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Yannick Bolasie : itinéraire d’un autodidacte

Snobé par les centres de formation, Yannick Bolasie n’a eu besoin de personne pour s’imposer dans le paysage ultra-concurrentiel du football britannique. A la découverte du récent transfuge d’Anderlecht.

Contrairement aux transferts hivernaux du Sporting d’Anderlecht des dernières saisons (de De Zeeuw à Markovic en passant par Badji, Djuricic, Büttner, Rolando, Marin ou Armenteros – liste non exhaustive), l’arrivée de Yannick Bolasie à Bruxelles dans les dernières minutes du mercato ce 31 janvier ne ressemble pas vraiment à un transfert panique. Il en a le goût et les méthodes, mais pas le CV.

Yannick Bolasie n’est pas un killer mais est capable de faire lever les foules sur une action d’éclat.

C’est que le Congolais reste sur demi-saison pleine avec Aston Villa conclue par 21 apparitions (dont 9 titularisations sur les 10 derniers matchs) en Championship (D2 anglaise) pour 2 buts et 5 passes décisives. Des statistiques un rien maigrelettes, mais qui résument bien un joueur pas franchement réputé pour être un killer devant le but.

La rumeur est d’ailleurs tenace. Elle a souvent caricaturé Yannick Bolasie en feu follet spectaculaire, mais trop tricoteur que pour être décisif. Une sorte d’ovni dans un football moderne qui ne jure que par le rapport temps de jeu / actions décisives. Mais c’est bien connu, en Premier League plus qu’ailleurs, on pardonne tout et beaucoup plus encore à ces artistes capables de faire lever les foules sur une action d’éclat. Yannick Bolasie est de ceux-là.

Un hamburger à chaque but marqué

En cela, sa première partie de carrière résume bien une trajectoire de vie singulière. Celle d’un jeune homme qui n’a jamais voulu faire les choses comme tout le monde. La preuve, le joueur la donnait dans un feuillet du Guardian à l’été 2016 au moment de rejoindre Everton, précisant qu’il ne voulait pas  » avoir le style de vie d’un Eden Hazard par exemple.  »

Une manière pour l’international congolais (35 sélections, 9 buts) de fustiger gentiment le train de vie souvent aseptisé des joueurs de football professionnels dans leur ensemble. Aux grandes villas quatre façades en banlieue chic de Londres, éloignées de tout rapport à la réalité, Yannick Bolasie jure alors préférer les choses simples.

Il veut ainsi conserver une  » maison normale « , du type de celle qu’il occupe à l’époque à Ickenham, dans le nord-ouest du grand Londres. Surprenant ? Pas tant que ça pour un gars dont la trajectoire de vie rappelle avant tout celle d’un galérien au long cours.

Snobé par les centres de formation, le natif de Lyon, dont les parents migreront à Londres seulement sept mois après sa naissance, apprend le métier tout en bas de l’échelle et loin, très loin, de l’agitation médiatique qui entoure souvent les futurs cracks. À 17 ans, Bolasie rejoint Hillingdon Borough, un modeste club de huitième division anglaise qui rémunère ses joueurs en nature.

Devant le refus du conseil d’administration du club de lui signer un contrat de 20 livres par semaines, le joueur se résout donc à accepter un deal à l’ancienne : un hamburger de la buvette offert à chaque but marqué.

Un battant qui ne doute pas de ses qualités

L’histoire raconte qu’un soir d’octuplé, le Congolais avait exceptionnellement accepté de partager sa prime. Bon pour l’image, pas toujours pour le cholestérol, Yannick comprend que ce n’est pas à Hillingdon Borough qu’il risque d’attirer les recruteurs.

 » Le terrain n’était pas mal, se souvenait pourtant encore récemment Bolasie dans les pages de The Independent. La pelouse était plate, donc tu pouvais courir avec le ballon. Les matchs à l’extérieur étaient plus difficiles : à Didcot Town, Harrow Borough ou Wealdstone FC, les terrains étaient en pente.  »

Pas évident de briller quand il faut faire face aux vents contraires. Pas convaincu que cette première expérience puisse un jour lui ouvrir les portes de la gloire, Yannick suit son cousin Lomana LuaLua en test du côté de Floriana sur l’archipel maltais. Une forme de Premier League du pauvre qui permet aux joueurs de claquer ses premiers buts dûment rétribués et de rêver en grand à un destin qu’il envisage peu à peu.

Transféré dans la foulée contre 25.000 livres vers Plymouth Argyle, en Championship, Yannick Bolasie est d’un coup proche du grand écart. Celui qu’on force un peu et qui laisse des traces. À pas encore 20 ans, l’échec est toujours possible pour ce novice qui ne connaît rien des exigences du football professionnel.

 » Je ne le connaissais pas encore à cette période, mais il a une telle confiance en lui que je suis certain qu’il n’a pas dû douter longtemps « , promet Nicaise Kudimbana, son confident en équipe nationale.  » En privé, c’est un brave, un gentil qui ne pense qu’à sa famille, mais sur le terrain, c’est un gagnant. Du genre à connaître ses qualités et à ne pas douter qu’il est le meilleur.  »

Showman dans les vestiaires

Capable de faire la misère à n’importe quel défenseur de Championship en une accélération, le gamin est pourtant d’abord surtout connu de l’antichambre de la Premier League pour ses amnésies tactiques répétées. La reconnaissance passera donc par trois prêts successifs dans les divisions inférieures dont un bientôt décisif pour son avenir à Barnet en League Two où le mythique stade d’Underhill découvre déjà les premières folies de Yala, son deuxième prénom, lors de la saison 2009-2010.

De retour à Plymouth, Yannick prend la confiance et se dévoile. Si ses statistiques devant le but restent faméliques, le joueur se fait plus mordant micro en main face à son coéquipier de l’époque Bradley Wright-Philips, le fils de Ian Wright et frère adoptif de Shaun lors d’un passage remarqué dans Lord of the Mics, cette émission web conçue pour favoriser l’éclosion de jeunes rappeurs :

 » Just ‘cos you got Wright in your name, don’t mean that you’re a Gunner. Man will get left in the park like Ji-Sung… Looking bare eager couldn’t score goals in the Championship, that’s why he went down to League One – Brentford didn’t want him neither. « 

Un débit rapide, un flow percutant et quelques scuds bien sentis. La routine pour un gars habitué à faire son show dans les différents vestiaires par lesquels il est passé.  » Je lui ai déjà dit d’arrêter ça « , se marre Nicaise Kudimbana.  » Mais c’est plus fort que lui. Il croit qu’il en a besoin pour être bon. Je lui ai pourtant déjà demander de se concentrer sur le foot ( rires).  »

La mentalité des jeunes Londoniens

Le grand frère a raison, ce Yannick-là ne percera jamais dans le rap game malgré quelques prédispositions évidentes nées de cette enfance à n’avoir rien fait d’autre  » que du football et du rap  » selon ses propres dires.  » Ce parcours l’a formé. On en a souvent discuté lui et moi et c’est vrai qu’il a bien galéré, rembobinait pour So Foot son compagnon de sélection et l’actuel Tourangeau Distel Zola en mai 2015.  » Il a grandi à Londres. Il adore la musique, et il aime rapper. Yannick Bolasie, c’est la mentalité des jeunes Londoniens.  »

Sammy Lee, Sam Allardyce et Mark Hughes admiratifs devant cette extension de Yannick Bolasie.
Sammy Lee, Sam Allardyce et Mark Hughes admiratifs devant cette extension de Yannick Bolasie.© belgaimage

La mentalité surtout d’un mec qui a travaillé ses bases dans le foot de rue, mais qui se fera vite aux fastes de la Premier League. Recruté par Crystal Palace pour moins d’un million d’euros à l’été 2012, Bolasie entame sa métamorphose en Championship. 48 matchs, 3 buts et 7 passes décisives plus tard, il touche au but avec l’accession des Eagles à la Premier League.

Le coup d’accélérateur indispensable à une carrière qui ressemble tout doucement à l’ascension vertigineuse d’un mec à qui tout finit par réussir. Cette année-là, Bolasie refuse pourtant de prendre part à la CAN 2013 malgré les appels répétés et insistants de Claude Leroy, alors en charge de l’équipe nationale. Pas vraiment étonnant pour quelqu’un qui avouera, bien plus tard, avoir accepté de rejoindre la sélection de la République Démocratique du Congo pour faire plaisir à son père, Gaby Yala, ancien international espoirs avec la RDC.

Encore un peu moins surprenant quand on sait que cette année-là, Bolasie mène une vie d’ascète, seulement focalisé sur son rêve de Premier League. Rien, pas même une CAN, ne justifierait alors de s’écarter de ce train de vie presque monacal dont il avait laissé pour la première fois entrevoir quelques bribes à l’été 2016, expliquant annoter dans une sorte de livre de chevet son  » nombre d’heures de sommeil, ce qu’il a mangé au petit-déjeuner, au déjeuner, au dîner, les protéines après l’entraînement « , tout ça, selon une grille d’évaluation très personnelle.

Bolasie flick

Suffisant pour comprendre l’ambition d’un homme qui n’a jamais imaginé ne pas réussir dans le football professionnel. Quitte à se faire discret tout un temps. Yannick Bolasie traverse d’ailleurs sa première saison en Premier League sur la pointe des pieds. C’est peu de le dire, puisqu’il faut attendre un triplé inscrit contre Sunderland le 11 avril 2015 pour comprendre que Yannick Bolasie n’est pas qu’un joueur de parc.

Ce jour-là, en seulement 11 minutes, le Congolais met fin à une série inquiétante de 56 matchs de Premier League pour seulement un but. La preuve, se dit-on, que le garçon est tout doucement en train d’étendre son registre.

Recruté pour faire lever les foules grâce à ce que les Anglais appellent le  » Bolasie flick « , cette roulette aérienne dont il a seul le secret et que les caméras capteront pour la première fois sur la pelouse de White Hart Lane en décembre 2014 aux dépens de Roberto Soldado et Christian Eriksen, Yannick Bolasie en a pourtant tout doucement marre de passer pour un clown.

La mutation est cette fois physique. Longtemps raillé pour son inefficacité et sa légèreté dans les duels, Yala transforme son corps grâce à l’appui de Rayan Wilson, son coach personnel, qui lui fera rapidement gonfler sa masse musculaire suite aux bons conseils de Tony Pulis, son premier coach à Palace.

Lors d’un entretien donné au Guardian en octobre 2014, l’ailier prenait en exemple  » un match contre Arsenal lors de ma première saison en Premier League. Je passe Monreal avec facilité, Arteta arrive sur le côté et je perds le duel. Le coach m’a dit après le match que j’étais meilleur que ça, que j’avais plus de force et de rapidité que lui. Et là, j’ai compris.  »

Un déclic mental qui ne tarde pas à influer sur ses prestations. Plus mordant, Bolasie devient un poison pour les habitués du marquage à la culotte et le genre de joueur pour lequel les cadors de la Premier League acceptent tout doucement de sortir la calculette.

Soutien de Romelu Lukaku

Si Bolasie ne rejoindra finalement jamais un membre du top anglais, c’est parce que le joueur reste avant tout un épicurien.  » Il aime le beau jeu. C’est un gars magnifique qui va faire beaucoup de bien à Anderlecht parce que c’est un créatif qui va toujours de l’avant « , valorise Kudimbana.

Le problème, c’est qu’il est aussi  » capable du meilleur comme du pire « , temporise pour sa part Distel Zola.  » Comme lors de la demi-finale contre la Côte d’Ivoire pour la CAN ( perdue en 2015, ndlr). Il y a trois joueurs sur lui et il veut continuer à dribbler. On ne peut pas lui enlever ça, mais il y a des petites choses qu’il a à gommer.  »

Ces petites choses qui font que malgré un potentiel immense, Bolasie doit  » se contenter  » d’Everton en 2016. Cela n’empêche pas les Toffees de consentir un investissement majuscule – 29,5 millions d’euros tout de même – pour ce qui est à l’époque le deuxième transfert le plus cher de l’histoire du club derrière Romelu Lukaku.

De quoi prendre un peu le melon, évidemment. Désormais, Yannick Bolasie est de ceux qui racontent leurs vacances dans les tabloïds anglais. Une sorte de Saint-Graal outre-Manche.  » Usain Bolt et moi, nous avons fait un match de foot sur un terrain, quelque part dans Chelsea « , révèle ainsi Bolasie au Daily Mail en 2016. Avant de s’avancer :  » Il était de passage à Londres et voulait jouer au football, alors il m’a invité. J’ai amené mes frères avec moi, et nous avons constitué deux équipes. (…) Je l’ai battu à la course ! C’était très amusant. Il y a des vidéos qui traînent quelque part, je dois essayer de mettre la main dessus.  »

Yannick Bolasie : itinéraire d'un autodidacte

Les images de la rencontre existent, mais la vidéo reste introuvable. En attendant,  » la foudre  » n’a jamais jugé utile de démentir l’information. Peu importe, puisqu’à Everton, Ronald Koeman ne demande justement plus seulement à Yala de courir vite. Le jeu tout en combinaisons prôné par le Néerlandais plaît bien à Bolasie qui, en soutien de Romelu Lukaku, franchit un nouveau palier.

Genou en compote

Le problème, c’est qu’on ne peut rien contre la fatalité d’un sombre après-midi d’automne contre le Manchester United de José Mourinho. Le 4 décembre 2016, Bolasie se brise ainsi le genou droit et dit adieu à son ligament croisé antérieur en même temps qu’à sa deuxième CAN avec la RDC. S’en suivra une double opération (ligaments croisés et ménisque) et une grosse année de revalidation avant de le voir effectuer son retour sur un terrain le 26 décembre 2017 dans une équipe d’Everton qui a entre-temps choisi de troquer les principes de jeu au sol attractif de Ronald Koeman contre ceux plus rudimentaires – mais tellement plus en lien avec l’histoire des Toffees – de Sam Allardyce.

Pas franchement le football pour lequel Yannick Bolasie s’est toujours battu. Un petit but en 16 apparitions plus tard, l’ailier virevoltant est renvoyé en prêt en Championship du côté d’Aston Villa. Un championnat qu’il connaît assez pour en connaître l’exigence et dont les cinq mois passés à retrouver son meilleur niveau (2 buts, 5 passes décisives) lui auront visiblement suffi à se convaincre qu’il avait fait le tour du propriétaire.

En parlant de propriétaire, Yannick Bolasie coulait jusqu’il y a peu encore des jours heureux dans une luxueuse demeure des quartiers chics de la banlieue mancunienne, à deux pas seulement de chez Romelu Lukaku. En plein coeur de ces quartiers bourgeois privatisés par les stars du showbizz et du ballon rond. Très proche finalement du style de vie d’un certain Eden Hazard. Comme quoi, la réussite, ça peut faire ravaler quelques principes.

Par Martin Grimberghs

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