Wouter Vandenhaute, le stratège de l’ombre d’Anderlecht

Wouter Vandenhaute (58 ans) est un sportif pur sang. Depuis sa jeunesse, l’ambitieux fondateur de la maison de production flamande Woestijnvis cherche à réaliser ses rêves. L’un d’eux était le rachat d’Anderlecht. Il a échoué en 2018, mais il en est maintenant  » conseiller externe « , c’est à dire stratège de l’ombre. Portrait.

Fin des années 80. Ruud Gullit joue pour l’AC Milan. Wouter Vandenhaute, qui n’a pas encore trente ans, a rendez-vous avec lui pour une interview destinée à l’hebdomadaire Humo. Mais à Milan, Gullit change d’avis et prétend ne pas avoir le temps. La star néerlandaise prend l’avion pour Rome. Vandenhaute saute dans sa Fiat Panda de location et roule 500 kilomètres vers le sud. Le soir, dans la capitale italienne, il parvient à interviewer Gullit.

En football, je perdrais le respect de moi-même.  » Wouter Vandenhaute en 2000

Vandenhaute est issu de la classe moyenne. Son père est professeur de néerlandais, d’allemand et d’esthétique. Il grandit à Huysse, un village des Ardennes flamandes qui ne convient pas du tout à ses ambitions. Vandenhaute vise haut. Sa devise ? « You might as well win ». Des années plus tard, Johan Bruyneel, l’ancien directeur sportif cycliste, place cette phrase sur la couverture d’un livre consacré à son poulain, Lance Armstrong. Vandenhaute reconnaît son credo. Son audace et sa ténacité, dictaphone en poche, lui permettent d’interviewer la crème de la crème, comme Michael Laudrup et Johan Cruijff.

Vandenhaute est passionné par le ballon depuis son enfance. Adolescent, il admire Erwin Vandendaele, qui habite non loin de chez lui, à Gavere. En 1974, celui-ci rejoint Anderlecht et Vandenhaute, âgé de douze ans, monte régulièrement dans le car des supporters qui se rend à Bruxelles. Il s’affilie à l’Eendracht Huise. Le petit Wouter rêve aussi d’une carrière de footballeur professionnel. Enseigner l’éducation physique peut constituer une alternative. Il étudie donc cette matière à Louvain et obtient sa licence.

Le C4 de Leekens

À la fin des années 80, Vandenhaute est également atteint par le virus du cyclisme. Il ne travaille pas seulement pour Humo, mais aussi pour la rédaction sportive de la BRT, l’ancêtre de la VRT. Il présente de temps en temps la page sportive du Journaal. Vandenhaute accompagne également ses collègues Mark Uytterhoeven et Paul D’Hoore dans le sud de la France, pour suivre le Tour. Il découvre qu’il préfère suivre le monde sportif en amateur. En 1988, dans une interview pour Humo, il met Georges Leekens, alors entraîneur d’Anderlecht, sur le grill. Les Mauves limogent Leekens une semaine après la publication.  » Tout le monde m’a félicité pour cet article « , déclare Vandenhaute dix ans plus tard dans le magazine Knack.  » Mais je me suis senti très mal. Un moment, j’ai même pensé ne pas être fait pour ce travail.  »

Le sérieux, l’inertie et la monotonie de la BRT l’ennuient. Vandenhaute, Uytterhoeven et quelques autres journalistes sportifs, comme Erik Watté et Jan Huyse, lancent ici et là une plaisanterie, font un clin d’oeil. Un peu plus tard, le lancement de VTM, une chaîne privée, met la BRT sur la défensive. Uytterhoeven et Vandenhaute reçoivent leur chance sur TV1, qui va devenir la Één. Ils séduisent la Flandre avec Het Huis Van Wantrouwen (La Maison de la Méfiance). Le show regorge d’humour. Uytterhoeven est le cerveau créatif, Vandenhaute le sidekick. Le duo devient rapidement populaire, mais Vandenhaute en conclut que ce n’est pas devant la caméra qu’il est le meilleur. Il embrasse l’anonymat de la chaîne payante FilmNet.  » Je préfère installer mon terrain que devenir le roi d’un territoire tout fait « , dit-il. Vandenhaute s’attelle à la mise au point de la nouvelle chaîne SuperSport et démontre son nez pour les talents. Il s’entoure d’une équipe de ténors, parmi lesquels Uytterhoeven, Watté et Huyse.

Projets

En 1997, Vandenhaute fonde sa maison de production, Woestijnvis.  » En fait, je me considère comme quelqu’un de très entreprenant, qui est devenu entrepreneur par un détour du destin « , résume-t-il. Ses comparses de SuperSport le suivent. Le premier projet de Woestijnvis est le programme Man Bijt Hond. La boîte est un foyer de créativité et adopte une culture d’entreprise atypique. La société produit des séries distrayantes de qualité, des séries innovantes telles que De XII Werken, De Mol et In De Gloria.

Entre-temps, Vandenhaute investit dans un restaurant à Heverlee. Michelin récompense rapidement Couvert Couvert d’une étoile.  » Quand on fait quelque chose, il faut le faire convenablement.  » Vandenhaute ne se laisse pas uniquement inspirer par les plaisirs d’une bonne table. Le football lui donne des idées. En 1999, il est en pole position pour devenir le manager du Germinal Beerschot, mais il renonce au poste quand il réalise que Jos Verhaegen veut conserver les rênes. Un an plus tard, il se confie à nouveau à Knack et reconnaît être heureux de ne pas avoir sauté le pas parce qu’il y a  » une grande zone grise dans le football « .  » Je perdrais le respect de moi-même.  »

Woestijnvis lance Bonanza, un concurrent du magazine Humo, mais sans succès. Il disparaît rapidement. En revanche, la prolongation du contrat d’exclusivité entre Woestijnvis et la VRT est un succès. La maison de production est à nouveau dans un fauteuil, mais quand une fuite révèle les détails du deal, la popularité de Vandenhaute s’évapore. La Flandre apprécie le labeur et aime qu’on facilite la création de bons programmes, mais moins quand ça coûte très cher. En plus, Vandenhaute ne se rend pas populaire en refusant la plupart des interviews. Il veut éviter que ses concurrents puissent voir ses cartes. Le quotidien De Tijd décrit parfaitement Vandenhaute : l’entrepreneur médiatique combine la ténacité d’un Flandrien, le bluff tactique d’un joueur de poker et la stratégie d’un joueur d’échecs. Mais les gens le considèrent plutôt comme un froid homme d’argent.

Quand Belgacom acquiert les droits TV de la D1 belge en 2005, elle se tourne vers Woestijnvis. La maison de production va assurer les commentaires des matches. Elle met sur pied une solide division sportive. Vandenhaute planche également sur un projet d’avenir en cyclisme, avec le directeur sportif Patrick Lefevere, mais sans obtenir de résultat. Vandenhaute décide alors de s’investir lui-même dans le cyclisme et il convainc le groupe médiatique Corelio, qui détient 40% des parts du groupe de coupole de Woestijnvis, de lui confier le Tour des Flandres et le Circuit Het Nieuwsblad. C’est le coup d’envoi de la société Flanders Classics, qui regroupe les principales classiques printanières flamandes. Pendant ses loisirs, Vandenhaute s’adonne au cyclisme avec des hommes d’affaires connus, comme Karel Van Eetvelt, qui est alors le patron d’ Unizo (Unie der Zelfstandige Ondernemingen ou Union des entrepreneurs indépendants).

La tourmente

Vandenhaute se présente à Anderlecht une première fois en 2009, alors que le club est devenu une SA. Diriger les Mauves est un rêve de jeunesse, mais les négociations ne connaissent pas de suite. Il effectue de nouveaux pas en avant avec De Vijver Media, le groupe dont fait partie Woestijnvis : la société de presse Sanoma le rejoint et amène Humo. Vandenhaute établit un plan à long terme. Il saisit une chance unique à la naissance des chaînes VT4 et VIJFtv. Tout le monde se demande comment Vandenhaute va pouvoir financer l’achat de ces chaînes, mais Corelio et Sanoma en acquièrent un tiers et il obtient le solde, avec Watté.

Boys will be boys. Quand l’enfant en moi sera mort, ce ne sera plus amusant.  » Wouter Vandenhaute en 2014

Vandenhaute reste un révolutionnaire. En 2011, quand il redessine le tracé du Tour des Flandres, il fait une croix sur le Mur de Grammont. Il déplace l’arrivée à Audenarde. Il crée un circuit que franchit le peloton à plusieurs reprises. Il peut y installer des écrans géants, des stands de hot-dogs et de boissons, un village VIP. Le milieu du cyclisme râle :  » Il préfère le commerce à la tradition.  »

Dans un premier temps, le lancement des chaînes VIER et VIJF est un échec. La VRT et VTM renforcent leurs efforts, alors que Woestijnvis a du mal à s’épanouir dans un environnement commercial. En plus, il n’est pas évident de remplir toute la programmation d’une chaîne et le téléspectateur ne suit d’ailleurs pas. Vandenhaute court après les faits. Certains se moquent de lui, comme Koen Meulenaere, qui fournit une rubrique caricaturale, Kaaiman, au Tijd. En fin d’année, Meulenaere y présente une revue de  » déclarations frappantes « . En 2014, il reprend une remarque du comique Philippe Geubels :  » Je pensais que Wouter Vandenhaute m’avait demandé de faire un programme pour les téléspectateurs de VIER, mais c’était pour quatre téléspectateurs ( vier, en néerlandais, ndlr). « 

Vandenhaute est en pleine tourmente. La vente des annonces publicitaires recule, Humo vacille, financer le Ronde est tout sauf évident et la version américaine du film Loft, dans laquelle Woestijnsvis est impliqué, est un flop. De Vijver Media a besoin d’argent. Les relations sont tendues. Sanoma cherche une issue. Mais à nouveau, Vandenhaute se bat et refait surface. Il conclut une alliance avec Telenet, qui acquiert la moitié de De Vijver Media. Vandenhaute et Watté n’en possèdent plus que 25%. Cependant, la nouvelle constellation n’est pas assez souple pour relever les nouveaux grands défis du secteur télévisé.

Pendant ce temps, Anderlecht recherche un nouvel actionnaire principal. Vandenhaute est intéressé, mais ne parvient pas à réunir assez d’argent à lui seul. Il s’associe à Paul Gheysens, le boss de l’Antwerp, qui a des vues sur Anderlecht aussi, mais les deux hommes ne s’entendent pas. Peu après, Vandenhaute est impliqué dans un groupe d’investisseurs prêt à faire une offre pour la reprise du club mais à la surprise générale, c’est Marc Coucke qui l’emporte. Vandenhaute est déçu, mais est encore plus décapant que d’habitude à la télévision, dans le programme satirique De Ideale Wereld, une autre perle de Woestijnvis. Dans un sketch de Lander Cobbaert, Vandenhaute, à l’arrière-plan, brandit un carton où il a gribouillé : « Coucke is kaka ».

Wouter Vandenhaute, le stratège de l'ombre d'Anderlecht
© PHOTONEWS

 » Une succession de sottises  »

Trois mois plus tard, Telenet acquiert la totalité des parts de De Vijver Media. Vandenhaute reste président du conseil d’administration. Il affirme que son travail n’a pas changé. Alors que la nouvelle VIER trouve ses marques et que Woestijnvis redevient une maison de production, Vandenhaute se tourne davantage vers le business du sport. Il affirme :  » Boys will be boys. Quand le garçon en moi meurt, je ne m’amuse plus.  » Pour lui,  » la plus belle compétition, c’est celle qu’on dispute contre soi-même.  » Il met sur pied le Ronde pour cyclotouristes avec Bob Verbeeck, le patron de la société organisatrice d’événements sportifs Golazo. Via Flanders Classics, il s’empare de huit épreuves du Superprestige en cyclo-cross et intègre la société de marketing sportif Sporthouse Group.

Vandenhaute s’intéresse aussi à l’industrie de la consultance des footballeurs professionnels. En mai 2018, il fonde Let’s Play, avec l’aide de Peter Smeets, qui a assuré le suivi de jeunes Anderlechtois, et de Bob Claes, l’ancien directeur général du Standard. Let’s Play veut offrir aux jeunes joueurs  » un suivi de A à Z « . Parmi ses clients, on trouve Youri Tielemans, Benito Raman et Vadis Odjidja. Officiellement, Vandenhaute ne soutient le projet que de l’arrière-plan, mais désormais, on le considère comme un  » manager « , une personne qui ne peut donc pas être impliquée dans la gestion d’un club.

Le nom de Vandenhaute surgit une première fois fin 2019 dans le cadre d’une éventuelle reprise de Roda JC, un club de deuxième division néerlandaise qui est au bord de la faillite. Mais début 2020, on apprend qu’il va devenir  » conseiller externe  » d’Anderlecht. Il va conseiller son copain de vélo Van Eetvelt, qui devient CEO, et Coucke. De Tijd écrit en 2011 que  » Vandenhaute est un manager qui combine une vision à long terme avec des coups tactiques et des alliances variées. Ses alliés d’aujourd’hui peuvent devenir ses adversaires de demain.  » Et vice-versa, donc. En 2015, Vandenhaute déclare lui-même au quotidien De Standaard :  » Nous nous imaginons que la vie suit un itinéraire bien établi mais en fait, elle n’est qu’une succession de sottises. « 

Par Kristof De Ryck

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