16e saison EN ENFER

Pierre Bilic

L’expérimenté capitaine des Dragons n’avait jamais vécu une année pareille.

La jeunesse n’a qu’un temps, une carrière de footballeur professionnel aussi mais personne ne donnerait 32 ans à Olivier Suray. Il promène sa carcasse sur les terrains de l’élite depuis 1989 mais n’a jamais été battu 0-9.

 » L’essentiel était de rester en D1 « , dit-il. Le président Dominique Leone ajouta même :  » L’Albert a des faiblesses, nous y remédierons. Vu les investissements de la Ville, et les miens, le sauvetage était l’unique objectif. Le reste, dont cette défaite, on n’en a rien à foutre « .

Pas si sûr. Quand on voit la pauvreté du schéma de jeu proposé par Sergio Brio, un 4-5-1 en perte de balle qui ne transforma jamais en 4-3-3 en phase de relance, l’inquiétude peut être de rigueur pour la troisième et prochaine saison de Mons en D1. En deux semaines, le coach de Mons a subi deux terribles revers infligés par Peter Balette et Trond Sollied.

Une telle philosophie tactique ne permettra pas d’enlever une nouvelle saison avec brio. Bruges en a donné la preuve par neuf. La fête du maintien n’a pas éloigné cette évidence du regard des supporters mais Suray a préféré goûter aux joies du temps présent.

Cette solide plante originaire de Gedinne a porté une première fois le maillot des Zèbres de 1989 à 1993, fut actif à Anderlecht de 1993 à 1996, repassa à Charleroi en 1996-1997, accepta l’offre du Standard en 1997-1998, émigra en Turquie (Altay Izmir de 1998 à décembre 1999, Adanaspor de janvier à juillet 2000), revint au pays à Beveren en 2000-2001, milita un an à La Louvière en 2001-2002 avant d’opter pour Mons…

Cela fait pas mal de combats aussi longs et éprouvants que la célèbre bataille de Dien Bien Phu, un camp retranché de l’armée française au Vietnam, qui se déroula il y a exactement 50 ans. Au cours de ses guerres, Olivier Suray a croisé le chemin de quelques Nguyen Giap (le vainqueur nord-coréen de Dien Bien Phu en 1954) mais il n’a probablement jamais vécu une saison aussi difficile et éprouvante que la deuxième de l’Albert en D1. Le tour du championnat des Dragons peut être décortiqué en quelques étapes intéressantes, commentées par le leader montois.

1. Mons-Bruges.

Suray :  » Ce match a été préparé avec le plus grand soin. Il convenait de procéder au remplacement de Wamberto, suspendu pour excès de cartes jaunes, et ce n’est pas une sinécure. Tout le monde connaît l’importance du Brésilien dans notre occupation du terrain. De plus, Bruges propose des problèmes spécifiques en raison de son talent, de sa circulation de balle, de la richesse de son noyau et de ses énormes atouts athlétiques. Tout était bien clair dans nos têtes lors de la montée sur le terrain. Notre engagement total s’explique peut-être par une surmotivation : désir de rester en D1, obligation de ne pas être secoué par Bruges. J’ai reculé au centre de la défense afin de résoudre les problèmes aériens car, en face, il y avait des tours comme Rune Lange et Bengt Saeternes.

L’exclusion de Chemcedine El Arachi après 21 minutes de jeu a tout compliqué. Je ne le condamne pas. Ce sont toujours les mêmes qui s’engagent à fond. D’autres devraient en faire autant. Avant cela, Jari Niemi était soutenu en phase offensive. A 0-2 au repos, la foi était encore présente. La suite fut moins drôle. Tout s’écroula face à la puissance et à la supériorité numérique de Bruges. Je n’ai jamais subi une telle dégelée et cela fait mal au ventre. On se sent tout de même anéantis, inutiles et nous devons une revanche à nos supporters qui n’ont jamais lâché cette saison. Le déplacement à Charleroi sera l’occasion de leur faire plaisir. Notre défaite doit s’effacer devant l’honneur de rester parmi l’élite. Après quelques semaines, et même en décembre, Mons n’était plus qu’un oiseau pour le chat. A la fin de la course, ce sont d’autres équipes qui arrivent hors délais « .

2. Roussel-Gomis

 » Cédric Roussel avait évidemment assumé un rôle important chez nous. Mons avait probablement évolué en surrégime après son arrivée en D1. L’enthousiasme était présent et Cédric Roussel faisait la différence, marquait, nous permettait de jouer l’esprit dégagé de gros soucis car nous savions qu’il planterait un ou plusieurs buts. Cela instaure un confort mental appréciable, un embourgeoisement. Quand un club comme Mons compte le meilleur buteur de la série dans ses troupes, c’est extrêmement important. Cela apaise tout le monde. Mouscron doit en savoir quelque chose avec l’explosion de Luigi Pieroni au top des buteurs. Son départ n’engendrera-t-il pas les mêmes problèmes que ceux vécus chez nous lors de l’après Cédric Roussel.

La confiance, c’est au moins 50 % du succès. Si pas plus, suis-je tenté de dire. Tout s’emboîtait parfaitement alors que ce ne fut plus le cas cette saison. Le départ de Cédric Roussel n’explique pas tout. Certains ont cru que notre deuxième saison en D1 serait aussi tranquille que la première. Le mental n’était peut-être plus aussi pointu. Notre début de championnat fut maigre et, de problème en problème, le niveau collectif devint inacceptable. Notre groupe semblait vivre sur ses acquis, comme un rentier, et c’est la meilleure façon de vivre un crash.

Mons espérait se relancer mais après cinq matches, ce fut la panique. Il s’avéra alors que Louis Gomis n’était pas le transfert indiqué afin de prendre la place de Cédric Roussel parti à Genk. Il avait de la taille mais ce n’est pas du tout évident de relever un tel défi. La tactique était la même mais tout s’écroula. Plus de Cédric Roussel, plus de sérénité, plus rien sinon une grosse inquiétude après le bonheur de l’arrivée en D1 : c’est dur le réveil et la cruelle réalité de la lutte pour la survie « .

3. Grosjean-Brio

 » Après un mois de championnat, la tête de Marc Grosjean ne tenait déjà plus qu’à un fil. C’est la loi des résultats et aucun coach n’y échappe. La tension entre l’entraîneur et le président n’a évidemment pas échappé au groupe. A un moment, je suppose que le patron et la Ville ont été aux abois. Il y avait beaucoup d’argent, d’investissements, de projets en jeu. La D1, c’est l’université du football belge. C’est là que cela se passe, pas ailleurs. La D2, c’est l’enfer. Quand on y chute, on ne sait pas quand on se relèvera. Mons travaille, bâtit un stade et ne pouvait pas se retrouver un étage plus bas. La sanction est tombée comme dans le monde des affaires : les chiffres sont en baisse et les actionnaires interviennent afin de modifier le staff.

Le président change parfois de directeur dans ses usines pour relancer la mécanique. C’est la vie, c’est le football et ce sera toujours ainsi. Moi et d’autres, les anciens, étions attachés à Marc Grosjean. Il nous avait fait venir à Mons. Le respect était mutuel et le restera à jamais mais j’ai compris la décision du club. Il fallait faire quelque chose afin de redresser le tir. Après la défenestration, une délégation de joueurs montois s’est d’ailleurs rendue à Comblain-au-Pont où Marc Grosjean et son épouse gèrent un café. Il fallait, en quelque sorte, que nous prenions congé de lui.

Le temps était venu, après sept semaines de championnat, de tourner la page. Sergio Brio est venu avec sa méthode de travail. Et ce n’est pas Alcatraz. Nous avons passé plus de temps au stade, certes, mais c’était pour souder le groupe. Tout a changé : repos, alimentation (pâtes, riz, salades, maïs), séances de travail, vision tactique sans cesse revue, travaillée. Il était étonnant de passer huit heures par jour au stade mais c’était sa façon de voir les choses. Avant cela, nous ne mangions quasiment jamais ensemble. Sur le terrain, le bloc s’est reformé. C’était un traitement de choc à prendre ou à laisser. Certains ne l’ont pas supporté et sont partis comme Liviu Ciobotariu à l’Antwerp. Tout commença à La Louvière. Mons montrait les dents et profita d’une interruption de championnat, pour les besoins de l’équipe nationale, afin de bien travailler. Ce furent les bases du renouveau. Mons ne se sortit pas tout de suite du trou mais n’était plus un oiseau pour le chat « .

4. Wamberto-Niemi

 » Après quelques mouvements, Mons a surtout été très actif lors du mercato d’hiver. Le but était de renforcer la récupération mais surtout, selon moi, d’avoir plus de poids devant. L’arrivée de Wamberto a été décisive. Il fallait le faire ce transfert. Je suppose que d’autres grands clubs ont pensé à lui. En allant le chercher à l’Ajax, Mons a fait preuve d’ambition. C’est l’homme de la différence grâce à sa classe, à son réalisme, à sa disponibilité, à son sens du but.

Wamberto a souvent signé de buts à trois points. Avec Zoran Ban, dont la motivation est restée la même et qui a marqué quatre buts malgré peu de temps de jeu, Wamberto et Jari Niemi, le secteur offensif de Mons était totalement redéfini. Jari Niemi est chargé de plonger dans les espaces, de créer des interférences, d’aller jusqu’au bout, d’attendre le soutien des médians. Avec eux, l’équipe était mieux en place.

Mons a redressé la tête, pris des points en déplacement, assuré de bons matches comme à Anderlecht où nous méritions au moins un point. Les Bruxellois ont été vernis et sans l’exclusion de Scarchilli, tout était possible. Sortant de la zone dangereuse, Mons a peut-être cru que le plus dur était fait. Il y a eu une forme de déconcentration alors que nos adversaires du bas de classement se lançaient dans un dernier baroud d’honneur. Pendant ce temps-là, nous ne parvenions pas à terminer notre travail. Il nous manqua plusieurs fois un cent pour faire un euro. Nous avons dominé Genk mais notre adversaire signa un contre victorieux. Plus tard, toujours chez nous, Beveren égalisa à la dernière minute, Gand signa un hold-up. Nous avons dominé Westerlo mais au bout du compte, ce fut… 0-0.

Notre confiance s’effrita et le déplacement à Heusden-Zolder fut particulièrement pénible. Mons avait à nouveau la tête dans le guidon. Je sais, cette défaite et le 0-9 face à Bruges font plus que tâche mais un championnat se juge sur 34 matches. Notre maintien ne s’explique pas par la défaite de l’Antwerp face à St-Trond ou celle d’Heusden-Zolder au Lierse. Non, il y a eu 33 matches jusqu’à présent et le classement général est le reflet de ce marathon. Les chiffres soulignent les mérites de chacun. Mons est passé par tous les états d’âme et a arraché le droit de rester en D1. Le reste, c’est de la littérature « .

5. Mons-Charleroi

 » Je suis un Carolo d’adoption et cette ville restera à jamais présente dans mon c£ur. J’y ai vécu de très grands moments sportifs de ma carrière. Eric Van Lessen me lança dans la bagarre puis il y eut Georges Heylens, Luka Peruzovic et Robert Waseige. Là aussi, j’ai eu des hauts et des bas comme tout le monde au fil d’une carrière qui s’est inscrite dans le temps et la durée. J’en suis déjà à ma seizième saison en D1. J’en suis fier. Vu le stress qui fut le nôtre ces dernières semaines, je n’ose pas imaginer l’état de nos nerfs au cas où notre tête aurait été mise en jeu au stade du Pays de Charleroi. Aurions-nous tenu le coup ? Les derbys ne sont jamais des matches comme les autres. Il s’y passe toujours quelque chose qui fait sortir ces chocs du commun des rencontres.

A l’aller, Charleroi n’avait éprouvé aucun sentiment de pitié à notre égard. Cette rencontre avait été marquée par le fameux but de Bertrand Laquait qui marqua sur un long dégagement. Menés 0-2, nous avons réagi à fond la caisse afin d’égaliser. Pour nous, ce fut un moment très important, le début d’un renouveau sous la houlette de Sergio Brio. Je crois que Charleroi-Mons sera un match à ne pas manquer. Mons doit redorer son blason, entaché par cette lourde défaite face à Bruges. Charleroi détient son sort entre ses mains mais doit gagner afin d’éviter un éventuel retour d’Heusden-Zolder qui reçoit Genk et de l’Antwerp en visite à Beveren. Nous avons évité cette tension du sprint final : ouf, c’était le but après notre début de saison catastrophique « .

Pierre Bilic

 » La différence, ce fut WAMBERTO ET SES BUTS à 3 POINTS « 

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