10 % de talent ?

Le médian français s’était fait une autre image de son déménagement à Liège.

Un jeudi tristounet dans le centre de Liège. La moitié du noyau du Standard est en équipes nationales. Benjamin Nicaise (28 ans) prépare doucettement le match amical du soir contre Visé. Il y a les Rouches qui rigolent et les autres.

Le bilan de ta saison ?

Benjamin Nicaise : Positif.

Tu n’attendais pas plus de temps de jeu ?

On attend toujours plus. Si tu interroges un gars qui a presque tout joué, il te répondra qu’il préférerait avoir de meilleures stats. Moi, je suis malheureusement le douzième homme et c’est un peu difficile. Mais il faut aussi savoir se contenter de ce qu’on a.

Ce n’est pas dans ta mentalité de guerrier…

J’en veux plus… mais je suis confronté aux choix du coach.

Tu avais signé au Standard pour être titulaire ?

Sûr.

Malgré le noyau champion, avec Marouane Fellaini notamment ?

Oui, même si je me doutais que Fellaini serait difficile à bouger. Il y a des trucs que l’opinion publique a parfois du mal à comprendre. Par exemple, un footballeur marche à 90 % à la confiance… en lui, de l’entraîneur, des dirigeants, des supporters. Les qualités n’interviennent que pour 10 %. Combien de joueurs n’ont pas fait une grande carrière alors que leurs qualités étaient nettement en dessous de ce qu’on attend d’un pro ?

Tu penses à qui ?

A plein de grands noms. Didier Deschamps n’était pas un footballeur exceptionnel au départ. Mais il a eu un parcours fabuleux, il a même été champion du monde. Prends aussi Sammy Traoré, qui cartonne avec le PSG. Je l’ai côtoyé à Créteil : à la base, il n’avait pas forcément les aptitudes pour devenir pro mais il a percé parce que sa confiance en lui était énorme. A l’inverse, un joueur exceptionnel peut se crasher : Didier Drogba était réserviste au Mans, puis il n’était pas super à Guingamp, mais il a explosé à Marseille puis à Chelsea. Et Franck Ribéry ! Il se fait jeter à Brest puis se retrouve à Metz, où je l’ai comme coéquipier. Après un seul entraînement, je me dis : -Qui c’est celui-là, qu’est-ce qu’il vient faire chez nous ? Après cela, il s’enfuit à Galatasaray pour échapper à des problèmes privés puis explose à Marseille et se retrouve au Bayern.

 » On cherche des solutions pour remplacer Defour alors que je suis disponible : ça fait mal « 

De quoi es-tu le plus satisfait cette saison ?

D’avoir su contenir une certaine frustration à différents moments. De ne pas m’être lâché dans la presse. J’ai tout intériorisé.

Et de quoi n’es-tu pas du tout satisfait ?

De mon temps de jeu. Et de trucs qui se sont passés à des moments bien précis. Quand on cherche des solutions pour remplacer Steven Defour alors que je suis disponible, ça fait mal.

Tu t’es vu titulaire dès que Fellaini est parti ?

Pas du tout. A ce moment-là, j’étais le seul à savoir que je ne jouerais de toute façon pas. J’étais sûr que le coach allait imaginer une autre formule, pour que je ne sois pas dans l’équipe. J’avais déjà eu l’occasion de ressentir certaines choses.

Tout le monde était pourtant convaincu que tu serais le remplaçant automatique de Fellaini ?

Le coach a replacé Axel Witsel dans l’axe et a fait reculer Defour au médian défensif. C’est comme ça.

Tu aurais eu cette idée si tu avais été entraîneur ?

Pourquoi pas ? Aujourd’hui, il n’y a plus de vrais médians offensifs ou défensifs. A Mons, j’étais offensif devant Hocine Ragued. Defour n’a pas le même profil que Fellaini mais il peut faire plus ou moins le même boulot.

Defour était presque aussi fâché que toi parce que ça l’ennuyait de reculer.

Il n’a pas un profil type de médian défensif, mais par son inefficacité en assists et en buts, il a aussi montré qu’il n’était pas un vrai milieu offensif. Aujourd’hui, comme relayeur, on ne peut plus lui reprocher ses statistiques. Et il s’est complètement imposé dans son nouveau rôle. S’il y a aujourd’hui un joueur du Standard qui mérite un gros contrat à l’étranger, c’est lui. Il a su être le meilleur, le plus régulier, il n’est jamais descendu sous un certain niveau. C’est le seul qui n’est jamais passé à travers, sauf peut-être à Charleroi. Si on arrêtait de jouer maintenant, Defour pourrait se vanter d’avoir fait une saison parfaitement pleine, aussi bien en coupe d’Europe qu’en championnat.

Il y a un poster de Fellaini dans votre vestiaire : ça ne t’énerve pas ?

Absolument pas. Fellaini n’était pas mon pire ennemi. Le groupe l’appréciait, moi aussi. S’il est en poster, c’est parce qu’il a eu un transfert historique dans un championnat où tous les joueurs du Standard rêvent d’aller. Mais il n’est pas le seul à avoir sa photo dans le vestiaire. Il y a aussi Oguchi Onyewu. Et même moi ! Il y a pas mal de conneries sur ce tableau… Bref, ce qui m’agace, c’est qu’on est incapable de m’interviewer sans me poser directement des questions à propos de Fellaini, de Defour, d’Eliaquim Mangala ou d’autres.

Ton principal handicap, c’est qu’on t’imagine dans une seule position : pur médian défensif. Alors que Witsel, Defour ou Dalmat peuvent jouer partout dans l’entrejeu.

Je suis sans doute le seul gars du noyau qui a déjà joué à toutes les places, sauf dans le but. On peut me placer n’importe où, je saurai vite m’acclimater. Mais c’est difficile de changer la vision des gens. Mets-moi deux fois au back droit, je me ferai vite au poste. Et c’est pareil pour tous. Quand tu es pro, tu es censé pouvoir bien te débrouiller à n’importe quel poste.

Tu as plus le profil du Standard du passé, du club qui pratiquait un jeu plus physique que technique. Il y a eu une grosse évolution depuis deux ans.

Chacun son opinion. Je sais en tout cas qu’il faut un peu de tout pour former une bonne équipe. Pour être bon dans le milieu du jeu, il faut avoir un gros impact physique. Si je ne suis pas fort dans les duels, je n’ai aucune chance de m’en sortir. J’ai vu le Standard évoluer. Ce n’est plus du tout l’équipe que j’avais affrontée la première fois avec Mons. Aujourd’hui, ça joue beaucoup plus au sol et on ne cherche les longs ballons que quand il n’y a pas d’autre solution. Est-ce le plus important ? Ce qu’il faut, ce n’est pas chercher à épater la galerie mais essayer d’être champion. On m’a toujours appris à faire passer les résultats avant la manière.

 » Mes excuses si je suis le seul responsable de l’élimination européenne « 

On ne t’a pas épargné après la défaite à Braga : tu remplaces Defour, ça se passe mal pour toi et l’équipe prend une grosse claque.

Les critiques, je n’en ai rien à caler. Si j’ai éliminé le Standard à moi tout seul, je m’en excuse auprès des supporters… Mais avant que je monte au jeu, Witsel avait déjà dû repousser une balle sur la ligne, non ? Comment peut-on dire que mon entrée a été déterminante ? Enfin bon, si ça permet à certaines personnes de croire que je suis le grand responsable de la débâcle… J’ai mes certitudes. Je sais que si le Standard avait joué ce soir-là avec Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, ça n’aurait rien changé. Vu l’état d’esprit, il n’y avait rien à faire. Je ne pense pas être le seul à ne pas avoir joué à mon meilleur niveau. Loin de là.

Le Standard n’a-t-il pas commencé à s’éliminer de la coupe d’Europe quand les joueurs ont dit que c’était le meilleur tirage ?

Peut-être que ça a joué. Moi, je savais que c’était le plus sale tirage. Car autant nous avions tout à gagner contre Everton, autant nous avions tout à perdre contre Braga.

Braga, Anderlecht, Charleroi : ce sont les trois flops du Standard cette saison ?

Anderlecht était capital. Avant ce match-là, Laszlo Bölöni a réussi à vous faire croire des trucs qu’un gosse de trois ans n’aurait jamais avalés. Il a dit que le titre ne se gagnerait pas et ne se perdrait pas à Anderlecht. Tous les journalistes ont noté sagement et personne ne l’a contré. Alors qu’il y avait une évidence : si nous gagnions là-bas, Anderlecht ne nous revoyait plus. Et vu la physionomie du match, nous aurions très bien pu gagner.

Donc, vous avez perdu le titre là-bas ?

Non. Nous avons seulement raté une bonne occasion de le remporter.

La défaite à Anderlecht s’explique par le couac à Braga ?

Non. Si nous avions traîné les traces de Braga, nous n’aurions pas mené aussi longtemps à Anderlecht.

Ton analyse du flop à Charleroi ?

C’était écrit que nous allions prendre un but. Quand ça passe deux ou trois fois ric rac, un goal finit toujours par tomber. C’était très clair là-bas, comme il était très clair pendant tout le match à Mons que nous n’allions pas encaisser. A partir du moment où tu sais que tu ne prendras de toute façon pas de but, tu sais aussi que tu peux en mettre un jusque dans les dernières secondes.

Anderlecht déjà champion ?

S’il est champion, ce sera un échec pour le Standard. Et pour moi parce que je suis venu ici pour arracher le titre. Si Anderlecht est champion, il aura sauvé sa saison. Si le Standard ne l’est pas, il sera passé à côté de la sienne.

 » Il faut aider Witsel « 

On a craint une explosion du vestiaire après les résultats du Soulier d’Or : elle n’a pas eu lieu !

Non. Avant le Soulier d’Or, par contre… C’était une vraie bataille par médias interposés. C’était LE sujet de conversation. Quand tu lis dans le journal qu’untel mérite le Soulier d’Or, le gars en question embraye logiquement et dit qu’il le mérite plus que les autres. On aurait pu le donner à tous les gars qui ont été champions. Quand je vois le classement de Dieumerci Mbokani, je me dis que c’est scandaleux. Il ne donne pas facilement des interviews ? OK, les journalistes le punissent en ne lui donnant pas de points. C’est le gars le plus doué du groupe, avec des kilomètres d’avance sur tous les autres, mais il a été ignoré. J’avais senti le vent venir : je lui avais dit avant le Soulier d’Or qu’il avait tort de croire que c’était pour lui.

C’est un peu pénible, ces récompenses individuelles. Witsel en serait où s’il n’avait pas eu Mohamed Sarr, Fellaini, Marcos Camozzato, Andres Espinoza et les autres ? Et Witsel n’aurait jamais eu le Soulier d’Or si le Standard avait terminé cinquième, même si lui avait été extrêmement bon.

Witsel connaît un petit passage à vide : un effet post-Soulier d’Or ?

On dit qu’il est moins présent parce qu’on en attend plus de lui. Une récompense pareille, il faut la digérer. On voudrait qu’il mette le ballon au bout de son pied et fasse un solo de 100 mètres. Il doit en être capable, puisqu’il a eu le Soulier d’Or… Avant, quand il passait à côté d’un match, on disait qu’il était moins en jambes. Maintenant, on dit que le Soulier d’Or va mal. Je lui ai dit qu’il n’avait pas changé mais que c’était le regard des autres qui était devenu différent. Il faut l’aider, il n’a que 20 ans ! Heureusement que je n’ai pas eu le Soulier d’Or à 20 ans : je ne sais pas comment j’aurais géré l’affaire. Je préfère ne pas y penser.

Bölöni arrive à surprendre ses joueurs comme la presse ? On ne sait jamais à l’avance ce qu’il va raconter et il est souvent énigmatique.

Il ne m’étonne plus par ses paroles.

Et par sa façon de travailler ? Tu reconnais le Bölöni qui t’a fait devenir pro à Nancy ?

Il a un peu changé : il est moins dur qu’en France. Aussi bien dans ses méthodes de travail que dans sa façon de parler aux joueurs. Ce qui étonne par exemple le groupe, c’est l’absence de débriefing après les matches. Dès le lendemain, on parle du futur adversaire, il ne revient pas avec des images de la veille. Affaire classée, il passe à autre chose. Il nous a seulement fait regarder une fois une compilation de phases marquantes de tout le premier tour.

Comment vis-tu cette semaine ? Tu as plein de copains qui préparent des gros matches internationaux.

Ce n’est pas facile à vivre. On sent une baisse de tension à l’entraînement et une chute de la qualité vu qu’il manque la moitié du groupe. Mais ce sera dur d’être appelé en équipe de France. Si Raymond Domenech n’a même pas repris Patrick Vieira… (Il éclate de rire).

Jouer contre Visé, c’est avoir la même hargne que contre Genk ?

Il peut y avoir un gars caché dans une tribune pour m’espionner et qui viendra me dire demain que j’ai été bon ou qui viendra me reprocher d’avoir été mauvais. Mais c’est clair que ça ne peut pas être la même chose qu’un rendez-vous important en championnat. Comme journaliste, tu n’attaques pas de la même façon une interview de Zinédine Zidane ou une de Benjamin Nicaise. Si tu rencontres Zidane, tu ne te pointes pas avec ton horrible chemise à carreaux… Tu mets des fringues plus sympas. Et c’est quoi, ces feuilles de récupération sur lesquelles tu as écrit tes questions ? Si tu vas voir Zidane, tu sors ton beau calepin ! Des gens font semblant d’être outrés quand un footballeur n’a pas la même motivation contre Visé que contre Everton. Qu’on arrête de rire. Ces gens-là réagiraient exactement de la même façon dans leur métier.

par pierre danvoye – photos : reporters / gouverneur

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire