7 minutes pour un fainéant

La réussite des Canaris expliquée dans une interview vérité de son directeur technique.

A Lokeren et à Beveren, on se dit sans doute, parfois, que plusieurs équipes de notre D1 alignent plus de Belges qu’il n’en faut. A St-Trond, on n’est pas sur la même longueur d’onde. Là, les joueurs s’appellent, plus que jamais, Wouter, Peter, Stijn, Frank, Jochen, Gunter, Tom, Kris, Benjamin, Bram, Thomas ou encore Danny. Il n’y a pas de directeur du département Afrique. Le club limite son scouting à la Hesbaye, de préférence à vélo, pour diminuer les frais de déplacement. St-Trond va chercher ses footballeurs jusqu’en P4. Ça ne l’empêche pas d’émarger à l’élite belge et de disputer la finale de la Coupe, ce dimanche. Donc, cette méthode n’est pas si mauvaise.

 » L’essentiel est que chacun demeure fidèle à notre vision, même quand ça va moins bien « , signale le directeur technique, Guy Mangelschots.  » Pour s’en souvenir, il ne faut pas remonter très loin dans le temps. Il y a deux ans, nous avons fait appel à Jacky Mathijssen et à Jules Knaepen pour redresser la situation. Nous n’avons pas transféré des étrangers. Nous avons le mérite d’être restés fidèles à cette vision et de l’avoir développée. Nous avons d’abord été contraints d’offrir leur chance aux jeunes du cru, mais c’est ensuite devenu une vision « .

Magelschots sourit puis se fait cynique :  » L’Union Belge parle de la formation des jeunes ? Je trouve que vouloir faire jouer les Réserves et les Espoirs le lundi soir dès la saison prochaine témoigne d’un manque de vision. Ça m’interpelle. Nos jeunes vont donc devoir aller à Mouscron un jour d’école et revenir à je ne sais quelle heure de la nuit. Le problème ne se pose évidemment pas avec un noyau de 30 professionnels mais tout le monde n’est-il pas convaincu de l’impossibilité de payer 30 pros ? »

St-Trond en a-t-il jamais eu autant ?

Guy Mangelschots : Jamais. Nous avons toujours essayé de tirer notre plan avec un budget nettement inférieur à celui des autres. Pour cela, il faut une direction qui ne plane pas et qui ne déclare pas qu’elle veut jouer en Coupe d’Europe et a donc besoin de joueurs de haut niveau. Ensuite, comme nous, il faut former un staff technique qui soit disposé à travailler ainsi. Il ne faut pas un entraîneur qui ne pense qu’à lui et se dise qu’il doit réussir quelque chose chez nous pour aller ensuite voir ailleurs.

Le marché international n’intéresse-t-il vraiment pas votre club ?

Quand même. Si nous en trouvons un bon, nous le transférerons. Mais nous n’en prendrons pas sept. Nous n’avons rien contre les étrangers mais certains n’ont guère décollé du banc tout en coûtant beaucoup plus cher que nos jeunes. Prenez un Africain. Pour commencer, vous payez 75.000 euros, comme la loi l’exige, plus un appartement qui risque d’être endommagé… Je me demande pourquoi un footballeur doit gagner 2.500 euros par mois. Pourquoi doit-il avoir fait fortune à 35 ans ? Pourquoi ne peut-il pas travailler jusqu’à 60 ans ? Chez nous, tout cela est terminé depuis longtemps. Si, à la fin des négociations, un joueur nous dit qu’il veut encore 125.000 euros de prime à la signature, il peut s’en aller. Les footballeurs l’ont appris car les managers le racontent, évidemment.

Que faut-il savoir d’autre ?

Avant, ils devaient être grands, forts, capables de shooter le plus loin possible et de courir. Maintenant, ils doivent aussi savoir jouer. Nous insistons sur d’autres choses, dès les catégories d’âge : il faut par exemple être correct et respectueux. Nous nous intéressons aux qualités humaines des gens. Si nous avons un doute au sujet d’un joueur, nous le refusons car il ne s’épanouirait pas ici. Nous aimons tout le monde. Les Irakiens aussi peuvent venir jouer chez nous, mais tout le monde ne s’adapte pas. Un individu doit s’intégrer à l’ensemble. Ceux qui nous prennent de haut ne réussiront jamais et les fainéants encore moins. Ici, la carrière d’un fainéant dure exactement sept minutes. S’il tire 30 fois à côté du but, pas de problème, mais qu’au moins, il coure. Nous pardonnons beaucoup de choses à ceux qui mouillent leur maillot.

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 » Coupe d’Europe ou pas, nous ne nous renforcerons pas  »

Qu’adviendra-t-il après cette génération ?

Nous avons quelques bons Espoirs. Nous avons décelé à temps le hiatus qui existait en Scolaires et la médiocrité du niveau des UEFA. Nous enrôlons presque uniquement des jeunes des environs. A l’avenir, tout le monde sera obligé de travailler comme nous. Ceux qui veulent survivre devront adopter la même politique, à l’exception des grands clubs comme Anderlecht, Bruges et peut-être Genk. Ceux qui veulent évoluer en Ligue des Champions ne peuvent pas courir de risques en enrôlant des éléments trop jeunes qui commettraient des erreurs. Je comprends que pour jouer à ce niveau, on ait besoin de valeurs sûres.

Vous enrôlez même des joueurs de Provinciale.

Oui. Pourquoi ces gars-là auraient-il moins de possibilités ? Dans la région, il y a quelque chose comme 5.000 jeunes. Et aucun ne serait bon ? Ce n’est pas possible. Il y a de bons entraîneurs en Provinciale aussi, et ils tirent les autres dans leur sillage. La formation y est meilleure qu’il y a dix ou 15 ans.

St-Trond va-t-il renforcer son noyau de Première ?

Non, même pas si nous sommes européens. C’est un aspect de notre vision : ce n’est pas parce que nous jouerions en Coupe d’Europe que nous irions transférer deux étrangers.

Qu’allez-vous faire ?

Nous avons offert un contrat à quatre joueurs âgés de 16 à 18 ans mais nous les laissons mûrir en équipe fanion de Tongres. Nous préférons qu’ils soient placés sous pression là-bas plutôt que de jouer en Espoirs. Il sera plus difficile de rééditer les mêmes prestations la saison prochaine mais même si ça va moins bien, nous conserverons une équipe valable. Quand je vois ce que nous avons accompli, je pense que nous ne devrons plus nous soucier du maintien pendant quelques années. Vraiment, je ne nous vois plus végéter en bas de classement. Nous sommes capables d’affronter un coup dur.

Pourquoi Mathijssen a-t-il tant tardé à resigner ?

Il a besoin de sentir que tout le monde désire qu’il reste. Il est ainsi fait.

Il craint d’être viré la saison prochaine si ça va moins bien ?

C’est inhérent à la carrière d’un entraîneur. La possibilité est minime, voire nulle, mais ça fait partie de son métier. Quand vous roulez à vélo, vous savez que vous risquez une chute aussi. Un entraîneur sait qu’il est susceptible d’être renvoyé. Heureusement, ici, le temps est révolu où les entraîneurs volaient en un rien de temps. Jacky fait tout son possible pour diminuer ce risque.

Il craint aussi qu’on ne vende des joueurs pour financer la nouvelle tribune ?

Il a raison de prévenir les gens mais ça n’arrivera pas. Ce sont deux volets distincts. D’ailleurs, vendre, c’est fini… Qui parvient encore à vendre ? Donc, le groupe va rester intact. La masse salariale doit légèrement diminuer mais ça n’a rien à voir avec la construction de la tribune. Il était impératif de fabriquer car sinon, d’où allions-nous retirer notre argent ? Contre Anderlecht et Genk, nous avons refusé 5.000 personnes. Les sponsors ont besoin de pneus neige pour arriver au stade et doivent presque être des alpinistes pour monter l’escalier. Et une fois en haut, on ne voit rien ! Ce n’est pas tenable. Je trouve fantastique que nous parvenions à réaliser une nouvelle tribune sans toucher au budget sportif. Je félicite le président et tous ceux qui ont travaillé dur.

Nous parlions de Mathijssen. Pourquoi lui vouez-vous une telle estime ?

Il ne met pas la pression et n’a pas le gros cou. Il a une vision, à laquelle il reste fidèle. Malgré son jeune âge, il a une personnalité et une aura qui lui servaient déjà dans le vestiaire, quand il était encore joueur. Les autres suivaient déjà son exemple. Jacky est un bon vivant, il se prête volontiers à la fête mais il est réaliste et n’exagère jamais. Il préfère voir les choses avec une certaine distance. Il est resté lui-même une fois devenu entraîneur. Il s’implique également dans l’aspect extrasportif. Il assume des missions commerciales, il les supervise. C’est quelqu’un qui a beaucoup d’atouts et peut aller loin. Evidemment, comme tout le monde, il sera un jour confronté au revers de la médaille. En tout cas, il est l’entraîneur le plus complet que j’aie connu.

 » Je ne suis pas Verschueren : je ne me crois pas éternel  »

Le président de Genk veut enrôler un directeur technique. Est-ce une nécessité pour un club de foot ?

Il faut avoir quelqu’un qui connaît très bien le club, peut indiquer le chemin à suivre, arrondir les angles. Ce n’est pas possible quand vous êtes seul. Vous avez besoin d’être entouré par des gens qui ont la même optique que vous, comme moi avec notre commission sportive. A Genk, il y avait plusieurs visions différentes, d’où ces heurts. Ici aussi, dans le temps : il y avait autant d’avis que de personnes impliquées. Mais cette époque est révolue.

Vous-même avez dépassé le cap de la soixantaine. Combien de temps continuerez-vous ?

Aussi longtemps que je serai utile. Comme je n’entends aucune rumeur, je suppose que je peux continuer à travailler. Il n’est pas exclu que derrière mon dos, on dise qu’il serait temps que ce vieux prenne sa pension (il rit) mais ça ne me dérange pas. Je ne suis pas Michel Verschueren : je sais que je ne suis pas éternel. Aimé Vanleeuw, un membre du conseil d’administration qui est aussi président de la commission sportive, a les qualités et la vision requises pour prendre ma succession à l’avenir.

Comment vieillissez-vous ?

Ça ne me cause pas de problème. En revanche, enlaidir est plus pénible (il rit).

Que faites-vous en dehors du football ?

Eline, ma petite-fille, a 11 ans. Elle est ma déesse. Durant toutes ces années, à cause du football, j’ai consacré trop peu de temps à ma fille et à ma petite-fille. J’aurais même tendance à dire à cause de ce bête football, mais ce n’est quand même pas le terme exact.

La finale de la Coupe ou un câlin d’Eline ?

Je ne suis pas obligé de choisir car elle va m’accompagner et j’aurai droit aux deux… Après notre match au GBA, elle a pu monter dans le car des joueurs et elle était aux anges. Au moins, c’est quelque chose que je peux lui offrir grâce au football.

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