Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

J acky Mathijssen a réussi sa passe de trois. Il avait prédit que Charleroi devrait prendre neuf points sur neuf pour se sauver. Les Zèbres se sont contentés de sept points et terminent même le championnat devant Mons, à la quinzième place. C’est le dénouement d’une semaine usante, stressante, terriblement médiatisée. Bertrand Laquait a sans cesse tenté de prendre le recul nécessaire face à cette agitation ambiante. Il nous retrace sa dernière ligne droite pas comme les autres.

Lundi : rumeurs

La fin de saison est nauséabonde. Depuis plusieurs semaines, la presse flamande émet des doutes sur la motivation des trois derniers adversaires (wallons) de Charleroi : Mouscron, le Standard et Mons. Au nord du pays, on évoque ouvertement des copinages entre ces clubs. Les journalistes francophones ne sont pas en reste : Heusden-Zolder û Genk lors de la dernière journée, ça sent mauvais aussi. L’Anversois Patrick Goots en remet une couche : les Carolos auraient offert une prime aux joueurs de St-Trond qui viennent d’aller s’imposer au Bosuil. Les Trudonnaires répliquent : des gars de l’Antwerp auraient tenté de les soudoyer en plein match. Ambiance…

Bertrand Laquait :  » Oui, cette fin de championnat est pourrie. Par l’Antwerp. Je ne connais pas l’histoire de ce club, mais on m’a dit qu’il n’en était pas à son coup d’essai en matière de rumeurs et de tentatives de déstabilisation. C’est très malheureux parce que des conneries pareilles risquent, à terme, de tuer le football. Je suis étonné qu’un joueur comme Goots, avec son expérience et après avoir fait une carrière plus qu’honorable, puisse encore tomber dans un piège pareil. Dommage pour lui, vraiment. Cela dit, je peux comprendre la frustration des Anversois : ils ont eu plusieurs occasions de nous tuer mais n’y sont jamais parvenus. S’ils étaient allés gagner à Lokeren le lendemain de notre défaite au Germinal Beerschot, nous ne nous serions peut-être plus relevés. La frustration est terrible chez eux. Ils sont visiblement prêts à tout pour nous faire perdre nos moyens lors de notre dernier match. Ces rumeurs de corruption des joueurs de St-Trond, ce n’est qu’une tentative pour semer le doute dans nos esprits, pour nous mettre encore un peu plus de pression. Franchement, ça me passe au-dessus de la tête. Nous aurions aussi pu nous plaindre, remettre en cause l’intégrité de certaines équipes. Deux jours avant Lierse-Heusden-Zolder, on a retiré la licence aux Lierrois. Ils auraient donc pu balancer ce match. Mais ils l’ont finalement gagné. Vous voyez que tout n’est donc pas si pourri… Et qui peut prouver que les Montois vont lever le pied chez nous ? Qui peut assurer que Genk laissera les trois points à Heusden-Zolder ? Cela dit, j’oublierai vite tout ce qu’on a pu raconter si ça se termine bien pour Charleroi. Un maintien, c’est un maintien. Par la petite porte ou par la toute grande, ça ne change rien pour moi. Nous savons ce que nous avons enduré pour arracher le droit de disputer un dernier match décisif et personne ne pourra nous enlever notre ultime sursaut « .

Mardi : Gardien de l’Année

Frédéric Herpoel est désigné Gardien de l’Année et personne ne remet ce titre en question. Seul Aimé Anthuenis le fera, quelques jours plus tard, en ne le sélectionnant pas pour Hollande-Belgique… Pour Bertrand Laquait, la victoire du Gantois est on ne peut plus logique. Par contre, il s’interroge sur la deuxième place de Boubacar Copa et la troisième de Luciano Da Silva. Le portier de Charleroi n’arrive qu’en cinquième position : on peut s’en étonner.

Laquait :  » J’estime que je fais partie des trois meilleurs gardiens de ce championnat mais ne comptez pas sur moi pour en faire tout un plat. Je suppose qu’on montre peu d’images des matches de Charleroi en Flandre et que cela m’a pénalisé. Dans chaque catégorie, je trouve que le pourcentage de nominés flamands û ou en tout cas de joueurs de clubs flamands û est un peu forcé. Enfin bon, j’ai d’autres priorités en tête pour le moment. Entre le maintien et une place parmi les nominés pour le Gardien de l’Année, mon choix est vite fait. Herpoel ? J’aime beaucoup. Pour moi, il n’y a aucun doute : c’est le meilleur keeper du championnat. Il a de la présence, il est régulier, il dégage de la classe, de la sérénité. Mon Top 3, c’est Frédéric Herpoel, Jan Moons et Bertrand Laquait. Moons est régulièrement critiqué, mais je le vois faire des miracles avec Genk. Comme son équipe attaque sans arrêt, il se retrouve continuellement en situation d’un contre un et s’en sort souvent à son avantage. On le souligne beaucoup trop peu. Avec un gardien moyen, Genk n’aurait jamais terminé le championnat dans le peloton de tête « .

Mercredi : préparation des festivités

Le Mambourg prépare son habit de lumière : les supporters font la file à la boutique du stade pour obtenir un ticket d’entrée, la direction planifie un tour d’honneur des joueurs, après le match décisif, et contacte une maison spécialisée en feux d’artifice. Comme si c’était gagné d’avance. N’est-ce pas dangereux quand un groupe doit se concentrer à fond sur le match ?

Laquait :  » Les dirigeants font ce qu’ils veulent mais il faut absolument que les joueurs gardent les pieds sur terre. Nous ne sommes assurés de rien. L’entraîneur se tue à nous le répéter et il a mille fois raison. Le plus dangereux serait de croire qu’il ne peut rien nous arriver de fâcheux. Il y a deux semaines, des supporters jetaient des pierres sur nos voitures. N’oublions donc pas que Charleroi n’est pas guéri. Il nous reste 90 minutes pour aller chercher ce maintien avec les tripes. J’y crois à nouveau depuis notre victoire contre Mouscron. Huit jours plus tôt, après la défaite au Beerschot, je me suis dit pour la première fois qu’il n’y avait peut-être pas d’issue. J’avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne voyais plus de solution. Les dirigeants en ont trouvé une en changeant une nouvelle fois d’entraîneur. C’est malheureux pour Robert Waseige, mais à trois journées de la fin, on n’est plus là pour se faire des caresses dans le dos ! Quand ça n’a marché ni avec Dante Brogno, ni avec Robert Waseige, il faut encore essayer autre chose. L’arrivée de Jacky Mathijssen a provoqué un véritable électrochoc. Mais, une fois encore, ce n’est pas parce que nous venons de faire deux bons matches que c’est gagné. Si nous pensons à la fête dès à présent, tout sera très compliqué. Il ne faut pas tout mélanger : le match d’abord, le tour d’honneur ensuite. Si je pense dix fois au match le vendredi, je le gagne dix fois. Mais, sur le terrain, c’est autre chose. Chaque Carolo doit être heureux de pouvoir jouer un match pareil, mais il ne faut pas se tromper d’objectif : le résultat sera plus important que tout le show annoncé autour de la rencontre. Une partie du groupe a cru que le maintien était acquis, quand nous avions fait le trou par rapport à l’Antwerp et Heusden-Zolder. On voit ce que cela a donné. Heureusement que quelques joueurs sont restés bien conscients de l’enjeu parce que, si tout le monde avait cru qu’il ne pouvait plus rien arriver au Sporting, le match contre Mons ne serait même plus décisif « .

Jeudi : avenir personnel

Le Sporting pourrait être tenté de monnayer prochainement Grégory Dufer et Bertrand Laquait pour soulager sa trésorerie. Dufer semble se rapprocher d’Anderlecht (on cite un montant de transfert d’un million et demi). Le gardien émigrera-t-il aussi ?

Laquait :  » On dit n’importe quoi dans la presse. On m’a cité à Anderlecht, à Bruges et au Standard. J’avais eu autrefois un entretien avec les Bruxellois mais ce n’était pas allé très loin. Par contre, je n’ai jamais rencontré personne de Bruges ou du Standard. La presse joue un rôle néfaste dans ce petit jeu. On m’a téléphoné un soir en me disant qu’on m’avait vu l’après-midi à Sclessin. Il faut rester sérieux. On va finir par faire croire que j’essaye de me vendre, de faire monter les enchères, alors qu’il n’y a rien de plus faux. A l’heure actuelle, j’ai… zéro contact. Maintenant, je ne dis pas que je resterai ici envers et contre tout. Je suis encore sous contrat, mais à 27 ans, je ne pourrais pas refuser une offre d’un bon club belge ou étranger. Seulement, je ne foncerai pas la tête dans le guidon. Je suis plutôt du genre à bien mûrir mes décisions. Je sais ce que j’ai et ça me plaît vraiment. Charleroi est tombé bien bas mais je suis sûr d’une chose : les grands clubs ne meurent jamais. Et le Sporting, avec son passé, en est un. On me dit parfois que je mérite mieux que cette équipe. Peut-être. J’ai continuellement envie de progresser. Mais si cela peut se faire via Charleroi, pourquoi pas ? Ceux qui essayent de me dégoûter de ce club, de le faire passer pour rien, n’y arriveront pas « .

Vendredi : Mons, oiseau pour le chat ?

Dans quel état d’esprit les Montois aborderont-ils le match ? Soucieux de prendre une revanche après le 0-9 encaissé contre Bruges, ou complètement démobilisés après avoir arraché le maintien et sachant qu’une grande lessive dans le noyau est de toute façon annoncée pour le lundi ? L’ambiance paraît plus lourde que jamais dans ce club : il y a d’un côté les joueurs qui devront dégager le plancher, de l’autre ceux qui ne veulent plus travailler avec Sergio Brio.

Laquait :  » La plus grosse connerie qu’on pourrait faire serait de se demander comment Mons va aborder ce match. Nous devons nous concentrer sur notre football, point à la ligne. Chacun de nos joueurs a son destin et celui du club dans le creux de sa main, il n’a plus qu’à fermer cette main et la mettre en poche… Si nous commençons à nous demander comment va réagir une équipe qui vient de prendre neuf buts, autant partir à la mine ! Arrêtons de nous poser toutes ces questions ridicules. Il y aura peut-être six Montois revanchards et cinq qui n’en auront plus rien à foutre, mais je ne suis sûr que d’une chose : si les 11 Carolos sont meilleurs que les 11 Montois, nous nous sauverons. Pour cela, il faudra les mettre sous pression dès la première minute. Ne pas les laisser se libérer. Parce que, finalement, c’est peut-être le match idéal pour eux : pour la première fois depuis le début de la saison, ils ne doivent plus vivre avec le stress de la descente. Ils vont s’amuser devant 15.000 ou 20.000 personnes en n’ayant plus rien à perdre. Cela peut être très dangereux pour nous « .

Samedi : délivrance et griffe Mathijssen

Laurent Macquet adresse le plus beau pied de nez à Robert Waseige : complètement ignoré par l’ancien coach, qui le trouvait insuffisant dans son travail défensif, le Français marque le but du maintien. Un joli goal, en plus ! Jacky Mathijssen lancera, lors de la conférence de presse :  » Dès le premier entraînement, j’ai dit à Macquet : -Si toi tu ne joues pas, c’est qu’il y a vraiment beaucoup de talent dans ce noyau « . Macquet et LorisReina (deux joueurs très proches de Mogi Bayat…), snobés par Waseige, ont pété des flammes lors des trois matches sous la conduite du nouveau dieu vivant limbourgeois du Mambourg. Y a-t-il une griffe Mathijssen ?

Laquait :  » Oui. Une nouvelle discipline tactique a été installée dans l’équipe. Ne me demandez pas si nous aurions pu nous sauver en terminant la saison avec Robert Waseige : il est impossible de répondre. Nous ne devons même pas nous poser la question. Le président nous a annoncé un jour que nous changions d’entraîneur, et puis basta ! En tout cas, quoi qu’il ait pu se passer entre Waseige et certains joueurs, nous n’avons pas sauté de joie quand il a été mis dehors. Nous nous sentions un peu coupables. Il nous faisait confiance, ça ne marchait plus, mais c’est lui qui a sauté. Quelque part, c’est trop injuste. Je lui ai téléphoné juste après avoir appris son limogeage. Notre conversation n’a duré qu’une minute, je lui ai souhaité bonne chance et je l’ai surtout remercié de m’avoir maintenu sa confiance quand j’ai connu un passage à vide en cours de deuxième tour. Je commençais à flancher, j’étais cuit mentalement et physiquement, mais il m’a rendu du tonus en trouvant les mots qu’il fallait « .

Dimanche : congé

Plus aucun Zèbre au Mambourg : les vacances ont débuté dès le coup de sifflet final du match libérateur. Les joueurs ont rendez-vous le 24 juin pour la reprise.

Laquait :  » Ces congés, nous les avons vraiment mérités. Cette saison a été de loin la plus éprouvante depuis que je suis professionnel parce que nous sommes passés par tous les états d’âme. Plus d’une fois, il y a eu de quoi péter un plomb ! Je ne suis ici que depuis un an et demi mais je suis complètement épuisé. Je tire mon chapeau à des garçons comme Frank Defays, Grégory Dufer et IstvanDudas, qui vivent des problèmes à répétition depuis plusieurs années. Au bout du compte, Charleroi est toujours en D1, en n’ayant joué au football que pendant le deuxième tour : c’est magnifique, non ? Mais, si je repense au passé, je me dis que j’ai été un peu fou. Quand je suis arrivé, en décembre 2002, l’équipe n’avait toujours pas gagné un seul match et était larguée par le seizième du classement. Oui, il fallait être un peu débile pour accepter un contrat ici « .

Pierre Danvoye

 » Un MAINTIEN, c’est un maintien. PAR LA PETITE PORTE ou par la toute grande «  » CHARLEROI EST TOMBÉ BIEN BAS mais les grands clubs ne meurent jamais « 

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