1968-69, 1981-82, 2003-04

Pierre Bilic

Le King compare les Rouches de Dominique D’Onofrio à ceux de René Hauss et de Raymond Goethals.

Standard-Mouscron : ce match s’est terminé sur deux coups de théâtre. Mené 1-3, suite à dix minutes catastrophiques en début de deuxième mi-temps (un but de SteveDugardein, deux autres signés par Luigi Pieroni), le Standard redressa la barre de toute justesse dans le temps additionnel par Onder Turaci et Emile Mpenza sur penalty.

Toujours tiré à quatre épingles, Henri Depireux aura poussé un ouf de soulagement comme tous les supporters liégeois. Un point gagné ou deux unités perdues dans la lutte pour un ticket en Ligue des Champions ? Au vu des événements, beaucoup de Liégeois penchaient pour le point gagné. Les absences d’ Ivica Dragutinovic, LaloSorondo, Roberto Bisconti et Almani Moreira se firent sentir. Danny Boffin remplaça tant bien que mal Almani Moreira. Des titulaires s’effacèrent à l’image de GonzagueVandooren ou de Miljenko Mumlek. Leur baisse de régime fut heureusement compensée par la fraîcheur de jeunes comme Laurent Gomez et Gilles Colin. Des gamins qui ont du tonus à revendre comme le… King.

Henri Depireux a conservé plus que de beaux restes à l’approche de ses 60 ans qu’il fêtera le 1er février. Principautaire jusqu’au bout des ongles, il roule parfois des mécaniques et ne cèdera jamais sa liberté, même pour tout l’or du monde.  » L’amitié est infiniment plus importante que l’argent « , dit-il.  » Un pote peut m’appeler en pleine nuit, je viens. A l’époque actuelle, les gens n’ont plus le temps d’avoir de vrais amis. Time ismoney. Tout est fast : fast food, fast work, fast amitié « . Vu le talent qui était le sien, le King peut nourrir le regret de n’avoir joué que deux fois avec la tunique des Diables Rouges sur le dos. Pourtant, son palmarès de joueur vaut le coup d’£il : Liège, Standard (trois titres nationauxen 1969-69, 1969-70, 1970-71), Racing White, Bas-Oha. Il roula sa bosse d’entraîneur au Portugal, en France, en Suisse, en Afrique, et travailla en Belgique : Wavre, Standard, Liège, Visé. Son fils, Eric, a opté pour le métier d’agent de joueurs. Un jour, le King retrouvera son sac de sport pour vivre sa passion pour le football, même s’il doit repartir à l’étranger en sachant que son bonheur ne peut qu’être éphémère loin du Perron liégeois.

Défense

René Hauss était jeune quand il débarqua d’Alsace en 1968. A 39 ans, le Chef avait remporté la Coupe de France avec Strasbourg, point final de sa carrière de joueur. Il hérita d’une défense de fer mise au point par Michel Pavic et continua sur cette lancée. Dis, tu te souviens, Henry ?

 » Dans la cage, il y avait trois superbes gardiens « , dit-il.  » Jean Nicolay avait abordé la fin de sa carrière mais c’étaitencore Jean Nicolay. Il fallait lui passer sur le corps pour marquer. C’était un roc, un top du plus haut niveau européen. Christian Piot était taillé dans le même bois. La grande classe, un keeper qui gagnait dix points sur une saison à lui tout seul. Une grande équipe sans dernier rempart de classe, c’est impossible. Pourtant, si on ne tenait compte que du talent, Daniel Mathy était le plus doué des trois. A l’entraînement, le Carolo signait des trucs de grande classe. En match, c’était différent. Daniel perdait une grosse partie de ses moyens. Nous tenions une des meilleures défenses de l’histoire du football belge. Elle fut la première à jouer totalement à plat. Même si Léon Jeck marquait mieux à la culotte que NicolasDewalque, personne ne savait exactement qui était le libero. L’alternance était quasi totale et permanente. Le Polonais était intransigeant mais aussi très rapide. Nicolas Dewalque avait du talent à revendre : élégance, facilité, technique, etc. Pourtant, il ne s’entraînait sérieusement qu’une fois par semaine, le jeudi. Avant cela, il était pris par ses affaires. A droite, Jacky Beurlet était un buffle. Ses adversaires avaient les chocottesquand ils sentaient son souffle dans leur cou. Une terreur qui, pourtant, doutait souvent de lui. Avant un match, il alignait ses dix paires de chaussures devant lui. Il les avait probablement cirées toute la nuit mais les regardait et ne savait pas laquelle choisir en fonction de l’état du terrain. Jacky ne montait pas trop car il y avait un certain Léon Semmeling devant lui qui pistonnait sans cesse et décrochait pour bloquer son couloir. A gauche, Jean Thissen, un ancien attaquant, mettait beaucoup le nez à la fenêtre, était bien couvert par Louis Pilot etswitchait parfaitement avec Antal Nagy. Et sur le plan défensif, je ne dois pas vous faire un dessin : celui qui se risquait dans la zone de Jeannot était immédiatement pris en charge, bloqué, soumis à une grosse pression athlétique « .

La ligne arrière de 1981, coulée dans le béton par Raymond Goethals, était-elle du même acabit ?  » Elle avait de grosses qualités car le Sorcier avait l’art, lui aussi, de bien organiser la récupération du ballon « , avance Henri Depireux.  » Michel Preud’homme est devenu un immense gardien de but. Sur le plan défensif, les équipes de 1969 et de 1981 étaient comparables. A mon avis, cependant, malgré le pressing, le hors-jeu, et une défense plus ou moins à plat, la défense de 1981 jouait un zeste peu plus bas. Walter Meeuws était un superbe libero qui décrochait plus que Nicolas Dewalque. Il tenait clairementen mains les clefs de la défense. Théo Poel était un stoppeur pur. C’était son job et il s’y tenait alors que Léon Jeck se muait aussi en couvreur dans l’alternance au centre de la défense. Eric Gerets détenait la classe internationale. A gauche, il y avait TonyEnglebert, plus jeune, ou Etienne Delangre quand Gérard Plessers était avancé dans la ligne médiane. Ce secteur joua un rôle important dans la lutte pour le titre et afin de parvenir en finale de la Coupe des Coupes. Il n’y a pas de grande équipe sans grande défense ou avec un gardien moyen « .

En 1968-69, le Standard marqua 62 buts et n’en encaissa que 18 (en 30 matches, la D1 comptant 16 clubs) et sa défense fut de très loin la meilleure de l’élite. Eric Gerets et les siens se retournèrent à 28 reprises en 1981-82 (34 matches). Le Standard eut la troisième défense de D1 (derrière Gand et l’Antwerp) mais disposait des meilleurs artificiers de la saison : 59 buts. L’équipe de René Hauss était globalement plus équilibrée que celle de Raymond Goethals. Après 18 matches, la défense de Dominique D’Onofrio a pêché 16 fois le ballon dans ses filets. Est-ce à dire que ce secteur est plus friable que celui des générations précédentes ?  » Un système se met indiscutablement en place « , remarque Henri Depireux.  » Il faut continuer dans ce sens. Michel Pavic avait formé une défense mais cela avait pris du temps et René Hauss sut placer cette défense dans un système tactique global intéressant avec l’arrivée notamment de Wilfried Van Moer, venu de l’Antwerp. Après des débuts difficiles, Fabien Carini rend des services. J’ai longtemps cru qu’il souffrait du même mal que Daniel Mathy tant il semblait paralysé sur le terrain. Le jeu des comparaisons est délicat. Mais Ivica Dragutinovic aurait pu faire partie de l’équipe de 1968. Drago est un leader, un patron, un gars qui impose sa personnalité. Les autres ont encore besoin de temps avant d’atteindre leur apogée. J’estime par exemple qu’Onder Turaci peut aller loin « .

Milieu de terrain

L’équipe de René Hauss comptait un brise-lames, Louis Pilot, et unmeneur de jeu sachant tout faire, que ce soit défendre ou attaquer : Wilfried Van Moer. Sur les ailes, Léon Semmeling et Antal Nagy assumaient un rôle ultra important.  » Louis Pilot nous secouait quand il le fallait « , se souvient Henri Depireux.  » Kitchi m’a appris à travailler. Il ne lâchait jamais rien et ne supportait pas de faire une mauvaise passe, même pas à l’entraînement. Wilfried chassait à mort. Quand un ballon me semblait perdu, je le laissais aller. Van Moer jamais et j’avais à peine le temps de me retourner que Kitchi avait arraché le ballon à un adversaire pour relancer la mécanique. A droite, Léon Semmeling travaillait beaucoup et avait l’art entre autres de déborder et de centrer. A l’heure actuelle, tout le monde veut imiter David Beckham et les centres viennent de trop bas : ce sont des cadeaux pour les arrières centraux et les portiers qui peuvent les cueillir sans problème. Léon Semmeling centrait après avoir débordé son back, ce qui ne se fait plus assez. Ses balles, très travaillées, avaient une courbe banane à la Franky Vercauteren, échappaient au gardien et il suffisait de les toucher du front pour qu’elles reprennent de la puissance. Je savais exactement, au centimètre près, où arrivaient les centres de Léon Semmeling. Antal Nagy était très mobile à gauche. Il fut d’ailleurs sacré meilleur buteur (20 buts) en 1968-69 et Roger Petit le céda sur le marché des transferts. La saison suivante, nous avons hérité de Ludo Cvetler et de Sylvestre Takac, deux gars en or. Ludo dépannait partout dans la ligne médiane. Bien que droitier et habitué à jouer dans l’axe, Sylvestre accepta de jouer à gauche, où il rendit de grands services. Le Standard, c’était une ambiance, un esprit de groupe « .

Raymond Goethals disposait lui aussi d’un entrejeu bien balancé.  » Tout à fait « , affirme Henri Depireux.  » Arie Haan était une formidable rampe de lancement pour le génial Simon Tahamata et le puissant Benny Wendt. Jos Daerden était à son service et, mais de manière différente, effectuait le même travail que Louis Pilot. Il se consacrait à l’équipe. Guy Vandersmissen coulissait bien vers le centre quand Eric Gerets déboulait sur son aile. C’était du solide avec de l’intelligence de jeu, du métier et une rage de vaincre. Raymond Goethals ne changeait pas souvent son équipe de base. Quasiment jamais…  » Le Standard actuel semble avoir un noyau plus élargi mais quand Roberto Bisconti, Ivica Dragutinovic Lalo Sorondo, et Almani Moreira ne sont pas là, comme face à Mouscron, cela pose des problèmes, surtout dans l’entrejeu.  » Roberto Bisconti assume un rôle très important dans ce secteur « , dit Henri Depireux.  » L’équipe a trouvé sa voie quand il s’est installé devant la défense. Bisconti chasse et relance. Mais, globalement, malgré des promesses, comme JonathanWalasiak, on ne peut pas encore comparer cette ligne médiane à celle de 1981 ou de 1968. Je ne vois pas de Wilfried Van Moer, d’Arie Haan. Cela dit, le football a changé. Il y a 30 ans, j’avais encore une seconde pour contrôler une balle. Maintenant, il faut réagir comme une Formule 1 « .

Attaque

En 1968, Erwin Kostedde éclata au firmament du football belge. Henri Depireux était posté derrière lui mais René Hauss pouvait aussi compter sur une autre paire formée par Jean-Paul Colonval et Milan Galic.  » Les grands finisseurs se distinguent aussi par leur calme « , retient Henri Depireux.  » Erwin Kostedde était toujours cool dans le rectangle. Les arrières adverses ne savaient plus où donner de la tête quand cela chauffait mais Erwin feintait, attendait son moment. A l’heure actuelle, on canarde au plus vite et beaucoup de balles ne sont pas cadrées. Erwin chaussait du 47, couvrait sa balle comme personne et plaçait hors portée du gardien de but d’un beau plat du pied quand il le fallait. C’était superbe. Erwin, Jean-Paul et Milan n’étaient pas des plus rapides. Nous compensions sur les ailes et par notre science du jeu. J’occupais un peu la même place qu’Almani Moreira actuellement. Mais j’étais plus efficace à la finition. Je soutenais notre pivot de pointe. Moreira sert deux attaquants différents : Alexandros Kaklamanos, la tour, et Emile Mpenza l’homme des profondeurs. Emile Mpenza et Simon Tahamata auraient pu rendre des services à la génération de 1968. Quand des gars comme eux partent, on ne les reprend plus. L’équipe de 1968 manquait de profondeur en pointe. Avec Emile Mpenza, le problème aurait été réglé. J’espère qu’Emile continuera sur sa nouvelle lancée. Il ne faudrait pas qu’il ait plus tard le regret, comme moi, de ne pas avoir totalement exploité son talent « .

Une équipe, c’est aussi un coach. René Hauss et Raymond Goethals ont marqué leur époque au Standard. Sera-ce le cas de Dominique D’Onofrio ?  » Il me semble très près de son groupe « , avance Henri Depireux.  » Il a du vécu pour avoir dirigé beaucoup d’équipes à tous les étages du football belge. Or, il est beaucoup plus difficile d’entraîner en Promotion ou en D3 qu’en D1. L’élite est professionnelle et un entraîneur peut y être exigeant. Dominique D’Onofrio suscite le respect et le fait d’avoir un frère comme Luciano dans le dos lui facilite la vie. Les joueurs savent qu’il y a unité dans tout le club. Quand le coach parle, c’est tout le club qui s’exprime. Il y a indiscutablement une ligne de conduite tactique. Le Standard s’y tient, ne varie pas trop ses caps tactiques marqués de gros accents offensifs. Dominique D’Onofrio livre un gros travail, se donne, vit pour son défi. A Anderlecht, le Standard avait fait le jeu dans le camp adverse. Les Mauves n’en menaient pas large. Faire le jeu à Bruxelles, ce n’est pas donné à tout le monde et cela souligne des potentialités qui ne se révéleront totalement que via la régularité. Les Liégeois comptent et participent au débat en tête de la D1. Dominique D’Onofrio y est pour beaucoup. Par rapport à lui, Raymond Goethals avait déjà toute une carrière dans le rétro. René Hauss n’a pas révolutionné que le Standard. Il fut le premier à travailler les étirements en Belgique « .

Pierre Bilic

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