20.000.000 de supporters

Loin de ses problèmes de cocaïne, le coach allemand s’est refait une réputation et un avenir sur les bords du Bosphore.

Tiré à quatre épingles, Christoph Daum, 50 ans, dégage beaucoup d’autorité avec un regard à la Aad de Mos. Son charisme est évident et il le soigne : costume chic de coupe italienne, cravate soigneusement nouée, cheveux blondis. Il se méfie visiblement de la presse mais ne peut s’en passer. Il l’évite souvent et boude, par exemple, nos confrères turcs de Fanatik, mais décroche souvent la une de tous les titres.

Ce fut le cas, récemment, quand ce personnage haut en couleurs annonça qu’il avait l’intention de demander la nationalité turque :  » J’aurai la double nationalité. La Turquie m’a toujours offert son amitié, surtout pendant les moments difficiles. C’est aussi, pour moi, une façon de lancer un signal en direction des quatre millions de Turcs qui résident en Allemagne « .

L’entraîneur de Fenerbahce n’a pourtant pas l’intention d’apprendre le turc et s’exprime en anglais. Après une longue conversation dans un des bureaux du centre d’entraînement de Fenerbahce, Daum a fait le tour du propriétaire avec nous. Il était fier à juste titre. La perfection : vestiaires confortables, salle de fitness, chambres pour les joueurs, le coach et le staff technique, salle de power training, etc. Christoph Daum surveille des travaux qui amélioreront les bains, les massages aquatiques, le terrain réservé à l’équipe Première. Impressionnant et ce n’est qu’un début.

 » La Turquie travaille et c’est pour cela que le championnat de ce pays est devenu un des meilleurs d’Europe « , avance l’Allemand.  » Il y a tellement de joueurs talentueux ici, dont de plus en plus réussissent dans de grands clubs huppés, que la Turquie peut devenir un nouveau Brésil « .

Galatasaray et Besiktas évoluent en Ligue des Champions. Gaziantepspor et Gençlerbirligi s’apprêtent à prendre part au deuxième tour de la Coupe de l’UEFA. Fenerbahce a reporté ses ambitions européennes à 2007, année de son centenaire. Daum rêve de fêter cet événement en prenant part à la finale de la Ligue des Champions…

Le joueur turc est très sensible

Quelles sont les recettes des succès du football turc ?

Christoph Daum : Istanbul compte beaucoup de clubs de football et trois d’entre eux, Galatasaray, Besiktas et Fenerbahce, se distinguent par leur immense désir de progresser, leur vision, leur travail. Ce ne sont que trois exemples parmi d’autres et la réussite de l’équipe nationale turque lors de la dernière Coupe du Monde, où elle fut troisième, n’est finalement que la conséquence de cette montée en puissance. L’influence étrangère, dont celle des coaches, a joué un grand rôle dans cet essor. Il y a 18 ans, Jupp Derwall a lancé ce pays sur le chemin du progrès en imposant organisation, bons terrains et centres d’entraînement. C’était en fait la rampe de lancement du football turc tant pour les joueurs que pour les coaches. Fatih Terim abat du bon boulot à Galatasaray. Kazim Ersun Yanal de Gençlerbirligi a un très grand avenir national et international. Senol Gunes dirige bien l’équipe nationale. Si j’aimerais entraîner l’équipe nationale turque ? Senol Gunes est un ami. J’accepterais tout au plus de l’aider. Les coaches turcs acquièrent de plus en plus d’expérience internationale.

Pour les joueurs, le talent était déjà abondant mais il fallait l’entourer, le former, l’accompagner. Le football est une passion en Turquie. Je ne vois qu’un autre pays en Europe où il y a un aussi grand potentiel de joueurs naturellement doués : le Portugal. La joie de jouer y est aussi restée intacte et il y a des masses de jeunes prometteurs. En Allemagne, on n’en trouve plus. Les adolescents y ont d’autres centres d’intérêt que le football. C’est dire si le travail est intéressant en Turquie, une deuxième patrie où je me sens vraiment très heureux. Fenerbahce est mon deuxième club turc après les deux contrats que j’avais signés, avant cela, à Besiktas, de 1994 à 1996 et de 2001 à 2002.

On veut lutter pour le titre ici, mais le but est de travailler à long terme. Je sais que la pression des résultats n’épargne personne… Ce n’est pas l’argent qui fascine le plus en football mais l’inattendu.

Quelles sont les différences entre la façon d’appréhender le football en Turquie et en Allemagne ?

En ce qui concerne le coaching, le joueur turc est plus sensible. Ce dernier prête attention à la façon dont vous lui dites bonjour le matin. Si le  » hello  » est moins chaleureux que la veille, il en déduira peut-être que votre confiance à son égard est en baisse. L’émotion joue un grand rôle et il est préférable de miser sur le positif avant d’avancer dans le travail et d’éliminer le négatif. Sans cela, on peut perdre un joueur s’il est déçu par l’approche du coach. En Allemagne, tout est beaucoup plus critique. Et c’est accepté. On y fonctionne plus dans des climats négatifs mais cela ne pose pas de problèmes aux joueurs.

Sur un terrain, il faut vite se réorganiser, prendre des mesures défensives ou offensives, jouer en un temps, réagir mentalement, analyser une situation. Le joueur turc a envie d’apprendre, d’être meilleur et demande des explications à propos de détails. Par rapport à ce désir de progresser au quotidien, les gars de la Bundesliga estiment souvent qu’ils sont formés, savent tout et n’ont plus rien à apprendre.

Pourquoi ne parlez-vous plus à nos confrères turcs de Fanatik ?

La presse turque est très agressive et profite de la sensibilité des joueurs. Le football répond ici à un tel intérêt des gens que la presse exploite ce phénomène et les grands titres se livrent à une guerre sans merci. Des détails sont agrandis, comme en Angleterre, et les nombreux médias, les journaux, les radios ou les télévisions, créent finalement une ambiance tendue autour des stades. La pression est très forte. A mon avis, la presse oublie qu’elle doit informer et être critique, certes, ce que je ne conteste pas du tout, mais éduquer aussi les amateurs de football. Si c’était le cas, tout serait plus cool. 70 % des journalistes turcs ne s’en soucient pas. En 1985, ce pays a découvert la démocratie. La presse en a fait de même mais en dépassant parfois les bornes, comme en Angleterre. Revenir en arrière est difficile. Il faut se protéger ici car le respect de la vie privée n’existe pas. Je me suis adapté à cela mais aussi à la culture, à la mentalité, aux traditions, aux bons côtés du pays. C’est indispensable si on veut travailler avec succès. Je ne veux rien imposer. Je ne cherche pas à apporter quelque chose de nouveau, je désire partager afin d’améliorer le résultat déjà atteint. Cela demande beaucoup de travail.

Plus rien à prouver

Comment se situe Fenerbahce par rapport à Galatasaray et Besiktas qui évoluent en Ligue des Champions ?

Tout le monde s’identifie à une équipe et Fenerbahce est le club le plus populaire de Turquie. Il compte au moins 20.000.000 de sympathisants à travers le pays. C’est une richesse dont nous devons tirer un plus grand profit : succès et formation de grands joueurs. Nous nous y attachons calmement. Le moyen terme…

Cela n’existe pas en Turquie. Fenerbahce vise le titre cette saison…

Je sais qu’il faut toujours être affamé de succès et de progrès. Sans cela, on échoue, comme c’est le cas parfois d’excellents joueurs russes qui viennent ici et pour qui c’est une fin en soi. Qui n’avance pas recule, aussi grand soit le talent, c’est aussi simple que cela.

Ce sera le titre ou rien, le titre ou plus de Daum ?

On verra, je sais ce que je sais et pourquoi je travaille. Oui, il y a le centenaire en 2007. Important…

Votre vie a changé en Turquie mais on vous devine plus confiant que dans le temps…

Je n’ai plus rien à prouver. J’ai obtenu des résultats en Allemagne, en Autriche et en Turquie. Je peux offrir mon expérience. Je suis heureux de donner mon vécu à Fenerbahce. Je n’ai pas fini, loin de là, mon travail de coach. Et ce ne sera jamais le cas. Quand la mort viendra, mon travail ne sera pas terminé, il sera interrompu. Il y a tellement de choses que je dois faire. La Turquie me soutient et je ne l’apprécie pas seulement parce qu’elle m’a accueilli quand j’avais des problèmes. J’ai grandi avec de jeunes turcs en Allemagne, dans une région industrielle. Enfant, j’avais déjà des amis turcs. Ils ont toujours fait partie de ma vie.

Quand est-ce que tout cela, c’est-à-dire l’affaire de la cocaïne, a commencé ?

J’ai donné tout ce que je pouvais donner à l’Allemagne. J’ai aidé le football, le pays, notamment via des £uvres caritatives. Je ne dois plus rien faire pour l’Allemagne. Je suis libre de toute dette à son égard. C’est quand on a cité mon nom en tant que coach national que tout a commencé. J’étais au Bayer Leverkusen, on dominait la Bundesliga et je ne voulais pas diriger la Mannschaft. Je peux le prouver car j’ai des écrits de ma part accréditant mes propos. Ce sera un des éléments du bouquin que j’écrirai un jour. On a raconté tellement de mensonges.

Uli Hoeness et Karl-Heinz Rummenigge m’ont imploré d’accepter cette mission pour le bien du football allemand, disaient-ils. Ils étaient derrière moi. J’avais refusé dans un premier temps et cette insistance bavaroise était si forte qu’à la fin, c’était d’accord. Puis, la presse affirma, en reprenant des propos d’Uli Hoeness, que je ne deviendrais finalement jamais entraîneur du Bayern Munich avec cette promotion.

Etait-ce une man£uvre bavaroise anti-Daum et anti-Leverkusen, qui dominait le football allemand, comme certains le disent ?

Je me demandais ce qui se tramait. A l’époque, je voulais construire un grand centre du football allemand près de Cologne c’était facile pour tout le monde. Beaucoup de clubs étaient d’accord. La firme Bayer allait le construire. Et quand Bayer se lance dans quelque chose, c’est toujours bien fait. Le Bayern Munich savait tout cela. Cela voulait dire aussi qu’une partie du pouvoir décisionnel basculait de la Bavière vers l’ouest du pays. Inutile de dire que le Bayern ne l’a pas accepté, c’était un danger pour Munich. Ce centre auquel je pensais se situe désormais près de cette ville. Quand on mesure cela, on a compris pas mal de choses qui se sont passées à mon propos : les man£uvres, le moment de la parution de certaines choses…

Reviendrez-vous un jour en Bundesliga ?

Il est totalement impossible que je retravaille un jour en Allemagne. Si je signais un jour en faveur d’un club de la Bundesliga, le  » bureau d’investigations  » d’Uli Hoeness entamerait une seconde plus tard, ou même avant, ma démolition.

Comme lors de votre affaire ?

J’ai fait une erreur. On m’a exécuté. Le prix à payer était trop élevé. Je n’avais aucune chance de me défendre. Mon affaire est devenue un spectacle. A l’époque, je ne savais pas d’où venaient les coups. Maintenant, oui. Le public était de mon côté, j’en suis persuadé. On m’a demandé si je prenais de la cocaïne. J’ai dit non. Est-ce que, par exemple, un homme ayant trompé sa femme ne dirait pas non si on lui posait brutalement la question devant ses enfants ? Tout le monde répondrait négativement. On m’a traité comme si j’avais commis le plus grand des crimes de l’histoire du football en Allemagne. Mais parlons d’autre chose…

Toujours attaquer, avec et sans le ballon

Que peut-on améliorer tactiquement dans le football moderne ?

Rien n’est jamais complet. Tout évolue sans cesse. Le 4-4-2, par exemple, le système le plus actuel, ne date pas d’aujourd’hui et est en mutation permanente. On peut en étudier les évolutions par décade. Tout est dans l’interprétation qu’on en fait. Arrigo Sacchi l’avait remis au goût du jour à l’AC Milan. Le Real Madrid en a fait sa structure de base mais avec des joueurs de nature plus universelle. Un joueur comme Zinedine Zidane organise le jeu mais, en fonction des développements d’un match, il peut se transformer en attaquant, défenseur ou récupérateur. Actuellement, il n’y a pas un 4-4-2, mais bien 10 au minimum. Le pratique-t-on avec ou sans libero comme dans 75 % des cas ? Qui ferme la porte ? Les joueurs sont de plus en plus doués. Les défenseurs participent plus. Je n’aime pas le mot défendre. Pour moi, le football, c’est toujours attaquer, attaquer avec le ballon et… attaquer sans le ballon, c’est-à-dire presser. Cela signifie, dans le dernier cas de figure, que l’essentiel est d’avoir l’initiative, que ce soit offensivement ou défensivement. Sur le terrain, celui qui décide fait le plus souvent la différence. Les joueurs du type Didier Deschamps, des récupérateurs, sont aussi devenus des meneurs de jeu car ils touchent de plus en plus de ballons. Mais on n’a pas encore trouvé un nouveau système intergalactique. Le métier de coach n’est plus le même. Il y a 20 ans, un entraîneur était, en quelque sorte, un professeur de football pour son groupe. On l’écoutait. Maintenant, il doit passer une grosse partie de son temps à représenter son club.

 » La Turquie peut devenir un deuxième Brésil  »

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