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L’indispensable sacrifice du « totaalvoetbal » hollandais

En Afrique du Sud, les Pays-Bas ont atteint pour la quatrième fois les demi-finales d’une Coupe du Monde. En mettant, cette fois, leur beau style au frigo. « Le totaalvoetbal est mort. »

Jusqu’à la fin des années 60, le foot hollandais ne représentait pas grand-chose. La tendance s’inversa sous Rinus Michels grâce à une génération de joueurs doués comme Johan Cruijff, Johan Neeskens, Ruud Krol. Mais, surtout, Feyenoord et Ajax remportèrent la Coupe des Champions et l’équipe nationale, qui n’avait jamais rien prouvé en Coupe du Monde jusque-là, disputa la finale de l’édition 1974. L’Allemagne de l’Ouest, pays organisateur, remporta l’épreuve mais l’équipe orange conquit le coeur des amateurs de football.

Quatre ans plus tard, Cruijff n’était plus là mais, sous la houlette d’Arie Haan et Robbie Rensenbrink, les Pays-Bas se hissèrent à nouveau en finale. Cette fois, c’est le piquet qui les priva du trophée contre l’Argentine.

Depuis, tous les quatre ans (à l’exception de 1986 et 2002, lorsqu’elle ne se qualifia pas), l’équipe hollandaise participe à la Coupe du Monde avec l’intime conviction qu’elle peut l’emporter. Jusqu’ici, ce rêve a toujours volé en éclats, souvent en raison de conflits internes. Comme en 1990, lorsque Leo Beenhakker disposait, avec Ruud Gullit, Frank Rijkaard et Marco van Basten, d’une sélection à faire pâlir d’envie les autres sélectionneurs.

En 1998, la sélection orange passa à nouveau près du titre mondial. Dennis Bergkamp et les frères de Boer s’inclinèrent en demi-finales face au Brésil. Quatre ans plus tard, la sélection de Louis van Gaal ne parvenait pas à se qualifier pour la Corée et le Japon tandis qu’en 2006, elle était éliminée dès la deuxième phase après avoir perdu son sang-froid et avoir provoqué la bagarre face au Portugal.

Marco van Basten entama sa mission de coach fédéral et, à l’Euro 2008, son équipe présenta un football fabuleux dans la phase de poules avant de s’incliner en quarts de finale face à la Russie de Guus Hiddink. Après cette élimination, l’équipe nationale, désormais entraînée par Bert van Marwijk, enchaîna huit victoires d’affilée. Et lors des trois matches amicaux précédant le départ pour l’Afrique du Sud, elle inscrivit 13 buts. Une nouvelle fois, nos voisins du nord attendaient donc beaucoup de ce Mondial. Avec les Quatre Grands (Robin van Persie, Arjen Robben, Wesley Sneijder et Rafael van der Vaart), les Pays-Bas devaient être capables de faire la leçon à tout le monde.

En Afrique du Sud, la formation de van Marwijk continua à s’imposer mais son football n’était pas aussi pétillant qu’on l’attendait. Dans la phase de groupe, elle n’éprouva guère de difficultés à se débarrasser du Danemark 2-0, du Cameroun 2-1 et du Japon 1-0 mais son jeu était si insipide que seules les vuvuzelas tenaient les spectateurs en éveil. En huitièmes de finale, la Slovaquie n’inspira guère davantage les artistes hollandais (2-1) et tout le monde était d’avis qu’il faudrait attendre le match contre le Brésil pour voir quelque chose de génial. Le doute était cependant permis car l’équipe de Dunga n’avait pas encore montré de signe de faiblesse et le Brésil avait déjà sorti les Pays-Bas de la Coupe du Monde à deux reprises, en 1994 et 1998.

Pas de foot samba, pas de totaalvoetbal

La première mi-temps des Hollandais fut catastrophique. L’équipe semblait apathique, impuissante. Si les Brésiliens s’étaient montrés plus adroits devant le but, la deuxième mi-temps aurait sans doute été superflue. Les rôles se sont cependant inversés après 55 minutes. Pas parce que les Hollandais se mirent à mieux jouer mais parce que les divins canaris se sont écroulés mentalement après une erreur de leur gardien, Julio César. Au lieu de poursuivre sur leur lancée des 45 premières minutes, leurs meilleures du tournoi, les Brésiliens ont perdu le contrôle du match et de leurs nerfs.

Les Hollandais, eux, sont restés cools. « Nous avions retenu la leçon du match contre le Portugal en 2006 », dit Dirk Kuijt. « Nous avons évolué et cela s’est vu sur le terrain ». Plus encore que le deuxième but, inscrit par Wesley Sneijder, l’exclusion de Felipe Melo sonna le glas des espoirs brésiliens. A partir de ce moment-là, les Brésiliens jouèrent sans tête et peuvent s’estimer heureux que les Hollandais n’aient pas exploité davantage leurs possibilités de contres.

Les Pays-Bas avaient beau avoir atteint les demi-finales mais les Quatre Grands n’avaient que peu de mérite. Van der Vaart, invisible depuis le début du tournoi, s’est retrouvé sur le banc après le retour en condition de Robben. Avant le repos, ce dernier n’a jamais su faire étalage de sa classe et, par la suite, il se fit surtout remarquer par ses provocations. Van Persie, à nouveau auteur d’un mauvais match, fut remplacé. Seul Sneijder se montra décisif mais il n’est tout de même pas au mieux de sa forme non plus.

Les meilleurs joueurs de cette équipe hollandaise sont l’omniprésent Kuijt, le gardien Maarten Stekelenburg, qui empêcha Kaká d’inscrire un but sans doute fatal, et surtout Mark van Bommel. Le médian du Bayern Munich, beau-fils de van Marwijk, est le grand animateur de l’équipe. Il fait office de pare-chocs, détermine le rythme et irrite l’adversaire en provoquant de petites fautes.

« Si nous voulons faire partie de la cour des grands, nous devons vouloir gagner à tout prix », affirme Sneijder. Le médian Nigel de Jong, privé de la demi-finale pour cause d’abus de cartons jaunes, est d’accord avec lui. « Nous avons déjà prouvé plusieurs fois que nous pouvions gagner. Peu importe la manière. Nous nous sommes battus les uns pour les autres et nous sommes montrés plus malins que les Brésiliens. »

La presse hollandaise loua la cohésion, l’esprit de conquête et la maturité de l’équipe orange. Des qualités peu appréciées auparavant outre-Moerdijk. « Ce groupe joue ensemble depuis quatre à six ans », rappelle le capitaine, Giovanni van Bronckhorst. « Nous connaissons nos qualités et nous nous battons l’un pour l’autre. Cela fait du bien de savoir qu’on peut se reposer sur une base solide. »

Le plan de van Marwijk

Van Marwijk a le mérite d’avoir su former un groupe homogène. Lorsque les grands joueurs s’en sont pris aux plus petits pour une question de salaire, il leur a enjoint de se taire et de faire preuve de plus de respect. Et lorsque, avant le début du tournoi, van Persie lui a conseillé de laisser tomber Kuijt pour aligner les Quatre Grands, il ne broncha pas. Idem lorsque le même van Persie voulut se rebeller après son remplacement contre la Slovaquie: le joueur s’en tira en présentant des excuses.

Van Marwijk est un homme d’affaires, il aime les certitudes et le tangible. « En 2008, nous avons disputé quelques très bons matches mais nous laissions trop d’occasions à l’adversaire », dit-il en prenant ses fonctions. « J’ai dit aux dirigeants fédéraux que je voulais apprendre aux joueurs à mieux défendre, à commencer par les attaquants. »

Dès le départ, il a affirmé aux joueurs qu’il visait le titre et rien d’autre. « En 1994 et en 1998, nous avions une très bonne équipe », se souvient Frank de Boer, son adjoint. « Mais nous ne croyions pas en nos chances. Pour nous, être éliminés par le Brésil, ce n’était pas si grave. C’était tout de même une grande équipe. »

« Nous avons fait comprendre dès le départ à ces joueurs qu’une deuxième place n’était pas suffisante, que nous avions une mission. Si nous ne jouons pas bien, nous pouvons nous reposer sur un système. Tout le monde sait ce qu’il a à faire et, dans ces cas-là, on ne peut pas perdre. »

« Notre but est le même que lors des matches amicaux », ajoute van Marwijk. « Mais quand on marque moins pendant quelques matches, la perception change. Je ne veux pas dépendre du hasard. Pour cela, il faut une bonne organisation, de façon à laisser le moins de chances possibles à l’adversaire. »

Juste avant le match face au Brésil, van Marwijk avait ressorti sa philosophie du football. A l’instar de Dunga, il renie le concept footballistique prôné dans son pays. Pour eux, le totaalvoetbal et le football samba, c’est dépassé. « Le totaalvoetbal est mort », affirme van Marwijk, qui n’était pas venu en Afrique du Sud pour régaler le public.

Le football basé sur les résultats provoque des sentiments mitigés aux Pays-Bas. Comme les Brésiliens Gerson, Tostao et Carlos Alberto ont désapprouvé le jeu de leurs compatriotes, Willem van Hanegem a dit qu’il attendait du beau football de la part de l’équipe hollandaise. Jusqu’ici Johan Cruijff s’est tu, mais celui qui ne donnerait pas un centime pour voir jouer ce Brésil-là ne paierait sans doute rien non plus pour voir ses Hollandais.

Bref, un coach qui gagne a toujours raison mais en cas d’échec, il doit supporter la critique. Quant à nous, en tant qu’amateurs de football, nous ne pouvons qu’espérer le retour rapide d’une équipe orange plus brillante.

François Colin, en Afrique du Sud

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