10 émotions

Quels souvenirs forts le défenseur hurlu gardera-t-il de la saison qui s’achève?

Une carrière de footballeur est faite de grands crus et de piquettes. Pour Alex Teklak, la cuvée 2002-2003 a été à la limite de l’imbuvable. Entre drame familial, blessures, départ de potes et résultats décevants, il n’a que rarement aperçu la lumière. Que retiendra-t-il de cette saison, quand il raccrochera les crampons? Il a répertorié les dix événements qui l’ont le plus marqué depuis un an. Du plus fort au moins intense.

1. »Le décès de mon beau-frère »

Alex Teklak: « C’est sans hésiter l’émotion la plus forte. Je n’ai jamais voulu trop en parler dans la presse car je ne désirais pas qu’on m’accuse de me servir de ce drame comme excuse facile pour expliquer une mauvaise saison. Et je ne souhaitais surtout pas susciter la pitié. Mais c’est bien sûr un événement qui marque terriblement un homme. Dans deux mois, il y aura un an que Steve s’est tué à moto. Dans les Ardennes. Un accident stupide. Comme n’importe quel accident. Plus qu’un beau-frère, c’était un ami. Il avait mon âge et nous étions fort complices. On dit que la douleur s’atténue avec le temps: pas d’accord. Sa disparition me fera souffrir jusqu’à mon dernier jour. J’essaye de me mettre à la place de ma femme et de mes beaux-parents, et je ne comprends pas comment ils font pour tenir le coup. Chaque fête religieuse amène de nouveaux souvenirs, des pleurs. Et, à l’approche de l’anniversaire du crash, toute ma belle-famille revit les dernières semaines de Steve, se souvient de ce qu’il faisait, de comment il était il y a un an. Ma fille aînée, qui a quatre ans, se souvient très bien de son oncle et en parle régulièrement: ça fait mal. Je tire un grand coup de chapeau à ma femme. En moins de cinq ans, elle a vu partir sa grand-mère, deux oncles, son père (emporté en quelques heures par une maladie) et un de ses deux frères. Malgré tout cela, elle parvient à positiver: incroyable ».

2. « Ma fracture du péroné »

« C’était au Standard, lors de la première journée. La première blessure sérieuse de ma carrière. Elle s’inscrivait bien dans le prolongement de tous les problèmes que j’avais vécus au cours des semaines précédentes: l’accident de mon beau-frère, le départ de Hugo Broos, l’été chahuté dans le club. Je me suis blessé juste avant le penalty raté de Lukunku. Mais j’ai encore joué pendant cinq minutes. éa me rappelle un Charleroi-Lokeren, en début de carrière: j’avais joué tout le match avec une double fracture du bras. Je pensais que ce n’était qu’une entorse. Comme j’étais chaud, la douleur était supportable. Au Standard, par contre, j’ai vite compris que c’était cassé: il y avait eu le bruit typique d’une fracture et la forme bizarre que le bas de ma jambe avait prise. J’ai crié au kiné qu’il fallait me sortir et, le temps qu’on organise mon remplacement, j’ai encore dû courir un peu. Une fois dans le vestiaire, le kiné a lui aussi compris mais n’a rien voulu me dire. De peur de me décevoir. Je suis monté dans l’ambulance et je suis parti passer des radios. C’est là, à l’hôpital de Liège, qu’on m’a communiqué officiellement le verdict. Finalement, tout s’est très bien passé. On m’a simplement posé un plâtre et je rejouais deux mois plus tard. Ce que j’avais connu pendant l’été m’a permis de considérer cet accident de jeu comme une broutille et de faire ma rééducation sans me prendre la tête ».

3. »La victoire contre Anderlecht »

« Pour la première fois, j’ai ressenti une vraie solidarité dans l’équipe. La presse avait fait pas mal d’insinuations: nous n’étions soi-disant plus derrière Lorenzo Staelens. Ce soir-là, nous avons décidé de montrer qu’il n’y avait rien de plus faux, que nous étions toujours sur la même longueur d’onde que notre coach. Il n’y a de toute façon pas de gars assez méchants dans notre noyau pour le boycotter. Mais cette victoire a aussi une autre explication. Avez-vous vu l’équipe? Dans le but, Vandendriessche. Derrière, Teklak, Besengez, Claeys et Filston. Au milieu, Mpenza, De Vleeschauwer, Martic, Dugardein et Grégoire. Devant, Zewlakow. éa ne vous fait pas tilt? C’est pour ainsi dire l’équipe type de la saison dernière. Et c’était pour ainsi dire la première fois que l’entraîneur en disposait. Cela s’est vu contre Anderlecht. Comme par hasard, il y avait de nouveau, sur la pelouse, 11 hommes qui se connaissaient, avaient des automatismes et savaient comment s’y prendre pour barrer la route à un candidat à la Ligue des Champions ».

4. »Le départ imminent de Marco Casto »

« éa va me faire très mal, c’est sûr. Nous sommes devenus complices dès que nous nous sommes rencontrés à Charleroi, et cette complicité s’est carrément transformée en amitié. Il y a comme un fluide qui passe entre nous. Avec lui, je peux discuter de tout et j’apprécie son côté attachant. Lors des mises au vert, nous partagions systématiquement la même chambre. Je suis parrain de sa fille aînée et, après le décès de mon beau-frère, ma femme lui a demandé de devenir le nouveau parrain de notre petit Youri, qui a deux ans. Son parrain, à l’origine, c’était Steve… Quand nous lui offrons un cadeau, nous lui disons que c’est aussi parrain Steve qui l’offre. Il n’aura jamais de souvenirs de son oncle, mais nous faisons tout pour entretenir sa mémoire ».

5. »Le manque de solidarité dans le noyauau deuxième tour « 

« éa reste un mystère à mes yeux. A certains moments, des joueurs passaient leur temps à se cacher sur le terrain, n’osaient plus jouer en un temps ou tenter un bête dribble. A la fin, plus personne n’était bien dans sa peau, tout le monde râlait et l’ambiance s’était méchamment détériorée à l’entraînement parce que les primes ne tombaient plus. En plus de tout cela, il y avait les critiques dans la presse. Contre le GBA, nous avons vraiment touché le fond. Je me suis fâché plus d’une fois. Je sais que je n’ai pas des qualités techniques exceptionnelles, mais je ne pense pas qu’on puisse me reprocher un manque d’engagement. Après la défaite à Mons, où nous avions été inexistants, j’ai dit bien haut qu’avec une mentalité pareille, ce n’était même plus la peine de monter dans le car pour aller défier nos adversaires sur leur pelouse. Quand on joue en déplacement, on sait qu’il faut se donner encore plus parce qu’on aura beaucoup de gens contre soi: le public et aussi, très souvent, l’arbitre ».

6. »Le départ de Hugo Broos »

 » Un choc pour tout le noyau. Personne ne s’y attendait. Quand je lisais des interviews de Broos ou du président, j’avais l’impression que ces deux-là allaient travailler ensemble tout le reste de leur vie. Et je suis sûr que, jusqu’au dernier moment, Jean-Pierre Detremmerie est resté convaincu que Broos ne l’abandonnerait pas. Mais peut-on refuser une offre d’Anderlecht? C’est vrai aussi bien pour un coach que pour un joueur. Quand tu peux aller là-bas, tu ne te poses pas de questions: tu y vas ».

7. »Le sauvetage de Charleroi »

« Je vais encore souvent à des soupers d’anciens du Sporting et, chaque fois, j’en sors avec la même conviction: aucun joueur passé par ce club, même s’il a connu des problèmes avec certaines personnes là-bas, ne lui souhaite de mal. J’y suis resté viscéralement attaché. Je sais déjà que je ne conserverai pas un souvenir aussi fort de Mouscron, même si c’est ici que j’ai connu mes plus grandes joies sportives, avec notamment la finale de Coupe de Belgique contre Bruges. C’est normal: pour moi, tout a commencé à Charleroi. J’entretiens, avec le Sporting, le même lien que Besengez ou Dugardein avec l’Excel ».

8. « Le 5-0 à Charleroi »

« On m’a chambré et c’est normal: l’ex-Carolo qui revenait au pays pour y subir une humiliation mémorable. Après quelques minutes, j’avais compris que nous allions boire la tasse. Nous n’étions nulle part, nos adversaires nous bouffaient dans tous les domaines, gagnaient tous les duels et multipliaient les occasions de but. Avec 5-0, Mouscron a encore été bien payé. Pourtant, nous étions confiants en partant là-bas. Nous savions que l’Excel avait souvent fait de bons résultats contre le Sporting. Staelens m’a sorti au repos. éa n’a fait que renforcer ma déception. Pour la deuxième mi-temps, je n’ai même pas osé aller m’installer sur le banc ou dans la tribune. J’avais trop peur des remarques. J’ai tout suivi depuis la sortie du couloir menant aux vestiaires. Je n’ai pas l’habitude de me cacher, mais là, j’étais vraiment trop gêné ».

9. »Mon 100e match de D1 avec Mouscron »

« C’était en mars, contre St-Trond. J’ai appris, durant la semaine qui précédait ce match, que ce serait mon centième avec l’Excel. Via un journaliste. Moi, je n’avais pas tenu de comptabilité. Passer ce cap m’a fait plaisir, sans plus. Parce que je ne m’attarde pas trop à ces détails. Je retiens plutôt ma régularité. Une centaine de matches en trois saisons et demie, ça veut dire que j’ai été très souvent dans l’équipe. Je ne suis pas l’homme des coups d’éclat mais j’ai de la constance. A part pendant ma rééducation au début de cette saison, Mouscron a toujours pu compter sur moi depuis que je suis arrivé. Avoir joué autant de matches prouve aussi que je me suis calmé, que je prends moins de cartes qu’à mes débuts avec Charleroi. J’ai pris une rouge cette saison, à Mons. Une injustice parce que j’avais à peine touché Kelly. Le problème, c’est qu’avec son tout petit gabarit, il a volé… L’arbitre a commis une grosse erreur: il était loin de l’action. Il faut faire avec: les erreurs d’arbitrage font partie du jeu ».

10. « Mon absence en Coupe d’Europe »

« A 27ans, je n’ai toujours pas joué en Coupe d’Europe. J’étais sur le banc à Bucarest, en 1994, avec Charleroi. Je débutais dans le noyau A et Georges Leekens m’avait emmené en Roumanie. Je n’ai pas eu la même chance que Toni Brogno, qui a joué en Coupe de l’UEFA avant de débuter en championnat de D1. J’aurais logiquement dû jouer mes premiers matches européens cette saison avec l’Excel, mais ma blessure a tout fichu en l’air. J’espère que ce n’est que partie remise. Mais, plus les années passent et plus l’étau se resserre ».

Pierre Danvoye

« On n’est pas assez méchants pour boycotter le coach »

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