4 vérités

Pierre Bilic

Le médian des Zèbres revient sur son clash avec Mogi Bayat, évoque son avenir et analyse le renouveau de son club.

Les Carolos réalisent, sous la houlette de Jacky Mathijssen, une de leurs plus belles saisons depuis leur retour en D1, il y a 20 ans. Laurent Macquet, 25 ans, joue un rôle important dans les batailles de cette splendide campagne. Que ce soit sur le terrain, ou parfois sur le banc, le technicien français fait toujours preuve d’exemplarité. Professionnel jusqu’au bout des crampons, il s’est totalement identifié à la cause de son club depuis son arrivée en Belgique en janvier 2003.

Indispensable quand Charleroi était plongé dans le noir des caves de la D1, utile à l’heure de la relance, Macquet a aussi vécu ses petites galères, comme tous les joueurs, mais sans jamais hypothéquer son sens du devoir. Pourtant, cet homme droit, qui a su rebondir dans la vie alors qu’il avait été abandonné par ses parents durant sa plus tendre enfance, affiche le masque d’une profonde déception. Elle est née d’une divergence de vue entre Mogi Bayat et lui. Deux amis se sont éloignés l’un de l’autre.

Pour toujours ?  » Il n’a pas respecté sa parole « , affirme Macquet.  » Tant que ce ne sera pas le cas, je ne signerai pas de nouveau contrat à Charleroi. Et, même si cela s’arrange, ce ne sera plus jamais comme avant. Je ne suis pas du style à faire le baisemain comme si de rien n’était. Mogi Bayat sait que j’ai raison « …

UN :  » Mogi n’a pas tenu parole  »

Votre conflit avec Mogi Bayat s’explique-t-il par un problème financier ?

Laurent Macquet : C’est d’abord une question de principe. Quand on donne sa parole, on la tient car il en va de son honneur. Or, après deux ans de patience dans mon chef, Mogi Bayat m’a dit qu’il ne pouvait pas respecter ce qui avait été convenu entre nous. J’ai eu tort, selon des amis, de ne pas coucher notre accord sur papier, mais quand j’apprécie quelqu’un, je lui accorde ma confiance. Je suis trop gentil, trop respectueux ou naïf, et ce sont des handicaps dans ce milieu. L’honnêteté n’est pas appréciée à sa juste valeur. Quand quelque chose a été accordé, je ne suis pas du genre à revenir sans cesse à la charge. Je n’ai pas eu droit à une jeunesse facile ou à une éducation classique mais je connais la valeur d’une promesse. Ce n’est pas un problème entre Charleroi et moi mais entre Mogi Bayat et moi. Je me sens bien dans ce club, j’y suis heureux, je m’entends parfaitement avec les joueurs et tout le staff technique. Si je pars, je garderai un excellent souvenir de mon passage dans ce club et cette région. En surfant sur le forum du site Internet du club, j’ai lu, avec tristesse, que le pognon guidait mes pas. Je sais que cette réflexion provient d’une minorité. Si je ne pensais qu’à l’argent, je serais déjà parti. Après mes six premiers mois passés ici, j’ai eu une offre alléchante du CSK Sofia. Comme j’étais en fin de contrat et libre, les Bulgares étaient prêts à tripler mon salaire. Mogi Bayat était au courant. Nous en avons discuté et, tenant compte du fait que Charleroi m’avait relancé, j’ai prolongé mon séjour en Belgique. C’était ma façon de prouver ma gratitude. Un mercenaire assoiffé d’argent aurait signé des deux mains à Sofia et se serait barré pour remplir son portefeuille. Mogi Bayat m’a alors fait une promesse. Devant un témoin, Richard Bettoni, qui fut mon tuteur et qui continue à me conseiller quand il le peut. Tout cela est revenu sur la table au moment de négocier mon nouveau contrat. Là, Mogi Bayat m’a profondément déçu…

N’espériez-vous pas un contrat de trois ans ?

Oui. Mogi Bayat m’a proposé une collaboration pour deux ans de plus alors que j’espérais un nouveau bail de trois ans. J’ai prouvé mon utilité et cela valait la durée que je revendiquais. Mais, j’en conviens, cela fait partie d’un processus de négociation, et mon salaire a été revu à la hausse. Mogi Bayat me proposait de bien gagner ma vie aux normes belges, mais sans plus. En gros, j’étais d’accord et il ne restait que quelques détails à régler, dont la fameuse promesse. Mais je n’ai jamais vu la couleur de ce qui avait été convenu. Je n’en dirai pas plus. Cette promesse ne concerne que lui et moi. Mogi Bayat m’a dit qu’il ne pourrait pas respecter ses engagements. Je ne suis pas un faux cul et je ne peux pas faire le beau face à un Mogi Bayat que j’aimais bien mais qui m’a roulé dans la farine. Ma femme et moi avons été anéantis par sa façon d’agir. Si je ne l’avais jamais apprécié, je me moquerais bien de tout cela. Or, c’était un ami que j’avais même invité à mon mariage. J’avais confiance en lui à 200 % et c’est pour cela que je suis déçu, dégoûté. Il y avait plus qu’un contrat ou une augmentation de salaire en jeu : une estime et une confiance étaient en jeu. Mogi Bayat a déclaré à la presse que je l’avais parfois déçu sur le terrain. Je n’ai pas signé un contrat garantissant que je survolerais la D1 tous les week-ends. C’est impossible mais j’ai toujours donné le meilleur de moi-même.

Même si nos relations sont aujourd’hui tendues, polaires, je souligne que Mogi Bayat avait pris des risques en venant me chercher à Cannes, en National, l’équivalent de la D3 belge. Raymond Mommens et Dante Brogno étaient à ses côtés afin d’analyser mon potentiel technique. En cas d’échec des joueurs français, Mogi Bayat en aurait pris plein la gueule, c’est certain. Il m’a donné une chance mais j’ai justifié cette confiance. Avec Bertrand Laquait, j’ai été un pionnier ici. Notre bonne adaptation a encouragé d’autres joueurs français à venir tenter leur chance à Charleroi.

DEUX :  » Plus rien ne sera comme avant  »

Et si Mogi Bayat respectait enfin la parole donnée ? Accepteriez-vous de signer ce contrat de deux ans ?

Je ne sais pas. Ce serait difficile. Même s’il accomplit enfin ce qui a été convenu, plus rien ne sera jamais comme avant. Peut-on travailler sereinement dans ces conditions ? Cela dit, même si c’est dur, il y a pire dans la vie. J’ai traversé d’autres épreuves. Si la négociation reprend, ce ne sera plus aux mêmes conditions. Les choses ont changé. Comme Mogi Bayat a déclaré à la presse que j’étais partant à 99,99 % de chances, j’ai été contacté par plusieurs clubs. J’ai des pistes qui me mènent vers la D1 belge et à l’étranger, mais pas en France. Je n’ai signé nulle part. A 25 ans, j’ai de belles années devant moi. Je me concentre à fond sur mon métier et le reste suivra. En cette fin de saison, je fréquente souvent le petit banc suite aux choix tactiques du coach. Ce n’est pas agréable mais je veux être exemplaire, aider mon équipe à aller jusqu’au bout de son rêve, que ce soit durant 90 minutes ou moins. Avec un peu de chance, Charleroi pourrait empocher 68 points en fin de championnat, soit plus du double du total (33 points) obtenu la saison passée. Je suis fier de cette formidable progression. J’y ai participé, tout comme je m’étais donné à fond en 2003-2004, alors que Charleroi était dans la merde. La saison passée, j’ai inscrit notre premier but de la saison et le dernier, celui qui a permis aux Zèbres de rester en D1.

Quel souvenir gardez-vous de vos premiers pas à Charleroi ?

En janvier 2003, les Zèbres étaient coachés par Dante Brogno avec Michel Bertinchamps et Khalid Karama. Je savais que la situation était délicate. Mais en National, à Cannes, mon avenir était sans relief. Cannes voulait me garder. J’étais un joueur important pour ce club où je suis devenu pro et où j’ai joué en D1. Mais Cannes a compris que je ne pouvais pas négliger cette chance. Je ne l’oublierai jamais. Un jour, je renverrai l’ascenseur à Cannes où, de toute façon, je peux retourner quand je veux. Charleroi s’est extrait petit à petit du trou. Dante Brogno avait livré du bon travail et si on n’avait tenu compte que du deuxième tour, Charleroi aurait décroché la septième place. C’était mérité. L’apport des joueurs français fut positif. Je me suis tout de suite intégré dans un groupe qui comprenait pas mal de nationalités. J’avais six mois pour m’imposer. J’y suis parvenu, j’étais redevenu un joueur de D1, c’était fort, très émotionnel…

TROIS :  » Dans la vie, on a ce qu’on mérite  »

La suite fut moins drôle en 2003-2004 avec un grand bal des entraîneurs : comment avez-vous vécu cette phase ?

Ce fut éprouvant. Les Zèbres jouaient bien mais étaient inefficaces et malchanceux à la conclusion. En 2003-2004, nous avons dû patienter 508 minutes avant de marquer notre premier but en championnat, contre Gand. Tout se liguait contre nous et Dante Brogno a payé la note. Avec un peu de chance, il serait toujours en place car, sans gagner, Charleroi présentait une bonne qualité de jeu. Robert Waseige avait du vécu à revendre. L’équipe s’est écroulée quand elle a appris, via la presse, que le coach avait trouvé de l’embauche en Algérie. C’était son droit mais le moment était mal choisi : Waseige a dû faire part de sa décision au groupe après la révélation de cette nouvelle. Je suppose qu’il y a eu une indiscrétion sans laquelle tout aurait été vécu bien plus tranquillement. Quand un groupe est au comble de la tension, comme c’était notre cas, le moindre détail peut gripper la machine.

Certains ont pu se dire que le coach avait garanti son avenir avant que le club, donc les joueurs, ne sachent s’ils allaient rester en D1 ou pas. Le ressort s’est cassé. Avec Waseige, je ne jouais plus aussi souvent qu’avec Brogno. Mais il ne me viendrait pas à l’idée de le critiquer. Son parcours en dit long sur tout ce qu’il a apporté au football. J’entretenais de bonnes relations avec lui et j’ai tout fait afin de répondre présent quand il faisait appel à moi. Je m’entraînais toujours à fond. Il avait opté pour un 4-4-2 qui me convenait moins bien. Avec Chabaud, Detal et Kéré, il avait trois candidats pour deux fonctions devant la défense. Quand je montais au jeu, c’était généralement dans une position excentrée sur la droite. Je devais calmer le jeu, apporter un peu plus de maîtrise technique. Je préfère jouer dans l’axe mais, même si la vivacité n’est pas mon arme principale, j’ai découvert que j’étais capable de balayer cette zone du terrain.

La façon de travailler de Waseige m’intéressait mais elle a pris un coup de vieux si on la compare aux méthodes utilisées par Jacky Mathijssen. Avec lui, j’ai terminé la saison 2003-2004 en boulet de canon. J’étais frais. Au départ de l’opération sauvetage de Mathijssen, j’étais sur le banc avec Miklos Lendvai. Hélas pour lui, Abdelmajid Oulmers s’est blessé contre Mouscron. Le coach a modifié son équipe qui jouait en 4-2-3-1. Greg Dufer a été déplacé vers le couloir gauche. Il m’a positionné dans l’axe, en tant que relais entre les deux pare-chocs et l’attaquant de pointe, Viktor Ikpeba. J’avais la rage. J’ai offert le but du succès à Greg Dufer. Puis, nous avons réalisé un nul au Standard avant que je ne marque le but du sauvetage contre Mons. J’étais revenu dans le coup. Dans la vie, on a ce qu’on mérite.

QUATRE :  » Mathijssen n’est pas défensif  »

Votre coach prône tout de même un jeu très défensif, non ?

Mathijssen n’est pas défensif… mais il ne néglige rien. Il s’adapte toujours aux réalités adverses. Chaque match est un autre problème et il prône la patience, sait cerner les erreurs adverses que Charleroi a désormais l’art d’exploiter. Ce coach connaît tous nos adversaires sur le bout des doigts. Nous ne partons jamais dans l’inconnu. Cela cache un énorme travail de scouting. L’adversaire est mis à nu et le discours de la semaine se vérifie le dimanche. Nous connaissons à l’avance la vérité de l’axe, de la gauche ou de la droite. Mathijssen mise sur un 4-5-1 très modulable. En général, Chabaud est la pointe défensive du triangle au coeur de la ligne médiane. En cas de nécessité, je recule à sa hauteur. J’ai découvert une autre fonction, plus défensive, entre le 6 et le 10. Ainsi, contre Anderlecht, j’ai pris Pär Zetterberg en marquage. C’est différent, exigeant mais intéressant. Nous avons parfois eu un zeste de chance mais Charleroi ne doit rien à personne. L’envie de progresser est énorme. Mathijssen met d’énormes potentialités à jour. Charleroi ne dépend pas d’un attaquant. Tout le monde peut frapper : Akgül, Orlando, Christ, Oulmers, Toni Brogno, Chabaud, moi, etc. Ce sont des signes de richesse offensive que d’autres n’ont pas. Les adversaires ne savent pas d’où surgira le danger avec la frappe d’Akgül, la puissance d’Orlando, la technique des autres, etc. Charleroi n’a raté qu’un seul rendez-vous cette saison : le match retour de quart de finale de la Coupe de Belgique au Lierse. Mais, après cette déception, nous n’avons rien lâché en championnat. L’équipe doit terminer aussi bien la saison qu’elle l’avait commencée.

Pierre Bilic

 » Avec Laquait, J’AI ÉTÉ UN PIONNIER. Notre adaptation a encouragé d’autres Français à venir tenter leur chance  »

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