Messi stratosphérique et Xavi métronomique : le récital sans égal du Barça en finale de la Ligue des Champions a aussi connu son moment d’émotion pure quand Abidal fut le premier à soulever la Coupe aux grandes oreilles. Retour sur le happy end de la saison.

Walt Disney n’aurait pas fait mieux. Ou aurait du moins tenté de rendre l’histoire plus plausible. Car ils ne devaient pas être nombreux ceux qui imaginaient voir EricAbidal disputer les 90 minutes de la finale de la Ligue des Champions le 28 mai dernier. Et ce, seulement 72 jours après une opération pour éliminer une tumeur au foie. Gerard Piqué avait d’ailleurs déclaré, en avril, avec une dose d’optimisme, après la visite du Français à l’entraînement :  » Abi sera de retour avec nous la saison prochaine.  »

Abidal s’était lui, très tôt, fixé l’objectif de Wembley. Malgré un repos forcé de quatre semaines, la perte de poids, le manque de force, et une rééducation spécifique :  » On fait de la gym. De la marche. J’ai fait beaucoup de marche en montagne pour les poumons, la respiration. Ce fut un travail différent. « 

Le 3 mai dernier, à 22 h 36, Abidal prend une première revanche sur la maladie. Sous les yeux des téléspectateurs du monde entier, le Nou Camp offre une ovation bouleversante à leur latéral gauche quand celui-ci monte sur la pelouse (en remplacement de Carles Puyol) dans les derniers instants du Barça-Real de la Ligue des Champions dont l’issue quant à la qualification pour la finale était connue.

Seul Frank De Bleeckere, très discuté par les Madrilènes, est parvenu à quelque peu lui voler la vedette lors des commentaires d’après-match. Au coup de sifflet final, Abidal est projeté en l’air par tout le clan catalan réuni au centre de la pelouse sous les vivats de la foule. L’émotion est palpable. Aussi grande que le frisson qui suivit l’annonce de la tumeur détectée chez le Français sous forme d’un communiqué laconique rédigé par le club début mars.

Le lendemain de cette annonce, l’enfant de Saint-Genis-Laval (banlieue lyonnaise) se rend au centre d’entraînement des Blaugranas pour rassurer le groupe.  » Il a dit qu’il avait de la chance qu’on ait pu détecter cette tumeur rapidement. C’est lui qui nous a remonté le moral. C’est la nouvelle la plus triste de ma carrière de footballeur. Sur un terrain, on peut gagner ou perdre mais, là, on parle de la vie d’un homme « , déclarait Xavi. Des forums de supporters merengues propagent l’hypothèse que ce cancer du foie serait lié à la prise d’anabolisants. Mais ce type de rumeurs n’aura finalement aucune visibilité par rapport à l’élan de sympathie et aux marques de soutien qui arrivent d’un peu partout.

Via les réseaux sociaux du type Twitter, des messages arrivent de la part des plus grands joueurs du monde entier. Kaká, Cristiano Ronaldo et bien d’autres y vont de leur petit mot. Lors de la rencontre face à Getafe qui suit la nouvelle, le public catalan applaudit tout au long de la 22e minute en référence au numéro de leur gaucher. Même la rivalité ancestrale entre le Real et le Barça est mise en veilleuse. Après le huitième de finale de Ligue des Champions face à Lyon, les Madrilènes porteront un t-shirt Animo Abidal (courage Abidal).

Trois kilos à reprendre

Désormais, le Français est quasiment devenu une icône en terre catalane. 400 millions de téléspectateurs l’ont vu porter de joie le trophée. Cette coupe aux grandes oreilles reçue des mains de Michel Platini et tenue à bouts de bras après avoir monté les 116 marches de Wembley avec le brassard de capitaine attaché au biceps tient du romanesque. Fauché en plein élan, alors qu’il disputait sa meilleure saison au Barça, Abidal, titularisé par Pep Guardiola à la surprise générale, a prouvé face aux Red Devils par une prestation propre et appliquée, qu’il n’était déjà plus très loin de son meilleur niveau.

 » Je ne suis pas encore à 100 %. Je n’ai pas retrouvé mon poids de forme par exemple. Il me faut encore reprendre 3 kg. Et ça va pas être évident vu que je n’ai réussi à prendre que 4 kg de muscles en dix ans ! « , a-t-il déclaré en conférence de presse lors de ses retrouvailles avec l’équipe de France la semaine dernière.

 » C’est une revanche prise sur la vie. Ça fait partie des meilleurs moments de ma carrière. Tout était vraiment énorme : quand j’ai appris une heure avant le match que je serais titulaire, la victoire, le geste de Puyol qui me remet le brassard et, bien sûr, quand je soulève la coupe. Sur le coup, on a l’impression que le temps s’arrête. Je revois en flashes tous les grands joueurs qui ont soulevé le trophée avant moi. C’est un honneur et une image qui va rester à vie. « 

Cette expérience a aussi recentré ses priorités.  » Mon mental s’est renforcé car je suis passé de l’autre côté de la barrière. Celui où on lutte pour sa vie. Tout va vite : un jour, je disputais un match à Séville et je me sentais en pleine forme. Le lendemain, on me diagnostiquait une tumeur. Aujourd’hui, je sais que tout est fragile. Avant, je faisais des dons pour la lutte contre le cancer mais sans me mettre en avant. Là, je vais plus m’investir. J’ai reçu beaucoup de sollicitations. Et j’ai pris du recul sur la vie. J’ai réalisé que les petits plaisirs financiers que je me faisais ne donnaient pas la santé. J’ai revendu toutes mes voitures pour aider des associations. J’ai réalisé qu’il vaut mieux s’acheter une 205 que rouler en Ferrari. « 

Fort avec ses pieds mais aussi avec ses mains

A 31 ans, Abidal a cette saison grossi un palmarès plutôt imposant. Deux Ligues des Champions avec le Barça (blessé, il n’avait pas joué la finale de 2009), trois titres de champion d’Espagne, trois titres de champions de France, un Mondial des clubs et une finale de Coupe du Monde en 2006, voici pour faire bref. Si beaucoup le considèrent comme le meilleur back gauche français depuis le retrait de Bixente Lizarazu, l’ex-Lyonnais doit sa médiatisation récente par l’exemplarité de son combat pour revenir au plus haut niveau. Car, avouons-le, jamais Sport/Foot Magazine ne lui aurait tiré le portrait sans ce coup du sort.

A fortiori quand on évolue au Barça, au sein de la meilleure équipe au monde où fourmille une pléthore de joueurs décisifs, créatifs, alors qu’on est défenseur, qu’au CV est inscrit seulement 1 but en 150 apparitions, et qu’on est très loin du glamour à la Piqué. Abidal ne fait pas non plus partie de ces joueurs français au parcours linéaire (centre de formation, sélection française chez les jeunes, médiatisation à la vingtaine). Non, le Lyonnais a galéré avant de percer véritablement à Lille sous l’égide de Claude Puel.

Chez les jeunes, Abi est recalé aux tests du centre de formation de l’OL. Il écume alors plusieurs clubs de la banlieue lyonnaise avant de trouver chaussure à son pied dans le petit club amateur de La Duchère. A 16 ans, une double fracture du tibia péroné le stoppe pendant un an. Le gamin au physique sec et tonique s’accroche et frappe les esprits d’un scout monégasque alors qu’il dispute en 1999 avec La Duchère une rencontre de Coupe de France face à Nice. En deux temps trois mouvements, il quitte les tours HLM pour celles luxueuses du Rocher, la Division d’Honneur pour la Ligue des Champions. Etudiant en décoration et apprenti dans le bâtiment, il peut alors ranger ses pinceaux mais continue à bricoler à droite et à gauche.  » C’est une vraie passion. Et ça l’est toujours « , déclare-t-il au printemps dernier.  » J’ai tout fait, du mur au plafond. Même quand j’étais jouer pro à Lille, j’allais durant l’été bricoler chez Mathieu Bodmer ou Mathieu Chalmé. Je m’étais chargé de repeindre leur chambre. Et je continue puisque je viens de finir la tapisserie chez moi !  »

A Lille, Abidal tapisse aussi le flanc gauche et monte en puissance. Après deux saisons, l’ogre lyonnais fait appel à ses services et lâche près de 10 millions d’euros. Ignoré chez les jeunes, le banlieusard revient cette fois par la grande porte et ne tarde pas à s’imposer. Pour son premier match en Ligue des Champions avec l’OL, il dégoûte Cristiano Ronaldo. Suite logique, celui que l’on surnomme Le Kenyan pour ses performances athlétiques est appelé en équipe de France par RaymondDomenech. Titulaire durant la Coupe du Monde, le successeur de Liza, à l’image de Zinédine Zidane, PatrickVieira et consorts, monte en puissance au fil du tournoi. En quarts face au Brésil, il sort une prestation monstrueuse. Bloqué encore une saison à Lyon avec qui il réalise le triplé en championnat, il signe ce soir-là une prestation qui l’inscrit dans les carnets des plus grands clubs. Finalement c’est le Barça qui se l’approprie contre 16 millions d’euros. Finaliste malheureux en 2006, mais extrêmement méritant, la suite de sa trajectoire en Bleu va connaître une courbe descendante. Lors de l’Euro en Suisse-Autriche, Abidal, installé dans l’axe, précipite l’élimination de la France au premier tour en étant exclu très tôt face à l’Italie lors du match couperet des poules. Ce camouflet lui est partiellement attribué mais vite oublié. Accident de parcours se dit-on dans l’entourage de la FFF, même si le jeu des Bleus est d’une infime faiblesse. Deux ans plus tard, en Afrique du Sud, c’est une autre histoire…

Parmi les  » affreux  » de Knysna

La France aura marqué au fer rouge la dernière Coupe du Monde. NicolasAnelka renvoyé chez lui, le refus de s’entraîner, des joueurs cloîtrés dans le bus, rideaux fermés, Domenech isolé face à la meute de journalistes, le vaudeville à la française aura buzzé tout au long du tournoi et connu des prolongations tout l’été.

Abidal n’en est certainement pas revenu grandi de cette expérience. Il fut même considéré comme l’un des cadres de cette grève entre footeux capricieux. Lors du dernier match de poule face à l’Afrique du Sud, Abidal refusa même d’être aligné. A son retour, il fut logiquement convoqué par la commission de discipline de la Fédération française. Mais cette dernière ne le sanctionna finalement d’aucune suspension – contrairement à FranckRibéry ou Patrice Evra – sur base du témoignage de Domenech.

 » Le phénomène de vase-clos sud-africain a révélé le trop plein de frustration causé essentiellement par les débâcles sportives « , explique Cherif Ghemmour, journaliste à So Foot et éditorialiste pour Eurosport.  » Abidal est, lui, passé du gars sympa, blagueur, intergénérationnel, à l’un des principaux meneurs de la mutinerie. Il aurait d’après certaines sources été le plus véhément dans le bus, frappant sur les vitres, intimant l’ordre au chauffeur de dégager. A la sortie du fiasco des Bleus, Abidal est devenu auprès de l’opinion publique française l’un des affreux  » avec Ribéry, JérémyToulalan, Evra, et Anelka. Toulalan fut vite considéré après coup comme le brave garçon qui s’est égaré, les autres n’ont pas eu droit au même traitement de faveur. Abidal regroupe la déviation particulière, qui n’a pas trop la cote actuellement, d’être Noir, issu de banlieue, et musulman.  »

La lamentable intervention récente de Jean Alesi ( » on a vécu avec une équipe de talibans « ) démontre que la plaie est encore ouverte chez certains et la ranc£ur tenace. Comme d’autres internationaux hexagonaux (Anelka, Ribéry), le joueur du Barça, né dans une famille martiniquaise de tradition chrétienne, s’est converti à l’islam et porte le prénom musulman, Bilal.

 » L’islam fait partie intégrante de moi, c’est un guide, une forme de rédemption aussi. Je veux dire spirituellement « , témoignait Abidal.  » Je vis ma religion sans ostentation. Si elle a sa place dans un stade de foot ? Je ne sais pas, peut-être que ça peut choquer certaines personnes mais je vois mes amis brésiliens prier avant chaque match, et ça n’ennuie personne je crois. « 

Ange ou démon ?

Les lendemains de Knyshna vont révolutionner le foot français. Changement à la tête de la Fédération, changement d’entraîneur avec l’arrivée de Laurent Blanc, peines de suspension pour Ribéry, Toulalan et Evra, et autocritique à tous les étages. Abidal, lui, sort de son mutisme en octobre dans une interview accordée à France Football.  » Il avait conscience d’avoir déconné mais refusait de s’excuser « , rappelle Ghemmour. Le numéro 22 du Barça, pointe les médias, avec lesquels ses rapports ont souvent été tendus, parmi les responsables du naufrage :  » La commission de discipline a convoqué les mecs dont les noms étaient sortis dans la presse.  »

Quant à son rôle éventuel de protagoniste principal de la mutinerie, il rappelait :  » Comment pourrais-je être leader de l’équipe de France alors que je ne l’ai jamais été à Lyon, Lille et encore moins à Barcelone ? ». De fait, en Espagne, Abi est plutôt vu comme le bon copain, auprès des jeunes et des plus vieux, celui que l’on appelait Perroquet à Lyon car il était incapable de la fermer. Une image très éloignée de celui qui aurait terrorisé le gentil Yoann Gourcuff pendant le Mondial. Certes Abidal n’a pas sa langue en poche quand il s’agit d’écorcher par exemple l’ex-secrétaire d’Etat aux Sports, Rama Yade, venu faire un petit tour en Afrique du Sud ou JoséMourinho ( » c’est un type qui parle beaucoup, c’est un jeu qu’il a avec les médias, c’est sa vie « ). Mais ne comptez pas sur lui pour s’épancher longuement dans la presse. Par contre, pour ce qui est de la vanne, le Lyonnais semble infatigable.

 » J’étais avec lui le jour de l’opération et une heure avant d’entrer au bloc opératoire il continuait de faire des blagues. Comme d’habitude « , témoignait son coéquipier, le Malien, Seydou Keita. Aujourd’hui, le plus dur semble derrière, mais les leçons de son expérience bien présentes.  » J’avais déjà un gros mental. Il l’est encore plus. Je suis passé de l’autre côté de la barrière. La vie est différente, ce n’est pas plus mal, ça m’a enrichi. En temps normal, déjà, je ne prévois jamais mes vacances. Tu ne sais pas de quoi demain sera fait et je l’ai vécu. On fait un match à Séville, je suis super bien, et après on m’apprend que j’ai une tumeur… Oui, j’ai eu peur pour ma vie. Il faut la vivre au jour le jour.  »

PAR THOMAS BRICMONT

 » Il a dit qu’il avait de la chance qu’on ait pu détecter cette tumeur rapidement. C’est lui qui nous a remonté le moral.  » (Xavi)

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