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Yannick Carrasco en feu avant l’EURO: retour sur la saison du Diable en Liga

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Enterré par une grande partie des observateurs lors de son départ en Chine, Yannick Carrasco a bouclé l’une des meilleures saisons de sa carrière par un premier titre sous le maillot de l’Atlético. Récit d’une résurrection.

Le regard vers le quatrième arbitre est teinté de fatigue et d’inquiétude. Trois minutes supplémentaires semblent être trois minutes de trop, dans cette mi-temps où Yannick Carrasco passe son temps à poursuivre un ballon insaisissable. La pelouse est madrilène, mais le ballon est catalan dans ce match au sommet de la dixième journée de Liga. Le Barça affiche 58% de possession, a déjà bouclé plus de 350 passes, et le Diable rouge souffre dans le couloir gauche de la défense à trois installée par Diego Simeone. Le système est certes le même que celui de Roberto Martínez, mais les intentions sont bien moins offensives, et le dribbleur colchonero passe plus de temps comme arrière latéral que comme ailier.

Carrasco est le principal créateur de danger des Colchoneros cette saison.

Les secondes ressemblent à des minutes, mais Yannick flaire l’instant précis où jeter ses dernières forces, au bout d’un ballon lancé par Angel Correa dans le dos de la défense blaugrana. À toute allure, le Belge devance d’un coup de talon qui devient coup de génie la sortie de Marc-André ter Stegen, et conclut froidement l’action à une trentaine de mètres des cages désertes. « Une fois que je suis passé, je n’ai pas eu le moindre doute. Même si j’étais loin du but, je savais que j’allais marquer. Calidad belga« , sourit-il une heure plus tard, dans les travées d’un Wanda Metropolitano où les locaux fêtent la prolongation de leur séjour en tête de la Liga.

Auteur de son deuxième but de la saison, Yannick Carrasco confirme un retour au premier plan qui ne fera que s’accentuer dans les semaines suivantes, jusqu’à ce titre acquis sur le pré de Valladolid. Mieux, il est l’arme majeure du sprint final . Le retour aux sources a des airs de métamorphose. Celui qui était l’un des hommes les plus irréguliers de l’ Atléti lors de son premier passage est devenu l’un de ses tauliers.

La préparation invisible

Tout comme Martínez, Simeone a vu Carrasco prendre un sacré shot de maturité lors de son séjour chinois. À Dalian, on dit que le Diable a pris conscience de l’importance de ce qu’on appelle la préparation invisible. Le Bruxellois soigne mieux que jamais son alimentation, se ménage d’importantes plages de repos et se soucie particulièrement de sa récupération. « Quand tu es plus jeune, tu te dis que tu ne dois pas travailler ailleurs que sur le terrain, en faisant seulement ce que le coach te demande », explique-t-il à El País dans la foulée de son retour en Espagne. « Avec l’âge, ton corps s’use et tu dois lui accorder plus d’attention, parce que c’est ton moteur. »

À l’image d’ Axel Witsel, il accompagne donc son passage en Chine d’un suivi physique individualisé pour conserver un niveau digne des exigences internationales de sa sélection. « J’ai continué à courir entre dix et treize kilomètres par match, exactement comme en Europe », se défend-il d’ailleurs dans nos colonnes en décembre dernier. « Ce qui change vraiment c’est qu’ici, en Europe, quand tu es sur le terrain, tu as une seconde pour prendre une décision là où en Chine, tu en as peut-être trois. Le jeu est plus lent, mais ça court et ça se bat comme partout. »

Quelques semaines après son retour, où il était forcément à court de rythme malgré un enthousiasme certain, Carrasco salue le confinement avec une certaine satisfaction. Parce qu’au bout de la pause, tous les compteurs sont remis à zéro et la célèbre préparation physique dispensée par les lieutenants d’ El Cholo le ramène plus rapidement que prévu au niveau de ses coéquipiers. Au final, le prêt devient un transfert définitif, rangeant pour de bon la Chine au rayon des souvenirs.

La Chine contre les douleurs

Évidemment présenté comme une décision principalement financière, le départ du dribbleur national pour l’Extrême-Orient avait pourtant d’autres raisons. Au sommet de la liste, un genou récalcitrant dont les souffrances régulières étaient incompatibles avec la débauche d’énergie importante réclamée par le football de Simeone. S’il s’en est longtemps caché, Carrasco admet finalement dans nos pages que la charge physique était devenue démesurée: « C’est vrai qu’à un moment, avant mon départ, j’ai craqué. J’avais toujours mal quelque part et mes six derniers mois à l’Atlético, c’était devenu compliqué. Je savais que je n’étais pas bon, mais j’étais aussi conscient que ce n’était pas forcément de ma faute. J’avais des petites douleurs systématiques. À l’époque, ce transfert s’est surtout fait en fonction de ça. »

Alors que certains craignaient pour la suite de sa carrière, le rythme moins effréné du football asiatique semble finalement avoir permis à Carrasco de retrouver ses jambes de vingt ans. Avec 1,6 occasion créée, et surtout 2,2 dribbles réussis par match de Liga cette saison, il est le principal créateur de danger des Colchoneros. Notamment en donnant avec réussite une bonne partie des phases arrêtées, autre preuve d’un changement de statut au sein du groupe madrilène.

Il faut dire qu’entre le moment de son départ vers la Chine et celui de son retour à Madrid, le vestiaire de l’Atlético a bien changé. La fin de cycle du noyau aux deux finales de Ligue des Champions débute dans la foulée du Mondial russe, quand le taulier Gabi quitte le Wanda Metropolitano. Un an plus tard, ce sont Diego Godín, Filipe Luis et Juanfran qui vont user leurs derniers crampons ailleurs. L’opportunité pour Carrasco de revenir en terrain moins hostile, lui qui n’a jamais été le favori de la vieille garde des Colchoneros. Des patrons qui le surnommaient Beckham en référence à son attitude…

Les nouveaux patrons

De retour dans un vestiaire désormais gouverné par Koke ou Saúl, avec qui la relation était bien meilleure, Carrasco allie maturité et rendement dans une équipe bâtie autour de Luis Suárez, et donc plus armée pour gagner la Liga que pour repartir à la conquête de l’Europe. Incarnation des limites continentales du Barça, l’Uruguayen qui n’a marqué que cinq buts dans la phase finale de la Champions League depuis cinq ans est par contre une redoutable arme à marquer des buts sur la scène espagnole. Des états de service en championnat qui permettent à Simeone d’armer son équipe pour conquérir une deuxième couronne nationale sur le banc de l’Atlético, sept ans après la première.

Son squad connaît un départ canon, suivi d’une sécheresse progressive, que la solidité défensive compense tant bien que mal, grâce notamment aux miracles de Jan Oblak, qui n’encaisse que huit buts lors des 18 premières sorties de la saison, et finalement ce titre. Des lauriers acquis au bout du suspense et au coeur d’une hégémonie en duo que les Colchoneros ont été les seuls à pouvoir contester depuis le sacre de Valence en 2004.

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