A 90 minutes de la D1

Si Fabio Giuntini et ses équipiers molenbeekois gagnent demain chez les Montois de Jean-Pierre La Placa, ils rejoindront l’élite.

Il s’en est passé des événements en une semaine. Au-delà d’une journée de tour final, c’est devant la commission d’évocation de l’Union Belge qu’a eu lieu, vendredi dernier, le match le plus important du moment.

Turnhout a été débouté dans sa demande de licence. Même si le club campinois, qui prétend avoir réglé les 13 millions de dettes auprès de l’ONSS, espère encore inverser la tendance, il ne devrait pas être habilité à rester en D2. L’équipe coachée par Stéphane Demol devrait basculer en D3! Jean-Marie Pfaff, le bouillant manager commercial du club campinois, a crié à la machination et s’en est d’ailleurs pris à Jean-Marie Philips, directeur de la Ligue Pro, l’accusant de favoritisme pour le RWDM dont il fut jadis administrateur. Jean-Marie Philips a saisi l’Union Belge pour ces insinuations.

Un tour final qui aura décidément été très chahuté. Dimanche soir, le verdict n’était pas encore tombé, mais il n’y a plus que deux candidats en lice: le RWDM et Geel. Le Mons du Suisse Jean-Pierre La Placa a baissé pavillon mais a engrangé beaucoup d’expérience dans cette mini-compétition. Pour le RWDM du Brésilien Fabio Giuntini, auteur du but décisif dimanche contre Turnhout, le rêve est à portée de mains. Un succès demain au Stade Tondreau et les Molenbeekois rejoindront la D1 trois ans après l’avoir quittée.

Des joueurs brésiliens, le championnat belge en a vu passer des dizaines. Du petit génie comme Wamberto ou Isaias en passant par des nigauds. Certains ont été abusés au point de se retrouver dans des situations sociales délicates. Le RWDM a lui aussi accueilli au fil de son histoire des cariocas. De Rubenilson à Everson. Cette année, le second club de la capitale a limité les risques en engageant Fabio Giuntini. En effet, si ses racines brésiliennes ne font aucun doute, cela fait déjà près de cinq ans qu’il circule dans le foot belge. Au-delà du portugais, sa langue maternelle, il a appris à manier le français avec une délicieuse pointe d’accent, mais également le néerlandais, reliquat de son passage dans deux formations néerlandophones.

Par contre, des joueurs suisses dans notre compétition, c’est franchement plus rare. Pourtant, après dix ans de professionnalisme dans la compétition helvétique, Jean-Pierre La Placa n’a pas longtemps hésité avant d’accepter la proposition de Mons, pourtant équipe anonyme de D2.

« Après avoir évolué à Sion, Bâle, Lausanne, Toulouse, re-Sion et Aarau, j’en avais fait le tour », dit l’attaquant. « D’autant que l’an dernier, l’entraîneur ne m’utilisait plus tellement. J’évoluais avec Olivier Baudry, mon meilleur ami que vous avez bien connu en Belgique. Il m’a aiguillé vers Thierry Pister, que je connaissais pour avoir été son équipier à Lausanne. Il m’a fait savoir qu’il cherchait un attaquant, j’ai effectué un test contre Charleroi et j’ai été engagé. Je n’avais aucun a priori par rapport à la D2 belge, que je ne connaissais pas. Ma seule ambition était de retrouver le plaisir de jouer ».

Sa première partie de saison fut très moyenne, puis il explosa après la trêve. Au point de rempiler pour trois saisons.

« J’ai eu besoin d’un temps d’adaptation tant à mes équipiers qu’à la série », dit La Placa. « L’équipe a commencé à tourner, j’ai commencé à marquer, on a commencé à gagner. Tout s’est enchaîné. Le tour final, nous n’en faisions pas une obsession mais c’était devenu un challenge. A aucun moment, je n’ai senti le moindre frein de la part de la direction. La D1, nous pouvons y aller si nous en avons les moyens sportifs ».

Paradoxalement, Mons s’est pris les pieds dans le tapis dès le premier match du tour final.

« La pression était très forte et nous n’y étions pas habitués », reconnaît le joueur suisse. « D’autant plus à domicile où nous n’avions peur de personne. Plutôt que de nous appesantir sur ce revers, nous avons continué à y croire. L’équipe a rapidement pris conscience que nous n’étions pas là par hasard et que… pourquoi pas? »

Jean-Pierre La Placa a donc découvert un univers tout neuf. Il s’y plaît tellement qu’il n’envisage nullement un come-back en Suisse.

« J’y ai joué durant dix ans. Ma femme et moi-même avons été agréablement surpris par la qualité de vie en Belgique et la chaleur humaine des gens. J’ai finalement trouvé ce que je voulais: la joie de jouer et une formation ambitieuse. La direction me fait confiance et croit en moi. Et si j’ai planté des buts en D1 suisse, je dois être capable de le faire en D1 belge. Personne à Mons n’avait peur du passage de la D3, que je n’ai pas connue, à l’élite. Ce n’est que partie remise. Le club m’a assuré de mettre sur pied une équipe qui jouera le titre en D2 ».

Avant de débarquer en Belgique il y a maintenant quatre ans et demi, Fabio Giuntini ne connaissait rien de notre compétition. « J’évoluais en D3 brésilienne, soit la D1 régionale, à Operario, dans la banlieue de Sao Paolo. L’Europe me tentait et j’ai eu l’occasion de venir effectuer des tests grâce à mon copain Sergio Da Silva qui, jadis, a défendu les couleurs de Waregem. J’avais trois mois pour dénicher un club. Mon premier test s’est déroulé à Zulte, alors en Promotion, avant de transiter par Beveren, Harelbeke et le Cercle de Bruges. Alors que je m’apprêtais à regagner le Brésil les mains vides, un restaurateur grec bien connu à Waregem, M. Korais, m’a fait venir dans le club local où il avait des introductions. Comme je ne pouvais administrativement pas jouer avant la saison suivante, j’ai évolué sur base locative durant quatre mois à Wielsbeke, en P1 flandrienne. J’ai pris un peu d’expérience, un peu de coffre et cela m’a fait du bien avant de revenir à Waregem sous la houlette d’ André Van Maldeghem, un entraîneur qui m’aimait bien. Néanmoins, le club avait loupé de justesse la montée en D1 à l’issue du tour final -NDLA: Westerlo s’est imposé au Gaverbeek lors de la dernière journée et est monté parmi l’élite. J’ai joué deux ans au stade Arc-en-ciel avec de bons entraîneurs comme Jerko Tipuric et Gilbert De Groote. Mon but à l’époque était de me mettre en vitrine pour décrocher un contrat dans un club de D1. J’espérais un cercle de la région comme Harelbeke par exemple ».

Ce fut au Cercle de Bruges, qui avait perdu de sa superbe et avait dégringolé en D2. Fabio y joua une saison et marqua quinze buts mais l’équipe ne parvint jamais à atteindre ses objectifs. D’où son passage au RWDM où « cela sent toujours la D1 », avait-il dit en début de saison. Pourtant, le championnat n’aura pas été de tout repos. Des débuts scabreux avant qu’ Ariel Jacobs ne trouve la bonne formule avec deux milieux récupérateurs mais avec aussi Fabio Giuntini. Alors que l’équipe s’apprêtait à décrocher son billet pour le tour final, la direction limogea l’entraîneur pour introniser Patrick Thairet, un homme du sérail. Lors du premier match de l’après-Jacobs à Mons, Giuntini marque un but et exhibe un t-shirt sur lequel il remercie le coach… limogé. La direction apprécie moyennement et il ne sera pas retenu pour le match suivant contre Roulers. Depuis l’arrivée de Thairet, la position de Giuntini est vacillante. Tantôt joker, tantôt titulaire. Les modifications tactiques semblent lui avoir joué un vilain tour. Jeudi dernier, pour son come-back en tant que titulaire dans une position en retrait des attaquants qui convient parfaitement à ses qualités, il a frappé fort en marquant à deux reprises. « Je suis assez lucide pour faire le bilan de ma saison », poursuit-il. « Je pense avoir effectué un bon premier tour avant de subir une suspension juste après la trêve. J’ai alors connu un creux mais ma fin de championnat prouvait, me semble-t-il, que j’avais retrouvé toutes mes sensations. Je marquais régulièrement, notamment le but qualificatif pour le tour final contre Ingelmunster lors de l’ultime journée de championnat. Pourtant, lors des trois premiers matches du tour final, je n’ai joué que 30 minutes -NDLA: il était suspendu pour le troisième match à Geel. J’ai quand même planté un but important à Turnhout mais j’avais l’impression d’être inutile. Non, plutôt de ne pas pouvoir aider l’équipe alors que je me sentais bien. C’est encore plus frustrant. Je ne pense pas avoir été victime de la tactique car d’autres joueurs ont évolué à ma place dans un dispositif assez semblable. C’était seulement un choix personnel de l’entraîneur. Il est vrai qu’il dispose d’un noyau riche avec lequel il jongle. Il faut s’en faire une raison ».

Fabio n’est pas brésilien par hasard. Son niveau technique vole largement au-dessus de la moyenne de la D2. Au point de se demander si ses qualités ne conviendraient pas davantage à l’élite qu’à une série où l’engagement physique est trop souvent de mise.

« Je n’ai jamais goûté à la D1 belge mais ce n’est pas pour autant une série inconnue pour moi. Quand je vois l’espace dans lequel les joueurs peuvent s’exprimer, je me mets à rêver. Le ballon circule davantage et l’intelligence de jeu est plus présente. En D2, vous avez sans cesse un homme sur le dos. Quoi que vous fassiez, il vous suit. Le hic en Belgique, c’est la confiance. Il suffit d’une opportunité pour rejoindre l’élite. Je n’ai que 25 ans mais il faut un entraîneur qui dise à sa direction: -Giuntini, j’y crois! Mais le foot belge est ainsi fait que l’on préfère faire venir une flopée de joueurs en provenance de l’étranger plutôt que miser sur des éléments qui font leurs preuves en D2. Combien de joueurs effectuent la navette chaque année? Cinq ou six au maximum! Regardez Yves Vanderhaeghe. Durant des années, il était catalogué comme un joueur de D2. Aujourd’hui, parce qu’on lui a donné une chance qu’il a saisie, il joue à Anderlecht et en équipe nationale. Au Brésil, en Argentine, en Espagne, les clubs n’hésitent pas à aller puiser dans le vivier des séries inférieures. En Belgique, on dirait que les clubs ont peur ».

Alors qu’il a un contrat d’un an en poche, il n’est pas certain que Fabio continue sa carrière au RWDM. Une décision qui n’a rien à voir avec une éventuelle montée en D1.

« La semaine dernière, j’ai eu un entretien très constructif avec le président Erik De Prins et le manager du club Freddy Smets. Je voulais connaître d’abord les intentions du club à mon égard. J’ai reçu tous mes apaisements. On compte encore sur moi, même en cas d’accession à l’élite. C’est déjà une preuve de reconnaissance et de confiance. Moi, j’ai expliqué ma situation. Mes parents sont désormais seuls au Brésil car mes deux soeurs sont en instance de mariage. Ils sont âgés et ont besoin de soutien. A l’issue du tour final, je rentre au Brésil pour examiner sérieusement la situation. Je ne veux pas mettre le RWDM en difficultés. Vers le 10 juin, je leur communiquerai ma décision. Soit je reviens et je remplis mon contrat. Je ne serais d’ailleurs pas réfractaire à le prolonger. Soit la situation est trop compliquée et je demande à rester au Brésil où je devrai me trouver un club. Je suis actuellement dans l’expectative ».

Décidément, on a l’impression que la D1 fuit Fabio Giuntini. A deux reprises déjà, il a flirté avec l’élite sans y parvenir. Avec Waregem d’abord où l’équipe s’est plantée lors du dernier match du tour final. Avec le Cercle Bruges ensuite qui avait construit une formation pour y arriver mais qui a déçu. La troisième fois sera-t-elle la bonne avec le RWDM?

Jean-Marc Ghéraille

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