12 ans de combat

Willie a mis un terme à une carrière internationale en dents de scie avec un dernier rendez-vous en forme d’apothéose.

Elu troisième médian offensif du Mondial 2002 derrière Rivaldo et Recoba, en étant de loin le meilleur Diable Rouge, il a été accueilli en héros par les supporters, à son retour. On peut imaginer des circonstances moins agréables pour effectuer ses adieux. Du haut du balcon du bâtiment de l’Union Belge, à Bruxelles, Marc Wilmots a savouré son moment. Après l’élimination de la Belgique face au Brésil, il avait avoué: « Je suis un peu triste. J’aime l’équipe nationale ».

Ces titres, ces images, ces paroles resteront dans la mémoire collective, lorsqu’on évoquera sa carrière internationale. Marc Wilmots restera dans l’histoire comme le capitaine toujours positif de l’équipe belge. Aucun autre footballeur ne s’est effacé à ce point dans l’intérêt de l’équipe. Aucun Belge ne s’est autant investi pour que ce petit pays ait davantage foi en ses moyens. Il abhorre l’exaspérante excuse d’être l’underdog. Nous devrions être plus chauvins, nous tous, supporters et journalistes, joueurs, aussi, Flamands et Wallons. Il voulait être un exemple, le capitaine qui se livrait toujours à fond, les manches retroussées, mû par un seul intérêt: celui de l’équipe.

Mais la relation du Diable Rouge (70 sélections, 28 buts) avec l’équipe nationale en 12 ans a été pour le moins problématique.

Mondiale 1990

Marc Wilmots, né le 22 février 1969 à Jodoigne, dans le Brabant wallon, a entamé sa carrière de Diable Rouge le 26 mai 1990. Guy Thys l’a fait entrer au jeu à la mi-temps du match Belgique-Roumanie (2-2). Il a participé au Mondial italien avec quatre matches dans les jambes mais n’a pas été aligné.

Wilmots commentait : « J’ai encore le temps ». Il fait preuve de moins de patience avec son club, Malines. Cette saison-là, il a marqué dix buts. L’exercice suivant, il en inscrit huit. Mais il n’aime pas qu’on l’aligne si souvent dans l’entrejeu et rejoint le Standard. Il trouve le chemin des filets à dix reprises durant sa première saison.

En ce printemps 1992, il se distingue aussi en équipe nationale et marque quatre buts en trois matches. Ce sont ses premiers à ce niveau et ils sont précieux, puisqu’il les marque durant les qualifications pour le Mondial 1994. Il s’adjuge le seul but du match contre Chypre (1-0) et les deux derniers face aux Iles Féroé (0-3), alors qu’il n’est entré au jeu que dans la dernière demi-heure, parce que Paul Van Himst lui a préféré Luis Oliveira. « Chez les Diables Rouges, je n’entre en compte que pour une seule place », explique un Wilmots furibard au terme du match. « Centre avant ».

En février 1993, contre la Tchécoslovaquie, Van Himst le laisse une nouvelle fois sur le banc. Wilmots est en rage. « J’ai déjà été sélectionné 17 fois,mais je n’ai joué que six ou sept matches complets. Si Nilis avait marqué quatre buts comme moi, il serait sans aucun doute une valeur sûre de l’équipe nationale. Quand j’ai été invité au Mondiale italien, il était assez normal que je sois juste un ramasseur de ballons. Je ne me contenterai pas de ce rôle l’année prochaine aux Etats-Unis. Sinon, merci bien », s’épanche-t-il dans les journaux.

Lors des sept derniers matches de qualifications, Wilmots est titularisé d’emblée à deux reprises: contre les Féroé, le petit Poucet contre lequel il inscrit encore deux buts (3-0) et en Roumanie. Entre-temps, il dispute l’intégralité du match amical contre le Gabon. Deux nouveaux buts (2-1) portent son total à huit en équipe nationale. Pourtant, on continue à douter de ses qualités, même s’il reste sur sa saison la plus productive dans son club, avec 22 buts. « Si on n’a pas encore compris que je suis un centre avant né, on ne le saisira jamais ».

Par une froide soirée de novembre, en 1993, la Belgique remporte son billet pour le Mondial, au terme d’une lutte héroïque contre la Tchécoslovaquie (0-0). Elle le conquiert sans Wilmots. Simultanément, la naturalisation du Croate Josip Weber suit son cours et Van Himst, n’attend pas la parution de sa naturalisation au Moniteur. Il invite le meilleur buteur du Cercle de Bruges et du championnat à un stage de deux jours en Zélande. Weber y effectue ses débuts officieux en équipe nationale contre des amateurs locaux.

Les journalistes prennent l’hôtel d’assaut et sont tous là pour Weber.

Wilmots observe la cohue et est ébahi. N’a-t-il pas prouvé à suffisance, au Standard, qu’il est un buteur? « Je ne suis pas raciste, mais nous devons quand même être un peu patriotes », a-t-il déjà exposé dans d’autres interviews.  » Nous ne devons pas conférer une fausse identité à l’équipe nationale. Je suppose que certaines personnes éprouvent des difficultés à considérer ce genre de joueurs comme des internationaux belges. (…) Je ne sais pas s’il sera accepté par le groupe. En fin de compte, nous nous sommes qualifiés sans son aide et l’entraîneur a toujours répété que ceux qui travaillaient pour que nous allions en Amérique seraient récompensés ».

World Cup 1994

Peu avant le voyage, Weber vole la vedette à tout le monde en marquant cinq buts contre la Zambie (9-0) dans sa première sélection. Quatre jours plus tard, contre la Hongrie (3-1), il compte une sélection et un but de plus. Chaque fois, Wilmots doit se contenter d’entrées au jeu. Il ne prend d’ailleurs pas part aux deux premiers matches, aux Etats-Unis. Lorsque les Diables Rouges battent le Maroc et les Pays-Bas, assurant leur qualification pour le deuxième tour, Van Himst laisse quelques joueurs au repos. Wilmots est repris face à l’Arabie Saoudite. Il rate occasion sur occasion et est remplacé avant même l’heure de jeu. La Belgique s’incline 0-1, ce qui lui vaut de rencontrer l’Allemagne, championne du monde en titre, en huitièmes de finale. Fin du tournoi.

Alors que l’avion qui ramène les Belges, éliminés, survole l’Atlantique, Wilmots a déjà pris sa décision. Les Diables Rouges, c’est fini pour lui. Il n’expose les motifs de sa décision à Foot Magazine qu’un an après: « J’ai été manipulé. Je n’étais qu’un bouche-trou. Ce manque de respect m’a blessé, après tout ce que j’ai fait pour l’équipe nationale. Il m’a fallu cinq ans pour me faire une petite place à côté de joueurs tels que Degryse, Ceulemans, Nilis ou Vandenbergh. Le Mondial américain était mon deuxième. On m’a laissé tomber avant son début. Puis on m’a repêché pour remplacer Weber. Je n’y suis pas parvenu et on m’a attribué la responsabilité de la défaite contre les Saoudiens. Je sentais qu’on me cherchait, bien avant le tour final ».

Wilmots accable l’Union Belge, qu’il accuse d’avoir mis en scène une Webermania. « Ces naturalisations (NDLA- y compris celle d’Oliveira) m’ont déséquilibré. Toute l’équipe en a été victime, d’ailleurs. Il s’agissait d’une intervention artificielle, injuste, surtout à mon égard. (…) Lorsque j’y réfléchis, je comprends que l’Union Belge ait tout fait pour que je ne joue pas aux Etats-Unis ».

Van Himst est limogé en avril 1996. Il n’a pas réussi à qualifier la Belgique pour l’EURO 1996, en Angleterre. Son successeur, Wilfried Van Moer, annonce qu’il souhaite discuter avec Marc Wilmots. Froidement, celui-ci déclare à la presse: « Je l’ai déjà dit il y a quelques mois. Je me remets à la disposition des Diables Rouges, sans que ce soit une obsession.Je suis prêt à discuter avec le sélectionneur. Mais ce n’est pas à moi d’effectuer le premier pas ». Le 14 décembre 1996, après une absence de deux ans et demi, Wilmots est de retour et effectue une rentrée en mode mineur: la Belgique sombre 0-3 face aux Pays-Bas. Le Mondial français semble plus éloigné que jamais. Les jours de Wilfried Van Moer sont comptés.

Mondial 1998

L’UB chipe Georges Leekens à Mouscron. Il conclut un arrangement à la carte avec Wilmots, en fonction du calendrier de Schalke 04. Le Belge jouit d’une popularité incroyable à Gelsenkirchen. Sa vareuse, marquée du numéro 24, part comme des petits pains. « J’ai promis au club qu’il aurait ma priorité ». Lorsqu’on lui demande ce que les autres internationaux doivent en penser, il rétorque sèchement: « Ce que Leekens et moi avons décidé ne regarde pas les autres joueurs ».

Le nouvel entraîneur fédéral réalise l’impossible. La Belgique remporte cinq des six derniers matches de qualification, sous sa direction. L’apport de Wilmots est négligeable. Il n’est de la partie que pour le dernier match, contre le Pays de Galles (3-2). Il marque,comme il l’a fait quelques mois auparavant pour Schalke 04 en finale de la Coupe UEFA face à l’Inter Milan. Il s’agit de son troisième trophée, après le titre avec Malines, en 1989, et la Coupe de Belgique avec le Standard, en 1993.

La Belgique termine deuxième derrière les Pays-Bas et croise le fer avec l’Irlande, dans les barrages. Après le nul 1-1 de Dublin -avec Wilmots-, le joueur de Schalke est l’objet de toutes les conversations pour le match retour. Il ne communique sa décision qu’une demi-heure avant le coup d’envoi, au stade Roi Baudouin: il ne joue pas. Il a mal au genou. Certains pensent qu’il a peur mais Leekens refuse de se laisser aller au découragement. Gert Claessens, son remplaçant, détermine le cours du match avec deux assists (2-1). Trois jours plus tard, Wilmots affronte le Werder Brême avec Schalke 04.

Etonnamment, à partir de ce moment, il ne manquera plus jamais à l’appel. Il participe aux matches amicaux qui précèdent le Mondial et en France, il constitue une certitude aux yeux de Leekens. Ses deux buts, dans la canicule de Bordeaux, ne permettent pas à la Belgique d’obtenir davantage qu’un 2-2 face au Mexique. Il faut alors un petit miracle contre la Corée du Sud pour éviter l’élimination. Malgré de vagues plaintes, Wilmots, qui ne donne guère l’impression d’avoir la rage de vaincre, se voit contraint de jouer par Leekens. Celui-ci ne s’attarde pas davantage sur sa demande d’être remplacé au repos. Finalement, Leekens remplace un Enzo Scifo amer par Franky Van der Elst, déjà vidé par les deux premiers matches. La Corée du Sud emporte son premier point dans une Coupe du Monde.

EURO 2000

Co-organisatrice de l’EURO 2000, la Belgique ne dispute que des matches amicaux pendant deux ans. Wilmots subit trois opérations, deux au genou, une à la cheville, et ne remet la vareuse des Diables Rouges qu’en mars 1999. Comme capitaine, soit dit en passant, en l’absence de Lorenzo Staelens. Suite au forfait de Scifo et de Van der Elst, Leekens avait bombardé Wilmots vice-capitaine. « J’avais constaté que Marc s’épanouissait dans un groupe quand on lui donnait de l’importance », commentera plus tard Eddy Snelders, l’adjoint de Leekens. « Il ne faut pas le traiter comme un joueur parmi 11 autres mais lui donner l’impression qu’il est un rien au-dessus ».

En août, Robert Waseige prend la place de Leekens. Le Liégeois permet à Wilmots de continuer à s’épanouir, et le joueur va se comporter comme Snelders le prévoyait. Lorsque Nilis, qui était las de l’équipe nationale après le Mondial français, se remet à la disposition de celle-ci, il reçoit une volée de bois vert. « Où était-il quand ça allait mal? », s’offusque Wilmots. « Son retour ne me cause pas de problème en soi mais il doit bien comprendre qu’il devra s’adapter au groupe et pas l’inverse ». Tout cela dans la bouche de l’homme qui, après son refus en 1994, n’a consenti à revenir qu’à ses conditions.

Nilis n’est pas difficile, il accepte son statut de réserviste mais, pas plus que Wilmots, il ne peut empêcher la Belgique d’être éliminée au premier tour de son propre EURO. « Mon meilleur tournoi », concluait Wilmots – ce n’est que le deuxième durant lequel il passe plus d’une heure sur le terrain. Et il revient sur sa décision de faire ses adieux à la scène internationale.

Wilmots ne réussit pas si bien à Bordeaux et l’entraîneur le place sur le flanc droit. Au bout d’un an, afin d’assurer sa place chez les Diables Rouges, il retourne à Gelsenkirchen. Il est réopéré de la cheville en juin 2001. En septembre, il subit une intervention au genou. Un mois plus tard, Wilmots lui-même s’estime prêt pour le match décisif pour la qualification, contre la Croatie. Il semble que ce ne soit pas le cas. La Belgique s’incline 1-0 et Wilmots déclare forfait pour les matches de barrage contre la Tchéquie. Après la médiocre prestation à Bruxelles (1-0), il entonne la mêmechanson qu’avant le Mondial 1998 et l’EURO 2000: il fustige le piètre soutien du public belge et vole au secours de Waseige (et de sa personne): « S’il le veut, je jouerai à Prague ». On assiste à un miracle de la médecine, c’est-à-dire qu’il se contente d’une entrée au jeu, juste à temps pour convertit le penalty forcé par Gert Verheyen. La Belgique gagne 0-1.

Coupe du Monde 2002

Le Japon approche à grands pas. Brusquement, Wilmots demande que Lieven Maesschalck l’accompagne au tournoi. Maesschalck est le spécialiste de revalidation qui le traite depuis plusieurs années, après chaque opération,et l’aide à se remettre en condition. Wilmots tombe sur un os: la revalidation est destinée aux joueurs blessés et mieux vaut que les blessés restent chez eux. Certains voient dans la manoeuvre la confirmation d’une impression ancienne: Wilmots n’est pas sûr de lui. Sa tête en veut encore mais son corps, traumatisé par 11 opérations, se révolte. Il n’a jamais joué sur sa classe. Que va-t-il se passer si son power le laisse tomber au Japon?

De plus en plus, Wilmots devient un pleurnicheur, en équipe nationale. Un bobo ici, une gêne là, son corps l’accapare. Alors que pendant l’EURO 2000, Waseige a reproché son concert de lamentations à Branko Strupar, à juste titre, il laisse faire Wilmots. Les privilèges que semble accorder le sélectionneur à son capitaine commencent à déranger les autres joueurs. Wilmots est du voyage en Grèce, pour un match amical, alors qu’on sait très bien qu’il ne jouera pas. Stupéfaits, les joueurs, y compris l’équipe des Espoirs, et les observateurs voient Wilmots donner des consignes depuis la touche, ce qu’il a déjà fait contre la Tchéquie. Les uns voient en lui le futur adjoint de Waseige au Standard, les autres un manager en devenir. Ils sont frappés par la manière dont il s’occupe de Wesley Sonck, comme par sa façon de raisonner Emile Mpenza.

Le retour de Strupar ravive chez Wilmots une vieille question de principe. Les Belges naturalisés n’ont pas leur place en équipe nationale. Quelques internationaux n’apprécient pas les commentaires blessants qu’il tient à l’encontre de Strupar, entre quatre murs, et reprennent le capitaine. On raconte que Wilmots ne peut cacher son mécontentement quand, en seconde mi-temps contre l’Algérie, l’équipe joue mieux avec le Belgo-Croate à sa place. Mais il ne laisse subsister aucun doute sur l’importance qu’il s’accorde dans les résultats des Diables.

Avant son départ pour Kumamoto, il déclare à Humo: « Si cette campagne est un échec, j’en assumerai la responsabilité. Je suis le joueur le plus populaire, avec Emile Mpenza. C’est nous qui faisons vendre les journaux. Emile est forfait, donc, je serais le dindon de la farce si ça tournait mal. D’accord, dans le cas contraire, j’aurai droit à un monument mais qu’en ai-je à faire? »

Monument ou pas, Wilmots a mis fin à sa carrière internationale en livrant ses meilleures prestations. Il a marqué quatre beaux buts en autant de matches – oui, aussi contre le Brésil, – et il a été le Belge le plus dangereux. Dans un registre où il était moins la plaque tournante de l’équipe qu’un attaquant, position qu’il avait revendiquée pendant des années. La boucle est bouclée.

Jan Hauspie

« J’aurais dégusté si on s’était planté au Japon… »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire