20 ANS + TARD

Il vit toujours à 100 à l’heure : il voyage pour assister à des congrès, participe à une émission hebdomadaire sur une chaîne de radio argentine, joue un rôle de consultant à la télévision, tient une chronique dans la revue espagnole DonBalon et bien d’autres choses encore. Il semble n’avoir pas une minute à lui. Il nous a promis un petit entretien, mais court dans tous les sens. Il grignote un petit quelque chose avant une soirée qui s’annonce longue. Il est 16 h 15 et son émission radio doit débuter à 17 heures. Le soir, des clubs argentins jouent en Copa Libertadores et ira aussi donner son opinion sur le plateau TV.

 » Un moment, voulez-vous ? « , nous dit-il en se donnant vite un petit coup de peigne.  » J’arrive dans un instant. Mais il y a une fille qui m’attend pour une petite interview télévisée.  » Cinq minutes plus tard, il revient.

 » J’ai été très critiqué  »

En 1986, vous remportiez la Coupe du Monde avec l’Argentine, au Mexique. Quel souvenir en avez-vous gardé ?

Extraordinaire, forcément. Aujourd’hui encore, les gens ne cessent de m’en parler. Avant de s’envoler pour le Mexique, le pays se trouvait dans une situation très difficile. Mais on a joué juste. Les bases avaient été jetées lors de matches amicaux disputés en 1984, face à la Suisse, à l’Allemagne et à la Belgique, déjà. A partir de là, on était lancé, et en 1986, tout s’est déroulé comme dans un rêve.

L’Argentine n’était pourtant pas considérée comme favorite.

La majorité des gens ne croyait pas trop aux chances de l’Argentine. Mais les bons résultats des matches amicaux nous avaient donné confiance. C’était une équipe jeune, que j’avais pu façonner lorsque la plupart des joueurs n’avaient que 20 ans. C’était le cas de Nery Pumpido, d’Oscar Ruggeri, de José Luis Cuciufo et d’autres encore. J’avais confié le brassard de capitaine à Maradona, alors que lui aussi venait à peine d’avoir 20 ans. J’ai été critiqué pour cela. Les gens ne comprenaient pas. Ecoutez, je vais vous passer la bande sonore d’une interview réalisée à l’époque. ( Il met le lecteur de cassettes en route et l’on peut entendre la question d’un journaliste, en 1985 : -Pourquoi confiezvouslebrassard àungamin ?Cebrassardrevientdedroit àDanielPassarella, cen’estpaspourrienqu’on l’asurnommélegrandcapitaine « . DiegoMaradona apeutêtrebeaucoupdetalent, certainslecomparentdéjà àPelé, maiscequiestimportant, c’estlecomportementdel’équipe…) Vous avez entendu ? Certains mettaient le capitanat de Maradona en doute. Cela n’avait pas du tout été apprécié, certains me prédisaient même un gros échec. Cela vous donne une idée de l’opinion de la presse argentine avant le départ pour la Coupe du Monde.

 » Mon capitaine, c’était Maradona  »

Et finalement, Diego Maradona a fait la différence ?

Il a très bien joué mais n’a pas fait la différence à lui tout seul. Il était très bien entouré, toute l’équipe a bien joué. Maradona a tout simplement confirmé ce que j’avais toujours clamé : que c’était un très bon joueur. Aujourd’hui, la presse a changé d’opinion. Mais la manière dont on m’a traité il y a 20 ans, pour avoir promu Diego au rang de capitaine, m’est toujours restée en travers de la gorge. J’avais déjà promu Maradona capitaine alors qu’il venait à peine d’intégrer l’équipe. Je n’avais pas de relations avec Daniel Passarella, hormis les professionnelles. Et comme je ne suis pas un homme de compromis, je n’avais pas envie de tenir compte du passé et de l’opinion générale. Pour moi, Maradona était le capitaine de l’avenir.

Hormis les actions de Maradona, qu’est-ce qui vous a permis de triompher ?

On avait étrenné un nouveau système mis en pratique lors des matches amicaux contre la Suisse, l’Allemagne et la Belgique en 1984. Ce système, c’était un 3-5-2, et son application par l’Argentine a été reconnue par le magazine britannique World Soccer, dans son édition du centenaire. Ce système nous a permis d’aligner deux attaquants, tout en contrôlant le milieu de terrain, grâce à notre supériorité numérique dans ce secteur. Pour cela, il fallait sacrifier un défenseur, mais le jeu en valait la chandelle. Lors du Championnat d’Europe 1988, Rinus Michels a d’ailleurs déclaré : – Celuiquicontrôleralemilieudeterrainauradegrandeschancesdegagnerdesmatches ! Par ces propos, il a donc confirmé que l’option que j’avais prise deux ans plus tôt était la bonne.

 » Les Belges étaient fatigués  »

Vous souvenez-vous de la demi-finale contre les Diables Rouges ?

Bien sûr. La Belgique avait une bonne équipe. Je l’avais vue à l’£uvre contre l’Espagne, en quarts. Si mes souvenirs sont bons, les Diables avaient ouvert la marque, grâce à un but de Jan Ceulemans sur une contre-attaque. L’Espagne avait égalisé, on avait joué les prolongations et on avait dû avoir recours aux tirs au but pour désigner le vainqueur. La Belgique avait livré une prestation fort méritoire, mais qui lui a coûté cher. A l’hôtel, avant la demi-finale, j’avais déjà rassuré mes joueurs : – Lesgars, vousallezaffronterunebonneéquipe, maisvousallezgagner, carlesBelgessontfatigués ! Je ne me suis pas trompé. Les Belges avaient dû puiser dans leurs réserves pour venir à bout des Espagnols, et en outre, nous avions bénéficié d’un jour de repos supplémentaire. Cette différence au niveau de la fraîcheur fut perceptible dans les montées d’Eric Gerets. Il avait l’habitude de monter une vingtaine de fois dans son couloir droit, mais contre nous, il n’est monté que trois ou quatre fois. Physiquement, il était à bout.

Puis, est venue la finale contre l’Allemagne.

Un match très dur, de la part des deux équipes. On a mené 2-0, mais avec les Allemands, un match n’est jamais fini. On en a eu une nouvelle preuve : ils sont revenus à 2-2. Les Allemands sont infatigables. Dans les courses hippiques, on a coutume d’affirmer que lorsqu’un cheval fait la course en tête et se fait rejoindre en vue de la ligne d’arrivée, il est souvent battu par celui qui l’a rattrapé. En football, cela se produit fréquemment aussi. Mais, en finale de la Coupe du Monde 1986, on a heureusement trouvé un deuxième souffle. L’équipe était bien préparée et on a fini par émerger 3-2.

Et cette année : l’Argentine peut-elle remporter un troisième titre mondial, après ceux de 1978 et 1986 ?

Elle fait partie des favoris au même titre que le Brésil qui a une superbe équipe, que l’Allemagne qui a beaucoup de caractère et qui joue à domicile, que l’Italie qui a de bons attaquants, que l’Angleterre qui sera soutenue par une cohorte impressionnante de supporters ou que les Pays-Bas qui seront, eux aussi, encouragés par de nombreux compatriotes. L’Angleterre et les Pays-Bas joueront quasiment à domicile, comme l’Allemagne.

 » A 20 ans, les Argentins sont supérieurs  »

Bref, vous voyez davantage triompher une équipe européenne ?

Non, je crois aussi aux chances de l’Argentine et du Brésil. Le problème du Brésil pourrait se situer au niveau des arrières latéraux : Cafù et Roberto Carlos ont leurs meilleures années derrière eux. Mais, si Cafù déçoit, Cicinho est prêt à le relayer.

Et l’Argentine ?

Devant, l’Argentine a beaucoup d’arguments à faire valoir. En milieu offensif également. Javier Saviola, Lionel Messi, Carlos Tevez, Juan Roman Riquelme, Pablo Aimar, Julio Cruz et Hernan Crespo. En défense, par contre, c’est une autre paire de manches. Le secteur défensif est le point faible. Si Roberto Ayala, Fabricio Coloccini et Gabriel Heinze sont en forme, cela ira. Mais ils ont été blessés.

José Pekerman a connu quasiment tous les joueurs dans les sélections de jeunes. Est-ce un avantage ?

Je ne le pense pas. L’Argentine a remporté le Championnat du Monde -20 ans parce qu’au pays, les jeunes de 18 ou 19 ans jouent déjà tous en D1. Les clubs argentins, par nécessité financière, sont obligés de vendre leurs meilleurs joueurs et, par conséquent, de puiser dans leur réservoir de jeunes pour compléter leur équipe Première. Par conséquent, les jeunes Argentins débutent très tôt en D1. C’est un grand avantage par rapport aux Européens. En Angleterre ou en Allemagne, les joueurs de 20 ans commencent à peine à frapper à la porte de l’équipe Première. Les Argentins, eux, ont parfois déjà plusieurs dizaines de matches de D1 dans les jambes à cet âge-là. C’est aussi le cas de beaucoup d’Africains, qui débutent très jeunes eux aussi. C’est tout profit pour les équipes nationales de cette catégorie d’âge et cela explique pourquoi, chez les -20 ans, on voit souvent des Sud-Américains ou des Africains triompher. L’Argentine a été championne du monde des -20 ans à de multiples reprises, et pas seulement avec Pekerman. A cet âge-là, les jeunes Argentins sont supérieurs à tout le monde. Par contre, en -17 ans, tout le monde a sa chance. Et après 20 ans, la donne est de nouveau modifiée.

 » Je ne connais pas Pekerman  »

Avant le départ pour l’Allemagne, beaucoup d’Argentins doutaient des capacités de l’Argentine. Parce que Pekerman n’avait jamais dirigé des adultes lors d’une Coupe du Monde et que les blessures avaient décimé l’effectif ces derniers mois.

Pour les blessures, je ne me préoccupe pas. C’était même un avantage d’avoir eu des joueurs blessés : cela leur a permis de se reposer, alors que d’autres ont abordé la Coupe du Monde sur les genoux, dans la foulée d’une longue saison. Car les meilleurs font logiquement partie des meilleures équipes qui disputent des compétitions européennes et jouent tous les mercredis et tous les samedis. Au sujet de Pekerman, je ne me prononcerai pas, car je ne le connais pas suffisamment. Je voudrais simplement souligner une chose : en Europe, l’UEFA invite les meilleurs entraîneurs à des colloques où ils peuvent échanger leurs points de vue. Je trouve cela très intéressant. Ici, en Argentine, je n’ai pas la possibilité d’assister à ce genre de colloques, car ils n’existent pas. J’aimerais beaucoup assister à des entraînements, pour voir comment les autres entraîneurs travaillent. Mais personne ne m’invite, car on ne m’apprécie pas probablement. Et, de mon côté, comme on ne m’invite pas, je n’invite pas les autres non plus. Chacun reste donc dans son coin. C’est dommage, car des échanges de vues peuvent être très constructifs.

DANIEL DEVOS, ENVOYÉ SPÉCIAL EN ARGENTINE

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