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L’UR Namur et les matches truqués

Il sera beaucoup question du club namurois dans le procès qui s’ouvre à Bochum contre Marijo Cvrtak et Cie fin mars.

Réponse de Jean-Claude Baudart

Mai 2009. Heinz Lienhart, le gardien autrichien de l’UR Namur, retourne à Graz, en Carinthie. Peu avant la frontière allemande, il jette à l’eau son GSM belge. Il ne veut pas conserver le moindre souvenir de Namur. Quatre mois plus tôt, Lienhart, maintenant âgé de 31 ans, avait été transféré à l’UR, lanterne rouge, contre un salaire mensuel de 1.500 euros et un logement gratuit. Ses journées s’écoulaient monotones, à l’entraînement, auquel certains joueurs participaient d’ailleurs rarement. Habitant en France, ils rejoignaient de là l’équipe à l’endroit des matches. Le gardien ne gagna pas une seule rencontre jusqu’à la fin de la saison. « L’équipe était frustrée. C’était un assemblage étrange. »

Maintenant, il sait : certains de ses coéquipiers étaient corrompus, le club était victime d’un complot. Pendant qu’il s’astreignait à une routine spartiate – fitness, déjeuner, sieste, entraînement collectif, souper, lit – d’autres se la coulaient douce, se contentant de comploter.

Ce complot fait partie du procès que tient le tribunal de Bochum contre six pions majeurs d’une bande de corrupteurs du football, fin mars. En l’espace d’un an et demi, ils auraient acheté quelque 50 matches. L’acte d’accusation révèle les trésors d’imagination déployés par les parieurs mais aussi la facilité avec laquelle les joueurs et entraîneurs se sont laissé corrompre. Le procès va dévoiler une image désastreuse du football, après deux ans d’une enquête minutieusement menée par la police criminelle allemande.

Le cas de l’UR Namur, alors pensionnaire de D2, est le plus perfide de tous. Confronté aux dettes du club, malgré le million d’euros qu’il affirme y avoir injecté, le président, Jean-Claude Baudart, a tenté de vendre l’UR à un Italien puis il s’est tourné vers un Croate résidant en Allemagne, Marijo Cvrtak (35 ans), renseigné par un conseiller croate du club. Parieur professionnel, Cvrtak a interrompu deux formations, celles de cuisinier et de boulanger. Conducteur de poids lourds, serveur, il cumule les petits jobs puis il ouvre un restaurant, qui ferme rapidement. Il a déjà eu pas mal d’ennuis judiciaires pour vol, parfois avec violence, et jeux illégaux. Il y a dix ans, il s’est introduit dans le milieu bavarois du pari, à Munich et à Nuremberg, où il a fait la connaissance d’un autre protagoniste de l’affaire, son compatriote Ante Sapina.

A son embauche, Bubic accusait…29 kilos de trop

Le 22 janvier 2009, Baudart et Cvrtak concluent un accord selon lequel le Croate vire 100.000 euros puis encore deux tranches de 50.000 avant la fin avril. Cvrtak reprend aussi les dettes du club (700.000 euros) et, en échange, il intègre le conseil d’administration du club, auquel il s’est présenté comme le sauveur. BTC Sport Management, la société de Bratislava au nom de laquelle Cvrtak a négocié, n’existe pas. Qu’importe : l’escroc est en place.

Comme il l’a confié au juge d’instruction, il comptait transférer vingt joueurs à Namur. Il en place sept, des joueurs dont il paie le salaire et qu’il juge corruptibles. Deux d’entre eux sont des pions essentiels de la manipulation, selon l’enquête : le Serbe Nemanja Cvetkovic et le Bosniaque Dragan Bubic. Si l’embauche de Cvetkovic ne soulève pas de question, il en va autrement de celle de Bubic, qui accuse…29 kilos de trop. En fait, Bubic, qui loge au-dessus du café l’Escapade de Jambes, le point de rendez-vous des supporters (ce qui n’arrange pas ses problèmes de poids), a été engagé pour acheter ses coéquipiers – a-t-il avoué. Cvrtak, qui se rendait deux fois par semaine à Namur, a reconnu avoir parié sur tous les matches mais n’en avoir achetéque quatre. L’accusation en retient cinq : OH Louvain-Namur (3-1) le 2 novembre 2008, Eupen-Namur (1-1) le 17 janvier 2009, Olympic-Namur (3-0) le 14 mars suivant, Namur-OH Louvain (0-2) le 21 mars et Namur-Antwerp (0-3) le 12 avril. Six joueurs sont impliqués. Si Cvetkovic et Bubic étaient systématiquement parties prenantes, il y en avait parfois quatre autres impliqués. La prime s’élevait généralement à 2.000 euros. Une fois, après un match contre l’Olympic Charleroi, les deux comploteurs se sont partagé 12.000 euros, payés en liquide par Cvrtak à Berlin. Celui-ci se remplit les poches, au même titre que ses comparses : en cinq matches, ils ont gagné environ 225.000 euros.

L’entraîneur, le Hongrois Gabor Bukran, affirme ne s’être rendu compte de rien, contrairement à son adjoint, KurtJacobs, qui témoigne du désarroi des joueurs se tournant vers le banc : « La poisse ne pouvait quand même pas s’acharner sur nous à ce point ! »Serge Henry, le porte-parole des Namur Boys, un club de supporters passé de 500 à 40 membres depuis le scandale, avait remarqué quelque chose : à cette époque, il y avait énormément d’Asiatiques dans le stade. Ils téléphonaient pendant 90 minutes, sans doute pour placer des paris. « J’ai même prévenu la police mais elle ne m’a même pas interrogé comme il se doit. Ces manipulations ne m’étonnent pas. Les joueurs se sont moqués de nous. »

La Justice avait gelé les avoirs de Cvrtak : 3.606.955 euros

De retour d’un match, les Namur Boys ont un jour embarqué un Asiatique, que son accompagnateur avait manifestement oublié. Les supporters ne l’ont pas questionné. « Il n’aurait quand même pas dit la vérité. » Devant l’Escapade, l’étranger s’est enfui sans demander son reste. Henry, qui dirige une plaine de jeux au pied de la Citadelle de Namur, nous montre des statistiques, amer : la saison 2008-2009, le noyau de l’Union comportait 46 joueurs. Elle a réalisé une série de 33 matches sans victoire, 17 joueurs ont été exclus.

Baudart, l’homme qui a introduit le Croate, nous rencontre dans un café de Namur. Il est nerveux, sur la défensive : « On m’a reproché d’avoir conduit le loup dans la bergerie ». N’a-t-il donc pris aucun renseignement sur cet investisseur ? Il affirme avoir tapé son nom sur Google, sans résultat. Ne nourrissait-il aucun soupçon ? Il se ronge les ongles. « Je n’ai rien à me reprocher. Personne ne m’a rendu responsable de la ruine du club. » Cvrtak a décrit la journée décisive : avant la signature du contrat, dans un bistrot, il a tendu 75.000 euros à Baudart, qui a paru surpris, s’attendant à en recevoir 100.000. Cette somme constituait-elle un bonus, parce que tout marchait si bien ? Baudart s’énerve, répond qu’il a pris l’argent, mais seulement entre 7.000 et 10.000 euros, pas pour lui mais pour payer les joueurs. « C’est un milieu de fous. »

Namur a été rétrogradé en D3 à la fin de la saison, Baudart a démissionné et préfère tirer un trait sur le passé. Il a fondé une société qui fournit quotidiennement 3.000 repas à des écoles, des hôpitaux et des centres pour demandeurs d’asile. Il s’occupe aussi de la formation des cuistots et pâtissiers de l’Ecole hôtelière de Namur. Il ne s’intéresse plus au football.

Cvetkovic, qui se rétablit d’une fracture de la jambe, est dans l’équipe B de l’Etoile Rouge Belgrade. Il refuse tout commentaire. Bubic a été incarcéré lors de la razzia du 19 novembre 2009. Libéré sous caution début février 2010, il s’est fait pincer par la police au Poker-Ass, un bistrot de Nuremberg dans lequel il s’adonnait à des paris illégaux le 8 octobre et a réintégré la prison.

Cvrtak, dont l’avocat se refuse à tout commentaire avant le début du procès, risque plusieurs années de prison et a déclaré, lors d’une audition en septembre : « Si je pouvais revenir en arrière et annuler ce chapitre namurois, je le ferais : ce fut la ruine de Namur mais aussi la mienne. » Quelques semaines plus tôt, la Justice avait gelé les avoirs de Cvrtak dans une banque de Zagreb, la Privredna Banka. Montant : 3.606.955 euros.

RAFAEL BUSCHMANN, PETRA TRUCKENDANNER et MICHAEL WULZINGER

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