© EMILIEN HOFMAN

Lennert Baerts, des filets de Genk au saxo

Lennert Baerts devait succéder à Thibaut Courtois dans les buts de Genk, mais une blessure l’a emmené sur un tout autre terrain de jeu. Considéré comme un des jazzmen es plus prometteurs du pays, il a troqué deux univers pourtant pas toujours très éloignés.

La cage est vide. Cet intérieur du pied à deux mètres de la ligne n’a donc pas d’autre possibilité que de secouer les filets du pauvre Kristof Van Hout. David Pollet exulte. Ce but face à Genk est son deuxième en quatre apparitions avec le Sporting d’Anderlecht. Et restera son dernier. De quoi marquer au fer rouge la mémoire de l’actuel attaquant de Charleroi.

Moins celle de Lennert Baerts. Le deuxième gardien des Limbourgeois, alors âgé de 17 ans, n’a même rien vu de l’action. Trop concerné par son état de santé inquiétant. Deux heures auparavant, le jeune homme a entendu « crac ». « Les images ont montré que j’avais une fissure dans la hanche, mais aussi beaucoup de dommages à mon cartilage. Le résultat d’une anomalie congénitale qui n’avait jamais été découverte. »

Plus de quatre ans après les faits, Lennert a avalé la pilule. Installé dans les fauteuils du Grand Café anversois du Singel, ce bâtiment des arts hyper moderne et lumineux, le Hasseltois de naissance s’exempte tout de même du récit détaillé des jours crispants qui ont suivi ce match.

« Quand le médecin m’a signifié la fin de ma carrière professionnelle, j’avais deux réactions possibles : tomber dans la dépression ou me relancer directement à fond dans un autre domaine. »

Lennert n’a pas hésité longtemps.

Lieven Cambré est en pleine représentation avec son Muse Jazz Orchestra lorsqu’il voit débarquer Lennert dans la salle de spectacle de Zolder, un dimanche de printemps 2014. Il ne le connaît pas personnellement, mais sait qu’il provient du même village limbourgeois.

 » Il est venu me trouver après le concert pour me demander si je pouvais l’aider à préparer son examen d’entrée au conservatoire d’Anvers.  » Le saxophoniste professionnel ignore alors que le test est prévu trois mois plus tard et que Lennert vient à peine de quitter sa chaise roulante. Mais il accepte.

Issu d’une famille de portiers-saxophonistes

Quelques semaines plus tard, son élève est reçu dans la plus prestigieuse école de jazz du pays, d’où il est désormais pratiquement diplômé. Surbooké, le gaillard de 21 ans joue une moyenne de 150 concerts par an dans deux groupes dont le sien, le Lennert Baerts Trio.

 » La grosse différence entre le jazz et le foot se situe dans les relations « , affirme-t-il en regrettant l’impossibilité de créer et d’entretenir une amitié dans le milieu du foot.  » À Genk, je ne devais dévoiler aucun sentiment, aucune faiblesse, que ce soit à l’adversaire ou à mes coéquipiers. Il faut pouvoir se créer une immunité, encore plus pour un gardien qui doit être capable d’oublier une floche pour ne pas se louper sur l’action qui suit sous peine d’être considéré comme le pire portier du monde.  »

Baerts a toujours eu un rapport différent avec ses deux passions. Quand il reçoit son premier saxophone, à cinq ans, il sait déjà qu’il veut écrire sa propre musique. « Au foot, par contre, je me rendais compte que j’avais du potentiel, donc je voulais devenir le meilleur  »

Emmené à huit ans sur les prés par ses grand-père et père, tous deux gardiens de but-saxophonistes, Lennert est très vite repéré par le Standard de Liège, mais c’est finalement à Genk qu’il atterrit.

« Après un an d’adaptation, il a systématiquement été surclassé », se souvient Gilbert Roex, son entraîneur. « À 14 ans, il faisait son premier entraînement avec l’équipe première avant de se retrouver en équipe nationale de jeunes. Ce n’est pas commun de voir une évolution si rapide, mais il faut dire que Lennert était trop intelligent pour les gars de son âge, avec lesquels il avait parfois du mal à avoir une discussion. »

Surdoué, Lennert côtoie rapidement les adultes, dont les futurs Diables Rouges ThibautCourtois et Kevin De Bruyne. « Thibaut avait une force mentale complètement dingue, sa capacité à relativiser m’impressionnait », note Lennert avec un ton qui atteste toutefois le recul qu’il a pris avec le foot.

Miles Davis et CR7

Tiraillé entre son rêve de devenir footballeur pro et la priorité que son coeur donne à la musique, le Limbourgeois poursuit les deux. Sélectionné avec Genk pour plusieurs matchs de Coupe d’Europe à l’étranger, il emporte sa clarinette, plus pratique à transporter que le saxo, dans son sac de foot.

Quand il ne se cache pas sous la couette pour tamiser le son, Lennert demande au personnel de l’hôtel de lui trouver en toute discrétion une salle où il pourra pratiquer à l’insu du staff genkois.

« Le football ne laisse pas beaucoup de temps ni d’énergie pour faire autre chose à fond, je n’aurais donc pas imaginé Lennert mener simultanément une carrière de sportif et de musicien professionnel », juge Gilbert Roex. Pas encore majeur, Baerts ne parvient pourtant pas à faire son choix. Son corps va le faire pour lui.

Sélectionné pour plusieurs matches de Coupe d'Europe à l'étranger, avec Genk, Lennert Baerts emportait toujours sa clarinette, plus pratique à transporter dans son sac de foot qu'un saxophone.
Sélectionné pour plusieurs matches de Coupe d’Europe à l’étranger, avec Genk, Lennert Baerts emportait toujours sa clarinette, plus pratique à transporter dans son sac de foot qu’un saxophone.© BELAGAIMAGE

« Avec le recul, je suis sûr qu’il est très heureux de cette issue. » En tournant jazzy, Lieven Cambré estime que son poulain a trouvé son bonheur dans un environnement dénué de toute compétition. « En jazz, tout est beauté et harmonie. Lennert gardera son côté sportif en se donnant des challenges à atteindre et des limites à dépasser, mais toujours dans une atmosphère saine. »

Radicalement opposés à de nombreux points de vue, jazz et foot se rejoignent sur d’autres routes empruntées par Baerts depuis son adolescence. L’un comme l’autre nécessitent en effet un travail lourd et régulier – le Limbourgeois travaille encore jusqu’à 15 heures par jour – une certaine condition physique et une judicieuse curiosité.

« En cela, je trouve que l’on peut comparer le trompettiste Miles Davis et le footballeur Cristiano Ronaldo », lance Lennert. « En quelques années, à force de vouloir s’améliorer et s’adapter dans le seul but de faire la différence, ils ont tout deux connu une évolution que la plupart des musiciens ou footballeurs n’ont pas eue sur l’ensemble de leur carrière. »

Envol international ?

L’artiste de scène ou de terrain a beau posséder d’indéniables qualités, son éventuelle carrière internationale dépend de beaucoup d’éléments extérieurs tels que la concurrence, la chance de pouvoir s’illustrer ou la confiance d’un mentor. Lennert le sait.

Actuellement occupé avec le saxophoniste américain Logan Richardson sur un projet pour lequel il a composé toute la musique, il est aux anges.  » À mes yeux, l’écriture est plus importante que l’interprétation « , soutient-il.  » Cela me permet de traduire et transmettre des éléments de ma personnalité, mes émotions, ma vision de la société, etc…  »

 » Ce que Lennert a déjà accompli, à seulement 21 ans, en tant que musicien, interprète et écrivain est absolument incroyable « , ajoute Lieven Cambré.  » Il compose une musique compliquée, mais qu’il est parvenu à rendre accessible et magnifique aux oreilles du spectateur.  » La juste réinterprétation du démarquage.

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