1 BUT : 25 francs

Bruno Govers

Le Susse fut l’un des artisans du premier titre du RSCA en 1947.

A l’occasion du traditionnel banquet de l’Amicale des Anciens qui, le 25 mars dernier, réunissait pour la 61e fois depuis sa création en 1943 les ex-dirigeants et joueurs du RSCA, Frans Sermon (81 ans) n’était devancé en âge que par le seul Constant Vanden Stock, qui soufflera ses 90 bougies le 13 juin prochain. Mais contrairement au président d’honneur des Mauves, qui n’a jamais connu la joie d’un titre en tant que joueur au Parc Astrid, le Susse, lui, a savouré ce bonheur à quatre reprises. L’alerte octogénaire peut même se targuer d’avoir participé à la conquête des premiers titre (1946-47) et triplé (1949-51) de l’histoire presque séculaire du club.

Originaire de Leeuw-Saint-Pierre, Sermon rallia les rangs du Sporting, en provenance du FC Zuun à 16 ans. Elève du prestigieux Institut Saint-Nicolas, à Anderlecht, il fut l’un des tout premiers pensionnaires, à l’époque, à emprunter le chemin menant, non loin de là, au stade Emile Versé, avant que d’autres noms, souvent ronflants, ne l’imitent par la suite comme Paul Van Himst.

 » Ce transfert ne recueillit pas du tout l’assentiment de mon père « , se souvient Sermon.  » Il ne jurait que par l’Union qui était, avec le Daring, le club-phare de la capitale. Quelques années plus tôt, les footballeurs du Parc Duden avaient établi un record qui est toujours d’actualité : une série de 60 rencontres sans défaite. Dès lors, papa Jean-Baptiste ne comprenait absolument pas ce qui pouvait bien me pousser à vouloir endosser la vareuse du club surnommé ascenseur par ses rivaux bruxellois. Il n’en finissait pas de faire le yo-yo au classement (il rit). Mais par esprit frondeur, j’entendais jouer là et nulle part ailleurs « .

L’impitoyable Mister Smith

Quelques mois à peine après ses débuts avec la jeune classe du RSCA, Sermon fut incorporé chez les Seniors, dirigés depuis l’été 1936 par le premier coach étranger du club : le Britannique Ernest Smith, ancien hussard de l’Armée des Indes qui, avant d’aboutir au Parc Astrid, avait dirigé pendant deux ans les Hollandais d’Enschede, précurseurs du FC Twente.

 » Il parlait un véritable sabir, mélange d’anglais, de néerlandais, d’allemand et de français « , raconte amusé, notre interlocuteur.  » Je me rappellerai à jamais ma première séance d’entraînement sous ses ordres. Le ballon circulait manifestement un peu trop par les airs à son goût, chez nous. Aussitôt, il interrompit la scène pour nous signifier : – Le ball est no fliegmachien et qu’il fallait – Over de ground spielen. Nous étions tous pliés en quatre. Il n’empêche que cet homme, que nous avions baptisé L’impitoyable, un mot qu’il ne comprenait d’ailleurs pas, nous aura fait souquer ferme. Lors de l’échauffement autour du terrain, il nous obligeait à passer derrière les poteaux de corner. Et quand d’aventure l’un d’entre nous gagnait quelques mètres, malgré tout, il ne pouvait réprimer un légendaire : – Pikken enkele meters : always the same met ces Belges ! « 

Frans Sermon ne travailla sous les directives de Mister Smith que l’espace de quelques mois. Le deuxième conflit mondial était latent et le British choisit alors de retourner au Royaume-Uni pour ne revenir en Belgique que huit ans plus tard. Malgré quoi, l’ex-officier de sa Gracieuse Majesté l’aura marqué :  » Avec lui, il n’était ni question de tableau noir, ni de schémas tactiques. Tout se déroulait toujours sur le terrain. Dix ou vingt fois, au besoin, le coach interrompait le jeu afin d’apporter l’un ou l’autre correctifs. Il a posé les jalons du style anderlechtois, peaufiné par la suite par Pierre Sinibaldi. Smith a eu une incidence très importante sur ma carrière. Sur le flanc droit de l’attaque, nous étions deux à briguer une place : FrançoisWoltje Dewael et moi. Mister Smith eut alors la judicieuse idée de me muter sur l’aile gauche. Au début, je n’étais pas convaincu car je n’avais qu’un bon pied. Compte tenu de ma vitesse, on me surnommait la Gazelle de Leeuw-Saint-Pierre û l’entraîneur me fit remarquer que je n’aurais aucune peine, après un déboulé, de remettre le ballon sur mon droit et d’adresser un centre. Mais il m’obligea aussi à travailler mon gauche. Pour ce faire, je n’avais droit qu’au port d’une seule bottine, à gauche bien entendu, et d’une simple pantoufle à droite. Vu le poids du ballon, surtout par temps de pluie, je n’avais évidemment d’autre ressource que d’utiliser mon mauvais pied qui m’aura servi autant, si pas davantage que mon droit dans ma carrière « .

Mise au verre

Après la guerre, Anderlecht vécut une année de transition au cours de laquelle la Première fut confiée à un triumvirat constitué de l’ancien attaquant Fernand Cassis Adams, le moniteur d’éducation physique Emile Defèvere et Bob Wyckaert, futur journaliste à Belgique-Sports. En 1946, ce trio fut relayé par un Français, Georges Périno, qui allait conduire le RSCA au premier de ses 27 sacres.

 » Quand nous l’avons vu pour la première fois, nous nous sommes tous demandés s’il était réellement l’homme de la situation « , remarque Frans Sermon.  » Il avait l’air d’être davantage au courant du rugby que du ballon rond. Mais c’était un fin psychologue et a rassemblé la collectivité des talents individuels dont regorgeait le RSCA. Avec Henri Meert dans le but, notamment, Jean Valet à l’arrière , Michel Van Vaerenbergh au demi ou encore Joseph Mermans à l’attaque. Il nous a fait comprendre, gentiment car il n’élevait jamais la voix, que si nous voulions nous éveiller aux plus hautes ambitions, nous devions accepter de nous entraîner plus souvent. Avec lui, nous sommes dès lors passés de deux à trois séances hebdomadaires : le mardi, le mercredi et le jeudi. Après la dernière, nous avions alors l’habitude d’effectuer notre mise au verre au rond-point du Meir (il rit). Nous vidions alors quelques Pale-ales, entre bons potes. Le Sporting, composé essentiellement de Bruxellois à l’époque, hormis l’Anversois Joseph Mermans, formait alors une formidable bande de copains. Une autre mode fut encore instituée dans la foulée : celle des repas d’avant match « .

Frans Sermon n’est pas près d’oublier la glorieuse campagne 1946-47. Au départ, le Sporting n’était nullement pointé parmi les favoris, qui avaient logiquement pour noms le FC Malinois, emmené par sa ligne d’attaque mitraillette formée de Torke Lemberechts, Bert De Cleyn et Jef Hofmans, l’Antwerp des Bob Paverick, Vic Mees et Jos Weyns, ainsi que l’Olympic (rebaptisé Flaminpic, tant il faisait la part belle aux transfuges flamands, comme l’international anversois Albert Dedeken, entre autres).

 » Les Dogues avaient pris un départ en trombe et totalisaient à un moment donné huit points d’avance « , précise le Susse.  » Mais après la trêve hivernale, nous étions parvenus à renverser complètement la vapeur, en concluant finalement avec deux points d’avance sur les Olympiens. Nous avions terminé la compétition sur les chapeaux de roues, avec une série de 17 matches sans défaite face à des formations de valeur comme le Racing Bruxelles, Berchem Sport, le FC Liégeois et j’en passe. Aux côtés de Joseph Mermans, Hippolyte van den Bosch, François Dewael et le génial Michel Van Vaerenbergh, j’étais la cinquième composante d’une division offensive qui avait inscrit pas moins de 112 buts cette saison-là. Jef en avait pris 38 à son compte, Polyte 16, Woltje et Mich 15 et moi 14. Nous avions évidemment de bonnes raisons de flamber car, à l’époque, nous percevions 25 francs par goal marqué. A la pause, pour reprendre des forces, nous avions droit de temps à autre à un petit remontant : un morceau de sucre trempé dans de l’éther ou un sirop de grenadine amélioré que le soigneur, Jean Bauwens appelait malicieusement ossebloed, du sang de taureau (il rit) « .

Toujours la référence

Après la passe de trois, Frans Sermon quitta le RSCA où sa place, sur l’aile gauche, fut reprise par Jeng Vanden Bosch. Il poursuivit d’abord sa carrière à La Louvière, conjointement avec son grand copain Michel Van Vaerenbergh, puis il devint joueur/entraîneur au FC Ans avant d’embrasser la carrière de coach à Hasselt VV, le CS Hallois, le Voorwaarts Tirlemont, le SK Zele, l’Olympic Charleroi et le FC Renaix. Une tâche qu’il menait de front avec ses activités à l’administration communale de Leeuw-Saint-Pierre où il était responsable de l’état-civil.

 » Il va de soi que je suis toujours resté branché sur mon Sporting « , insiste- t-il.  » Grâce à ce club, j’ai bénéficié d’un joli salaire d’appoint qui m’a permis d’acheter une maison. C’est peut-être risible aujourd’hui, quand on sait les sommes qui circulent dans le monde du football mais, de mon temps, ce n’était pas négligeable. Sans compter que grâce aux Mauves, j’ai pu voir une partie de l’Europe jusqu’à Lisbonne. C’était la première fois que l’équipe se déplaçait en avion et je me souviens qu’avant de monter à bord, le gardien, Rie Meert, avait tenu à vérifier la pression des pneus avant le décollage (il rit). Au moment de m’affilier au RSCA, j’étais loin de me douter que ce club allait devenir une référence. Un statut qu’il a d’ailleurs toujours conservé aujourd’hui, ce qui en dit long sur la compétence de ses dirigeants, Théo Verbeeck, Albert Roosens et Eugène Steppé à mon époque, relayés par Constant Vanden Stock et Michel Verschueren, et les qualités de ses joueurs, comme un Robby Rensenbrink, un Juan Lozano ou un Luc Nilis. Parmi toutes les générations, c’est néanmoins celle des sixties qui m’a le plus épaté. Le onze composé de Jean Trappeniers, Georges Heylens, Laurent Verbiest, Jean Plaskie, Jean Cornélis, Pierre Hanon, Jo- seph Jurion, Jacky Stockman, Paul Van Himst, Jan Mulder et Wilfried Puis est, à mes yeux, le meilleur de tous les temps. Si cette formation avait été dirigée par un tacticien de génie, tel Raymond Goethals, je crois qu’elle aurait pu prétendre au sommet en Europe. Je suis toujours la Première aujourd’hui, car l’équipe dirigeante a l’amabilité de m’octroyer gracieusement un abonnement chaque saison. Mais la génération actuelle m’emballe moins. Seul Pär Zetterberg aurait sa place dans l’équipe du siècle. Et, le comble, c’est qu’il ne joue même pas. Comprenne qui pourra ! « n

Bruno Govers

 » Le ball est no FLIEGMACHIEN  »

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