20 ans avant Scifo

Le Louviérois d’origine italienne possède un palmarès belge unique.

Orazio Schena, ailier droit italo-belge. Champion de Belgique avec Anderlecht en 63-64. Joua également une saison à Charleroi, trois au FC Liégeois et six à La Louvière. Devenu entraîneur, il passe par plusieurs clubs hennuyerset neuf saisons à Binche. Professeur durant trois ans à l’Ecole des entraîneurs du Heysel. A récemment obtenu le diplôme A (juste sous le niveau de la licence Pro).

Bref, un personnage de notre foot. Dans le Hainaut les Schena sont archi-connus, Orazio, 61 ans, y entraîne actuellement Heppignies-Lambusart en Promotion et quatre de ses cinq frères ont en charge des clubs de la même série de 2e Provinciale: Nicolas au FC Ressaix, Dominique au CS Fayt-lez-Manage, Cosimo (qui, avec Charleroi, en 78, élimina Anderlecht de la Coupe) à l’US Binche et Antoine au LC Givry.

Le sixième frère n’est pas actif dans le foot… et les trois soeurs (dont une vit en Italie), non plus. Originalité d’Orazio, il est le seul naturalisé belge de la tribu de Bari. Et son épouse, Annie, est également italo-belge.

Les clubs de coeur d’Orazio ? « Anderlecht et La Louvière. Je suis toujours branché sur leurs résultats. Champion avec le Sporting, je n’osais même pas en rêver. J’y ai côtoyé Laurent Verbiest et Paul Van Himst, à mes yeux des joueurs d’envergure mondiale. D’après Sport/Foot Magazine, je serais le premier Italien champion de Belgique, 20 ans avant Enzo Scifo« .

La Louvière

« Quant à La Louvière, c’est ma vie (j’habite tout près, à Péronnes-lez-Binche) et toute une tranche de mon passé de footballeur. Je souhaite au club de vivre en Coupe des moments aussi extra que ceux de notre accession à la D2, en 70, avec les André Delchambre, Jean-Paul Spaute, Charly Jacobs et Nico Silvagni. J’ai réussi le but de la victoire au match décisif à Marchienne, et, je me souviens, que pour fêter la montée 22 cars de supporters se déplacèrent à Vigor Hamme, les cafetiers du coin se frottèrent les mains; avant le coup d’envoi leurs tonneaux étaient déjà à sec. De la folie ! Au Triffet, l’ancien terrain, ça ne manquait pas de jus non plus, mais parmi mes souvenirs les plus intenses figure ce succès sur Charleroi, 2-1, à l’inauguration du Tivoli, en février 72. Nico, blessé, j’étais capitaine, et 22.000 spectateurs se bousculaient dans le nouveau stade encore inachevé, d’autres étaient montés dans les arbres et sur les toits des buildings avoisinants. La caisse a joyeusement résonné, la plus belle recette du club, avec celle, plus tard, contre Binche que je coachais alors en D3″.

Aujourd’hui, les places sont plus chères, mais les restrictions policières réduisent les entrées à une bonne dizaine de milliers de places, et ça ne fait pas l’affaire du trésorier. Ce premier match officiel au Tivoli a vraiment lancé le club:

« Et le docteur-président Kesse a offert une prime de 12.000 francs. C’était un vrai bon-papa pour nous. L’équipe actuelle me semble parfois manquer d’audace et certains joueurs ne s’engagent pas assez vers l’offensive, consigne ou non, je n’en sais rien. Au total, toutefois, Ariel Jacobs travaille bien. Je ne le connais pas personnellement, mais nous nous sommes croisés en D3 lorsqu’il entraînait Diegem et moi Binche. En tout cas, il était urgent qu’il remplace DanielLeclercq. Le Français a d’abord réussi d’excellents résultats, mais, après, l’entente avec les joueurs s’est brisée. J’avais remarqué que certains entraînements étaient limites, ce que Frédéric Tilmant m’a confirmé. Sur un tout autre plan, ce qui me peine ce sont ces lamentables disputes, par journaux interposés, entre deux personnalités comme Enzo Scifo et Dante Brogno, et les ennuis judiciaires de Georget Bertoncello, un ex-partenaire au FC Liégeois. Il était hors normes, une technique d’instinct et une passe à 40 mètres qu’il ajustait comme il respirait. Et on se bidonnait souvent de ses plaisanteries ».

La venue des Schena chez nous est un classique de l’immigration italienne: le père vient tâter le terrain, puis la famille suit quelques mois plus tard, Orazio, né le 30 octobre 41, à Bari, dans le fond de la Botte, arriva à neuf ans.

De Ressaix à Anderlecht

« On s’est installé à Ressaix et je me suis inscrit au club local. Papa ne suivait pas vraiment le Calcio, il était vélo et se passionnait pour FiorenzoMagni, FaustoCoppi, GinoBartali… Au club, j’étais toujours en avance d’une saison sur ma catégorie; le dimanche j’étais parfois Scolaire le matin et Junior l’après-midi. A 20 ans (déjà tard!), je fus repéré par un scout anderlechtois, tout rond et très gentil, à Ressaix-Gosselies en P1. En face évoluait le futur Racingman et international André Stassart. A 0-2, j’ai réussi les deux buts de l’égalisation, et, à la sortie du vestiaire, le scout me propose de passer un test à Anderlecht. Je n’en croyais pas mes oreilles, j’allais au paradis. On m’aligne en Juniors, je marque, mais me blesse à la cheville. Peu importe, le transfert se réalise à 800.000 francs et pour la saison 62-63 j’étais mauve. Je m’étais préparé comme un dingue pour passer de deux à cinq ou six entraînements par semaine. J’ai débuté en Réserve sous la direction de Noulle Deraeymaecker que j’appréciais beaucoup. Le président Albert Roosens parlait de moi comme d’un diamant brut qu’il fallait dégrossir. Pierre Sinibaldi m’a lancé en équipe Première pour un match de Coupe au Beerschot, et je fus valable.

Malheureusement, peu après, j’ai été victime d’un claquage. Je payais normalement le changement de régime de P1 en D1. Je n’avais pas eu cet écolage dont bénéficient les jeunes dans un grand club, comme Scifo, par exemple, qui a quitté La Louvière pour le Sporting à 13 ans. Pour ma seconde saison, j’étais prêt et j’ai pu rivaliser sur l’aile avec Jean-Pierre Janssens, Richard Orlans et le Congolais Zacharie Konkwe. Le onze de base était essentiellement belge, et c’est à cette époque, en septembre 64, que onze internationaux anderlechtois ont défait la Hollande ».

Orazio aurait dû en être mais, à l’époque, il était toujours italien. »Sinibaldi était assez conservateur dans sa sélection, d’une rare efficacité. J’ai surtout joué au deuxième tour et participé au match décisif pour le titre contre Liège. 2-0 et tour d’honneur du champion avec le Sporting, à 21 ans, on ne peut imaginer plus pur plaisir. J’étais semi-pro et l’ai été toute ma carrière de joueur, le club me fournissant le plus souvent un boulot de magasinier. J’ai travaillé durant 25 ans à la SNCB, et refusé tout contrat pro, trop aléatoire. J’ai assuré ma pension, et je l’ai prise à 60 ans. Une vie familiale stable et un métier sans à-coups, c’est mon credo. Au Sporting, je logeais sous la tribune, et après le petit déjeuner servi par la concierge, je partais au travail, aller et retour en tram. Après-midi entraînement. Une vie agréable, mais je ne jouais pas assez à mon goût ».

Charleroi et FC Liégeois

Charleroi, alors en D2, s’est présenté et Orazio a signé pour une saison. « Sans manager -je n’en ai jamais eu-, ça se passait directement avec le club. Il y avait de la qualité, Spaute, AndréColasse, JeanPiccinin, mais aussi des joueurs sur le retour comme Bricmont et Bonga, ça ne tournait pas bien. Comme fixe je touchais 12.000 francs plus une prime de 3.000 le point. Après une saison j’ai accepté l’offre du président Legros de rejoindre le FC Liégeois. Je remontais en D1, ça a duré trois saisons, de 65 à 68. Ce FC Liégeois là avec Delhasse, Baré, Lejeune, les frères Sulon, Depireux, Bertoncello, Stockman et Houf, pouvait battre n’importe qui en Belgique. Houf m’impressionnait comme homme et joueur. Nous jouions en Coupe des Foires, contre MK Zagreb, Loko Leipzig et Dundee FC, entre autres, et je me suis bien plu à Rocourt. On n’y joue plus depuis des années, tout est vide là-bas, parfois j’y pense avec tristesse ».

Au bout de sa troisième saison liégeoise, Orazio reçut une proposition d’un oncle, il s’agissait de reprendre un magasin d’alimentation générale, à Ressaix. « Intéressant, je suis très connu dans le coin. J’en ai parlé au docteur Legros qui m’a clairement indiqué qu’il tenait à me garder. J’ai insisté et Liège m’a libéré. J’étais arrivé célibataire à Rocourt, j’en suis reparti marié ».

Le commerce n’exclut pas le foot, du moins à un niveau plus léger, et La Louvière, alors en Promotion, vint frapper à la porte. « Une blessure au talon d’Achille a gâché les trois-quarts de ma première saison, et je n’ai disputé que les six derniers matches avec au bout le tour d’honneur de la montée en D3. Et 12 mois après, rebelote, nous débarquons en D2 dans les moments de liesse que je viens d’évoquer. On a tenu deux saisons avant de rechuter en 73, et j’ai compris que le club ne comptait plus sur moi, un différend financier nous opposait. Ma belle aventure en vert et blanc n’était pourtant pas terminée. On vint me relancer après un mauvais départ. J’ai dit oui, et ne l’ai pas regretté, puisqu’au bout, via le tour final, nous retrouvions la D2 »..

A 31 ans, Orazio, estima révolu le temps des dribbles et débordements sur la grande pelouse et rejoignit Ressaix, son club d’origine.

Entraîneur

« L’année d’après, j’entamais une longue carrière d’entraîneur, je me demande même, si, à 62 ans, je ne suis pas le doyen en Promotion. J’ai dirigé Bracquegnies, Couillet, Jemappe, été champion avec Farciennes et Chapelle en P1, mais ma grande réussite, c’est la série avec Binche. Trois titres en quatre saisons: coup sur coup en P2, P1, et après deux ans en Promotion, deux en D3. Au bout de ces six années, j’ai quitté mes Binchois, et André Gorez puis Piccinin ont pris le relais. Je m’étais recasé à Couillet, mais un championnat plus tard, Binche m’a recontacté, le club était descendu, et voulait recommencer avec moi. On a cueilli trois places d’honneur, 4e, 3e et 2e. Au total, neuf ans dans le même club, c’est du travail sérieux et apprécié, non ?

A Binche, j’ai sorti deux joueurs qui firent du chemin, SalvinoMarinelli qui joua l’Europe avec Beveren et Tilmant de La Louvière, et à Chapelle en P1 j’ai repéré Douai de Mons, Dimitriadis ex-St-Trond, et Hadri et Bourlard qui évoluèrent à La Louvière. J’ai d’abord entraîné sans diplôme, puis, en 76, j’ai entamé trois années de cours d’initiateur, de moniteur et d’entraîneur, et une grande distinction a chaque fois couronné mes efforts. Avec un titre de major de la promotion entraîneur 79″.

L’Union Belge connaissait donc déjà très bien Schena lorsqu’elle lui offrit, après la série binchoise, un poste de professeur à la formation des entraîneurs. « J’ai enseigné trois saisons, mais j’ai dû finalement renoncer, j’en avais trop sur les bras, ma vie familiale en souffrait ».

Joueur et/ou entraîneur à succès dans toutes les séries du championnat, de P2 en D1, Orazio peut aujourd’hui se permettre l’une ou l’autre réflexion sur le métier d’entraîneur. Celle-ci, par exemple: « Des joueurs internationaux aussi talentueux et expérimentés que Michel Preud’homme et Scifo, pour ne prendre que des cas récents, ont raté leurs débuts d’entraîneur. Pourquoi? Parce qu’ils manquent de planches dans ce job. Ils ont démarré au sommet sans savoir comment s’y prendre avec les hommes; il aurait, sans doute, mieux valu qu’ils débutent un ou deux échelons plus bas. C’est d’expérience que je dis ça ».

Aujourd’hui, entraîneur de Heppignies-Lambusart, et routiné comme pas un, Schena prévoit un futur intéressant pour ce club né, l’an passé, de la fusion de Lambusart, en Promotion, et de Heppignies en P1. « J’ai pris l’équipe en main en novembre 2002, il était dernier avec quatre points après dix matches, mais on s’est sauvé. A 36 ans Joseph Varrichio, l’ancien attaquant de Charleroi, reste mon principal atout et meilleur marqueur. Un talent fou ce garçon, sans doute autant que Scifo, mais pas assez de caractère. Mais l’avenir c’est nos 24 équipes de jeunes qui bénéficient d’une excellente infrastructure avec des installations et pelouses à Heppignies, Lambusart et Fleurus. Le club est bien outillé, en y allant pas à pas, on doit forcément progresser ».

Henry Guldemont

Le premier Italien champion de Belgique

Transféré à Anderlecht pour 800.000 francs il y a 40 ans

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