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Vukovic: « Genk, c’est la concrétisation d’un rêve »

Danny Vukovic a effectué des débuts discrets en D1 belge la saison dernière. Aujourd’hui, le gardien australien est un des piliers du leader du championnat.

Arrivé en Europe après avoir tout gagné dans son pays, Danny Vukovic (33 ans) est le papy des joueurs de Genk, où il a débarqué sur les conseils de son ami et prédécesseur Mathew Ryan. Sa première saison s’est déroulée dans l’anonymat le plus total.

Mais en 2018, après une adaptation difficile, il est devenu un des piliers de l’équipe, au même titre qu’ AlejandroPozuelo, Ruslan Malinovskyi, LeandroTrossard et Sander Berge.

Au début de cette année, il ira même encore plus loin puisqu’il sera l’un des substituts de Ryan en phase finale de Coupe d’Asie. Plutôt que de partir en stage avec Genk, il affrontera donc, entre autres, la Palestine et la Syrie.

Quelle est la différence entre le foot professionnel ici et le foot professionnel en Australie ?

DANNY VUKOVIC : Ici, le football est le sport numéro un. En Australie, ce n’est peut-être que le quatrième. Donc, ici, il y a plus de pression, le produit est de meilleure qualité, tout comme l’impact qu’il a sur la société.

Pourquoi, dès lors, avoir opté pour le football et pas pour un des grands sports traditionnels australiens ?

VUKOVIC : J’ai tout essayé, y compris le cricket et le rugby. J’ai grandi à Sydney, où la Rugby League fait l’objet de toutes les attentions. Moi aussi, je préférais le rugby au football car il y en avait plus souvent à la télévision. Et quand on retransmettait du foot en direct, c’était à des heures impossibles, en raison du décalage horaire. Je voulais donc jouer en Rugby League mais c’est un sport assez brutal et mes parents avaient peur des blessures. Comme mon père avait joué au foot à un niveau modeste et qu’il était fan du Partizan Belgrade, j’ai atterri dans ce sport. Et dès le premier jour, ce fut le grand amour.

 » En Australie, je suis un pionnier  »

Votre CV renseigne pas mal de clubs. La plupart en Australie.

VUKOVIC : Je suis un pionnier, je suis peut-être le joueur qui détient le plus de records. Certains sont chouettes, d’autres sont très spéciaux. J’ai pris part au lancement du nouveau championnat, qui existe désormais depuis treize ans. J’ai même encore joué dans l’ancienne compétition, moins professionnelle. Si vous voulez écrire un livre sur l’histoire du football australien, vous devez m’interviewer (il rit). J’ai tout connu.  »

Comment se fait-il que vous soyez resté si longtemps en Australie ? Quel était votre objectif ?

VUKOVIC : Comme tous les joueurs australiens, je rêvais de jouer en Europe, parce que c’est là qu’on pratique le meilleur football. Au début, tout le monde disait que j’y arriverais mais ce n’est pas facile pour un Australien de se faire remarquer. Les Australiens qui ont joué ici – Frank Farina, Josip Skoko, Mathew Ryan – font partie des meilleurs Australiens de tous les temps.

Si vous voulez écrire un livre sur l’histoire du football australien, vous devez m’interviewer. J’ai tout connu. « Danny Vukovic

Ma première expérience européenne, en Turquie, ne fut pas un grand succès. Après avoir livré la meilleure saison de ma vie, j’attendais beaucoup de mon passage à Konyaspor. J’ai passé les tests médicaux et joué les premiers matches amicaux. Avant de monter dans le car pour le dernier match amical, l’entraîneur-adjoint m’a demandé si j’avais vérifié que mon nom figurait bien sur la liste. Manifestement, ce n’était pas le cas. Je suis donc resté dans l’inconnu pendant trois jours alors que mes équipiers étaient partis.

Au retour, l’entraîneur m’a appelé et m’a dit qu’il ne voulait pas d’un gardien étranger, pour une question de quotas. J’ai alors appris que le contrat de trois ans que j’avais signé n’avait pas été envoyé à la fédération et n’était donc pas valable. Deux mois après être parti à Konyaspor, je suis donc rentré en Australie. J’ai alors signé à Wellington, un club néo-zélandais qui évolue également dans le championnat d’Australie.

 » J’étais assez fort pour jouer en Europe  »

Vous avez aussi joué au Japon.

VUKOVIC : Graham Arnold, ancien sélectionneur de l’équipe d’Australie, est parti à Vegalta Sendai. C’est lui qui m’a emmené au Japon. Mais il a rapidement été limogé et je n’intéressais pas son successeur. J’ai donc disputé deux matches de coupe et je suis rentré.

Quel impact ont eu ces expériences ?

VUKOVIC : Moralement, ce n’était pas l’idéal. Je n’ai pas pu réaliser mes ambitions mais j’en suis sorti plus fort, y compris dans la tête. C’était difficile à accepter. J’estimais que j’étais assez fort pour jouer en Europe. Si je n’avais pas pu franchir ce pas, il m’aurait manqué quelque chose.

Pour être sélectionné en équipe nationale aussi, mieux vaut jouer en Europe. Et l’équipe nationale permet de se mettre en évidence, surtout grâce aux rencontres de la Coupe d’Asie. Affronter l’Iran et le Japon, c’est autre chose que de jouer contre des pays de la zone Océanie comme les Iles Fidji ou les Iles Salomon.

Les déplacements en Belgique doivent vous sembler nettement plus courts.

VUKOVIC : Je vis un peu en dehors de Genk, à dix minutes de la frontière hollandaise. Je trouve ça fou. J’ai l’impression que toutes les grandes villes européennes – Paris, Amsterdam, Londres – sont si proches qu’on y arrive en un clin d’oeil. Quand mes équipiers se plaignent parce que nous devons faire deux heures de bus, je me marre. Chez nous, en deux heures de bus, on ne sort pas de Sydney. Pour passer d’un état à l’autre, il faut un jour. Lorsque je jouais à Perth, nous devions faire au moins cinq heures d’avion tous les quinze jours. Et nous faisions 25 à 30 déplacements par saison, soit 50 à 60 vols.

Danny Vukovic:
Danny Vukovic: « Quand mes équipiers se plaignent parce que nous devons faire deux heures de bus, je me marre. Chez nous, en deux heures de bus, on n’est toujours pas sorti de Sydney. »© BELGAIMAGE

« Au début, je m’étais mis trop de pression »

Quand avez-vous entendu parler de Genk pour la première fois ?

VUKOVIC : Mathew Ryan m’a envoyé un SMS. Je le connais bien, nous avons grandi dans le même quartier et fréquenté la même école. Nous avons également eu le même entraîneur de gardiens. Son agent, Mikkel Beck, a voulu me voir et m’a proposé de remplacer Mathew à Genk. Tout ce que je savais, c’était que ce club avait disputé les quarts de finale de l’Europa League. Après une semaine, j’ai reçu un mail de Genk. Le club était au courant des problèmes de santé de mon fils et avait déjà cherché un spécialiste. Ça m’a mis en confiance, c’était la preuve que le club tenait compte du facteur humain.

Sauter dans l’aventure, c’était à la fois un rêve et un risque. Je venais de livrer la meilleure saison de ma carrière, j’avais été élu Gardien de l’Année et j’avais battu quelques records, comme celui du nombre de clean sheets. J’avais retrouvé une place en sélection, ce qui n’avait plus été le cas depuis 2010. Et, pour la première fois de ma carrière, j’avais été champion, après avoir perdu trois fois en finale. Bref : avant d’arriver à Genk, je restais sur la saison la plus agitée de ma vie et de ma carrière.  »

En Belgique, il a fallu longtemps pour qu’on parle de vous. Ce n’est que cette saison qu’on découvre que vous êtes un bon gardien.

VUKOVIC : Je m’étais mis beaucoup de pression. Plus encore que celle du club. Je recevais enfin la chance dont j’avais rêvé et je voulais bien faire. Trop bien, peut-être. Je savais que c’était ma seule chance d’encore réussir en Europe et je ne voulais pas la gâcher. Peut-être qu’au début, j’en ai fait un peu trop. Maintenant, je suis plus relax, même si j’ai toujours du sang serbe dans les veines.

Malgré votre âge, avez-vous encore progressé à Genk ?

VUKOVIC : Certainement. Nous avons beaucoup travaillé mon placement car il y avait encore du boulot. Après quinze ans, il n’est pas évident de changer de façon de travailler. Le rôle d’un gardien n’est pas non plus le même ici qu’en Australie. En Belgique, on joue davantage au pied, on participe à la reconstruction, on doit faire en sorte que les médians reçoivent de bons ballons. En Australie, on doit juste dégager le plus loin possible.

 » J’ai été chauffeur de camionnette  »

Votre CV mentionne encore des clubs peu connus en Europe comme Parramatta Power, Bonnyrigg White Eagles ou West Coast Mariners. Que représentent-ils ? Peut-on les comparer à Genk, à Anderlecht ou à d’autres clubs belges ?

VUKOVIC : Parramatta Power était un club de l’ancien championnat, la NSL, où on retrouvait surtout des formations ethniques. Les matches n’étaient pas retransmis à la télévision et il y avait peu de monde dans les tribunes. Parramatta était une petite ville comme, Genk, pas très loin de Sydney.

C’était un des rares clubs dont les joueurs s’entraînaient en journée alors qu’ailleurs, les joueurs avaient un boulot. Soudain, on a décidé de lancer un nouveau championnat, la A-League, avec des clubs des grandes villes. Parramatta, par exemple, n’existe plus. Tous les contrats on été rompus, on a établi de nouveaux critères salariaux, avec un salary cap. Seuls deux joueurs avaient droit à un salaire plus élevé.

Après la rupture de mon contrat et la fin de la NSL, au printemps 2004, je suis resté sans club pendant neuf mois. Je suis donc devenu chauffeur de camionnette pour une firme d’électro-ménagers des environs de Sydney. Là, j’ai compris ce qu’aurait pu être ma vie sans football et combien j’avais eu de la chance de pouvoir devenir joueur professionnel après mes études secondaires.

Après ces neuf mois, le gardien titulaire des West Coast Mariners m’a fait entrer dans ce club, comme remplaçant. J’y suis resté cinq ans, jusqu’à mon départ pour la Turquie. Ensuite, j’ai joué à Wellington, en Nouvelle-Zélande, où j’ai inscrit un but formidable depuis mon propre rectangle. Avec l’aide du vent, j’ai lobé le gardien adverse. Il faut savoir qu’un jour très venteux ici est un jour normal à Wellington. Mon dernier club, le FC Sydney, est le meilleur club de la A-League, avec Melbourne Victory, où j’ai joué également.

 » Après ma carrière, je retournerai en Australie  »

La saison dernière, Genk a pris un mauvais départ. Cette année, ça va beaucoup mieux. Quand avez-vous compris que ce club était capable de mieux que ce qu’il avait montré jusque là ?

VUKOVIC : Nos play-offs 1 ont été bons et j’ai compris que l’équipe évoluait. C’est avant tout une question de confiance et de travail. Notre style de jeu exige une excellente condition physique et nous l’avons. Quand on constate que quelque chose fonctionne, on continue à l’appliquer. Chaque semaine, nous savons combien nous parcourons de kilomètres. Et chaque semaine, nous en faisons un peu plus.

La plupart des joueurs qui débarquent à Genk sont jeunes et considèrent ce club comme un tremplin. Pour vous, c’est l’inverse.

VUKOVIC : Pour moi, c’est la concrétisation d’un rêve. J’arrive au stade chaque matin en sifflotant. Je me sens professionnel jusqu’au bout des ongles, tout est basé sur le football et les résultats. C’est sans aucun doute le meilleur club dans lequel j’aie joué et cela m’a permis de progresser. La seule chose qui me manque, ce sont des trophées. Je suis venu en Europe pour jouer la Coupe d’Europe et j’y suis arrivé. Je n’avais jamais joué dans un chaudron comme celui de Besiktas. Maintenant, nous voulons aller le plus loin possible.

Resterez-vous en Europe au terme de votre carrière ou rentrerez-vous en Australie ?

VUKOVIC : Je rentrerai, rien que pour le climat. En Australie, on peut vivre à l’extérieur toute l’année. Ici, il fait très froid. Pour un gardien, c’est encore plus ennuyeux. J’ai acheté des sous-vêtements thermiques mais j’avais encore froid. Alors j’en ai acheté une deuxième couche. Je n’oublierai jamais le match de Coupe de Belgique contre Waasland-Beveren la saison dernière (3-3) : il pleuvait et il faisait zéro degré. Je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie.

 » Follow your dream « 

Danny Vukovic nous montre fièrement des vidéos de son fils Harley (3 ans) en train de saluer le public de Genk. Des images touchantes quand on sait par où le gamin est passé il y a deux ans. À six semaines, on lui a diagnostiqué une maladie orpheline incurable au foie. Seule une opération pouvait le sauver et il fallait trouver un donneur. Après près d’un an d’attente, le coup de fil salvateur est arrivé.

 » Pendant longtemps, le football avait été toute ma vie mais une fois devenu papa, et plus encore après les problèmes de foie de mon fils, j’ai vu les choses sous un autre angle, j’ai appris à relativiser. Sans cette transplantation du foie, il ne serait plus là aujourd’hui. Alors, je n’aime toujours pas perdre, c’est vrai, mais dès que je rentre à la maison et que je le vois, je tourne la page. Harley doit encore passer un contrôle toutes les six semaines mais pour le reste, tout va bien.  »

S’il devait donner un conseil à son fils, plus tard, ce serait : Follow your dream.  » Quelle que soit la direction qu’il prenne, je lui dirai qu’en travaillant dur, il ira loin. C’est ce que j’ai fait. Mes parents avaient un boulot normal, mon père travaillait en usine et ma mère était assistante personnel du patron d’une entreprise. Ils m’ont toujours encouragé à faire ce que je voulais faire. Je vois trop de gens qui ne font pas ce qu’ils aiment. Il faut tenter d’éviter cela. De ce point de vue-là, il y a beaucoup de possibilités en Australie. C’est un pays où ceux qui font tout ce qu’il faut parviennent à réaliser leur rêve. « 

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