100 millions pour gagner

Avec un budget pareil, il fallait que les Côtiers remportent leur 9e titre de champion de Belgique après la Coupe.

Sur l’ensemble de la saison, Ostende a rencontré Charleroi à six reprises en match officiel. Seul le verdict du premier match, lorsque les arbitres accordèrent une entrée latérale au lieu de deux lancers-francs dans la prolongation, peut prêter à contestation. Les cinq autres victoires furent conquises sur des scores nets et sans bavure. C’est donc bien la meilleure équipe qui a été couronnée championne de Belgique pour la neuvième fois de son histoire. Rudolph Vanmoerkerke, son président, n’avait plus goûté à cette joie depuis 1995.

Le plus grand défi que vous ayez remporté n’est-il pas d’avoir maintenu une équipe de haut niveau à Ostende malgré la disparition de Sunair, la firme dont vous étiez le PDG? D’autres clubs, comme Malines et tout récemment Ypres, ont sombré lors du retrait de leur sponsor principal.

Rudolph Vanmoerkerke: Il est exact qu’autrefois, les firmes dont j’avais la responsabilité étaient les principaux bailleurs de fonds du club. Et lorsque le budget était dépassé, je me chargeais personnellement de boucher les trous. Cela ne pouvait pas durer éternellement. Il est arrivé un moment où je me suis demandé: -Combien de temps vais-je encore agir de la sorte? Il fallait donc prévoir des alternatives afin d’assurer la pérennité du club. Dans cette optique, je pense que Johan Vande Lanotte est le meilleur transfert que j’ai réalisé. Je me souviens encore du jour où je l’ai aperçu, dans un coin de la salle, avec ses enfants. Il était là comme simple supporter et amateur de basket. Après de longues démarches de ma part, il a accepté d’entrer dans le conseil d’administration en tant que président d’honneur. Je savais que ses introductions dans le monde politique et commercial pouvaient nous être utiles. Mais se limiter à cette tâche cadrait mal avec son caractère. Lorsqu’il s’engage, il veut faire les choses à fond. Son rôle a été déterminant. Notre budget, qui avait longtemps plafonné à 55 millions, atteint aujourd’hui les 100 millions -NDLA : celui de Charleroi se situe à 90 millions. Cet argent ne vient pas de sa poche, mais grâce à ses relations, les contacts avec les sponsors ont été facilités. Et cela nous a permis, non seulement de remporter notre neuvième titre de champion de Belgique, mais aussi de nous immiscer dans le subtop européen.

On reproche même à Johan Vande Lanotte d’en faire un peu trop. Et, notamment, de s’immiscer dans la gestion sportive.

Que voulez-vous? On ne peut pas lui demander uniquement de chercher des sponsors et, pour le reste, de se calfeutrer dans son coin. Il veut aussi avoir son mot à dire dans la gestion. Jusqu’à présent, Johan Vande Lanotte m’a toujours consulté pour toutes les décisions qu’il a prises. Nous ne partagions pas toujours le même avis au départ, mais sommes à chaque fois parvenus à prendre une position commune.

Vous approuvez donc le renvoi de Lucien Van Kersschaever?

Tout à fait. J’aurais simplement procédé d’une autre manière: en l’invitant dans mon bureau pour lui apprendre la nouvelle entre quatre yeux. Mais, après la victoire à Ypres, Johan Vande Lanotte m’a glissé: -Président, c’est à vous qu’il revient d’appliquer la décision que nous avons prise la semaine dernière! Je regrette pour la forme, mais sur le fond, j’étais d’accord. D’aucuns affirment qu’avec Lucien Van Kersschaever, nous aurions également réalisé le doublé coupe-championnat. Je n’en suis pas aussi sûr. Je ne suis même pas convaincu que nous aurions remporté la coupe. Si Lucien Van Kersschaever est un excellent formateur, son point faible est sa passivité le long de la ligne de touche. Il enseigne un système, auquel il croit, et intervient très peu pendant les matches. Je constate qu’avec Aaron McCarthy, l’équipe joue de façon plus énergique et défend beaucoup mieux.

On connaît les qualités et les défauts de Van Kers depuis longtemps. En l’engageant, vous saviez quel type de coach il était.

C’est vrai. Nous lui avons fait confiance pendant un an et demi. Mais avec le budget qui est le nôtre, nous devons remporter des trophées. Ceux qui injectent 85 millions, comme l’an passé, ou 100 millions comme cette année, exigent des résultats. Il a donc fallu trancher dans le vif, et croyez-moi, je ne l’ai pas fait de gaieté de coeur: Van Kers est un homme de la région qui fut encore employé par ma firme, autrefois. Je suis encore allé dîner avec lui après ce licenciement et je lui ai signifié qu’il serait toujours le bienvenu à Ostende. Je lui ai aussi assuré que tous nos engagements seraient respectés: il continue à être payé jusqu’au terme de la saison, primes comprises. Nous sommes restés en bons termes, mais je sens très bien en lisant les interviews qu’il accorde que cette éviction lui est restée sur l’estomac.

L’an passé, Van Kers avait amené Ostende en finale de la coupe et des playoffs alors que, vous-même, vous aviez condamné cette équipe à la relégation.

Je n’avais jamais exprimé mes craintes en ces termes. C’est Rik Lamoral, le journaliste de Het Laatste Nieuws, qui était venu me trouver après la cuisante défaite essuyée en Supercoupe des oeuvres de Charleroi et qui m’avait dit: -Président, avec une équipe pareille, vous êtes bon pour la descente!

Un coach ne fait jamais de vieux os à Ostende. Le seul qui a tenu trois ans est Ton Boot.

Il est exact que l’on ne verra jamais un coach tenir dix ans à Ostende, comme l’a fait Giovanni Bozzi à Charleroi. Chaque club a sa philosophie. Je voue une grande estime à Giovanni Bozzi, que je considère comme un excellent coach, mais à mon humble avis, il est resté trop longtemps. Il y a des exceptions, comme Sir Alex Ferguson à Manchester United en football, mais en règle générale, une usure du pouvoir est perceptible après un certain temps. Changer de style n’est pas mauvais. Pour reprendre l’exemple du football anglais, la touche française apportée par Arsène Wenger (Arsenal), Gérard Houllier (Liverpool) et Jean Tigana (Fulham) a produit des effets bénéfiques dans le bastion du kick-and-rush. Mais, bien que le job de coach peut paraître très aléatoire à Ostende, tous nos anciens entraîneurs ne demandent qu’à revenir: je n’ai qu’à passer un coup de fil à Tony Van Den Bosch, Dirk Bauermann ou Ton Boot pour qu’ils répondent à mon appel.

Lucien Van Kersschaever a tout de même eu le mérite de reconstruire une équipe qui, voici deux ans, s’était complètement désintégrée avec le départ de sept joueurs.

Cette équipe, c’est Johan Vande Lanotte et moi qui l’avions composée. Pas Van Kers. Le seul joueur que le coach avait amené était le Néerlandais Peter Van Elswijk, un grand blond de 2m08. Nous l’avions pris à l’essai, en spécifiant que s’il ne confirmait pas, il devrait faire ses valises au bout de quatre mois. Ce qu’il a fait. C’est aussi une caractéristique d’Ostende: ce n’est pas le coach qui choisit les joueurs, mais la direction. Nous tenons simplement compte des positions pour lesquelles le coach souhaite des renforts. Je pense que nous n’avons pas effectué de mauvais choix. Personne ne connaissait J.R. Holden avant qu’il ne débarque à Ostende. Nous l’avons engagé pour 55.000 dollars. Quant à Ralph Biggs, tout le monde – y compris Dirk Bauermann – nous l’avait chaudement… déconseillé! Nous n’avons pas suivi ces avis et nous nous en sommes félicités.

Cette saison, Johan Vande Lanotte a eu des choix très heureux, comme le transfert de Virginijus Praskevicius, et d’autres qui le furent beaucoup moins, comme l’engagement de Rauno Pehka en cours de saison.

« V.P. », c’est effectivement une trouvaille de Johan Vande Lanotte. Je ne vous dirai pas combien d’argent il a coûté pour l’engager, mais c’était… beaucoup! Nous n’avions jamais eu un joueur aussi cher à Ostende. Après coup, on peut dire que l’investissement s’est avéré rentable. C’est un joueur très polyvalent. Il règne en maître dans la raquette, participe activement aux contre-attaques, capte des rebonds, réalise des dunks spectaculaires. Il est présent dans tous les domaines et ce n’est pas pour rien qu’il a été élu MVP de la saison. Lors de l’engagement de Rauno Pehka, j’étais en… congé! Johan Vande Lanotte m’a téléphoné pour me dire qu’il avait été très impressionné par ce joueur qu’il avait visionné en vidéo. Il estimait aussi que J.R. Holden ne pouvait pas jouer 40 minutes à chaque match. Lucien Van Kersschaever en était conscient, puisqu’il avait insisté afin d’intégrer Gerrit Major à l’effectif. Malheureusement, il l’a très peu utilisé. Nous avons pensé que l’arrivée de Rauno Pehka pourrait soulager J.R. Holden. Il a donc été engagé, mais n’a pratiquement pas joué. Ce n’est pas un mauvais joueur, mais il ne convient pas au style de jeu d’Ostende, tout en rapidité.

Michael Huger conviendra-t-il?

J.R. Holden est un shooting guard. Michael Huger est un véritable meneur de jeu. L’un de vos collègues a parfaitement décrit le changement de visage qui risque de s’opérer: Ostende a échangé l’un des joueurs les plus spectaculaires du championnat contre un distibuteur sobre et intelligent. Michael Huger ne court pas aussi vite que J.R. Holden, c’est clair, mais le ballon devrait circuler plus rapidement. Au lieu de traverser tout le terrain en dribblant, il adressera une longue passe vers l’avant. Si la contre-attaque n’est pas possible, il organisera le jeu placé. Cette saison, notre jeu placé s’est limité à un tir ou à une pénétration (suivie ou non d’une passe) de J.R. Holden. Michael Huger mettra tous ses équipiers à contribution.

Vous n’avez donc pas engagé Michael Huger… pour éviter qu’il aille à Charleroi?

Pas du tout. Au contraire, c’est plutôt Charleroi qui a tendance à vouloir briser l’entente cordiale. Combien d’anciens Ostendais n’évoluent-il pas à Charleroi actuellement? Erik Cleymans, Daniel Goethals, John Jerome… Tous ces joueurs avaient été approchés alors que le championnat entrait dans sa phase décisive. Nous n’avons tenté aucune approche vis-à-vis de Michael Huger lorsqu’il était en compétition avec Ypres. Il s’est retrouvé libre à cause de la débâcle financière du club du Westhoek. Nous avons d’abord négocié avec J.R. Holden. Il nous a informé qu’il avait changé d’agent. Son nouvel impresario a exigé un salaire oscillant entre 150 et 180.000 dollars. C’est trop pour notre budget. J.R. Holden aurait aimé rester, mais à ces conditions-là, toute discussion était vaine. Nous nous sommes donc rabattus sur Michael Huger. Son style correspond parfaitement au système préconisé par… Dirk Bauermann: le rebond suivi d’une longue passe.

Cela nous amène à parler du coach pour la saison prochaine: Aaron McCarthy ou Dirk Bauermann?

J’avais promis à Aaron McCarthy que, s’il remportait un trophée, il obtiendrait la garantie de pouvoir rester une année supplémentaire. Nous lui soumettrons donc une proposition à des conditions au moins équivalentes au contrat qu’avait Lucien Van Kersschaever. La balle est désormais dans son camp. En quatre mois, il a réalisé un travail fantastique. En est-il capable sur toute une saison? Selon moi, oui. Il a été champion de Finlande quatre fois d’affilée et a amené l’équipe nationale finlandaise à un niveau fort honorable. Et, autrefois, il a remporté la coupe avec Gand contre l’Ostende de Ton Boot. J’en déduis donc qu’il a des qualités.

Au niveau des joueurs, la reconduction des contrats de Virginijus Praskevicius et de Thomas Van den Spiegel est une priorité?

Effectivement. Johan Vande Lanotte se charge des négociations. Nous avons convenu de faire le maximum, mais sans dépasser un certain plafond salarial. J’aimerais les conserver tous les deux, mais bien que « V.P. » soit le meilleur joueur du championnat, Thomas Van den Spiegel serait sans doute plus difficile à remplacer. Un véritable n°5, de 2m14, mobile et qui capte 12 rebonds par match, cela ne court pas les rues.

Cette saison, pour les matches Ostende-Charleroi, le marquoir indique 6-0. A quoi attribuez-vous cette suprématie?

D’aucuns invoquent la jeunesse de notre équipe. Je dois avouer qu’au départ, c’était d’abord par nécessité financière que nous avions opté pour des jeunes: nous n’avions pas les mêmes moyens que Charleroi pour nous offrir des valeurs sûres. Et là, je dois reconnaître que Lucien Van Kersschaever a très bien travaillé pour amener ces jeunes à un excellent niveau. Mais je crois surtout que notre équipe était mieux équilibrée que celle des Spirous: nous avons aligné nos joueurs à leur meilleure place. Je ne veux pas me mêler des affaires des autres, mais Michael Batiste est un n°3 ou 4 et il doit jouer au n°5. Lenny Brown est un distributeur -ou plutôt un shooting guard- et il doit jouer à l’aile. Ron Ellis est à mes yeux le meilleur joueur belge, mais on l’a usé à force de lui demander trop. Ce qui m’a surtout déçu, dans le chef de Charleroi, c’est son renoncement. Moralement, les joueurs ont très vite accusé le coup.

Que pensez-vous de la saison 2000-2001 en général?

Le basket est en pleine expansion. On construit de nouvelles salles partout et les budgets ne cessent d’augmenter. Mais 14 clubs en D1, c’est sans doute trop. Il faudrait en arriver à une division A1 à huit clubs et une division A2 également à huit clubs.

Daniel Devos

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