750.000 dollars pour Diego

Interview exceptionnelle avec le premier manager d’Argentine, qui a conseillé el Pibe durant sa période de gloire ?

Buenos Aires, un restaurant de la CostaneraNorte, près de l’Aeroparque, le petit aéroport citadin. C’est là que nous avons rendez-vous avec Jorge Cyterszpiler, qui fut le conseiller de Diego Armando Maradona durant sa période de gloire et même le premier manager d’Argentine à une époque où la fonction n’existait pas encore. Un moment exceptionnel, car l’homme – à la tête d’un groupe de management qui emploie 40 collaborateurs – n’accorde quasiment jamais d’interview. Pourquoi a-t-il fait une exception ? Parce que nous venions de Belgique ? Possible. La démarche boitillante mais le regard encore vif, il a répondu à nos questions.

Vous souvenez-vous de vos débuts comme manager ?

JorgeCyterszpiler : Oui, tout à fait. C’était en 1976. J’étais le premier manager de la République d’Argentine. Ma relation avec Maradona est née grâce à un ami commun. Ce n’est pas moi qui ai demandé à Diego de devenir son agent, c’est lui qui, un jour, est venu me trouver avec son frère pour me demander si je ne voulais pas les conseiller. Ils avaient respectivement 16 et 18 ans et me connaissaient depuis cinq années déjà, lorsqu’ils étaient encore gamins. Je ne pense pas que j’ai aidé Diego à grandir. Je lui ai peut-être donné l’un ou l’autre conseil, c’est tout. Je suis trop modeste, pensez-vous ? Non ! Simplement, le travail ne me rebute pas. Je suis animé par la passion qui guidait l’ancienne génération. J’ai fait mon travail de manager avec sérieux et enthousiasme, et j’ai vécu 15 années formidables avec Diego, mais aujourd’hui la page est tournée. Cela ne m’a pas empêché de continuer mon boulot de manager, dans un style peut-être différent, en essayant d’être proche des joueurs, de veiller à leur bien-être sans songer uniquement au profit. Lorsque je m’occupe d’un jeune, je veille à sa formation sportive mais aussi à sa formation scolaire. Lorsqu’on signe un contrat avec un club, je veille autant à l’aspect humain qu’à l’aspect financier.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous avez vécu avec Maradona ?

Non, je n’y tiens pas. Tout a déjà été dit et écrit à ce sujet. Je préfère passer à autre chose. Parlons du présent et de l’avenir, si vous le voulez bien.

Et de ses déboires à la Coupe du Monde 1994 et de son expérience comme sélectionneur à celle de 2010, pouvez-vous parler ?

Non plus. D’abord, parce que je n’étais plus avec lui à ce moment-là. J’ai cessé ma collaboration avec Diego en 1986. Quant à son expérience comme entraîneur, chacun en pense ce qu’il veut. Ce n’est pas à moi de m’épancher sur le sujet.

Vous n’avez donc vécu que les meilleurs moments de Maradona ?

Grâce à Dieu, oui. Des moments merveilleux. Pour les gens de ma génération, Diego restera le footballeur argentin le plus adulé. Les jeunes vous répondront sans doute qu’ils admirent davantage Lionel Messi. Je dois reconnaître qu’il est également un extra-terrestre, mais à mes yeux, Maradona n’a jamais été égalé et ne le sera jamais.

Peut-on comparer Messi à Maradona ?

Difficilement. D’abord, ce sont deux époques différentes. Et puis, ce sont deux footballeurs et deux personnes différentes. Messi, c’est Messi. Maradona, c’est Maradona. Et Pelé, c’est Pelé.

Votre profession a-t-elle évolué au fil des ans ?

Enormément. Actuellement, la concurrence est plus rude et on gagne beaucoup plus d’argent. Lorsque Maradona est parti au FC Barcelone, son premier contrat était de 750.000 dollars annuels. Et il devait encore payer tous ses frais. Son contrat publicitaire le plus important, lorsqu’il était chez Puma, se chiffrait à 350.000 dollars. Un joueur d’une telle qualité, aujourd’hui, ne se contenterait plus de cela. Moi-même, après avoir travaillé toute une année, il me restait juste de quoi m’acheter une Mercedes. Maintenant, qu’entend-on par le terme de manager ? Celui qui s’occupe du contrat est un représentant. Celui qui vend un joueur est un agent. Manager est un terme qui englobe un peu tout. Aujourd’hui, les grandes stars ne sont plus conseillées par une seule personne, mais par une entreprise. Autour de Messi, il y a une véritable entreprise.

Vous vous êtes toujours senti à l’aise dans ce milieu ?

Toujours. Au début, j’ai fait la connaissance du manager de Pelé, qui est devenu un ami. Puis de Mark McCormack, qui veillait aux intérêts du golfeur Jack Nicklaus. J’ai appris certaines choses. J’ai gagné en expérience. J’ai fait des études de comptable, cela m’a servi aussi.

Et avant, les joueurs devaient se débrouiller seuls ?

Seuls, oui. Parfois avec l’aide d’un avocat, mais la plupart du temps, seuls. Je n’ai jamais compris comment un artiste pouvait avoir un représentant et un joueur, pas, mais c’était ainsi.

 » Le championnat d’Argentine n’est plus ce qu’il était « 

Comment se porte le football argentin, actuellement ?

Il ne traverse pas sa période la plus faste. Dans le championnat national, il y a beaucoup de stress. Les matches s’assimilent plus à un combat qu’à un duel d’artistes. Je ne retrouve plus la qualité technique d’autrefois. Mais c’est compréhensible : les joueurs s’expatrient de plus en plus tôt. Si on les rapatriait tous pour disputer le championnat d’Argentine, ce serait le meilleur championnat du monde. Ah ! Si le gouvernement votait une loi qui interdisait aux Argentins de jouer à l’étranger… Imaginez-vous : Messi en Argentine, Carlos Tevez en Argentine, Sergio Agûero en Argentine… Ce serait extraordinaire. Notez qu’on pourrait dire la même chose des Brésiliens. S’ils jouaient tous au pays, le Brasileiro serait également extraordinaire. Mais bon : les Argentins et les Brésiliens enrichissent la Liga espagnole, la Serie A italienne et la PremierLeague anglaise.

L’attirance des joueurs argentins pour l’Europe s’explique-t-il uniquement par l’argent ?

Bien sûr que non. Il y a également le prestige de la Ligue des Champions, et des grands championnats. Ils veulent jouer au Real Madrid, au FC Barcelone, à Manchester United, à Milan ou à l’Inter. Ils veulent gagner des trophées importants. S’ils ne songeaient qu’à l’argent, ils partiraient en Russie, au Qatar ou dans les Emirats Arabes Unis.

Où situez-vous la Belgique dans ce concert ?

La Belgique en général ou le club d’Anderlecht ? Ce n’est pas pareil. Anderlecht est un club qui vise chaque année la Ligue des Champions. C’est très intéressant pour des joueurs argentins, surtout ceux qui ont besoin d’une étape intermédiaire, comme Matías Suarez. Ailleurs, cela peut être intéressant aussi, mais on ne s’adresse alors pas à la même catégorie de joueurs, forcément.

Aujourd’hui, Catane a quasiment été envahi par les Argentins qui sont au nombre de 14.

C’est un peu notre  » colonie « , effectivement. J’ai rencontré l’administrateur général du club, Pietro Lo Monaco, avec lequel je m’étais lié d’amitié à l’époque de l’Udinese. Il n’avait pas les moyens de se payer des joueurs italiens. Donc, il n’avait que deux possibilités : soit il essayait d’en former, soit il achetait des joueurs à l’étranger. Il a trouvé chaussure à son pied en Argentine et a commencé par acheter un joueur, puis deux, puis trois.

Martin Demichelis, un autre joueur de votre écurie, a quitté le Bayern Munich pour Malaga, qui lutte pour sa survie dans la Liga espagnole…

C’est un choix de vie qu’il a fait. Il a joué durant sept ans et demi à un niveau très élevé en Allemagne et avait besoin d’autre chose. Quatre autres équipes espagnoles et quatre équipes italiennes lui avaient fait des propositions, mais il a choisi de rejoindre Manuel Pellegrini, qui fut son entraîneur à River Plate. Apparemment, il est heureux à Malaga, et c’est le principal.

Et vous-même, êtes-vous aujourd’hui un homme heureux ?

Je suis comblé. J’ai une épouse formidable et trois enfants, de 20, 18 et 4 ans. Ils adorent le football, mais ne jouent pas dans un club. Ils ne doivent pas avoir un bon manager, car avec le talent qu’ils ont… ( Ilrit)

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: REPORTERS/ GOUVERNEUR

 » Aujourd’hui, les grandes stars ne sont plus conseillées par une seule personne, mais par une entreprise. « 

 » Si les footballeurs ne songeaient qu’à l’argent, ils partiraient en Russie, au Qatar ou dans les Emirats Arabes Unis. « 

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