde

Fabrice, dans quelle mesure votre blessure et votre opération au genou, en septembre, ont-elles pesé sur votre saison ?

N’Sakala : Je ne me suis pas toujours senti très bien dans ma peau. Lors du stage en Espagne, quelques semaines après mon retour, j’ai dû m’entraîner trois fois par jour, comme les autres. Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’aller voir le staff médical en disant que j’avais mal au genou. On m’a répondu que c’était parce que… je ne dormais pas assez ! Je devenais fou. Je connais mon corps : il m’était impossible de m’entraîner trois fois par jour avec un genou opéré peu de temps auparavant.

On vous a beaucoup critiqué parce que vos centres n’arrivaient jamais.

N’Sakala : Je centrais en moyenne deux fois par match. Mais vers qui ? La plupart du temps, il n’y avait qu’un partenaire dans le rectangle : Mitrovic. Dans ces conditions, même David Beckham n’aurait pas centré. Après une défaite, on savait qui serait visé par la critique. La plupart du temps, c’étaient Conte et moi.

Mbemba : C’est pour cela que je ne lis plus les journaux. Il est impossible de bien jouer toutes les semaines. Pour ma part, je relativise très facilement : dès que l’arbitre siffle la fin d’un match, je ne pense plus qu’au suivant.

N’Sakala : C’est vrai que je n’ai jamais vu Chancel nerveux. Il se montre parfois embêtant mais il ne se met pas de pression.

Au centre de formation de Troyes, on vous a pourtant appris à supporter la pression ?

N’Sakala : En Europe, on confronte beaucoup trop vite les jeunes à la pression. Avant, j’adorais faire du freestyle avec mes copains. Nous nous filmions et nous postions les vidéos sur facebook. Après un mauvais entraînement, on me reprochait parfois de perdre mon temps à faire du freestyle. Pour cela, j’envie les jeunes joueurs africains : eux, ils font ce qu’ils veulent.

Grandir au Congo n’est tout de même pas sans risque.

Mbemba : Je n’avais pas les moyens d’intégrer un centre de formation. En 2005, j’ai dû quitter l’école et j’ai décidé de me concentrer sur le football. Chaque jour, j’allais courir et je m’entraînais techniquement. Le matin, je sautais le petit-déjeuner afin de pouvoir aller m’entraîner plus rapidement. Je vivais au jour le jour. Parfois, on me donnait un peu d’argent pour prendre part à un tournoi de quartier. Mais jamais je n’ai songé à devenir professionnel.

N’Sakala : La misère, je connais aussi. Comme Chancel, je n’ai pas eu une jeunesse facile. A Anderlecht, on a très vite mis Tielemanset Praet dans l’ouate. Nous, nous avons dû nous battre. A Troyes, j’étais à l’internat. Les rares fois où je rentrais chez moi, je ne me rappelais même pas l’âge de ma soeur.

Vous, Chancel, vous avez décidé de tout sacrifier pour le football. Vous vivez même séparé de votre compagne et de votre fils, Eden.

Mbemba : Ma famille vit à Paris et ce sera encore le cas si je change de pays. Le football est tout pour moi. Il y a deux ans, j’étais juste Chancel, un espoir d’Anderlecht. Je voyais les joueurs du noyau A signer des autographes et je les respectais énormément. Aujourd’hui, c’est à moi que les jeunes en demandent.

N’Sakala : La carrière de Chancel a vraiment décollé. Sur mon iPad, j’ai toujours une photo de mon premier match avec les Espoirs, en 2013 face au Club Bruges. On y voit Chancel, Anthony (Vanden Borre, ndlr), Frank (Acheampong, ndlr) et Jordan Lukaku. Je ne pense pas qu’Anderlecht alignera encore un jour une équipe aussi forte en U21.

Saviez-vous que Chancel s’entraînait parfois seul dans la pénombre ?

N’Sakala : Mon balcon donne sur le parking du Westland Shopping Center d’Anderlecht et je voyais souvent Chancel y effectuer des sprints. Je me disais : Quel faux-cul. Il ne peut pas attendre l’entraînement du lendemain ? Mais je le comprenais. En France, après l’entraînement, j’étais mort. En Belgique, les entraînements sont moins lourds et le corps a besoin de plus.

Mbemba : Je ne veux rien laisser au hasard. La saison prochaine, où que je joue, je continuerai à m’entraîner individuellement.

Congo abstrait

Etes-vous très proches l’un de l’autre ?

N’Sakala : Dans le vestiaire, nous sommes assis l’un à côté de l’autre et, quand nous devons nous lâcher, nous le faisons en lingala. Kabasele, que nous appelons Le Capitaine et Defour ne sont jamais bien loin. Nous tentons de mettre de l’ambiance. Chancel est le plus discret du groupe. Il ne parle de sa vie privée à personne. Même les autres joueurs de l’équipe nationale le connaissent à peine.

Comment avez-vous convaincu Fabrice d’opter pour l’équipe du Congo ?

Mbemba : C’est la mission qui m’avait été confiée par le capitaine de l’équipe nationale, Youssouf Mulumbu. Tous les jours, j’embêtais donc Fabrice à lui parler du Congo. Jusqu’au jour où il en a eu marre. J’ai même parlé à son père. Il avait des craintes quant à l’organisation mais Fabrice a pu goûter à l’ambiance à l’occasion d’un stage à Dubaï et ça lui a plu.

Ce n’était pas une question d’argent.

Mbemba : J’ai prévenu Fabrice : au Congo, il n’y a rien à gagner sur le plan financier. Quand on représente un pays africain, c’est le coeur qui parle.

N’Sakala : Le Congo, pour moi, c’était fort abstrait. En France, seuls Les Bleus comptaient : on vous faisait un lavage de cerveau avec l’équipe nationale française. Je ne savais même pas que j’avais le droit de représenter le Congo. Ce n’est pas quelque chose qu’on vous dit dans les centres de formation.

Le choix était facile puisque, de toute façon, Didier Deschamps ne s’intéressait pas à vous.

N’Sakala : Il eût été insensé d’attendre une sélection pendant des années pour de toute façon ne jamais être appelé. Je ne voulais pas avoir de regret. Mais je peux comprendre que Paul-José Mpoku hésite encore. Le match face à Madagascar est une rencontre officielle. S’il joue, il ne pourra plus porter le maillot des Diables Rouges. ?

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS: BELGAIMAGE / STOCKMAN

 » Les joueurs de Gand couraient comme des fous pendant 90 minutes. C’était moins le cas chez nous.  » Chancel Mbemba

 » Tielemans et Praet ont vite été mis dans l’ouate. Chancel et moi, nous avons dû nous battre.  » Fabrice N’Sakala

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