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Zoom sur le parcours tortueux d’Amallah: pourquoi le nouveau chouchou des Rouches a failli ne jamais s’imposer chez les pros

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Voici quelques secrets de fabrication du meilleur Standardman de la première ligne droite. Pour le même prix, il n’est pas joueur de D1 aujourd’hui.

Liquidation totale.

Tout doit partir.

Anno 2015. Mons vient d’être déclaré en faillite. Il y a peut-être l’une ou l’autre bonne affaire là-bas.

Roland Louf, qui a déjà prouvé son flair pour dénicher des pépites pour deux francs cinquante ou même pour pas un balle, par exemple à La Louvière, a repéré un gamin qui a du foot. Louf travaille à Mouscron. Il emmène ce gamin, Selim Amallah, 80 bornes plus haut sur la carte.

Mais c’est une période où rien n’est simple au Canonnier. Il y a pas mal de décideurs. Chacun a ses priorités, ses protégés, ses noms. Ça ne va pas jouer pour Amallah, en concurrence pour un contrat avec un très proche d’un de ces décideurs. C’est compliqué pour lui, il joue très peu la première saison puis il est baqué en prêt à Tubize, en D2. Bon débarras.

 » Un gros gâchis « , analyse aujourd’hui Alex Teklak, qui ne comprenait déjà pas son passage de Mons à Mouscron.  » J’ai vu pas mal de ses matches avec les équipes de jeunes de Mons, ça sautait aux yeux qu’il avait quelque chose. Déjà à l’époque, il méritait mieux que Mouscron. Au lieu de signer plus haut, il s’est retrouvé dans un club qui n’était quand même pas dans la période la plus stable de son existence ! Le projet de ce club n’était pas le plus solide ! La politique de transferts n’était pas la plus cohérente ! Bref, c’était trouble et je suis persuadé qu’il était considéré là-bas comme un bon petit jeune parmi tant d’autres, rien de plus. Mets-toi dans la tête d’un gamin qui a déjà dû quitter son club à cause d’une faillite. Il n’était pas très loin de chez lui, c’était peut-être le seul point positif de son passage à Mouscron. Puis à Tubize… n’en parlons pas. Est-ce que les gens de Mouscron ont continué à le suivre quand il était à Tubize ? Pas sûr du tout. Un gâchis, vraiment. À la base, ce n’est jamais mauvais d’aller prendre du temps de jeu en D2, mais certainement pas dans des conditions pareilles. Si le projet est sérieux, ok. Mais pas si c’est pour t’entendre dire : Démerde-toi. Mouscron avait clairement d’autres chats à fouetter que ses joueurs prêtés dans des plus petits clubs.  »

Son parcours tortueux est révélateur des a priori des recruteurs.  » Alex Teklak

Mouscron ne voulait pas lui donner de contrat

Non bienvenu chez les Ch’tis : un homme qui était dans la maison à l’époque nous le confirme. À l’été 2017, Mircea Rednic est interpellé par son adjoint, Laurent Demol.  » Il m’a dit : Tu devrais tester Selim Amallah, je le trouve vraiment très bon. Prends-le au moins pour quelques jours dans le noyau, je crois que tu ne seras pas déçu.  » Calme tranquille à l’aise sur ses terres roumaines, actuellement sans club, Rednic garde clairement un très bon souvenir de sa collaboration avec le joueur.  » On allait commencer notre stage de préparation, j’étais loin d’avoir assez de joueurs, donc je n’avais de toute façon pas grand-chose à perdre. J’ai donc fait venir Amallah pour voir ce qu’il avait dans le ventre. Tout de suite, j’ai vu qu’il avait des qualités. À défaut d’avoir de la discipline dans sa façon d’aborder le métier. Mais je savais que si on arrivait à le recadrer, il pouvait nous apporter quelque chose.  »

Mais Demol et Rednic doivent être à peu de choses près les deux seules personnes du Canonnier à envisager un avenir pro pour Selim Amallah.  » Directement, Paul Allaerts a essayé de me refroidir « , continue l’ex-coach.  » Il ne voulait pas lui donner de contrat, il me disait que le joueur revenait de D2 et qu’il n’avait même pas beaucoup joué avec Tubize. Pour lui, il n’avait pas le niveau, point à la ligne. Une autre personne du club m’a dit : Il n’a aucune discipline, c’est un Marocain, aucune chance qu’il perce. Donc, j’étais fort isolé dans ce dossier.  »

Passé sous les radars

Décembre 2017. Une soirée glaciale au Canonnier. On assiste à un Mouscron – Ostende qui n’a pas marqué l’histoire du football champagne. Il n’y a personne dans le stade. Mais c’est un moment important dans la saison des Hurlus. Ils gagnent, après dix matches sans avoir su s’imposer. Soulagement. C’est 1-0, but de Selim Amallah. Après la rencontre, on accroche Rednic qui, en plus de démolir gaiement ses employeurs (qui s’étaient mis à le tacler de façon plus ou moins frontale), fait remarquer que le buteur du soir est un gars qui n’en touchait pas une en D2, quelques mois plus tôt.

 » Plus d’une fois, que ce soit avec les jeunes de Mons ou avec l’équipe Première de Mouscron, je me suis dit : Nom de dieu, comment se fait-il qu’aucun bon club ne pense à Amallah ? « , continue Alex Teklak ?  » Il ne faut quand même pas être un entraîneur de niveau mondial pour voir qu’il a quelque chose de particulier. Je ne m’explique toujours pas qu’il soit passé sous les radars pendant autant d’années. Ça saute aux yeux depuis longtemps qu’il a des qualités athlétiques bien au-dessus de la moyenne et une technique plus que correcte pour un joueur de sa taille. Son parcours tortueux est révélateur des a priori des recruteurs. Il est grand, donc il ne sait automatiquement pas trop jouer au foot, c’est comme ça que beaucoup de gens raisonnent encore. Moi, je vois qu’il a un énorme moteur.  »

Selim Amallah face à Anderlecht.
Selim Amallah face à Anderlecht.  » Je le vois à terme comme un vrai box-to-box grâce à son moteur « , estime Alex Teklak.© BELGAIMAGE

Un corps pas tout à fait prêt

Simplement, il semble qu’il ait fallu affiner l’homme, sa mentalité, pour lui permettre d’aller plus haut que Mouscron. Mircea Rednic ne tonne pas que Selim Amallah était un footballeur exemplaire au quotidien.  » D’abord, il avait besoin d’un entraîneur prêt à lui parler régulièrement, disposé à lui expliquer les choses. Parce que c’est clair que quand je l’ai pris dans le noyau, il n’était pas encore totalement professionnel dans sa tête. Je l’ai appelé plusieurs fois dans mon bureau, je lui ai par exemple expliqué que le foot de haut niveau, ce n’était pas seulement le jeu vers l’avant. Quand ton équipe perd le ballon, tu dois te bouger pour le récupérer, quelle que soit ta place sur le terrain. Participer au boulot défensif, à l’époque, il ne savait pas ce que ça voulait dire. Chaque fois, il me répondait : Je vais bosser, coach, parce que je veux aller haut. Il a commencé à faire des heures supplémentaires, à rester plus longtemps que les autres sur le terrain. Et comme il n’était pas habitué à solliciter autant son corps, il s’est fait quelques petites blessures. C’était normal. Et j’ai aussi dû le recadrer dans sa façon de vivre la vie du groupe. Tu connais les Marocains, ils peuvent être très fiers. Il était sûr de lui et il exigeait que le groupe le respecte. Il ne se laissait pas faire. Dans le vestiaire comme sur le terrain. C’est positif. Parfois, il avait tendance à s’envoler, il avait du mal à garder les pieds sur terre. Il s’y croyait déjà quand il avait joué un bon match, alors il enchaînait par un mauvais. Son manque de régularité était un problème, c’est sûr. Entre-temps, j’ai vu que ce souci avait disparu.  »

Un assist à la Zizou

Alex Teklak en est persuadé : le Standard – Mouscron du 1er mars dernier a été un tournant dans le parcours de Selim Amallah. Ce soir-là, juste à l’heure de jeu, il réussit ce qui est probablement le geste technique du week-end. Une espèce de roulette à la Zizou en milieu de terrain pour mystifier Razvan Marin, suivie d’une passe calibrée dans l’axe pour Taiwo Awonyi, qui égalise. On raconte que Milos Kosanovic et Zinho Vanheusden, roulés par Awonyi, n’ont toujours pas compris.

 » J’ai la conviction que sur cette phase-là, Michel Preud’homme s’est dit que Selim Amallah avait quelque chose en plus « , dit Teklak.  » Tu ne réussis pas un geste pareil si tu n’as pas des qualités techniques et de vision du jeu au-dessus de la moyenne. Le Standard n’a pas acheté un chat dans un sac. Si on me dit qu’Amallah se retrouve là-bas parce qu’il est dans l’écurie de Mogi Bayat, je dis non. Il n’y a pas que ça. Pendant l’été, il a peut-être souffert d’un petit déficit d’image. Finalement, il n’était qu’un des gars passés de Mouscron au Standard via un agent précis. On l’englobait dans un tout, on a pu l’avoir l’impression que Mouscron faisait un prix de gros au Standard. Je suis sûr que ça ne s’est pas passé comme ça. Le Standard avait besoin d’un bon adjoint, ils ont pensé à Mbaye Leye, il leur fallait un back droit fiable, ils ont pensé à Mërgim Vojvoda, ils devaient avoir un défenseur central en plus, ils ont pris Noë Dussenne, et ils ont estimé que Selim Amallah pouvait leur rendre des services en milieu de terrain. Il ne faut pas chercher plus loin, pas imaginer des explications extra-sportives.  »

Belhocine craque aussi

Rednic a son avis sur la question. Lui aussi a été dans le portefeuille de Bayat puis s’est fait entuber à Mouscron quand le même Mogi a poussé la candidature de Frank Defays pour piquer sa place. C’est en tout cas ce qu’il pense. Il nous a dit, il y a quelques mois :  » C’est Bayat qui m’a poussé dehors de Mouscron, il m’a ensuit bloqué dans pas mal de clubs, il m’a fait beaucoup de mal. Je dis merci à Dieu de ne plus être dans son entourage.  » Mais aujourd’hui, il ajoute :  » Amallah avait besoin de quelqu’un pour le mettre dans un grand club, et sur ce coup-là, il a bien fait de signer avec Bayat.  »

 » On voit entre-temps toute l’utilité de ce transfert « , embraie Alex Teklak.  » Jusqu’ici, il joue en 10 mais je le vois à terme comme un vrai box-to-box grâce à son moteur. Ce qui me frappe le plus, c’est la qualité de ses retours défensifs. Il ne faisait pas beaucoup ça avec Mouscron. Il sait compenser un mauvais placement d’un coéquipier. Et il est redoutable quand il joue vers l’avant, c’est un faux lent avec un jeu de tête impressionnant. Il est tellement déroutant que c’est compliqué de lui piquer le ballon. Et il a une qualité de passe très subtile. J’ai parlé plusieurs fois de lui avec HeinVanhaezebrouck, il en est amoureux. Idem pour Karim Belhocine.  »

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