15 IMMORTELS MAUVES

J’ai dû déjà l’avouer jadis : j’étais Mauve quand j’étais môme, et même un peu plus tard ! Puis ça m’est passé comme l’acné. Non que j’aie viré de bord, mais je suis devenu incapable d’être supporter inconditionnel d’un club, plutôt que sommairement supporter du football ! Grosso modo, ma période mauve a correspondu aux sixties de l’ère Paul Van Himst sous Pierre Sinibaldi. Elle fut brève, mais intense. Il m’en reste 15 footballeurs pour moi des Immortels. Façon de parler. Hélas.

La meilleure preuve de cette intensité, ce dut être en 1966 la mort accidentelle de Laurent Verbiest. Je ne le connaissais que via bribes télévisées, mais les journaux admiratifs décrivaient un Lorenzo défenseur magnifique, de charme comme on le dirait un peu plus tard de Franz Beckenbauer… et j’étais sous ce charme. Deux ou trois ans plus tôt, les décès de Marilyn Monroe ou de John Kennedy n’avaient été pour moi que faits divers : la mort, c’était simplement curieux. Mais en entendant cette fois Luc Varenne et la radio m’apprendre celle de Verbiest, anéanti dans le fauteuil paternel que je sens encore sous mes fesses, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps de gosse. En 1981, quand Wilfried Puis est mort à 38 ans, j’étais trop grand pour chialer, mais ça m’a secoué comme une piqûre de rappel : contre le mur de la maison d’en face, je me suis revu tentant de lifter les coups francs du pied gauche, comme Puis les liftait si bien du sien. Et j’ai compris qu’une saloperie nommée cancer pouvait niquer, tôt, les gauchers même hyper-doués…

Ludo Coeck est mort en 1985 et ça ne m’a pas secoué : j’appréciais le footballeur, mais c’était une star de l’ère Robbie Rensenbrink, j’avais alors viré ma cuti anderlechtoise : je me suis seulement redit que c’était vraiment con de mourir en bagnole en exagérant sur le champignon. Par contre, deux ans plus tard, quand Julien Kialunda a succombé au SIDA à 47 ans, ça m’a de nouveau rendu tout chose et tout mauve. Il avait joliment succédé à Verbiest, les supporters l’appelaient Blanchette sans que ni eux ni lui n’y voient alors racisme honteux, ni même paternalisme : décidément le monde changeait, une autre saloperie niquait même les idoles de mon enfance…

Lorenzo, Wilfried, Blanchette, ça faisait trois morts prématurées. Puis le temps a passé, vieillissant normalement mes 12 autres Immortels, et moi aussi d’ailleurs. En 2013, le temps a rattrapé Jacky Stockman, né jour pour jour 14 ans avant moi, on a beau dire, ça crée des liens : j’ai été Zorro chaque fois que Zorro pétait un but et Dieu sait qu’il en a pété : remember son triplé en amical face au Brésil en 1963, son but importantissime un an plus tard à Bologne… Stockman, putain de temps, c’était le début d’une putasserie de sablier impitoyable, qui frappe dur en ce moment du côté du Parc Astrid : et ça me refait chaque fois mal à l’enfance, moi qui croyais l’avoir enfouie ! C’était de l’identification par amour : à défaut de Charlie, j’ai été Jean Cornélis, susurrant à mon oreille de gosse qu’on pouvait percer à l’arrière gauche si l’on était trop court pour devenir Wilfried Puis ! J’ai été Martin Lippens, cerveau d’axe défensif, j’étais même capitaine lorsque la pièce du tirage au sort est d’abord retombée sur la tranche à Bologne ! Et j’ai été Jean Trappeniers, je flippais pour le Trap chaque fois qu’on remettait sa valeur en cause : en alignant Arpad Fazekas en Mauve, ou lorsque Raymond Goethals a subitement opté pour Christian Piot chez les Diables…

Ça fait sept Immortels morts, dont les décès me rappellent chaque fois à quel point le gamin que j’étais adulait cette bande de Mauves. Ça me semble bizarre tant le supportarisme me déconcerte aujourd’hui, voire m’énerve… sorry lecteurs qui en êtes ! Mais paradoxalement, je suis content d’être passé par là, c’est un éclairage dont j’avais besoin :  » On est de son enfance « , a dit Jacques Brel, qui a chanté plein de belles choses et n’a pas dit que des conneries. Mon enfance-foot doit encore – devrait encore ! – m’ébranler huit fois en Mauve, vu que j’ai aussi été Pierre Hanon, Jef Jurion, Pummy Bergholz, Georges Heylens, Jean Plaskie, Paul Van Himst, Johan Devrindt, Jan Mulder. Longue vie, mes Immortels. Sans vous, je serai vraiment vieux. Pour le moment, ça va encore.

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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