12 clubs en D1

Pierre Bilic

Le nouveau président de la Ligue Professionnelle prône la clarté dans un paysage footballistique de plus en plus difficile.

Jean-Marie Philips ne relève pas un défi facile. Les clubs belges sont en pleine restructuration. Ce juriste avait joué au football à l’université, gardien de but ou extérieur droit, et fut appelé au RWDM au milieu des années 80, du temps du fameux duo formé par Henri Mabille et Willy Uytterhaegen. Après l’arrivée de Johan Vermeersch à Molenbeek, il dépanna l’Union St-Gilloise durant quelques mois puis s’affilia au Standard. Il quitta Sclessin quand les Rouches claquèrent la porte de la Ligue Professionnelle dont il fut le directeur général. Jean-Marie Philips signa alors une carte à Anderlecht car il devait faire partie d’un club pour rester à la Ligue Professionnelle.

« Le foot est mon gagne-pain »

Comment avez-vous été élu?

Jean-Marie Philips: Cela s’est passé en deux étapes. Il y a d’abord eu un vote de principe. Le cumul entre le rôle de président et la fonction de directeur général est-il possible à la Ligue Professionnelle? Le conseil d’administration a donné son avis à bulletins secrets: neuf oui, neuf non, pas de prise de position définitive pour ou contre. J’ai demandé un vote, toujours secret, sur ma personne en dehors de la fonction, en précisant que je souhaitais récolter une majorité favorable des deux tiers, comme prévu dans les statuts. Les résultats du vote: douze pour, deux abstentions (qui s’ajoutent à la majorité exprimée), quatre contre. Selon moi, le travail que j’avais accompli à la Ligue Professionnelle était apprécié comme le prouvait le résultat de ce scrutin.

Dans une ASBL, il n’y a pas de président directeur général mais je devais préserver mon statut social. Le football est mon gagne-pain et je ne pouvais pas me permettre d’exercer une profession purement honorifique. Il y avait une autre candidature mais Karel Dierick du Lierse a préféré se retirer. J’avais dressé avant l’élection un bilan de quatre ans de travail:

1. la Ligue Professionnelle se profile mieux sur le plan fédéral,

2. on note notre présence dans de nombreuses commissions au sein de la fédération où la Ligue est considérée comme un partenaire fiable et loyal mais qui a sa spécificité,

3. nous avons un représentant dans la commission du football professionnel de l’UEFA,

4. aussi une présence à la FIFA où nous avons beaucoup travaillé sur le dossier de la nouvelle réglementation des transferts,

5. en Belgique, nous avons été reçus et entendus par les différents pouvoirs régionaux, par le gouvernement central, etc. Il y a eu des avancées importantes. Je songe à la réglementation du permis de travail accordé aux joueurs étrangers. Même si le transfert d’un joueur africain ou d’Europe de l’Est reste évidemment moins cher, il y a désormais des barèmes pour les salaires (2,8 millions de francs bruts par année pour les joueurs extra-communautaires de moins de 23 ans), de façon à éviter l’exploitation des êtres humains par les managers et les clubs. Nous avons obtenu la reconnaissance d’une activité à temps partiel, ce qui permet à des jeunes de signer un contrat (292.868 francs bruts minimum) à partir de seize ans.

Notre fameuse loi de 1978 a bien sûr été étudiée à la FIFA. J’ai rencontré le président Sepp Blatter à ce sujet. Le contrat à durée déterminée de cinq ans découle de cette loi. Quand un joueur rompt son accord, il ne peut pas passer immédiatement à la concurrence: c’est aussi une suite de la loi de 1978.

Tout cela pour vous dire que nous avons avancé dans de nombreux dossiers…

« Je ne sais pas si je suis un homme fort, mais… »

La Ligue Pro avait besoin d’un homme fort et indépendant, sans liens directs avec un club…

Je ne sais pas si je suis un homme fort mais je connais mes dossiers. Je me découvre avec mes objectifs. La Ligue n’est pas très forte sur le plan de ses finances -NDLA: seuls trois personnes y travaillent à plein-temps : Philips, le secrétaire-général Robert Sterckx et une secrétaire- Nous avons un championnat à deux, même à trois vitesses. Le fossé se creuse entre les grands et les autres. La Ligue Pro ne compte plus en son sein que les dix-huit clubs de D1.

Où sont le poids, le prestige, la restauration d’une image de marque, d’une reconnaissance, d’une visibilité? Ne sont-ce pas là des champs d’activité aussi importants que les dossiers déjà évoqués? La Ligue n’est-elle pas un lieu d’encommissionnements alors qu’on attend des grands projets?

Je ne crois pas: il faut de bonnes bases afin d’avancer. Et nous avons des idées dans nos cartons. Chez nous, les petits ne peuvent pas oublier l’importance des grands (Anderlecht a amélioré le coefficient belge en Coupe d’Europe et nous aurons deux clubs en Ligue des Champions la saison prochaine), mais l’inverse est vrai. Les grands ont besoin des petits où se révèlent de bons joueurs. Il faut cependant revoir la donne, dégraisser la D1 mais la consanguinité tue si la formule multiplie trop les matches entre les mêmes. Une étude prouve qu’il y a place, chez nous, pour une D1 à douze ou tout au plus quatorze clubs professionnels.

Comment dégraisser la D1? Dans quelles régions y a-t-il trop de clubs? Me basant sur la thèse de doctorat de M. Dejong (Université de Gand), je vais proposer bientôt proposer à une commission de la Ligue Pro de se pencher sur ce problème. La diminution doit intervenir mais le tout est d’en cerner les conditions et le délai. La Belgique est un pays compliqué avec ses réalités politiques. Le sud est moins prospère que le nord et combien de clubs peuvent y vivre? Faut-il le même nombre de clubs de deux parties de notre pays en D1?

Tout cela mérite étude mais une chose est évidente: il faut une séparation entre le football professionnel et le reste. Ce sont des mondes différents. Les clubs de D2 ne font plus partie de la Ligue Pro. Les clubs descendants gardent encore un statut d’observateur mais c’est tout. Cela ne les empêche pas d’avoir, s’ils le désirent, des joueurs ne vivant que du football mais là, c’est tout à fait de leur ressort. Je ne prône pas la scission selon l’un ou l’autre critère mais dans la famille du football belge, chacun a ses spécificités, la Ligue Pro a les siennes. Réduire le nombre de clubs en D1 sera très difficile et facile à la fois: l’octroi de la licence professionnelle est un bon outil.

« Les sanctions financières tomberont en 2002 »

Une enquête du magazine économique Trends a révélé que les clubs de D1 n’ont finalement jamais été aussi endettés. On parle d’un passif total de trois milliards et de 400 millions pour le Standard.

Ecoutez, nous avons mis certains clubs au pas et il y a déjà eu réduction drastique de diverses dettes auprès de l’état (ONSS, fisc…) ou même de la fédération. Il y a des plans d’apurement qui ont été approuvés, des montages financiers limites ont été clarifiés, etc. Des dispositions et des engagements ont été pris. Les sanctions les plus spectaculaires, immédiates, tomberont en 2002 si les clubs concernés ne respectent pas les écrits. Il n’y avait pas de problème financier à Charleroi mais nous avons tout de même incité les Zèbres à reprendre plus vite le passif de l’ancienne société. Harelbeke a eu pas mal de problème. Beveren aussi. Mais je ne sais pas pour combien de temps certains clubs se sont sauvés.

On ne peut réussir un montage financier de dernière minute tous les ans, vendre plusieurs fois son stade, compter sur l’apport à fonds perdus d’un mécène. En ce qui concerne les autres passifs (banques, prêts des actionnaires, etc.) il y des dettes (non fédérales ou à l’égard de l’état) qui sont contre-balancées par leur patrimoine dans leur bilan annuel. Le problème commence quand l’actif n’est pas réalisable ou ne couvre pas le passif. On peut être endetté et avoir du répondant: si le cas se présente, c’est à la banque de suivre ou non un club ou une entreprise.

A la Ligue, nous faisons régner la discipline dans notre maison et à l’égard des créanciers institutionnels. Personne ne comprendrait que des clubs ne payent pas leurs précomptes, l’ONSS, les taxes comme tout citoyen de Belgique, toute personnalité juridique. C’est sous contrôle.

« Je souhaite une forme juridique unique »

Si le Standard est plus cité que d’autres, c’est aussi parce que le club est structuré en société anonyme et que ses comptes sont déposés, à la disposition de tout le monde, au Greffe du Tribunal du Commerce de Liège ou à la Banque Nationale. Ceux qui ne vivent pas sous le régime des sociétés anonymes n’ont-ils pas beaucoup plus à cacher que les Liégeois?

Actuellement, la Ligue Pro n’a pas de droit de regard sur l’actif et le passif des clubs. On ne pourrait le faire que pour les coopératives et les sociétés anonymes qui rentrent chaque année leur bilan. Je souhaiterais que les clubs de la Ligue Pro adoptent une même forme juridique et avoir, comme en France, des sociétés d’intérêts mixtes avec le professionnel d’un côté, le social et l’éducatif de l’autre. Si l’organisation juridique est la même pour tous, il y a forcément plus de transparence. Il n’y a pas de honte à faire des pertes mais on peut les expliquer plus aisément quand tout le monde joue cartes sur table.

Le Belge n’aime pas parler de ses avoirs. Les clubs vont devoir le faire. Dans le plan de la licence de l’UEFA, il y a un volet consacré à la finance. Les clubs devront prouver avant le début d’une compétition qu’ils sont capables de l’achever. Ils seront obligés de présenter à partir de 2003 des bilans, avoir des garanties bancaires, du cash flow, etc. Ce plan est contesté par les grandes ligues. Elles craignent ce contrôle de façon incroyable et certaines à raison car des clubs ne veulent pas lancer dans le public des infos qui pourraient être mal interprétées et avoir une influence sur les cours de leurs actions à la bourse.

La loi anglaise interdit certaines révélations et les clubs seraient en contradiction avec leur législateur. Pour nous, le problème institutionnel est réglé. A propos des dettes civiles des clubs, les créanciers ont un arsenal juridique pour se défendre. Je ne peux pas prendre la défense du boulanger qui n’est pas payé. Ceux qui veulent prendre des risques ne doivent pas d’adresser à la fédération ou à la Ligue Pro. Le mouvement interne qui a été lancé va être accentué: en mars, les clubs ayant conclu un accord avec un parastatal devront prouver, sous peine de perdre leur licence, qu’ils respectent leurs engagements. Il n’y aura pas de deuxième chance ou de rallongement du calendrier des échéances.

« Le foot peut s’écrouler partout »

Mais le monde du football peut exploser via les passifs non institutionnels! Est-ce que ça vous inquiète?

Oui, mais le football peut s’écrouler dans le monde entier. Si les banquiers de l’Inter Milan se retirent, c’est fini et il en va ainsi ailleurs, au Real Madrid, partout. Si les sociétés de télévision ferment le robinet, ce sera le crash. Il y a une sorte de spéculation dangereuse et dans cet univers difficile, il faut que les clubs se montrent dignes de confiance.

Les centres décisionnels de certains clubs s’éloignent de la Belgique. Ne dirigez-vous dès lors pas une coquille de plus en plus vide?

Il y a des regroupements dans tous les secteurs de la vie économique. Manchester United prête des joueurs à l’Antwerp mais ne dirige pas ce club. Deurne est une vitrine, cela ne dérange pas et les mouvements seront moins nombreux quand il n’y aura qu’une période de transferts. Au GBA, c’est différent; l’Ajax d’Amsterdam est actionnaire majoritaire et a un club satellite chez nous. Là, j’ai des craintes car le club n’est plus maître de son sort. Il n’en va pas de même au Standard. Un des grands actionnaires a des parts à Marseille mais l’OM n’est pas actionnaire au Standard. Si Robert Louis-Dreyfus part, c’est là que le problème se posera: les Liégeois devront trouver un repreneur comme cela se passe dans le monde des affaires. Rester libres, garder son âme et être indépendants, cela coûte cher. Il faut être bien structurés et avoir les moyens pour le faire.

Dia 1

Pierre Bilic

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire