22, le v’là!

Il a été affilié le 2 février 1982. Pourtant, il affirme faire partie de l’Excelsior Mouscron depuis 22 ans.

Dans les classeurs de Jacques Vandewalle, le secrétaire de l’Excelsior Mouscron, les données sont claires: Steve Dugardein a été affilié le 2 février 1982. Il y aura bientôt 20 ans. L’intéressé affirme pourtant qu’il porte le maillot des Hurlus depuis 22 ans. « J’ai un peu triché », avoue-t-il. « A l’époque, on ne pouvait pas encore jouer en club avant l’âge de huit ans. Je me suis inscrit lorsque j’en avais six ».

Les chiffres correspondent. Il est né le 28 janvier 1974. Il a rejoint l’Excelsior à six ans, mais le club a patiemment attendu qu’il ait fêté son huitième anniversaire pour rentrer sa carte d’affiliation à l’Union Belge. Le monologue qui suit est le fruit d’une réflexion sur 20 (ou 22) ans de carrière dévouée à la cause des Hurlus.

Les débuts

« Mon père a toujours adoré le football. Il a dû se contenter du niveau amateur, mais il rêvait de m’affilier dans un club. Je n’en voyais pas l’utilité: le fait de pouvoir jouer avec les copains dans la rue suffisait à mon bonheur. Un jour, à table, il y avait un plat que je n’aimais pas du tout. Mon père m’a dit: -Tu n’es pas obligé de le manger si, demain, tu vas t’affilier!. Parole tenue: le lendemain, j’ai accompagné mon père au quartier des Blommes, où se trouvait un terrain de l’Excelsior, et j’ai signé. J’avais six ans. Coïncidence: c’était le jour où l’on distribuait les convocations pour le match du samedi. J’ai demandé naïvement: -Et moi, à quelle heure dois-je venir samedi? On m’a répondu que j’étais trop jeune. J’ai dû attendre deux ans pour disputer mon premier match officiel en Préminimes. C’était au RC Tournai: directement un grand derby! Nous avons gagné 1-3 et j’ai inscrit mon premier but… de la tête, s.v.p.! Mon premier entraîneur fut Guy Pecqueux. Il ne m’a plus quitté jusqu’en première année Juniors. Mes coéquipiers sont longtemps restés les mêmes également. Les plus connus étaient David Christiaens, qui joue aujourd’hui à Winkel en Promotion, et Sébastien Besengez, le frère d’ Olivier. Nous formions une bande de copains. Je conserve des souvenirs extraordinaires de cette période-là. A 16 ans, Gil Vandenbrouck m’a appelé chez les Juniors Provinciaux et, deux mois plus tard, André Van Maldeghem me faisait débuter en équipe Première à l’occasion d’un match de D2 sur le terrain de Tongres ».

La fidélité

« 22 ans plus tard, je suis toujours là. Par amour du club ou par manque d’ambition? Avant tout, je pense, parce que je n’ai jamais eu d’offres concrètes émanant d’ailleurs. Soit parce que l’on me considère comme très mauvais, soit parce que je ne me vends pas bien. J’opterais plutôt pour la deuxième hypothèse. Je ne recherche pas la publicité et je ne me vante jamais devant une caméra de télévision. Je suis conscient de mes limites. Je suis capable de contrôler le ballon et de le faire circuler par des petites passes simples, pas de dribbler cinq hommes dans un mouchoir de poche ou de provoquer un adversaire en duel. De temps en temps, je réalise un petit coup d’éclat, comme mon but des 35 mètres contre Genk en championnat. Mais mes buts sont rarement décisifs. Je suis un ouvrier du football et je ne considère pas du tout cela comme péjoratif. Je suis content lorsque je peux tordre un maillot bien mouillé à la fin d’un match. Une équipe a besoin de joueurs comme moi. Lorsque je lis l’interview de Didier Ernst dans Sport/Foot Magazine, je me reconnais dans ses propos: j’y découvre toute la simplicité d’un footballeur qui se dévoue à la cause de son club. La seule différence, c’est que je ne rencontre pas de problèmes au niveau du renouvellement de contrat, puisque je n’en suis pas encore au stade des négociations. Je suis fier de ce que j’ai réalisé. Je suis en passe d’atteindre les 180 matches de D1. Je suis un joueur régulier. Je joue mes 30 matches par saison. Aucun entraîneur n’a jamais eu à se plaindre de moi. Si on me demande de courir pendant deux heures autour du terrain, je le fais. Et je suis fier de lire les commentaires positifs qu’un homme comme Georges Leekens formule à mon sujet, alors qu’à l’époque où je travaillais avec lui, je pensais qu’il me considérait comme son souffre-douleur. Des ambitions, j’en ai. Mais je n’ai jamais éprouvé le besoin de changer de club. Je sais ce que j’ai à Mouscron et je ne suis pas persuadé que je trouverai mieux ailleurs ».

Les joies

« La montée en D1 fut un très grand moment. La qualification pour l’Europe, en 1997, également. De même que la participation, aussi courte fût-elle, à la Coupe de l’UEFA avec des matches à Limassol et à Metz. Je garde aussi un très grand souvenir de l’unique match que j’ai disputé avec les Aspirants, à Angers, contre la France A’. Il y avait dans l’équipe d’en face des garçons comme Ulrich Ramé, Vikash Dhorasoo, Bruno N’Gotty, Frédéric Déhu ou Johan Micoud. Je partageais ma chambre avec Toni Brogno. Je suis heureux d’avoir pu côtoyer durant quelques heures quelqu’un qui fut le meilleur buteur du championnat de Belgique et qui évolua dans le championnat de France. Ce sont des bonheurs tout simples, comme la modestie qui me caractérise. J’ai joué avec des internationaux: lorsque j’étais petit, j’en rêvais. Et si, cette saison, je pouvais disputer une finale de Coupe de Belgique, ce serait une autre très grande joie. Si je la gagnais, je ne vous dis pas… Je crois que je ne rentrerais pas très tôt à la maison! Comme je suis encore célibataire, je peux me le permettre. Et comme il y a peu de chances que Robert Waseige me prenne dans son groupe pour la Coupe du Monde, je pourrais même prolonger la fête pendant une semaine! (il rit) »

Les déceptions

« Sur le coup, l’échec face au Beerschot dans le tour final 1994 fut une grosse déception. Aujourd’hui, forcément, elle est oubliée. Le départ de Georges Leekens, en janvier 1997, demeure plus présent dans ma mémoire. Je reste persuadé qu’avec lui, nous aurions lutté jusqu’au bout pour le titre. Etre champion n’était pas une obligation, mais chacun était conscient qu’une occasion unique s’offrait à nous et la pression qui pesait sur nos épaules était intense. A titre personnel, il y a eu, plus tôt dans ma carrière, d’autres occasions manquées. Par exemple, alors que j’étais international Juniors, j’avais été pré-sélectionné pour le prestigieux tournoi de Toulon. En fin de compte, je n’avais pas été retenu sous le prétexte que je devais présenter des examens… alors que je m’étais arrangé avec l’école pour pouvoir les reporter ».

Le capitanat

« J’ai vécu ma période la plus difficile la saison dernière. Yves Vanderhaeghe venait de partir et l’équipe n’a jamais trouvé ses marques. Les supporters étaient déçus parce que nous sortions de deux saisons fastes. Cela commençait à râler dans les travées. Moi-même, je ne jouais pas bien. J’en étais très affecté. Au départ, on m’avait attribué le brassard de capitaine. Dans un premier temps, je l’avais accepté comme un honneur. Mais il est rapidement devenu un fardeau. A mi-parcours, j’ai demandé à être relevé de cette responsabilité. Lorsqu’on m’a ôté le brassard, je me suis senti soulagé d’un poids. Le reflet d’un manque de personnalité? Peut-être. Je ne me suis jamais senti dans la peau d’un leader. Aujourd’hui, si l’on me redonnait le brassard, je réagirais peut-être différemment. Mais je ne regrette pas d’en être débarrassé ».

Les entraîneurs

« Tous m’ont apporté quelque chose. Je pourrais citer Guy Pecqueux, qui fut mon tout premier coach. Ou Gil Vandenbrouck, qui m’a dirigé en Juniors Provinciaux. Je n’oublie pas Hugo Broos, qui m’a beaucoup appris sur le plan tactique, ni Georges Leekens, qui a renforcé mon mental. Il m’a fait travailler énormément après ma fracture de la cheville. Je pensais qu’il m’avait pris comme bouc émissaire. En fait, c’était pour m’aider. Grâce à lui, je me suis forgé un caractère en acier trempé. Mais mon coup de coeur va vers André Van Maldeghem. C’est lui qui a lancé ma carrière professionnelle. Sans lui, je jouerais peut-être en Provinciale actuellement. Nous sommes restés en contact. La saison dernière, lorsque j’ai traversé une période difficile, il m’a appelé et nous sommes allés manger ensemble. C’est le genre de gestes auxquels je suis sensible ».

Les joueurs

« Je citerai en premier lieu Dominique Lemoine. Tout le monde prétend qu’il a mauvais caractère, mais c’était un joueur de très grand talent. Mes autres coups de coeur vont vers Yves Vanderhaeghe, qui est devenu un grand ami, ou les frères Mpenza. Je pourrais en citer d’autres, moins connus. Comme Olivier Baudry, qui n’a pas eu la carrière qu’il aurait méritée. Ou Ivan Moock, qui fut mon coéquipier en D2 et qui, alors que j’étais le plus jeune du groupe, m’avait pris sous son aile protectrice. Si j’ai porté le n°4 lorsque des numéros fixes avaient été attribués, c’est parce qu’un jour il m’avait dit: -Si quelqu’un, à Mouscron, doit avoir le n°4, c’est toi! Et puis, il y a Lorenzo Staelens. Je n’ai pas eu la chance d’être son coéquipier, pourtant le simple fait d’avoir pu m’entraîner avec lui m’a déjà comblé de bonheur. Cela paraîtra futile à certains, mais je suis fier d’avoir été le porteur d’eau de beaucoup de grands joueurs. Et j’espère que, quelque part dans leur tête, ils sont contents d’avoir pu jouer avec Steve Dugardein. Lorsque je revois Dominique Lemoine, on en reparle parfois. Il se rend compte du boulot que j’accomplissais derrière lui et est conscient que, s’il a pu avoir les coudées franches pour orchestrer la manoeuvre offensive, c’était peut-être un peu grâce à moi ».

Le coup de colère

« Mon regret, c’est que certaines personnes ne voient pas toujours ce que j’apporte à l’équipe. Olivier Besengez est dans le même cas. Nous commettons des erreurs comme tout le monde, mais j’ai parfois l’impression qu’on nous les reproche plus facilement. Est-ce parce que nous sommes des enfants de la maison? Ou parce que nous accomplissons du boulot dans l’ombre? »

L’avenir

« J’aurai 28 ans dans cinq jours et je suis encore sous contrat jusqu’en 2003. J’ignore si l’Excelsior me proposera de prolonger. Si je devais jouer toute ma carrière à Mouscron, je n’en éprouverais aucun regret. Au contraire: j’adore ce club et j’aimerais grandir avec lui. Si, un jour, je le quittais, je souhaiterais que l’on garde de moi l’image d’un parfait clubman. De quelqu’un que l’on serait toujours content de revoir ».

Daniel Devos

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