8 vérités

Pour une fois, les entraîneurs disent ce qu’ils pensent des journalistes sportifs.

Pour qu’un entraîneur sache ce qu’un journaliste sportif pense de lui, il lui suffit d’ouvrir le journal ou d’allumer son poste de télévision. Le contraire n’est pas vrai. Nous avons questionné plusieurs entraîneurs ou ex-entraîneurs de D1 ( Michel Preud’homme, Albert Cartier, José Riga, Philippe Vande Walle, Robert Waseige, Marc Brys) sur le regard qu’ils portent sur le travail des journalistes. Pour savoir ce qui plaît, déplaît, séduit, agace, construit la bonne entente ou la détruit. Dans la bouche de chacun, les mêmes remarques ont eu tendance à revenir.

Aller un peu plus dans le relationnel tout en restant dans le professionnel, comprendre les choix et la vision de son interlocuteur tout en gardant son droit à l’analyse et à la critique : pour un journaliste sportif, la recherche de l’équilibre et de la meilleure façon d’informer est peut-être à ce prix…

Vérité n° 1 : ils ne sont pas des entraîneurs

Pour les coaches, les journalistes ignorent les réalités du métier d’entraîneur et ne détiennent pas la même connaissance en matière de football.

4 Michel Preud’homme :  » Aucun journaliste sportif ne détient un diplôme d’entraîneur ou ne passe plusieurs heures à disséquer le jeu d’une équipe « .

4José Riga :  » Pendant un match, moi et mes assistants notons tous les faits de match : corners, fautes, duels gagnés ou perdus, occasions, tirs cadrés ou non… C’est à partir de ces faits que nous tirons nos conclusions. Or, les journalistes ne tiennent pas forcément compte de ces aspects et jugent de manière plus superficielle « .

4Marc Brys :  » Quand je lis l’analyse faite d’une rencontre dans la presse, j’ai parfois l’impression que nous n’avons pas vu le même match. De plus, revoir un match 3 ou 4 fois est souvent nécessaire pour me faire un avis complet sur l’équipe et mes joueurs « .

Vérité n° 2 : ils ignorent certains faits

Selon les entraîneurs, les journalistes arrivent aussi à de mauvaises analyses car ils ne tiennent pas compte de certains faits. C’est dû à leur méconnaissance du football, parce qu’ils ne cherchent pas à comprendre ou parce qu’ils préfèrent ignorer ces informations.

4Philippe Vande Walle :  » Il arrive que je donne des consignes particulières à l’un de mes hommes. Le joueur va les appliquer et faire un excellent match à mes yeux mais médiocre pour un journaliste car il n’aura pas rempli le rôle qu’il attend du joueur « .

4Michel Preud’homme:  » Les journalistes ne voient pas le travail des joueurs à l’entraînement. La saison dernière, j’ai été critiqué parce que je n’avais pas aligné un joueur. La presse a conclu que j’étais un mauvais entraîneur. Or, ce joueur connaissait des problèmes privés et nous avions pris la décision de le protéger « .

4Marc Brys :  » Je pense qu’il faudrait peut-être arranger une rencontre entre journalistes et coaches juste avant le match. L’entraîneur pourrait expliquer ses choix, ce qui permettrait aux journalistes de mieux comprendre et de mieux analyser le match. Sinon, ils risquent de suivre la rencontre avec une perception faussée « .

Vérité n° 3 : ils sont parfois émotionnels

La prise en compte des faits est aussi occultée par les sentiments et les impressions personnelles d’un journaliste, les joueurs qu’il aime ou qu’il n’aime pas. Il arrive aussi que des journalistes soient ou deviennent supporters du club qu’ils suivent.

4Philippe Vande Walle :  » Certains journalistes ont plus d’affinités avec tel joueur ou tel entraîneur et cela se reflète. Ils devraient traiter tout le monde sur un pied d’égalité mais ce n’est pas toujours le cas « .

4Michel Preud’homme  » Si un journaliste est en conflit avec un club, il y a un sentiment individuel qui joue et qui se reflète dans ce qu’il dit « .

4Robert Waseige :  » Certains articles ressemblent à des règlements de compte. Il y a des journalistes qui s’acharnent sur les personnes « .

Vérité n° 4 : ils détruisent avec leurs cotes

Les entraîneurs rejettent en bloc l’habitude de coter les joueurs après un match.

4Michel Preud’homme :  » C’est impossible de coter 22 joueurs. De plus, sur quelles bases le font-ils ? Est-ce qu’un journaliste part d’un idéal de perfection et baisse sa cote en fonction des erreurs commises par le joueur ? Ou, au contraire, part-il d’un minimum qu’il augmente au fur et à mesure ? »

4Philippe Vande Walle :  » Il y a des journalistes supporters de certains joueurs. Cela saute aux yeux « .

4José Riga :  » Les cotations par les journalistes sont quelque chose de très destructeur. Regarder les cotes est la première chose que font les joueurs lorsqu’ils ouvrent le journal, le lundi matin. Or, les critères pour noter ne sont pas suffisants et le journaliste prend peu de recul. Personnellement, je commence seulement à faire des commentaires à mes joueurs après avoir revu le match et après avoir fait un débriefing avec mon staff « .

Vérité n° 5 : ils peuvent déformer l’information

Les entraîneurs sont aussi critiques sur la manière dont les journalistes sportifs reproduisent l’information.

4Michel Preud’homme :  » Le message que l’on veut faire passer est parfois déformé. Un exemple ? Je dis à un journaliste – Tel joueur a mal joué mais il a telle excuse. Lorsque je revois mon intervention, il y a juste -Tel joueur a mal joué. Or, il faut respecter l’idée, le message que l’interviewé veut faire passer « .

4José Riga :  » Il y a d’autres personnes qui interviennent dans la rédaction d’un article. Le rédacteur en chef peut changer un titre par exemple. Or, ces changements modifient le contexte du message et donc la perception des gens « .

4Albert Cartier :  » Souvent, par souci de concentrer les informations, le journaliste va faire au plus court « .

Vérité n° 6 : ils cherchent parfois la sensation

Autre problème : l’aspect sensationnel. Pour les entraîneurs, le journaliste est souvent tenté de ne retenir que le détail qui choque. Il y a aussi des cas où le journaliste cherche à provoquer un effet et va jusqu’à tromper le lecteur.

4Marc Brys :  » Au début de saison, Mouscron avait un noyau trop large. Trois joueurs devaient quitter le groupe. Cela devait faire l’objet d’une discussion entre le président, le directeur technique et moi-même. Après, il était convenu d’en informer personnellement les joueurs. Un journaliste m’appelle et me demande de qui il s’agit. Je lui dis que je ne peux pas lui répondre et qu’il doit attendre. Le lendemain, le journaliste avait publié trois noms indésirables. Or, il ne s’agissait même pas des joueurs concernés ! Je passe des dizaines d’heures à instaurer de la confiance dans mon noyau et, là, tout peut se casser en une minute à cause de trois lignes dans un journal. La relation entre le journaliste et moi s’est arrêtée là « .

4Albert Cartier :  » J’ai l’impression qu’ils ne s’intéressent qu’à ce qui est négatif ou problématique « ..

Vérité n° 7 : ils sont différents

Mais ces remarques signifient-elles que tous les journalistes sportifs soient mauvais aux yeux des entraîneurs ?

4Michel Preud’homme :  » Il y a des journalistes qui savent analyser un match. Certains sont là depuis des années et ont appris à juger. Je peux féliciter un journaliste pour un article s’il a développé une bonne idée de fond « .

4Albert Cartier :  » Dire d’un journaliste qu’il n’est pas compétent parce qu’il n’a pas joué au football est un raccourci un peu facile « .

Certains estiment même pouvoir s’enrichir au contact des journalistes.

4Marc Brys :  » Les journalistes visionnent un match avec un regard différent et ils n’ont pas toujours faux. Leurs analyses sont parfois intéressantes et enrichissantes « .

4Philippe Vande Walle :  » Mon comportement varie avec les personnes. J’ai plus d’affinités avec certains, moins avec d’autres « .

4Robert Waseige :  » Peut-être ai-je témoigné plus de sympathie à l’égard de ceux que je considérais comme de bons journalistes ou ceux qui m’étaient plus proches « .

Vérité n° 8 : ils doivent vouloir comprendre

Etre un bon journaliste et être assez proche de l’entraîneur : voilà les deux qualités qu’apprécient les coaches. Un entraîneur attend d’abord de la correction et du respect de la part du journaliste : respect pour son travail, pour sa personne, pour le lieu où il travaille. Les entraîneurs sont plus enclins à accepter ceux qui veulent comprendre ce qui se passe. C’est le développement d’une relation sur le long terme qui permettra aux journalistes de récolter les informations dont il a besoin. Les entraîneurs communiqueront alors plus facilement.

4Michel Preud’homme :  » Un journaliste sportif ne doit pas arriver en étant arrogant et en prétendant connaître la vérité éternelle. Il doit gagner la confiance des gens, être en bonne relation sans que cela ne l’empêche d’écrire et d’analyser. Quand je connais le journaliste, je sais qu’il n’y aura pas de problèmes. Quand je ne le connais pas, je suis méfiant au début. Les gens qui ont toujours été corrects avec moi auront toujours les informations. Quand je parle de correction, cela ne signifie pas forcément qu’ils aient écrit des choses positives. J’apprécie aussi quand un journaliste essaie de comprendre en profondeur, quand il vient discuter football après une rencontre. C’est à ce moment que je pourrai lui donner des informations qu’il n’écrira pas, mais qui pourront lui permettre de mieux saisir certaines choses.  »

4Robert Waseige :  » Les bons journalistes sont ceux qui ont acquis de l’expérience en travaillant longtemps dans la profession. Avec le temps, ils ont su se forger un style, une personnalité. Les bons journalistes sont ceux qui prennent le temps d’échanger avec toi et les joueurs, ceux qui restent fidèles à ce qui est dit « .

par simon barzyczak

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