90 kilos de colère

Le Français a fait la paix avec les supporters mais est en guerre avec ses dirigeants.

Le vase a débordé quand Alphonse Costantin lui a annoncé, en début d’année, qu’il regrettait de l’avoir fait resigner, l’été dernier, jusqu’en 2006.

Ali Lukunku: Les journaux parlent maintenant de grande lessive au Standard. Je suppose que je fais partie du linge sale… C’est malheureux. Je suis devenu un des chouchous des supporters après avoir été, pendant longtemps, leur tête de Turc. Je suis fier de cette évolution. Pourtant, ils m’en avaient fait voir: des insultes ( » Rentre chez toi« ,  » Tu n’es qu’un zéro« ), une brique dans la vitre de ma maison, les rétroviseurs de ma voiture arrachés, mes pneus crevés. Un copain m’avait même conseillé de ne surtout pas aller voir ce que les supporters disaient de moi sur leur site Internet. Tout cela était d’abord dû au fait qu’Ivic me faisait jouer à des postes qui ne me convenaient pas. Un jour, il m’avait transformé soi-disant en médian défensif et j’avais pour consigne de tenir Demkine. Un centre-avant! Bref, Lukunku devait jouer stoppeur…

Aujourd’hui, tout cela est oublié. J’ai reçu des excuses des supporters et ils m’envoient régulièrement des lettres d’encouragement. Globalement, le Standard a vraiment un bon public.

Aujourd’hui que vous avez fait la paix avec les supporters, ce sont les dirigeants qui ne savent plus vous encadrer!

Quand j’étais en pétard avec le public, ils me disaient qu’ils étaient conscients de mes qualités et que je ne devais pas écouter les insultes. Maintenant, ils m’avouent qu’ils n’ont plus besoin de moi. Je ne comprends plus rien. J’en conclus que je n’ai pas le niveau pour jouer dans cette équipe. Et pourtant, je suis certain que je peux lui apporter quelque chose.

Comment vous a-t-on annoncé qu’on ne misait plus sur vous?

J’ai senti le vent tourner lors du stage à Knokke. Alphonse Costantin est venu me trouver et m’a dit: -Tu n’es pas bien, Ali. J’ai l’impression que tu n’es pas heureux ici. Je suis tombé des nues parce que je suis tout à fait épanoui à Liège. Evidemment, on ne peut pas rire du matin au soir quand on vient de perdre son père. Tout le monde a ses problèmes privés. Mais ils n’ont jamais eu d’influence sur mon niveau de jeu. Quand je monte sur le terrain, je sais faire abstraction de ce qui ne va pas dans ma vie. Peu après le stage, Costantin m’a avoué que le staff technique n’avait plus besoin de moi, qu’il regrettait d’avoir prolongé mon contrat et que le Standard allait acheter de nouveaux joueurs. Il m’a parlé du noyau B et je lui ai répondu que je n’avais pas peur de la concurrence. J’ai ajouté que c’était dégueulasse de me traiter comme ça six mois après m’avoir empêché de partir à Anderlecht. A l’époque où le Sporting s’est renseigné, il ne me restait qu’un an de contrat mais le Standard réclamait 250 millions. Ce qui revenait à dire que j’étais intransférable. Anderlecht a offert jusqu’à 130 millions mais a fini par comprendre qu’il était inutile d’insister. Là-bas, on me proposait le même salaire qu’au Standard avec, en plus, la perspective de disputer la Ligue des Champions et de travailler avec un entraîneur qui m’a toujours apprécié.

« Important pour le club? Ça me fait bien rire »

Costantin ne veut plus entendre parler de vous mais Michel Preud’homme dit qu’il compte toujours sur Lukunku.

Ce n’est qu’une des innombrables contradictions du Standard. Il y a deux mois, on ne voulait plus de moi. Maintenant, on m’impose de jouer alors que je ne suis pas apte physiquement. Quand on me fait remarquer que je suis un joueur important pour le club, ça me fait bien rire. Michel Preud’homme m’a seulement menacé une fois à l’entraînement: ça n’allait pas ce jour-là et il m’a dit que c’était son dernier avertissement. Il pensait que je traînais volontairement la jambe. Je lui ai expliqué que je souffrais du genou et il m’a alors conseillé d’aller voir un médecin et de prendre quelques jours de repos. La douleur n’a pas disparu entre-temps mais on m’oblige à jouer. Est-ce parce qu’on m’estime indispensable dans le Standard actuel ou parce qu’on cherche à me mettre en vitrine? Je n’en sais rien. Je pars du principe que je devrai m’en aller en fin de saison et je suppose que le Standard ne me bradera pas alors qu’il avait déboursé 70 millions pour moi, il y a quatre ans.

Comment les joueurs ont-ils réagi quand on a parlé de grande lessive au Standard?

Le vestiaire a tremblé. Quelle maladresse de lancer des rumeurs pareilles alors qu’il faut encore sauver le championnat! La deuxième place n’est toujours pas hors de portée mais nous aurons besoin de tout le monde pour atteindre nos objectifs: Wuillot, Goossens, Meyssen, Blay et les autres. On aurait pu attendre un peu avant de leur annoncer qu’ils devaient partir. Ou du moins avant de le sous-entendre, car le discours manquait de clarté. Les patrons du Standard en ont dit trop ou pas assez. La conséquence, c’est que tout le monde se pose des questions. C’est la meilleure façon de nous faire rater une qualification européenne. Autant nous étions solidaires en début de saison, autant le groupe s’est fissuré suite à tout ce qui s’est passé depuis quelques semaines. Il règne une nervosité terrible à l’entraînement: on tackle, on crie, on s’engueule. Toutes des réactions qui n’existaient pas lors du premier tour. Aujourd’hui, le rituel est immuable après chaque entraînement: chaque joueur prend sa douche et court vers sa voiture pour quitter Sclessin le plus vite possible. Rigoler ou aller boire un verre ensemble, c’est fini.

L’affaire Ernst a-t-elle fait du tort au groupe?

Evidemment. Ce qu’on lui fait subir, c’est dégueulasse. Le Standard a pourtant tellement besoin de lui. Je comprendrais qu’on ne le fasse plus jouer si la deuxième place ou le titre était acquis. Mais pas au moment où tout reste à faire. Aucun joueur du noyau ne comprend la façon d’agir du Standard dans cette histoire.

La direction n’a-t-elle pas commis une grave erreur en transférant plusieurs nouveaux joueurs en cours de deuxième tour alors que le Standard jouait la tête?

Au départ, c’était justifié. Il y avait plusieurs blessés parmi les joueurs-clés et on ne savait pas quand ils reviendraient. Quand les transferts sont de vrais renforts, on ne peut que se réjouir. Moi, je n’étais pas content quand j’ai appris l’arrivée de deux nouveaux attaquants, mais je n’ai rien dit car l’intérêt du Standard passe avant le mien. Et de toute façon, je continue à jouer malgré Cavens et Spehar. Le problème, c’est qu’on a changé notre style de jeu pour permettre à ces deux joueurs d’être dans l’équipe. Tout allait bien en décembre quand nous jouions la profondeur. Nos victoires à Gand et à Bruges avaient été des modèles: nous avions tué ces adversaires via de longs ballons dans le dos de leurs défenseurs. Cavens et Spehar sont d’excellents joueurs, mais ils n’ont pas les mêmes qualités. Pour exprimer leurs qualités de finisseurs, ils doivent recevoir la balle dans les pieds, à l’entrée du rectangle. En voulant adapter le concept aux nouveaux attaquants, on a fortement diminué le rendement de l’équipe.

Sénateurs, enfants gâtés et petits princes

Toutes les amendes infligées aux joueurs ont-elles contribué à pourrir la situation?

Evidemment. Les amendes sont venues s’ajouter à tout le reste: le fait que le club regrettait de m’avoir fait resigner, le traitement qu’on a infligé à Didier Ernst, les critiques de l’entraîneur qui nous a traités de sénateurs et a dit qu’il ne nous ferait plus de cadeau, Costantin qui a traité les joueurs d’enfants gâtés et de petits princes.

Un jour, j’ai voulu parler à Costantin parce qu’il m’avait infligé une amende sans aucune raison. Il était avec d’autres personnes. Il m’a répondu: -C’est mon heure de table. Et, en montrant le délégué de l’équipe, il a ajouté: -Va parler avec des gens de ton niveau. Il a estimé que je lui manquais de respect et j’ai pris une amende supplémentaire de 20.000 francs.

Il y a ensuite eu la comédie des joueurs trop gros.

J’étais plus lourd en début de championnat qu’aujourd’hui, je marquais des buts et on me disait au club que j’étais en pleine forme. Après une blessure, il y a quelques semaines, j’ai pris près de deux kilos et ça m’a coûté 500 euros. Alors qu’un surplus de poids pareil s’élimine en une semaine d’entraînement intensif. C’est le genre de décision qui peut déstabiliser un groupe. Pourtant, nous n’avions vraiment pas besoin de ça.

Quand je vois ce qu’on nous prépare quand nous mangeons au stade entre deux entraînements, je me dis qu’on se fout de notre gueule! Il n’y a rien de moins diététique. En début de saison, j’avais décidé de perdre un peu de poids et je suis allé trouver un diététicien. Il m’a prescrit un régime, que j’ai communiqué au Standard. Mais au stage à Aix-les-Bains, on m’a obligé à manger comme tout le monde! Il n’y a aucune logique dans ce club.

Vous prenez facilement du poids?

Mon poids de forme, c’est 90 kilos. Si j’en fais quatre de moins, je ne peux pas tenir une saison complète, je me blesse. Il n’y a que des castards dans ma famille. Mon père, c’était une bête: 1m95, 110 kilos. Et ma petite soeur fait 1m80. Quand on calcule le poids idéal d’un sportif, il faut tenir compte d’un tas de paramètres: le taux de graisse, l’épaisseur des os et des muscles, la rétention d’eau, etc. Ici, ils n’essayent même pas de s’intéresser à tout cela. Ils tranchent au pif: -Celui-là serait bien avec 85 kilos. Et tu n’as plus qu’à t’adapter.

« Le coach n’a pas à entrer dans le petit jeu des dirigeants »

Vous acceptez quand même de payer les amendes?

Nous n’avons pas le choix: c’est déduit de notre salaire. Mais je ne me laisserai pas faire: en fin de saison, je contacte un avocat et le syndicat des joueurs pour réclamer toutes les amendes que j’aurai dû payer. Il n’est stipulé nulle part dans mon contrat que je devrai passer à la caisse si je pèse 90 kilos ou si je manque soi-disant de respect à Costantin. A votre avis, qui manque de respect envers l’autre?

L’échec dans la course au titre est-il l’échec des dirigeants?

C’est l’échec de tout le Standard: ses joueurs, ses dirigeants et son staff technique sont responsables. Jusqu’en janvier, j’ai cru que nous aurions nos chances pour le titre. Mais j’étais certain que le premier petit problème ou la première série de deux défaites nous coûterait cher. Dès que les résultats n’ont plus suivi, des tensions sont apparues entre le staff technique et les joueurs, avec les conséquences que l’on voit aujourd’hui.

Michel Preud’homme semble pourtant apprécié par les joueurs?

On l’a obligé à changer. Au début, il parlait beaucoup à tout le monde. Aux réservistes comme aux titulaires. Mais la direction lui a reproché d’être trop gentil. Avec moi notamment. Il me l’a avoué. Il a dès lors modifié son comportement. Je comprends qu’une direction soit sévère avec les joueurs, mais le coach n’a pas à entrer dans ce petit jeu-là et à nous traiter comme des gamins. On avait déjà vu ce que cela pouvait donner avec Ivic. Si votre entraîneur est sympa avec vous, vous serez sympa avec lui. S’il change, les joueurs lui diront qu’il peut aller se gratter quand il aura besoin d’eux. Pourtant, c’est pour Preud’homme que j’avais resigné jusqu’en 2006. Certainement pas pour les dirigeants. D’ailleurs, je ne connais pas un seul joueur qui apprécie Costantin.

On vous imagine mal jouer encore pour le Standard la saison prochaine, après tous ces problèmes.

Je ne peux être sûr de rien car ce club tient mon sort entre ses mains. Les dirigeants ne m’ont pas encore dit qu’ils étaient prêts à oublier ce que Costantin m’a dit en janvier. Si on veut que je reste, il faudra avoir un discours convaincant. Mais ce ne sera pas Costantin qui me tiendra ce discours-là parce qu’il n’est pas apte.

Pierre Danvoye, ,

« En fin de saison, je m’adresse à un avocat pour réclamer toutes les amendes qu’on m’a fait payer »

« Quand je vois ce qu’on nous met dans notre assiette, je me dis qu’on se fout de notre gueule »

« C’est l’échec de tout un club »

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