25 ans plus tard

On a retrouvé quelques participants belges au premier Van Damme, le 16 août 1977.

En quittant bien trop tôt le monde des vivants, le coureur de demi-fond Ivo Van Damme (médaillé d’argent sur 800 et 1.500 aux JO de Montréal 76) est entré dans la légende. Afin de commémorer sa disparition, une bande de journalistes décide, en 1977, quelques mois après sa mort dans un accident d’automobile au retour d’un stage en France, de créer un meeting d’athlétisme qui porte son nom. Ainsi naît le Mémorial Ivo Van Damme il y a 25 ans! Ce qui n’est alors qu’un rêve un peu fou se transforme vite en réalité mondialement reconnue. Plusieurs athlètes belges participaient à la grande première. Les jeunes gens de l’époque sont devenus des adultes. Parfois un rien enrobés. Certains ont déconnecté.

D’autres s’impliquent encore. Par contre, tous se souviennent. Voici les témoignages de ceux qui n’étaient pas en vacances à la mi-août…

Anne-Marie Van Nuffel (1ère du 800 en 2.05.5) : « La médaille en souvenir d’Ivo »

Depuis ce lundi, Anne-Marie Van Nuffel est sur pied de guerre. Voici une dizaine d’années qu’elle s’occupe de la réception des athlètes étrangers participants au MVD. Elle visite les hôtels. Veille à accomplir diverses formalités administratives. Se multiplie pour le bien-être des visiteurs. Employée à mi-temps par le FOREM et à mi-temps par le BLOSO, Anne-Marie n’a pas quitté l’athlétisme. D’autant qu’elle drive activement une Sandra Stals qui fait relâche actuellement suite à une opération du genou en décembre.

« La Belgique manque de véritables centres d’entraînement. Il en résulte une absence de suivi. Pourtant, avec les moyens techniques dont nous disposons, nous devrions progresser. De mon temps, la musculation n’en était qu’à ses balbutiements. Présentement, il est possible de gagner en tonicité. D’autres techniques s’utilisent, moins licites, celles-là? Ce n’est pas nouveau. En demi-fond, je me suis fait aligner par des Soviétiques, des Allemandes de l’Est, etc. Les contemplant sur la ligne de départ, je ne pouvais m’empêcher de songer que nous étions très différentes! Je n’ai jamais utilisé de produits dopants. Mieux! Si j’apprenais que Sandra Stals avait recours à des substances interdites, je la quitterais immédiatement. Heureusement, les contrôles s’intensifient. La saison dernière, Sandra, qui a notamment obtenu la médaille de bronze aux championnats d’Europe Gand, a été contrôlée à 13 reprises! Je trouve cela normal. Sain ».

Malgré un travail naturel, Anne-Marie s’est offerte la première place du 800 mètres lors du Van Damme 77: « J’ai conservé ma médaille. Elle se trouve en lieu sûr. Je voulais faire honneur à Ivo. Etre à la hauteur de l’événement. Son père était assis dans la tribune. En le regardant, je me suis dis que je devais faire quelque chose de bien. Chaque année, lorsqu’arrive le mois d’août, je pense à Ivo. Il était un peu fou. Outre son immense talent, ce grain le rendait adorable. Le monument qu’il était sur la piste a permis à Wilfried Meert de construire un meeting somptueux ».

Anne-Marie Pira (2e de la hauteur avec 1m86) : « Ah! Il y a des Belges, on va rigoler… »

Loin. Très loin de tout cela. Aujourd’hui, Anne-Marie Pira donne des cours de relaxation. Elle s’efforce d’enseigner le bien-être à ses semblables. Posée, lucide, à mille lieux du star system, l’ancienne recordwoman, championne de Belgique du saut en longueur et du saut en hauteur, ne sort pas les mouchoirs en repensant au Van Damme. Par contre, la sensibilité subsiste en évoquant l’athlète : « Voilà l’essentiel de notre mission. Nous venions rendre hommage à Ivo. Quelqu’un de bien. Chouette compagnon. Grand champion. L’homme nous manquait. Nous recevions l’opportunité de perpétrer sa mémoire. J’étais sans doute trop jeune pour réaliser. Je n’avais que 20 ans ».

A l’encontre de plusieurs participants, Anne-Marie n’évoque pas la première édition des étoiles pleins les yeux. Réminiscence mitigée: « Je me trouvais certes sur la piste. J’allais également m’asseoir sur les gradins. Ce que j’entendais ne me plaisait absolument pas. Toujours les mêmes réflexions. Les gens regardaient le marquoir avant le début d’une épreuve. Ils s’interpellaient : -Ah, un Belge. On va encore rigoler! La masse des curieux attendait les vedettes étrangères. C’était ce qui comptait à leurs yeux. Je suis intimement convaincue que la plupart des spectateurs ignoraient tout de ses représentants ».

Rebelle, Anne-Marie? Un rien marginale, la Pira? Sans doute. Ces traits de caractère la rendent attachante: « On nous demandait beaucoup. En contrepartie, personne ne nous aidait. En sortant de l’Université, je n’ai pas trouvé de travail. Je me suis donc inscrite au chômage. Il y a un quart de siècle, on pointait tous les jours. Nos infrastructures étaient désastreuses. Il m’arrivait de devoir me rendre à Cologne ou à Paris afin de m’entraîner correctement en salle. Résultat: je perdais mes allocations. Personne ne comblait le déficit. Par contre, tout le monde trouvait normal que je sois la meilleure. Alors, un déclic s’est produit. Que signifient finalement des résultats sportifs dans une vie? Il y a bien d’autres choses d’intéressantes à faire. J’ai décroché, me désintéressant de cette forme de sport. Je ne voudrais pas me trouver à la place des athlètes actuelles. Leur unique motivation repose sur l’argent. Mon seul moteur était le plaisir ».

Herman Mignon (4e du 1.500 en 3.40.1) : « 20 ans trop tôt »

« Je connaissais très bien Ivo. Nous étions compagnons de stages. A force de nous côtoyer, nous sommes devenus amis. Je nourrissais une grande admiration à son égard car il était beaucoup plus fort que moi. Sa disparition fut un choc. Evidemment. Malgré l’arrivée du crépuscule de ma carrière, ce fut un honneur de participer à un mémorial portant son nom. J’y ai été opposé, en compagnie d’Edgard Salvé, à John Walker. Inattaquable. Intouchable. S’il n’a pas amélioré son temps en courant en 3.32.7, il évoluait quand même sur une autre planète ».

Le langage tenu par Herman Mignon ne laisse planer aucun doute. L’émotion stagne dans son esprit. Il ajoute: « Ivo pouvait tout gagner. Capable de remporter n’importe quel trophée. Je crains fort que nous ne disposions plus d’une carrure identique à la sienne. Je me désole en découvrant les résultats que nous obtenons actuellement. Et dire qu’ils sont pros! Ah, si j’étais né 20 ans plus tard… Les jeunes, dès qu’ils deviennent les meilleurs de leur rue, cherchent à être le meilleur du club. Puis de la province où ils habitent. Objectif atteint, ils s’imaginent avoir atteint le sommet. Ils sont vite contents. Cette constatation, je l’effectue quotidiennement puisque je dirige des stages du BLOSO tout en entraînant au club de Grammont. Je crains fort qu’il faille attendre longtemps avant d’assister à la victoire d’un Belge au Van Damme. Maintenant, et tant mieux pour le public, nous accueillons la crème mondiale. Avec Zurich et Cologne, Bruxelles possède le plus grand meeting du monde. C’est déjà cela ».

Reno Roelandt (4e du 100 m en 10.65) : « Je pensais courir devant 5 ou 6.000 personnes »

Médecin du sport, toubib du RSC Anderlechtois, responsable de la cellule médicale du Van Damme, vice-président du COIB, Reno Roelandt se multiplie. On finirait par oublier qu’il fut un rival des Lambert Micha et Ronald Desruelles, ses deux grands concurrents sur la scène nationale. En 1977, il devança le duo précité sur 100 mètres, terminant dans le sillage d’un trio infernal.

 » Steve Williams, Bill Collins et Cliff Wiley étaient hors concours », dit-il. « La performance ne constituait nullement l’essentiel de notre mission. Le pari était gagné avant la course. Nous avions rempli le Heysel. Chose totalement improbable. Si mes souvenirs sont bons, seul la réunion de Louvain en 1972 avait attiré 5.000 personnes. Je m’attendais à une chambrée identique. Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant des tribunes bondées ».

Membre de l’équipe du MVD depuis 23 ans, Reno Roelandt vit de près l’évolution : « La Belgique compte deux écoles en matière d’entraînement de sprinters. L’une prône le volume. L’autre la technique, le style. Actuellement la deuxième remporte la majorité des suffrages. Elle se trompe. Au niveau des sprinters, insister sur la seule vélocité n’apporte aucun résultat. Un athlète complet s’appuie sur trois supports: vélocité, résistance, endurance. Que dire aussi de l’échauffement? Stretching. Rien d’autre. Insuffisant! »

Lors de l’épreuve, le gros travail du docteur Roelandt concerne les contrôles antidoping: « Nous sommes trois médecins en place. Deux qui effectuent le suivi. Moi, je supervise. Pas toujours simple. Un jour, Michael Johnson m’a demandé de lui présenter mon diplôme avant de l’approcher. Par chance, il se trouvait dans ma voiture. Je suis allé le chercher pour le lui exhiber. Nous devons de surcroît assurer l’assistance et un suivi médical complet aux athlètes. Chaque année, les participants, les managers, les coaches, les délégués des fédérations octroient des notes. Je ne suis pas peu fier de relater que nous occupons la deuxième place du hit-parade mondial derrière Zurich. Compte tenu des moyens financiers, nous ne pouvons pas espérer mieux ».

Danny Roelandt (5e du 200 en 21.38) : « Les Américains étaient imbattables! »

A deux reprises, Danny Roelandt fut appelé au départ. Il disputa le 200 mètres et participa au 4×100 mètres. Lors de l’épreuve individuelle, il termina cinquième. Seul Lambert Micha (3e en 21.05) arriva à s’immiscer dans le quatuor U.S. ayant fait le déplacement à Bruxelles. « Bravo à lui, car les Américains étaient simplement imbattables », dit Danny, le frère de Reno Roelandt. « Nous le savions évidemment. Il ne nous restait qu’à limiter les dégâts en évitant d’être ridicules. Les gradins noirs de monde constituaient un formidable adjuvant. Ce public si près de nous constitue à lui seul un formidable souvenir ».

Boulanger, Danny constate: « Dans certaines épreuves, nous n’étions pas en mesure de rivaliser. Par contre, certains d’entre nous émergeaient. A l’époque, la délégation se rendait aux J.O. avec la ferme intention de ramener plusieurs médailles. Aujourd’hui, l’athlétisme belge se contente de miettes. Il est temps d’étudier le problème en profondeur ».

D’accord, mais comment? « Uniformiser les méthodes d’entraînement. Aller plus au fond des techniques. Nous devions nous diriger vers le professionnalisme. J’ai l’impression qu’au contraire, une marche arrière s’est opérée ».

Edgard Salvé (6e du 1.500 m en 3m.42.6) : « Mon dernier grand défi »

Les miliciens ayant transité par le Centre d’Instruction de l’Armée Belge à Saive ne peuvent oublier sa silhouette. Edgard Salvé a accompli la totalité de sa carrière d’athlète en tentant d’apprendre aux bleus, l’ABC du parcours du combattant. Militaire de carrière retraité, le Liégeois se repasse sans problème les images de l’édition 1977: « Ce moment demeure gravé dans mon esprit. Pour deux raisons principales. D’abord, c’était merveilleux de se retrouver au Heysel devant une foule pareille. Ensuite, c’est là que j’ai décidé de lever le pied. J’avais fait du Van Damme mon dernier rendez-vous. Je m’y suis tenu ».

Le sergent galopant s’y fixait un objectif : descendre sous les 3 minutes 42 au 1.500 mètres. Pari perdu: 3.42.6. Un chrono officiel que Salvé continue à mettre en cause, un quart de siècle plus tard:

« Tout le monde souhaitait que John Walker batte son record du monde. Les officiels n’avaient d’yeux que pour lui. Ils focalisèrent leur attention sur la performance que le Néo-Zélandais réaliserait. Je nourris la certitude d’avoir fait mieux que le temps qui me fut attribué. Toujours est-il qu’après cela, je n’avais plus aucune envie de m’entraîner comme une bête. Le Van Damme sonna le glas de mes ambitions. Et quelque part, de ma carrière. Qu’à cela ne tienne! Ce fut pour moi l’occasion d’évoluer sur mon sol natal. Devant plusieurs dizaines de milliers de personnes. Tout à fait inattendu. J’ai, à cette occasion, mesuré l’immense pouvoir de la presse. En créant un projet commun, les journalistes belges mobilisèrent une population ».

Ayant fréquenté de nombreuses générations tant sous la bannière ABL que dans les stades, Edgard Salvé tire une sonnette d’alarme: « Dans la vie en général et en sport particulièrement, la tête est importante. Le psychisme permet de se surpasser. Je constate que les jeunes ne savent plus souffrir. Ils manquent de ténacité. De détermination. De caractère. A Edmonton, le bilan belge flirte avec le rouge. Faut se ressaisir et réapprendre les valeurs liées au travail bien fait ».

Alex Hagelsteens (6e du 10.000 en 28.58.1) : « Une nuit de folie en Finlande et un sachet de frites ».

Sacré personnage, Alex Hagelsteens! Le bonhomme rigole encore de son arrivée au Heysel. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’avait pas préparé le « Jour J » en faisant montre du plus grand sérieux. Militaire de carrière, âgé de 45 ans, Alex n’est pas près d’oublier cet épisode hors du commun: « Il y a prescription. Je peux tout vous raconter. Nous étions partis participer à une compétition militaire en Finlande. Je ne me rappelle pas des résultats obtenus. Par contre, le dernier soir, quelle java! Nous avons picolé et dansé jusqu’aux petites heures. A vrai dire, nous ne sommes pas allés dormir. Juste un peu roupillé dans le C-130 qui nous ramenait. Sur la route séparant Melsbroek du Heysel, nous nous sommes arrêtés dans un GB. Au resto, j’ai avalé une grosse portion de frites. Avec de la mayonnaise, s’il vous plaît. A l’échauffement, j’ai commencé à transpirer, transpirer et transpirer. Je me demandais si c’était de l’eau ou de la bière qui me sortait du corps ».

Résultat, une 6e place au 10.000 mètres… Revenant sur l’épreuve, notre joyeux drille constate: « Le Van Damme est La Mecque de l’athlétisme. Juste dommage de devoir perdre un sportif pour se motiver à construire une grande entreprise ».

En poste à Evere, Hagelsteens consacre encore un peu de temps à la course à pied. Davantage lorsque le coeur lui en dit: « Je participe à l’un ou l’autre interclubs en vétérans. Pour rire. Je n’ai plus envie de m’astreindre à un labeur quotidien. Vous savez, nonobstant le fait que nous nous soyons bien amusés, nous avons aussi consenti de gros sacrifices. Dernièrement, je parlais de cela avec Henri Salavarda, mon ancien entraîneur. Il constatait non sans étonnement que nos préparations valaient largement les séances actuelles ».

Daniel Renard

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