105 Mauves venus d’ailleurs

Bruno Govers

Entre 1959 et 2001, une bonne centaine de joueurs étrangers ont défendu les intérêts du RSCA en championnat.

Pour tenter d’inverser la tendance après la piteuse performance de ses joueurs au Lierse, l’entraîneur du RSCA, Aimé Anthuenis, avait notamment choisi de relancer dans le bain, face à l’AS Roma, le Roumain Alin Stoica, censé apporter une touche de créativité à une formation singulièrement dépourvue de génie depuis le début de cette saison. Une entreprise partiellement réussie, puisqu’à défaut d’avoir pu pousser les champions d’Italie dans leurs derniers retranchements, les Anderlechtois se seront quand même montrés sous un bien meilleur jour qu’à la faveur de leurs sorties précédentes. Preuve s’il en est qu’ils peuvent difficilement se passer de l’apport de leur petit prodige.

Alin Stoica fait partie de la longue liste des étrangers qui se sont signalés sous le maillot mauve et blanc. Le 2 février passé, lors de la rencontre entre le Sporting Charleroi et Anderlecht, le Burkinabé Lamine Traoré, monté au jeu après la pause à la place d’ Olivier Doll, blessé, était à cet égard entré dans les annales comme le centième footballeur étranger aligné par le club bruxellois au sein de notre compétition nationale. Mais qui était donc le premier et quels sont ceux qui lui emboîtèrent le pas? C’est ce que nous vous proposons de découvrir dans les lignes qui suivent.

Si l’Anglais Ernest Smith est entré dans l’Histoire comme le premier entraîneur étranger du RSCA, en 1936, il aura toutefois encore fallu patienter deux bonnes décennies avant de retrouver la trace, dans le noyau des Mauve et Blanc, d’un premier joueur venu d’autres horizons. Ce pionnier avait pour nom Zoltan Locskay et son affiliation remonte au mois de juillet 57. Sans doute n’était-il pas tout à fait anormal que l’intéressé fût d’origine hongroise.

Pour ses débuts sur la scène européenne, deux ans plus tôt, Anderlecht avait été opposé, d’entrée de jeu, à l’équipe championne de ce pays, le Voros Lobogo. Et il avait fait long feu face à cette formation qui l’avait étrillé par 6-3 sur ses terres et 1-4 lors du retour au Parc Astrid. Ses buts étaient défendus par un certain Arpad Fazekas qui, en 1962-63, allait d’ailleurs aboutir au Sporting où il entra en concurrence avec Jean Trappeniers, le coming man belge de sa corporation à ce moment. Cinq ans plus tôt, le portier magyar avait donc été précédé par un premier compatriote, bientôt imité, dans la foulée, par un deuxième, Miklos Dacsev, puis par celui qui fut, probablement, le plus talentueux de la bande: Joszef Wolbling.

La genèse de ces arrivées en cascade remonte au mois de décembre 56. Pour les besoins de la fête de St-Nicolas, le secrétaire-général du club, Eugène Steppé, avait convié, à l’Ancienne Belgique, non seulement les 450 jeunes pousses du RSCA mais aussi une centaine de teenagers hongrois qui avaient fui leur nation après la révolution du 25 octobre, cette année-là. Invité d’honneur de la fête, le Prince Alexandre avait reçu des mains du capitaine anderlechtois Jef Mermans et d’un employé de la compagnie des Wagons-Lits, de retour de Milan, un ballon de football sur lequel les joueurs de l’équipe nationale de Hongrie, alors en exil en Italie, avaient exprimé leurs remerciements et leur gratitude à la famille royale et aux organisateurs. Parmi les signatures, on relevait les noms prestigieux des Gyula Lantos, Ferenc Puskas et Sandor Kocsis, champions olympiques à Helsinki, en 1952 et finalistes de la Coupe du Monde à Berne, face à l’Allemagne, deux ans plus tard (3-2). La plupart de ces éléments ne retournèrent pas dans leur pays et firent carrière à l’étranger, à l’image de Ferenc Puskas au Real Madrid. D’autres, moins célèbres, eurent tôt fait d’emboîter leur pas et se retrouvèrent sous nos latitudes. Comme les précités au Sporting ou encore Istvan Sztani au Standard, chaudement recommandé à ses dirigeants par son compatriote-entraîneur Geza Kalocsay.

Zoltan Locskay ne put jamais s’enorgueillir d’une titularisation en équipe-fanion au Parc Astrid. Les trois autres, en revanche, jouèrent quelques matches: 30 pour Miklos Dacsev, entre 59 et 62, 23 pour Joszef Wolbling entre 59 et 61 et 13 pour Arpad Fazekas au cours de la campagne 62-63. Entre-temps, un footballeur venu d’horizons plus lointains encore avait rallié, lui aussi, le stade Emile Versé: le Congolais Henri Erumba, originaire du Vita Club de Léopoldville. Une fois encore, cette présence ne relevait pas totalement du hasard. Car, en juin 1955, Anderlecht avait été le premier club belge à faire une tournée dans notre colonie, livrant des joutes à Léopoldville (Kinshasa), Elisabethville (Lubumbashi), Jadotville (Likasi) et Stanleyville (Kisangani).

A l’époque, il y avait plus d’une classe de différence entre les semi-pros bruxellois et les amateurs congolais, comme en témoignent les victoires récoltées: 5-0 et 4-2 dans la capitale, puis 6-2 à Elisabethville, 10-2 à Jadotville et 7-0 lors de la dernière halte à Stanleyville. Deux ans plus tard, ce fut au tour des Congolais de venir se produire en Belgique, où ils partagèrent notamment l’enjeu face à La Gantoise (3-3). Les Buffalos furent les plus prompts, en engageant sur-le-champ l’attaquant Léon Mokuna. Par la suite, d’autres empruntèrent la même voie: Paul Bonga Bonga au Standard, Raoul Lolinga à St-Trond et Max Mayunga au Daring. Sans oublier, évidemment, Henri Erumba au RSCA.

Celui-ci ne disputa qu’un total de 6 matches pour les Mauve et Blanc entre 59 et 61. Son successeur, Zacharie Konkwe, fut encore moins performant: 5 apparitions à peine entre 63 et 65. Par contre, le troisième Congolais du Sporting aura laissé un souvenir impérissable dans la mémoire et dans les coeurs: le défenseur Julien Kialunda, qui défendit avec brio ses couleurs entre 65 et 72.

Invasion hollandaise

L’année 1965 marque, d’ailleurs, un autre tournant dans la politique de recrutement du Sporting. A cette occasion, en effet, le club du Parc Astrid se tourna pour la première fois vers les Pays-Bas pour renforcer son effectif. Et cette approche se révéla d’emblée un coup dans le mille. Les Anderlechtois débusquèrent d’abord, à Feyenoord, l’extérieur droit Gérard « Pummy » Bergholtz. C’est grâce à lui, entre autres, que le RSCA se qualifia pour sa toute première finale de Coupe d’Europe -celle des Villes de Foire- en 1969-70. Après que le Sporting eut perdu, dans le dernier carré, face à l’Inter Milan, sur ses terres (0-1), plus personne ne croyait aux chances des Bruxellois de renverser la vapeur au retour. C’était toutefois compter sans ce diable de Hollandais qui marqua à deux reprises à San Siro (0-2).

En apothéose de cette épreuve, c’est un autre Batave, arrivé en même temps que son compère dans notre capitale, qui se distingua: Jan Mulder, auteur de deux goals face à Arsenal. Pour beaucoup, l’ancien sociétaire de Winschoten demeure la référence suprême au poste d’avant-centre. Avec le canonnier belge Jef Mermans, il est sans nul doute le meilleur leader d’attaque qu’ait connu le Sporting. Au plan du talent et du rendement, il aura toutefois dû reconnaître son maître en un autre Hollandais, de classe mondiale celui-là: Robby Rensenbrink, ailier gauche aux dribbles diaboliques et goal-getter patenté. C’est sous sa férule qu’Anderlecht décrocha ses premiers trophées européens: deux victoires en Coupe des Coupes en 76 et 78.

Avec 22 représentants, les Hollandais constituent, à peu de choses près, un cinquième de la population étrangère totale du Sporting. Un effet de mode a joué, dans ce cas-ci aussi. Car durant les seventies, le football de ce pays avait la cote. C’était l’époque des premiers succès européens de Feyenoord et de l’Ajax Amsterdam (4 victoires en C1), tandis que l’équipe nationale était finaliste de la Coupe du Monde en 74 et 78. L’inclination résolument offensive du football d’outre-Moerdijk constituait évidemment le vivier idéal pour un club au jeu académique comme le Sporting. Il n’est pas surprenant, dès lors, qu’il ait fait main basse, pendant bon nombre d’années, sur des attaquants bataves de qualité: non seulement les trois mentionnés plus haut mais aussi Ronny van Poucke, Peter Ressel, Ruud Geels, Peter van Vossen voire Johnny Bosman. Parmi eux, deux joueurs seulement n’ont pas répondu à l’attente: John van Loen et Gaston Taument. Dans d’autres registres aussi, Anderlecht n’a eu qu’à se louer du précieux apport de sa main-d’oeuvre hollandaise. Au goal, Nico de Bree fit partie, à coup sûr, des meilleurs et sa carrière eût été plus prestigieuse encore si, en équipe nationale, il n’avait pas été barré par le monument qu’est Jan van Beveren. Avant lui, un autre portier hollandais s’était signalé pendant sept saisons entre les perches: Jan Ruiter, avec qui le Sporting remporta sa première Coupe d’Europe. D’autres keepers durent se contenter d’un rôle de réserviste: ce fut le cas de Leen Barth et de René de Jong.

Rayon défenseurs, les Néerlandais furent d’un précieux concours aussi. A l’image des stoppers Johnny Dusbaba et Adri van Tiggelen. Sans oublier Graeme Rutjes, le moins talentueux de tous, peut-être, mais qui compensait son manque de classe par une grande intelligence de jeu. Et, dans l’entrejeu, comment ne pas signaler l’importance de ce régisseur de grande classe qu’était Arie Haan? Il a suffi qu’il quitte le Parc Astrid à destination du Standard pour que les Rouches renouent, en 1982, avec un titre qui leur avait échappé depuis plus de dix ans…

De Nederlecht à Denerlecht

De Nederlecht, surnom donné au RSCA en raison de la présence massive d’éléments néerlandais dans les seventies, le club a été affublé d’un autre sobriquet au cours de la décennie suivante : Denerlecht. Un changement qui s’explique par le déferlement d’une nouvelle vague: celle des Scandinaves et, plus particulièrement, des Danois. D’autres Mauve et Blanc, ceux du Beerschot, avaient donné le signal de départ de cette mode en recrutant le Danois Kaj Poulsen au beau milieu des années soixante. Le Club Brugeois s’inspira de cette réussite en acquérant les Suédois Kurt Axelsson et Tom Turesson tandis que le RC Malines, pour sa part, engagea les Norvégiens Odd Iversen et Harald Sunde. Au départ, Anderlecht ne recruta pas dans l’un de ces pays. Il fit d’abord converger vers lui des éléments qui avaient fait leur preuve chez nous. Comme Benny Nielsen et Morten Olsen, qui avaient tous deux transité par le CS Bruges et le RWDM avant d’aboutir au Parc Astrid. Fort de ce succès, le RSCA débusqua pas mal de jeunes talents tels Per Hansen Frimann, Henrik Andersen, Kenneth Larsen Brylle ou encore Henrik Mortensen. Seul ce dernier ne fit pas son trou à Anderlecht, à l’image de Torsten Frank Andersen avant lui et, plus près de nous, de Dan Petersen. Mais tous les autres ont bien mérité du Sporting et nous n’avons d’ailleurs pas hésité à inclure deux d’entre eux -Morten Olsen et Henrik Andersen- dans le onze idéal des étrangers. Un autre Scandinave y figure aussi: Pär Zetterberg, qu’il est évidemment inutile de présenter. Avant lui, deux autres Suédois avaient marqué leur passage au sein du club d’une belle empreinte: Tom Nordahl, fils de Gunnar, le meilleur attaquant suédois de tous les temps, et Inge Ejderstedt, le quatrième mousquetaire de la division offensive des Mauve et Blanc, au début des années 70 aux côtés de Rensenbrink, Mulder et Paul Van Himst. Les autres représentants du Grand Nord n’ont pas marqué les imaginations de la même manière: le Finlandais Kari Ukkonen et l’Islandais Arnor Gudjohnsen furent beaucoup plus saignants à Lokeren qu’au Sporting, par exemple. Et ce même raisonnement peut être étendu à Ole-Martin Aarst qui s’est révélé à Gand après son passage au RSCA. Les eighties auront été marquées aussi, au Sporting, par la présence de deux joueurs latins qui contribuèrent largement à la grandeur du club: l’Espagnol Juan Lozano et l’Italien Enzo Scifo. Contrairement à l’Andalou, celui-ci eut toutefois tôt fait d’être naturalisé. Avec tout le bonheur que l’on sait pour les Diables Rouges…

La vague africaine

Ces dernières années, une troisième tendance s’est dessinée au sein du club bruxellois: l’appel au jeune talent africain. Après avoir puisé dans le réservoir de notre ancienne colonie, Anderlecht s’est progressivement tourné vers d’autres pays: le Ghana d’abord où il a mis main basse, dans un premier temps, sur le trio Isaac Asare, Yaw Preko et Nii Odartey Lamptey, avant de porter ses regards vers le blé en herbe nigerian avec Filip Osondu, CelestineBabayaro, Azubike Oliseh et James Obiorah. Au Cercle de Bruges, il a également mis le grappin sur un jeune Zambien: Charly Musonda. Un demi défensif de grande classe qui a laissé un vide qui n’a jamais été vraiment comblé depuis son arrêt, en 1995, en raison de problèmes au genou.

Parmi ce beau monde, le plus racé fut, sans conteste, Nii Odartey Lamptey. Après des débuts tonitruants, il ne répondit plus aux espoirs placés en lui et fut transféré au PSV en 1993. Depuis lors, il a multiplié les expériences malheureuses. Un autre magicien du dribble, James Obiorah est actif aujourd’hui au Lokomotiv Moscou après un crochet par les Grasshoppers Zurich. Son rôle d’ouvre-boîtes est repris de nos jours par un autre Africain, appelé sans nul doute à un avenir beaucoup plus radieux: l’Ivoirien Aruna Dindane. Signe de l’internationalisation du football, Anderlecht a également engagé cette année son premier footballeur asiatique en la personne de Ki-Yeun Seol.

Dans la mesure où il comptait déjà dans ses rangs un Océanien, avec l’Australien Edi Krncevic et un Américain avec le Canadien Tomasz Radzinski, il est amusant de constater que tous les continents ont donc été représentés dans son effectif. Ce qui peut paraître étonnant, toutefois, compte tenu du football dispensé, c’est l’absence toute relative des meilleurs techniciens du monde: les Brésiliens. Trois d’entre eux seulement ont porté le maillot du RSCA: Wantuil Da Trindade (66-67), Luis Oliveira Barroso (87-92) et Reinaldo Rosa Dos Santos (95-96). A un moment donné, le Sporting fut bien près d’en enrôler un autre. C’était en 1972, à l’époque où l’équipe Première était coachée par Georg Kessler. A l’occasion d’un match amical de prestige contre le FC Santos, emmené par Pelé en personne, un footballeur avait éclaboussé la pelouse de toute sa classe: non pas El Rey mais un certain Alfonsinho, qui formait un entrejeu à lui seul. Anderlecht se montra fort intéressé mais il en coûtait 14 millions pour s’assurer ses services et l’affaire fut classée. Dommage, car quelques années plus tard, la direction du club consentit un même débours pour le Paraguayen Enrique Villalba, présenté comme l’une des plus fines gâchettes d’Amérique du Sud. Au Parc Astrid, toutefois, il ne réussit rien de bon et fut cédé à Guadalajara, au Mexique, après une saison à peine en 79-80. Il emmène le peloton des échecs retentissants, où l’on retrouve encore le Français Yves Herbet, l’Anglais Duncan Mc Kenzie, l’Islandais Petur Petursson, le Nigerian Chidi Nwanu, le Roumain Tibor Selymes et on en passe. On n’a pas le nez creux à chaque coup!

Bruno Govers

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