19 mars noir

Jusque-là, le gardien de Mouscron était inamovible…

Cela fait près de quinze jours que le soleil inonde généreusement la Belgique de ses rayons et on voudrait que cela ne s’arrête pas. « Profitez-en bien », nous dit Franky Vandendriessche en nous faisant pénétrer dans sa jolie demeure, entre Waregem et Nokere. « Demain, cela va changer ». Une bonne heure après, lorsque nous prenons congé, les premières gouttes de pluie se font sentir. A la fin de sa carrière, le gardien de Mouscron pourra toujours se reconvertir en Monsieur Météo.

« Depuis ma double opération du ligament croisé postérieur, mon genou droit peut prévoir tous les changements de temps », sourit-il. « Et le matin, lorsque je me lève, il m’est parfois pénible de descendre les escaliers, surtout lorsque nous avons eu deux entraînements la veille. Dans ces moments-là, j’ai l’air d’un vieux de soixante ans ».

Pourtant, Franky Vandendriessche est bel et bien de retour. C’est lui qui a disputé les cinq derniers matches de la saison avec Mouscron. Et ce lundi, après une seule semaine de repos complet, il a repris un entraînement individuel en salle de fitness, afin d’être plus ou moins au même niveau que ses partenaires lorsque les séances collectives reprendront, en juillet.

« A ce moment-là, nous aurons deux entraînements par jour et deux matches par semaine », dit-il. « Il faudra que j’aie récupéré ma masse musculaire afin de ne pas être trop fatigué et de ne pas risquer des élongations. De toute façon, mes vacances ne sont pas vraiment gâchées puisque nous ne partons jamais: mon épouse est enseignante et elle travaille jusque fin juin. Et moi, à cette époque, je reprends le collier ».

Une sorte de malédiction semble s’acharner sur les gardiens mouscronnois. Entre la chute à vélo d’ Yves Feys et la fracture du bras de Kurt Vandoorne, Franky Vandendriessche s’est blessé à deux reprises en l’espace de cinq mois. Et dire qu’avant cela, il venait de disputer soixante et un matches d’affilée pour Mouscron et n’avait pas manqué une seule minute de jeu des trois championnats précédents avec Waregem.

« Jusqu’à ce maudit 19 mars, je n’avais jamais été blessé », dit-il. « C’était à Beveren. Tarachulski avait été lancé de l’entrejeu et se présentait seul devant moi. Je suis sorti le genou en avant et son pied a heurté mon articulation. J’ai tenu jusqu’à la fin du match mais, le 24 mars, il a fallu m’opérer. Je suis rentré juste à temps pour le début du championnat. J’ai livré deux matches amicaux, contre Denderleeuw et Mayence, l’équipe de René Vandereycken. La veille de la première rencontre de championnat contre GBA, Hugo Broos m’a appelé: c’était la première fois qu’il laissait quelqu’un décider de sa participation ou non à un match et il a dit qu’il ne le ferait plus jamais. J’ai dit OK mais j’ai lu par la suite qu’à l’échauffement, il avait douté de moi parce que j’avais raté un ou deux ballons. Mais il faisait 30 degrés et j’étais lessivé ».

Le match, par contre, fut bon : Mouscron s’imposa 3-0 et Vandendriessche, qui effectua trois arrêts importants, fut l’un des meilleurs acteurs de la partie. Tout le monde pensait qu’il était revenu à son meilleur niveau mais… La semaine suivante, sur exactement le même type de phase, il entre en contact avec Vermant et sort sur une civière.

« La nuit, je n’en ai pas dormi. Tellement j’avais mal, bien sûr, mais aussi parce que je me disais que ma carrière était peut-être fichue. Le lendemain, avant d’aller voir le chirurgien, on m’a dit que ce n’était peut-être qu’un coup au ménisque mais le verdict fut impitoyable: le ligament était à nouveau atteint. En une demi-heure, le médecin m’a toutefois rassuré. Il m’a affirmé que je rejouerais au football et que mon ligament serait plus solide qu’avant, parce qu’il allait le dédoubler ».

Les conséquences de cette deuxième intervention s’annonçaient toutefois plus pénibles. Comme Vandendriessche n’avait pas encore récupéré toute sa masse musculaire, la rééducation durerait plus longtemps. Et puis, il savait à quoi s’attendre, il revoyait toutes les étapes du processus de guérison. « Heureusement, j’ai reçu énormément de lettres d’encouragement de supporters. Les entraîneurs et le président sont également venus me voir à la clinique. Je suis sûr que cela n’aurait jamais été le cas à Waregem. Je dois aussi souligner le travail des deux kinés, qui passaient des journées entières avec moi. Je ne me suis jamais senti seul, d’autant que le travail ne manquait pas. J’ai perdu quatre kilos, sans doute en bonne partie à cause du stress et de la disparition des muscles. Et comme je ne suis déjà pas très gros, cela se voyait tout de suite ».

Quelques semaines plus tôt, son épouse avait donné le jour à leur premier enfant, Ella. Dans son transat, elle nous regarde d’un air amusé. « Les trois premières semaines furent pénibles parce que je marchais avec des béquilles et que je n’arrivais pas à la prendre dans mes bras. J’avais pourtant tellement envie de la serrer contre moi… »

Entre-temps, Mouscron avait engagé Geert Doumen. Une mesure que Vandendriessche comprit parfaitement : « A la mi-novembre, Hugo Broos m’a appelé et m’a parlé de l’engagement de Doumen car Vandoorne s’était blessé et on pensait qu’il en avait pour longtemps. Au début, je me suis dit que le club paniquait peut-être un peu mais, finalement, c’était une bonne décision. Cela me laissait également le temps de bien me soigner parce que, me connaissant, je serais revenu en février. Lors du stage en Espagne, j’ai d’ailleurs eu une solide discussion avec l’entraîneur à ce sujet. Je lui avais dit que je serais bientôt prêt mais il m’a répondu que, même si c’était le cas, je devrais d’abord rejouer en Réserves car il ne s’agissait pas de me blesser une troisième fois, sans quoi c’était sans doute terminé. Quand je suis revenu dans le parcours, la situation était plus difficile parce que nous étions quatre et que l’un d’entre nous devait rester chez lui le week-end. Mais nous nous entendions très bien et il n’y a jamais eu le moindre problème ».

Pour son match de reprise avec les doublures, Vandendriessche s’est offert toutefois une nouvelle frayeur. « C’était à Beveren, justement… Un joueur s’est à nouveau présenté seul devant moi. Cette fois, il a heurté ma tête. Pas que je sorte désormais la tête la première mais c’est vrai qu’au début, j’avais un peu peur tout de même. Maintenant, c’est passé et je fonce, comme avant ».

On va encore dire qu’il ne faut pas être fou pour être gardien mais que cela aide… « On a tendance à diminuer les mérites des keepers en affirmant une telle chose. Je préférerais qu’on souligne le fait que nous travaillons tout autant si pas plus que les joueurs de champ. Mais il est vrai que, pour évoluer à cette place, il ne faut pas trop réfléchir et, surtout, ne pas avoir peur. Un gardien qui tremble ne peut pas être bon. Ce n’est pas pour cela qu’il est fou. N’oubliez pas que notre tâche se complique chaque année un peu plus. Il y a d’abord ce règlement, qui est censé avantager le spectacle, donc les buts. Si nous commettons une faute, c’est l’exclusion systématique alors qu’un défenseur s’en sort souvent avec une carte jaune. Dès lors, nous n’osons pas toujours sortir les mains devant. De plus, la plupart des entraîneurs évoluent désormais en 4-4-2 avec une défense à plat alors que nous avons été formés dans un système avec un libéro. Pour des gars comme De Wilde ou Verlinden, c’est un fameux changement. Moi aussi, je travaille plus au pied que par le passé mais les jeunes gardiens qui apparaissent aujourd’hui possèdent un avantage sur nous ».

Finalement, c’est la blessure de Kurt Vandoorne qui a décidé Hugo Broos à relancer Franky Vandendriessche. Celui-ci a pu ainsi achever sa troisième saison à Mouscron comme il l’avait entamée: en titulaire. Au cours des cinq dernières rencontres, il s’est retourné à six reprises. C’est peu, en comparaison avec la moyenne mouscronnoise (1,4 but encaissé par match). Même quand on le lui suggère, il refuse pourtant d’affirmer que, sans ses malheurs, les Hurlus auraient pu arracher une place européenne.

« Certaines personnes l’ont affirmé mais je ne suis pas du tout d’accord. C’est exagéré. D’abord parce que Kurt Vandoorne a très bien fait son boulot. Ce qui est peut-être vrai, par contre, c’est que les nombreux changements de gardiens ont nui à l’équipe. Le club a dû en aligner quatre. Et au total, nous avons permuté huit fois. Ce n’est jamais très bon pour la stabilité. Pour le reste, nous devons reconnaître que nous ne méritions pas mieux que cette septième place. Nous nous sommes montrés beaucoup trop inconstants ».

Si la déception est forte, Vandendriessche affirme toutefois qu’il râlait davantage au terme des deux saisons précédentes, où Mouscron avait chaque fois terminé à la quatrième place.

« C’est la plus mauvaise. Surtout la première année. Nous avions pris soixante-six points et nous avions livré de grands matches contre La Gantoise (7-1), St-Trond ou Lokeren (deux fois 5-1) mais nous n’avions pas droit au dessert européen. Par la suite, nous n’avons plus jamais retrouvé ce niveau et c’est encore plus vrai maintenant que Vanderhaeghe et Tanghe ne sont plus là. Quand on voit ce qu’Yves fait à Anderlecht, on se dit qu’il n’y en a qu’un comme lui en Belgique. Et on a peut-être sous-estimé l’importance de Tanghe. Malgré cela, nous avons annoncé que nous voulions nous qualifier pour la coupe d’Europe. C’était peut-être présomptueux mais, quand on termine deux fois quatrième, on a le droit d’être ambitieux. J’espère que, dans deux ans, la quatrième place donnera droit à une qualification. Alors, nous lutterons avec Gand et le Lierse car les trois grands traditionnels sont sans doute hors de portée. Il faudrait également que Mouscron réalise de meilleurs parcours en coupe: ce club doit pouvoir arriver chaque année en demi-finales au moins ».

La saison qui approche s’annonce importante pour Franky Vandendriessche : elle est la dernière de son contrat. Mais Kurt Vandoorne s’est sans doute piqué au jeu de la titularisation comme lui-même l’avait fait lorsque Yves Feys s’était blessé, voici trois ans.

« De toute façon, un club de D1 a besoin de deux bons gardiens. Je ne me pose pas de question à ce sujet car Kurt et moi nous respectons énormément. En période de préparation, nous jouerons alternativement puis l’entraîneur effectuera son choix. Hugo Broos n’aime pas changer et celui qui entamera la saison aura un avantage certain mais c’est logique car il n’est jamais bon de savoir qu’on risque d’être écarté à la moindre erreur ».

Kurt Vandoorne porte le numéro 1, Vandendriessche le 21 mais il ne faut y voir aucune malice. « Lorsque je suis arrivé, j’étais considéré comme la doublure de Feys et j’ai hérité du 21. A la fin de la saison dernière, Hugo Broos m’a demandé si je voulais le numéro 1 mais cela aurait impliqué que je change d’armoire dans le vestiaire. Or, je suis bien dans mon coin ».

Tellement bien que, si on le lui propose, il resignera sans doute un contrat avant la fin de l’année. « Il ne faut jamais dire jamais en football mais, si je le peux, je resterai à Mouscron jusqu’au terme de ma carrière. Comme cela, j’aurais joué toute ma vie en rouge et blanc et dans un rayon de 30 km. Je ne suis pas du genre à tout plaquer pour un contrat dans un club anglais de D2, par exemple. J’ai besoin de mes repères, de ma famille et ma femme veut garder son travail » .

Patrice Sintzen

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