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Le sport pendant la Grande Guerre: de la vie et beaucoup de morts

De Jean Bouin à Roland Garros, une génération de champions français a été décimée pendant la Première guerre mondiale. Mais le sport, parenthèse de détente pour les soldats au front, a survécu derrière les tranchées.

Janvier 1914, le conflit n’a pas commencé quand l’illustré « La Vie au grand air » met à l’honneur les héros de « l’année sportive 1913 ». Douze visages composent le sillon d’un looping d’avion: il y a le coureur de fond Jean Bouin, moustaches et teint mat, qui a battu le record du monde de l’heure, et trouvera la mort le 29 septembre 1914 dans la Meuse; le pilote automobile Georges Boillot, fauché à 31 ans dans un combat aérien; le tennisman néo-zélandais Anthony Wilding, quadruple vainqueur de Wimbledon, tué en 1915 à Neuve-Chapelle (Pas-de-Calais). Et Roland Garros, le crack de l’aviation, mort lui aussi dans un combat aérien il y a cent ans, le 5 octobre 1918.

Parmi les douze champions, six perdront la vie pendant la guerre, témoins de l’engouement patriotique général. « Il y a plutôt une injonction sociale de partir au front. Ces champions », tels le boxeur Georges Carpentier, « ils sont connus et ils redoutent d’être pris pour des +embusqués+ », explique à l’AFP l’historien Paul Dietschy (université de Franche-Comté), auteur de l’ouvrage « Le Sport et la Grande guerre » (éd. Chistera).

« L’histoire dit qu’on avait proposé à Jean Bouin », médaillé d’argent sur 5.000 m aux JO 1912 et triple vainqueur du Cross des nations, « de rester à l’arrière pour s’occuper de la formation physique des soldats, mais il aurait demandé à être dans les unités combattantes », ajoute Bernard Maccario, auteur d’une biographie du coureur marseillais (ed. Chistera).

– « Le grand match » –

Difficile de ne pas s’engager quand la presse sportive file la métaphore du « grand match », poursuit Paul Dietschy. « Mes p’tits gars (…) Les Prussiens sont des salauds… Il faut que vous les ayez (…) C’est un gros match que vous avez à disputer », écrit, le 3 août 1914, Henri Desgrange dans l’Auto, l’ancêtre de L’Equipe, tiré à 200.000 exemplaires. Et il intime d’être « sans pitié », « quand votre crosse sera sur leurs poitrines ».

Ancien professeur d’EPS et passionné d’histoire, Michel Merckel a dénombré 429 victimes parmi les sportifs de haut niveau français de l’époque. Ce week-end, le Raid de la « Voie sacrée » entre Verdun et Paris leur rend hommage, à l’initiative de la Fédération des clubs de la Défense.

Parmi les morts, neuf Français médaillés olympiques, champions oubliés comme le cycliste Léon Flameng (or à Athènes-1896 sur 100 km) ou Gaston Alibert (or à l’épée à Londres-1908). Une génération entière de rugbymen d’élite a aussi péri: plus de 130 internationaux des pays du tournoi des Cinq nations — dont 23 Français –, mais aussi des Néo-Zélandais ou Australiens ayant rejoint les alliés. A Perpignan, le stade s’appelle Aimé Giral, du nom du demi d’ouverture décisif lors du titre de Champion de France contre Tarbes en 1914. Un peu plus d’un an plus tard, il tombe à 19 ans, comme six de ses coéquipiers durant le conflit.

– Oublier la guerre –

Lorsque la guerre éclate — l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand a lieu le jour du départ du Tour de France –, le sport est présent en France à travers des disciplines proches de la préparation militaire, comme la gymnastique et le tir, mais pas seulement. Rugby, cyclisme, savate, football, les pratiques se développent, dans les villes plus que dans les campagnes, et dans la bourgeoisie davantage que dans les classes populaires. De grandes compétitions existent déjà, comme le Tournoi des Cinq nations en rugby, ou le Tour de France cycliste, dont trois vainqueurs, Lucien Petit-Breton, François Faber et Octave Lapize, ne reviendront pas de la guerre.

Au front, les carnets témoignent d’une vie sportive, dès l’automne 1914. « Les soldats demandent à leurs sociétés sportives de leur envoyer des ballons de football ou de rugby, des gants de boxe… Bien sûr c’est un sport très informel, on joue au foot avec des godillots, on fabrique des gymnases de fortune avec des machines agricoles… c’est de la débrouille », décrit Paul Dietschy.

Un match entre ennemis Britanniques et Allemands a-t-il vraiment existé durant la trêve de Noël de 1914 dans les Flandres, comme le veut la légende ? « C’est possible qu’on ait échangé quelques ballons de manière informelle, mais ce n’est pas très documenté », relativise l’historien.

Moyen d’oublier la violence de la guerre, le sport sera mieux pris en compte en 1917 par l’armée, après les premières mutineries. En témoigne cette directive du 24 septembre 1917, qui évoque une commande de 4.000 à 5.000 ballons pour les soldats.

A l’arrière, le sport survit aussi dans des compétitions de substitution où l’on fait jouer les jeunes non incorporables. Le « sport spectacle reprend en 1916 », raconte Paul Dietschy. Un match de rugby est organisé à Vincennes entre une sélection des All Black et la France. Score : 40-0 pour les Néo-Zélandais. Repartis au front, certains joueurs n’en reviendront pas.

En football, la première Coupe de France, baptisée Coupe Charles Simon, en hommage à l’un des dirigeants du ballon rond français, tombé au champ d’honneur en 1915, rassemble 44 équipes. Les prémices de la fin d’une bataille de chapelles pour représenter ce sport.

En 1919 naît la Fédération française de football. Suivront l’athlétisme, le rugby, la natation… « Le sens de l’histoire », selon Paul Dietschy.

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