100.000 volts

Pierre Bilic

L’arrière gauche de Sclessin jette un regard sur Belgique-Grèce avant de parler avec passion de son club.

Dans quelques jours, le mois d’août tendra le témoin à septembre pour annoncer la rentrée des classes et le déclin des beaux jours. A 31 ans, Philippe Léonard approche tranquillement, mais ambitieusement, de l’automne de sa carrière. Le Standardman ne garde pas les fruits de ses saisons pour lui mais les offre aux jeunes de son club et de l’équipe nationale. Il est parfaitement en phase avec les événements importants qui jalonnent forcément sa trajectoire actuelle à Sclessin et parmi les Diables Rouges.

Quelles conclusions tirez-vous de la rencontre amicale Belgique-Grèce et donc de votre 20e sélection internationale ?

Philippe Léonard : Au-delà du plaisir de gagner par deux buts d’écart, sans que Silvio Proto ne se soit retourné, il y a une performance d’ensemble, donc de tous les secteurs de l’équipe, qui est très encourageante, positive. J’ai été frappé par la solidité des Diables Rouges qui se sont libérés après les deux buts des frères Mpenza. Avant cela, nous avions eu tendance à trop multiplier les longs ballons. C’était dû, je crois, à une trop grande crispation en début de rencontre, alors que la Grèce n’était pourtant pas trop saignante. La défense belge a subi plus de pression après le repos mais le groupe a bien géré toutes les vérités du match. Tout le monde sait depuis longtemps que Silvio Proto détient d’énormes qualités. Il l’a à nouveau prouvé. En semaine, Silvio s’était gentiment fait chambrer par les joueurs : réserviste à Anderlecht, titulaire en équipe nationale, et patati, et patata, c’était drôle. Il leur a remis sa carte de visite, à sa façon, sur le terrain, face aux Grecs. Je suis persuadé que Silvio Proto ne tardera pas à devenir le titulaire indiscutable à Anderlecht. Aimé Anthuenis a bien géré le cas du portier en lui expliquant probablement que ce qui se passait à Anderlecht ne comptait pas. Silvio n’avait pas à se mettre la pression : il était et reste le numéro 1 des Diables Rouges. Quand le coach est clair, c’est plus facile pour le joueur, qui ose davantage. La défense a fonctionné en bloc. Elle savait que la ligne médiane grecque ne s’aventurait pas trop profondément avant de tenter des centres. Daniel Van Buyten s’est régalé dans le trafic aérien, Vincent Kompany a eu sa présence habituelle. Leur entente avec le gardien n’a pas posé un seul problème sur les balles hautes. Les deux backs, Anthony Vanden Borre et Olivier Deschacht, pour leur part, ont bien mis le nez à la fenêtre car la Grèce ne jouait qu’avec un attaquant.

Comment vous situez-vous par rapport à Olivier Deschacht ? Pouvez-vous vous contenter d’une minute de jeu ? Tous les arrières de l’équipe nationale ont des rendez-vous européens avec leur club depuis le début de la saison, vous pas : est-ce un handicap pour vous ?

Non, je ne crois pas que ce soit un désavantage. Je me situe par rapport à moi-même, pas en fonction d’un autre. J’ai un acquis sur la scène internationale, un vécu, du métier, de l’expérience, et le coach fédéral ne l’ignore pas du tout. Je veux d’abord apporter cela à l’équipe, au groupe, et peu importe si je joue une minute ou tout le match. Je fais partie de l’aventure avec plaisir et c’est uniquement cela qui importe. Je m’applique, je fais du mieux que je peux. Je reviens de loin, je ne l’oublie pas, et je suis heureux de participer, d’avoir retrouvé un très bon niveau, de ne pas être la septième roue du carrosse. Sans jouer à l’ancien combattant qui a tout connu, j’aime bien donner mon impression à des jeunes à propos d’un placement, de la lecture d’une phase de jeu, d’un geste de mauvaise humeur qui peut être amplifié dans la presse. C’est bref, car je ne suis pas là pour cela, et c’est à eux de retenir ou pas une impression, une remarque positive. Je ne suis cependant pas le plus ancien de la bande. A 35 ans, Yves Vanderhaeghe est une source de motivation incroyable au c£ur de la ligne médiane. Frédéric Herpoel a 31 ans, Roberto Bisconti 32, Philippe Clement 31, Olivier Doll 32 : le mélange des générations existe, est intéressant et constitue, peut-être, un des grands atouts de ce groupe. Je peux jouer à plusieurs places : arrière aile, médian, pare-chocs, stoppeur. Je suis monté au jeu à un quart d’heure de la fin du match à Belgrade, alors que cela chauffait, dans un rôle de médian gauche chargé de resserrer dans l’axe. J’ai bien aidé mes coéquipiers, je crois. Face à la Grèce, même si ce fut plus bref, j’étais posté sur le flanc. Je suis là pour épauler tout le monde et répondre à l’attente, où que ce soit. A gauche, j’ai cru que le duo Jelle Van Damme- Koen Daerden constituerait le flanc gauche. La blessure du joueur de Genk a probablement changé la donne. Peu importe : je me sens bien dans ce groupe qui a du jus, croyez-moi.

Au point de pouvoir inquiéter la Bosnie à Zenica le 3 septembre prochain ?

Oui, tout à fait. Il y a de la variété dans ce groupe. Face à la Grèce, la Belgique a joué en 4-3-3. Offensivement, c’est fort quand cela tourne avec Emile, Mbo et Luigi Pieroni. En phase de récupération du ballon, ils se sont bien repliés afin d’aider les médians. En Bosnie, si on pense et on agit à nouveau en bloc, dans un contexte différent par rapport au match face à la Grèce, cela pourrait nous valoir de belles satisfactions. C’est même, à mon avis, largement à notre portée. Je me réfère au résultat de Belgrade face à une équipe de Serbie & Monténégro, qui est au-dessus du lot dans notre groupe, afin d’avancer cela, sans prétention. Et avec la certitude, aussi, qu’il ne s’agira pas de jouer naïvement. Il faudra être rigoureux derrière, costaud au milieu et appliqué devant. Comme contre la Grèce, quoi, vouloir plus au service du groupe.

 » Il est impossible de travailler calmement à Sclessin  »

Quel bilan aviez-vous tiré après la saison écoulée au Standard ?

Je suis monté dans le train en marche, au mois de septembre, et je me suis amélioré au fil du temps. Je montais progressivement dans les tours. Il y a eu un déclic collectif et une prise de conscience lors du stage d’hiver au Portugal. Malgré la conclusion négative, le Standard a signé un excellent deuxième tour. A mon avis, les barrages face à Genk n’auraient jamais dû se dérouler de la sorte. A l’étranger, la différence de buts entre en ligne de compte, pas en Belgique. Or, nous avions une meilleure défense et une attaque plus percutante que Genk. L’équipe la plus spectaculaire n’a pas été récompensée. En disputant le match retour sur leurs terres, les Limbourgeois étaient avantagés. J’estime même qu’un tel événement devrait se dérouler en une manche sur terrain neutre, au Stade Roi Baudouin par exemple. Il nous a manqué la cerise sur le gâteau, c’était frustrant. S’il y a une leçon à tirer, c’est qu’un championnat ne se joue pas sur six mois. Si le Standard avait eu les moyens d’entrer dans le vif du sujet dès le mois d’août, et pas seulement à partir de janvier, il n’y aurait pas eu de test-matches.

Cette fois, le noyau n’a pas trop bougé : gros avantage par rapport au précédent championnat ?

Oui, oui…

C’est un petit oui, oui : pourquoi ?

Les joueurs se connaissent déjà, c’est un gros plus. Mais, pffft, rien n’a véritablement changé depuis mon départ à Monaco. Je me dis encore qu’on ne parviendra décidément jamais à gagner quelque chose. Je n’arrive pas à expliquer cela. La stabilité est un atout mais, et c’est » le  » problème, il se passe décidément quelque chose toutes les semaines. Il est impossible de travailler calmement à Sclessin, Jamais, jamais, jamais. Un joueur se barre, un autre fait des déclarations maladroites, le parquet vient chercher des joueurs. J’ai répondu sans problème aux questions des enquêteurs qui sont remontés jusqu’à mon transfert à Monaco en 1996. Tout était clean. Pas de problème. J’ai même appris que je payais trop d’impôts en Belgique. Comme je réside à l’étranger, à Monaco, je dois m’acquitter d’une taxe salariale de 18 % alors que je débourse plus de 50 % pour le moment. J’ai fait une bonne affaire. Il faut toujours se justifier. Le coach doit sans cesse défendre son choix à propos d’un joueur. En France, le patron résume tout très vite : choix de l’entraîneur. Il n’y a qu’ici qu’un coach doive sans cesse se défendre. Je ne voudrais pas être à sa place. Quand Sergio Conceiçao a raté son penalty face au Lierse, le coach m’a montré du doigt. La presse l’a vu. Etais-je le coupable du raté de Sergio ? Non, pas d’accord. J’étais désigné dans le trio de botteurs de penalties avec Sergio Conceiçao et Wamberto, sans hiérarchie précise. Sergio a pris ses responsabilités, c’est tout à son honneur, et c’est lui qui l’a loupé, pas moi. Tout cela peut générer des tensions inutiles.

C’est du pipi de chat par rapport au départ spectaculaire de Milan Rapaic, n’est-ce pas ?

Le matin, en parcourant la presse, je me dis toujours : -Bon, qu’est-ce qui va se passer aujourd’huiau Standard ? Quand Milan est arrivé, il n’y avait rien dans les journaux. Puis, il a lancé en italien : -Arrivederci, ciao, ciao, grazie mille… Je lui ai demandé ce qui se passait et il m’a répondu : -Je me taille, j’en ai plein les bonbons. Il a pris ses cliques et ses claques avant de se barrer. C’était bizarre et déroutant car Milan Rapaic avait réalisé une très bonne campagne de préparation. Puis, il part à la pêche à Split. Mais cela signifie que, même si le groupe n’a pas changé, le coach doit trouver une solution alors que la saison n’a pas encore commencé. Il y en a, heureusement, mais cela complique la donne et on ne voit cela qu’au Standard. Ce sont des handicaps, même si le Standard a mieux entamé le championnat qu’il y a un an. Je me dis même qu’on tiendra bien la route.

Tout cela dans une tension 100.000 volts : c’est bien, continuez à vous disputer si cela vous permet d’avancer…

S’il y a des tensions dans le vestiaire, on s’entend bien.

Donc, il y a bien des tensions ?

Oui, il y en a eu. La semaine passée, je ne sais pas trop, car j’étais pris par mes obligations en équipe nationale. Il y a des tensions dans le vestiaire du Standard mais on ne se tire pas dans les pattes. Nous sommes là pour gagner, pour travailler, pour signer des résultats, pour mériter des primes. Je me dis parfois que ce sera la merde et, au contraire, je vois des mecs qui se mettent chiffons, minables sur le terrain, vont au charbon pour le groupe. Ils ont envie de gagner, ils ont des objectifs, veulent se montrer. Cela nous a permis de gagner tous nos matches de préparation, sauf celui contre la Juventus, et le 0-0 contre Fenerbahce.

Mais alors cela prouve que l’approche de la direction est la bonne. Elle voulait un vestiaire de guerriers et pas des gars chouettes et gentils comme la saison passée…

Bah… on gagne, et même en n’étant parfois pas spécialement bons. Je préfère un peu plus de calme mais on ne peut pas tous s’embrasser. Nous avons le même objectif et, s’il y a des tensions, on s’en bat les cacahuètes. Si chacun abat son boulot et est respecté, pas de problèmes.

 » Frans Masson est un phénomène  »

Le nouveau staff technique assume-t-il un rôle important ?

Très important. Il ne me viendrait jamais à l’idée de critiquer le boulot de leurs prédécesseurs : ils ont tous été remarquables et José Riga signera du bon travail à Mons. Je ne peux pas comparer, c’est différent. José était plus effacé, posé, Demol est un extraverti. Stéphane apporte beaucoup. Il est charismatique, sait de quoi il parle, a tout vécu. Cela se voit dans son travail, sur le terrain, via ses contacts avec les joueurs. On ne la fait pas à Stéphane Demol. Il sait tout, voit tout, devine tout, comprend tout, râle, charrie,… Demol connaît parfaitement la psychologie du compétiteur de haut niveau, sait manier la carotte et le bâton. C’est un gagneur. Il est polyglotte, passe du français au néerlandais, à l’italien ou au portugais sans problème. Il me semble l’avoir entendu en serbo-croate. C’est important dans un vestiaire comme le nôtre qui est une tour de Babel. La saison passée, il fallait parfois traduire, expliquer et encore expliquer. Pas de problème avec Stéphane. De plus, il nous fait rire. Avant le match contre Maastricht, il nous a sorti un : -Bon, les gars, on sait que tous les Hollandais sont des cons, alors pas de quartiers. Tout le groupe s’est poilé aux larmes et on a gagné. Il forme un duo complémentaire avec Dominique D’Onofrio. Frans Masson est un phénomène. Je n’ai jamais vu de telles analyses. Il sait tout du jeu adverse et des caractéristiques de chaque joueur. Ce sont des armes supplémentaires. Demol et Masson apportent encore plus de culture footballistique au Standard. C’est important.

Quid de vos contacts avec les Glasgow Rangers ?

Les Ecossais sont intéressés. J’aime ce football et celui qui se pratique en Angleterre. J’ai des copains là-bas, dont Dado Prso. Cela a traîné en été. Maintenant, je suppose que les Rangers feront une offre s’ils avancent sur la scène européenne. Mais, moi, je n’ai rien de concret de leur part.

Et vous avez encore un contrat d’un an au Standard ?

Oui, le Standard l’a prolongé unilatéralement. Il avait la possibilité de le faire. A Monaco, où Luciano D’Onofrio m’avait rendu visite, j’ai paraphé un accord pour un an avec une option unilatérale pour douze mois de plus. A l’époque, j’aurais préféré un contrat d’un an sans option mais ce n’était pas possible. On m’a convoqué en fin de saison dernière pour me dire : -On lève l’option. Preuve que j’avais répondu à l’attente. Je n’avais rien à dire, pas un mot. Le Standard a prolongé sans me consulter. Je n’ai pas eu le choix. Je voulais exprimer mon sentiment mais on m’a dit non. Je n’ai pas cherché à discuter plus longtemps. C’est ainsi, je regrette ce manque de dialogue, mais cela n’hypothèque pas mes envies, mes ambitions : cela les décuple.

Pierre Bilic

 » LE MATIN, EN LISANT LA PRESSE, JE ME DIS : – Bon, qu’est-ce qui va encore se passer aujourd’hui au Standard ?  »

 » On ne la fait pas à Stéphane Demol. Il sait tout, voit tout, devine tout, comprend tout, râle, charrie, etc.  »

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