1994 : LE MONDE le découvre

Malines, Benfica, la Coupe du Monde aux Etats-Unis. L’ancien gardien du Standard ouvre sa boîte à souvenirs.

Alors que Beck inondait les ondes radio avec son premier tube, Loser, Michel Preud’homme montrait qu’il n’en était pas un. L’année 1994 consacrait son talent. La FIFA le choisissait comme meilleur gardien de la Coupe du Monde et en septembre, Preud’homme devenait meilleur gardien du monde. Le tout rehaussé d’un passage à Benfica. Flash-back sur une année extraordinaire qui avait pourtant bien mal débuté.

A 35 ans, un souffle de fin de carrière commençait à courir sur la nuque de l’ancien portier du Standard. Le cycle malinois touchait à sa fin et Filip De Wilde avait impressionné les spécialistes lors du dernier match de qualification contre la Tchécoslovaquie.  » On sentait que c’était la fin du grand Malines « , explique Preud’homme,  » L’année précédente, on avait réussi à arracher un ticket européen mais en 1994, on avait terminé 8e. On sentait que le niveau était moindre. Le président Willy Dussart avait repris le club, rempli de bonnes volontés mais sans grands moyens. J’étais le dernier à rester. De plus, j’avais été blessé en cours de saison. J’avais dû jouer un match de coupe d’Europe sur une jambe et par la suite, j’avais dû faire l’impasse sur le match des Diables Rouges contre la Tchécoslovaquie. Les médias avaient surtout retenu la bonne prestation de De Wilde. Je ne me suis pourtant jamais inquiété car Paul Van Himst m’avait assuré que je reprendrais ma place une fois ma blessure guérie « .

La piètre saison malinoise allait pourtant servir Preud’homme. Devant une fin de saison sans pression et sans objectif majeur, le gardien de l’équipe nationale allait intensifier sa préparation pour la Coupe du Monde.  » Quand j’ai vu qu’il n’y avait plus rien à gagner, j’ai dit au président, vers le mois de février, que j’axais mes entraînements sur la Coupe du Monde. Je me suis concocté, seul, un programme et il n’était pas rare que je m’entraîne à deux reprises : une fois avec le groupe et une autre seul « .

Si son corps se tournait déjà vers l’échéance du mois de juin, sa tête quittait également Malines. Lors d’un stage de l’équipe nationale à Font Romeu fin mai, il annonçait ce que même lui n’attendait plus : un transfert à l’étranger. Après plusieurs tentatives avortées, il arrivait à un accord avec Benfica.  » Le président Dussart n’avait pas voulu me vendre pour 2,25 millions d’euros à Brescia la saison précédente mais quand Benfica est arrivé, son discours avait changé. Ça arrangeait bien la nouvelle direction de se débarrasser d’un grand salaire. Et pour moi, il s’agissait de la dernière opportunité d’évoluer à l’étranger. Tout au long de ma carrière, j’ai été courtisé par les trois grands clubs portugais. Porto avait été le premier club étranger à me faire une offre dans les années 80. Puis le Sporting Lisbonne était venu aux nouvelles et finalement, j’ai abouti à Benfica. Mon grand rêve, c’était de jouer en Italie. J’adorais ce championnat et la mentalité qui l’accompagnait. A l’époque, c’était encore le meilleur du monde. En plus, j’y aurais été accueilli à bras ouverts. A chaque fois que j’allais disputer une rencontre dans la botte, les gens étaient charmants avec moi. Lorsque Malines avait rencontré l’AC Milan, le président Silvio Berlusconi était descendu dans nos vestiaires et m’avait dit que je lui plaisais beaucoup. Cependant, les clubs italiens ne pouvaient à cette époque qu’engager trois étrangers et Milan était servi avec Marco Van Basten, Ruud Gullit et Frank Rijkaard. Berlusconi m’avait demandé de ne jamais partir à l’étranger sans le consulter. Quand j’ai reçu une offre de Torino, il m’a encouragé à répondre favorablement en me disant que ce serait plus facile d’aboutir à Milan, une fois déjà présent dans le Calcio « .

L’esprit libéré, Preud’homme pouvait partir aux Etats-Unis :  » Ce transfert n’a pas du tout perturbé ma préparation. J’étais déjà fin prêt pour la Coupe du Monde. Par la suite, tout s’est enchaîné. Lors du stage à Font Romeu, on a expérimenté la fréquence électrocardiomètre. Les conditions étaient idéales. Comme j’avais pu ralentir le rythme à Malines, je n’étais pas brûlé physiquement. J’avais alterné les périodes de repos et de musculation. J’arrivais donc aux Etats-Unis en pleine possession de mes moyens. Il faut un programme spécifique pour arriver au top à cette période de l’année. La meilleure période pour disputer une phase finale, ce serait fin septembre, début octobre quand tu es déjà affûté sans être carbonisé « .

Le match parfait contre les Pays-Bas

Preud’homme avait retenu les leçons du passé et tiré les enseignements. En 1990, en Italie, le stress et la volonté de trop bien faire avaient anéanti sa Coupe du Monde.  » A l’époque, j’étais trop rigoureux avec moi-même. Je m’enfermais dans ma chambre après les entraînements pour visionner les cassettes des futurs adversaires. Je voulais tout sauver et j’avais l’impression que si un jour je rigolais ou si je dormais une heure en moins, je jouerais mal « .

Le groupe belge ne nageait pourtant pas dans le bonheur. Marc Degryse et Josip Weber s’ignoraient après une partie de poker qui avait mal tourné.  » Il y a toujours des petits problèmes dans ces compétitions. De plus, on attendait trop de Weber. Il se trouvait dans la même position que moi quatre ans plutôt. A l’époque, on disait û C’est bon, on n’encaissera déjà pas « .

Pour la Belgique, la Coupe du Monde débutait contre le Maroc,  » un match sérieux avec quelques interventions importantes  » et l’emportait 1-0 grâce à un but de Marc Degryse mais c’est le match des Pays-Bas qui allait démontrer l’étendue du talent de Preud’homme. Contre nos voisins du nord, il se démultipliait et faisait front devant toutes les tentatives hollandaises.  » Pour moi, c’est la première intervention qui s’est avérée la plus délicate. On l’a peu mise en exergue mais elle fut importante pour la suite de la rencontre. Il s’agissait d’un coup franc de Ronald Koeman, décalé sur la droite. J’ai vu une masse de joueurs orange débouler au premier poteau alors que Koeman nous gratifiait d’un de ses tirs surpuissants dont il a le secret. Bref, j’ai dû me lancer à l’abordage et capter ce boulet vicieux. Quand j’ai pris cette balle et que je l’ai bloquée au sol, j’ai senti que j’étais parti pour faire une grande rencontre « .

Le reste du match ne fut qu’une suite d’arrêts :  » J’étais tellement concentré que je me sentais dans une sorte d’état de transe et quand un gardien se trouve dans un tel état, il arrive à lire ce qui va se passer quelques fractions de secondes plus tard et anticiper l’action de jeu. Contre les Pays-Bas, je me suis retrouvé seul face à deux attaquants néerlandais. J’ai anticipé le centre en retrait et si le joueur avait pris une autre option, j’étais roulé dans la farine. Mais quand tu atteins un tel niveau de jeu, tout te réussit « .

La Belgique l’emportait 1-0 grâce à Philippe Albert. La presse était unanime et le monde découvrait un gardien à son apogée. Preud’homme était entré dans la légende après un match encore ancré dans la mémoire collective.

Les Diables Rouges déchanteront par la suite. La défaite contre l’Arabie Saoudite (1-0) poussait les hommes de Paul Van Himst dans les griffes des Allemands en huitièmes de finale. Les champions du monde en titre allaient profiter de l’arbitrage douteux et de leur propre puissance de feu pour mettre fin à l’aventure américaine des Belges. Pourtant dans ce déluge, un homme surnageait : Michel Preud’homme.

 » Evidemment, je n’ai pas su reproduire le match parfait. Contre les Pays-Bas, j’étais imbattable. Il n’y a qu’un penalty que je n’ai pas arrêté ce jour-là. Pourtant, j’ai réussi à conserver un très bon niveau. Contre l’Arabie, on perd. On fait le jeu mais je dois quand même sortir quelques parades. Et contre les Allemands, je prends trois buts mais j’ai eu aussi beaucoup de boulot « .

Ses prestations ne sont pas passées inaperçues et à la fin de la World Cup, la FIFA honorait Preud’homme du titre de meilleur gardien de l’événement. Fait rarissime pour un joueur n’ayant disputé que 4 matches.  » Quand tu disputes quatre rencontres comme celle de la Belgique, cela vaut 7 matches où le gardien n’a rien à faire. Sur le plan collectif, notre Coupe du Monde n’était pas vraiment réussie. Cela faisait deux fois que l’on sortait des groupes avant de se faire éliminer en huitièmes. Il me reste un goût d’inachevé d’autant plus que tant en 1990 qu’en 1994, nous avions l’équipe pour aller plus loin. Sur le plan individuel, notre périple aux Etats-Unis restera gravé dans ma mémoire. Il s’agissait du premier trophée Lev Yachine remis à la Coupe du Monde et c’est moi qui le recevais « .

Courtisé par le Real à 37 ans

La série des récompenses ne faisait que débuter. En septembre, la Fédération internationale de l’histoire et des statistiques du football (IFFHS) rendait son verdict dans l’attribution du titre de meilleur gardien du monde. Preud’homme enlevait la timbale après avoir terminé deux ans d’affilée (1989-1990) au second accessit. Une consécration.  » Il s’agissait d’une récompense pour tous les sacrifices effectués « . A 35 ans, l’ancien malinois pouvait partir l’esprit tranquille relever le défi lisboète.  » La presse portugaise se demandait ce qu’un gardien de 35 ans venait faire à Benfica. La presse défend toujours ses joueurs nationaux. D’autant plus que Benfica comptait dans ses rangs le deuxième gardien de l’équipe nationale Neno. Mais la Coupe du Monde m’avait donné une fameuse carte de visite. Mes performances avaient rassuré le public de Benfica. Cependant, je savais que je devais encore prouver ma valeur sur le terrain « .

Si Preud’homme ne gagnait aucun titre national avec Benfica, il laissait une trace de son passage.  » Mon rôle était assez important au sein de l’équipe et ce n’était pas normal pour un club comme Benfica que le gardien sauve l’équipe. Ils ont eu des grands gardiens mais lors du référendum pour le centenaire du club, c’est moi que les supporters ont choisi comme meilleur gardien du club. A 37 ans, le Real me courtisait pour un transfert. Mais Benfica n’a pas voulu me lâcher. Je revivais la même histoire que Malines. Finalement, le Real jetait son dévolu sur l’Allemand Bodo Illgner et remportait quelques mois plus tard la Ligue des Champions…  »

Stéphane Vande Velde

 » Berlusconi m’avait demandé de le consulter AVANT DE QUITTER MALINES  »

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