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Vranjes : le boss de Banja Luka

Enfant, Ognjen Vranjes a dû se cacher quelques mois pendant la guerre. Ensuite, il n’avait plus qu’un seul objectif en tête : devenir, comme son père, footballeur professionnel. Portrait d’un footballeur qui, dans sa ville natale de Banja Luka, est devenu un personnage culte.

On l’adore ou on le hait. A Starcevica, le quartier le plus peuplé de Banja Luka, les gens sont fous d’ Ognjen Vranjes. Il n’y a pas que là, d’ailleurs. Ils sont fiers de leur Ogi, qui a parcouru la Serbie, la Russie, l’Espagne, la Grèce et la Belgique, et qui a placé la ville serbo-bosnienne sur la carte. Le fait que Vranjes ait quitté la maison familiale sur la Stevana Prvoven?anog il y a dix ans, n’est qu’un détail.

A Starcevica, qui porte le nom de la colline qui domine la ville, les habitants le considèrent comme un héros de la classe ouvrière.  » Ogi est un bon footballeur et un être humain de grande qualité. Il est l’un de nous. C’est la raison pour laquelle il est aussi populaire auprès des supporters du Borac.  »

Banja Luka, la capitale de la Republika Srpska, la partie serbe de la Bosnie-Herzégovine, ce genre d’histoire peut avoir une fin heureuse. La deuxième ville du pays a échappé par miracle aux ravages de la guerre civile – les blocs d’habitation du quartier populaire de Starcevica ne comportent aucune trace d’impact par balle et n’ont pas été endommagés par des grenades – mais le traumatisme est toujours bien présent.

Et la reconstruction de la mosquée Ferhat Pasha, complètement détruite en 1993, n’y changera rien. Elle témoigne simplement que la ville veut renouer avec son passé.  » Nous sommes des enfants de la guerre « , explique Ognjen Dubocanin, un ami d’enfance de Vranjes.  » Pendant la première année de la guerre, nous avons dû nous cacher cinq mois d’affilée dans les caves pour nous protéger des bombardements de l’armée croate. Ce furent des moments difficiles, d’autant que nous ne pouvions plus jouer au football à l’extérieur.  »

Les rois du quartier

Dubocanin a réussi à sa manière dans sa ville natale : il gère un bar/agence de paris, où le noyau dur du Borac Banja Luka se rassemble régulièrement avant un match. Dubocanin et Nikola, qui officie comme chauffeur pour l’occasion, veulent nous montrer le reste de Starcevica. La visite s’effectue derrière des vitres teintées dans une voiture de sport rutilante. Et en sixième vitesse. Le crissement des pneus est parfois couvert par le trashtalk des rappeurs américains The Game et Tupac.

L'église orthodoxe où Ogi s'est marié.
L’église orthodoxe où Ogi s’est marié.© SARA ELISA GONZALEZ

Le quartier dans lequel ils ont grandi avec Vranjes et dont ils sont un peu devenus les rois, s’étend sur quelques kilomètres carrés. Au pied de la colline Starcevica, de grands immeubles d’habitation ont été construits, et un peu plus haut, des villas ont été érigées. Mais la vie se déroulait surtout le long du Bulevar Desanke. Une rue perpendiculaire au boulevard donne sur l’immeuble à appartements où Ogi habitait avec son père Zeljko, sa mère Melina et son frère Stojan.

Le bloc d'appartements où la famille Vranjes a vécu.
Le bloc d’appartements où la famille Vranjes a vécu.© SARA ELISA GONZALEZ

De l’autre côté de cette artère très fréquentée, on trouve l’école primaire ‘Branko Radicevic’ où Vranjes a été élève. Et, quelques centaines de mètres plus au nord, on trouve la Crkva Rodenja Presvete Bogorodice, l’église orthodoxe où il a dit  » oui  » à son épouse.

 » Sur la petite plaine gazonnée où nous allions jadis nous défouler, un immeuble a aujourd’hui été construit « , dit Dubocanin, la gorge nouée.  » Nos pères respectifs se sont un jour rencontrés et c’est ainsi que nous sommes devenus ami. Ogi n’avait peur de rien ni de personne. C’est dans ses gênes : je connais toute sa famille et je peux vous assurer qu’elle n’était composée que de gens intrépides. Ces prochaines semaines ou ces prochains mois, les supporters d’Anderlecht se rendront compte qu’il ose tout. »

Au nom du père

Starcevica est un peu le quartier général des Le?inari, les ultras du Borac Banja Luka. Le club le plus populaire de la minorité serbe de Bosnie-Herzégovine possède un groupe de supporters assez nombreux. Zeljko, le père de Vranjes, a lui-même joué pour le Borac et Ogi lui a logiquement emboîté le pas. C’était écrit : il deviendrait un jour footballeur professionnel chez les Kraji?ki ponos, la fierté de Krajina. Comme son père.

Dubocanin :  » Tous les petits garçons rêvent d’imiter leur père. Ogi n’échappait pas à la règle. Son père, un sportif de haut niveau et un homme honnête, était incontestablement son modèle. Stojan et Ogi ont commencé à jouer au football sur la plaine de jeux, mais c’est leur père qui leur a enseigné leurs premiers gestes et leurs premiers mouvements. La guerre n’a pas empêché Ogi d’atteindre son objectif.  »

Il a cependant fallu attendre que la guerre soit terminée – nous étions alors à la fin 1995 – pour qu’il puisse poursuivre son ascension au Borac. Il a commencé à se tailler une réputation chez les U15. On le considère alors comme le jeune le plus talentueux du Borac et même les joueurs de Première savent qui est Ognjen Vranjes. Au Borac, on attend impatiemment le moment où il pourra jouer avec les adultes.

D’ici là, chez les U18, il est pris en charge par un certain Stojan Malbasic. Une légende du club qui, en 1988, a remporté la finale de la coupe contre l’Etoile Rouge de Belgrade. Malbasic a lui-même joué avec Zeljko Vranjes et a entraîné Stojan Vranjes chez les jeunes.  » J’ai directement été impressionné par le tempérament d’ Ogi – chez les jeunes, on distingue immédiatement les traits de caractère – et je savais que cela lui permettrait d’atteindre la Première « , se souvient Malbasic.

 » À 18 ans, il avait quasiment terminé sa croissance. Je le trouvais déjà prêt à effectuer le grand saut. En fait, Ognjen était le même type de joueur que son père. Il témoignait de la même agressivité, mais intrinsèquement, il est le meilleur footballeur des deux. Je le décrirais comme un garçon calme, qui travaille énormément. On peut compter sur lui à tout moment du match.  »

Un joueur de caractère

Dans les équipes de jeunes, Vranjes aurait facilement pu être promu capitaine, mais selon une règle tacite en vigueur au Borac, le brassard doit revenir au meneur de jeu ou à un joueur capable de réaliser une action. Vranjes est à l’opposé du joueur techniquement doué. C’est d’abord un joueur de caractère. De nombreux joueurs ont autant ou plus de talent que lui, mais il les supplante par son engagement et son état d’esprit.

 » J’ai vu grandir Ogi lorsqu’il avait cinq ans. Je sais donc de quel bois il se chauffe « , explique Marko Maksimovic, le directeur sportif du Borac et meilleur ami de Stojan Vranjes.  » Il a dû faire peuve d’énormément de caractère tous les jours. Mais lorsqu’il avait un objectif en tête, il faisait tout pour l’atteindre. Il doit sa réussite à trois facteurs : le travail, le travail et encore le travail.

Banja Luka est une pette ville, dans un petit pays, mais nous rencontrons de gros problèmes depuis 20 ans. Ogi et Stojan figuraient parmi les meilleurs joueurs de leur génération, mais dans cette région, cela ne signifie rien. C’est très difficile de réussir une carrière sportive. Sans un petit brin de chance, on n’arrive nulle part.  »

Un petit brin de chance que Stojan, aujourd’hui actif dans le grand club du ´eljeznicar à Sarajevo, n’a pas eu. Son beau pied gauche et son bagage technique ne l’ont pas amené plus loin que la Roumanie et la Pologne. Maksimovic :  » Si, comme Stojan, on a joué à Cluj et au Legia Varsovie, on n’a pas trop mal réussi. Mais Stojan n’a pas eu de chance : il s’est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

En 2002, le premier championnat réunissant les Serbes, les Croates et les musulmans a vu le jour. Trois ans plus tard, lorsque Stojan a commencé à percer au Borac, la compétition bosnienne connaissait encore quelques problèmes de croissance. La nouvelle formule de compétition n’était pas favorable aux jeunes footballeurs.  »

L’art de jouer simple

 » Les esprits n’étaient pas encore suffisamment apaisés pour jouer ensemble et il n’y avait pas d’agents capables de proposer les joueurs à de bons clubs étrangers  » poursuit Maksimovic.  » Lorsqu’Ognjen a effectué ses débuts en 2008, il y avait enfin une amélioration en vue. Stojan et Ogi ont joué quelques années ensemble. Puis Ogi est parti à l’Étoile Rouge de Belgrade et quelques années plus tard, Stojan a signé à Panduri, en Roumanie.  »

 » C’était amusant de voir les deux frères jouer ensemble. Je pense d’ailleurs qu’ils ont gardé de bons souvenirs de cette période « , dit Dubocanin.  » Stojan a toujours été le grand frère protecteur d’ Ogi. Lorsqu’il avait besoin d’un conseil, c’est d’abord à Stojan qu’il s’adressait. Je sais qu’ Ogi avait une grande admiration pour son frangin. Pas seulement comme footballeur, mais aussi comme être humain.  »

Pendant des années, Vranjes, un grand supporter du Borac et de l’Étoile Rouge de Belgrade, a pris place dans la tribune Est du stade Gradski, dans le bloc où se trouvaient les supporters les plus fanatiques. Simultanément, sa carrière footballistique commençait à décoller. La direction du club obligeait les entraîneurs à assister aux matches des équipes de jeunes.

Lors de l’un de ces matches, Stanislav Karasi, qui a joué à l’Antwerp dans les années 70, est tombé sous le charme de Vranjes. Il l’a directement appelé en équipe A.  » Qu’avait-il de plus que les autres joueurs de son âge ? De l’agressivité, un bon timing dans les duels et l’art de jouer simple « , explique Damir Memisevic, scout du Borac et un moment stagiaire au Borac avant de partir au Werder Brême.

 » Lorsqu’il a gagné son combat pour la conquête du ballon, il le cède à l’entrejeu, au premier joueur disponible en milieu de terrain. En ce qui le concerne, son job est terminé. Son jeu n’a pas changé au fil des ans. Il ne se complique pas la tâche et cherche toujours la solution la plus évidente.  »

Premier carton rouge à 16 ans

Mais, lors de son premier match, cela tourne mal d’emblée. Ses amis sont tous présents afin de ne rater aucune miette de ses débuts au plus haut niveau, mais il prend directement un carton rouge. Il n’a encore que 16 ans et doit parfois être rappelé à l’ordre.  » Il était encore jeune, mais déjà costaud et fougueux « , rigole Maksimovic.

 » Il ne contrôlait pas sa force. L’avantage, c’était que les attaquants avaient peur de lui. Ogi est un peu fou. Dès que l’arbitre a donné le coup d’envoi, il lâche les chevaux. Il n’hésiterait pas à descendre son propre frère. Ce n’est pas le genre de joueur à s’excuser pendant un match, mais il ne pénètre pas non plus sur le terrain avec l’intention de blesser quelqu’un. Et au coup de sifflet final, tout est oublié. Il faut simplement lui laisser faire ce qu’il fait le mieux…

Écoutez : il ne changera pas rapidement. On ne parviendra pas à gommer ses défauts. Je connais quelques anciens entraîneurs et quelques anciens coéquipiers d’Ogi qui s’y sont essayé. Ils lui ont conseillé d’être plus calme. Ogi a alors haussé les épaules : c’est mon style de jeu et c’est ce qui m’a permis d’arriver aussi loin.

On ne peut pas lui donner tort. Parfois, on a l’impression qu’il commet volontairement des fautes, mais ce n’est pas le cas. Pour lui, une seule chose compte sur un terrain de football : défendre ses 16 mètres. Il joue avec son coeur et se stripes.  »

Sur le terrain, Vranjes est fougueux. En dehors, il retrouve tout son calme dès qu’il peut taquiner le poisson.  » Donnez-lui dix jours de vacances et il les passera tous à aller pêcher. Parfois six à sept heures d’affilée « , raconte Maksimovic.  » De préfèrence, sur les berges de la rivière Vrbas. Un peu en dehors de la ville, il a trouvé un endroit où il peut s’adonner tranquillement à sa passion. Mais croyez-moi : avec Ognjen, on ne s’ennuie jamais. Si vous êtes dans ses parages, vous vivrez toujours quelque chose d’amusant ( il rit).  »

La légende du Borac

Vranjes est aussi l’archétype du Serbe de Bosnie : cru et méfiant à la première poignée de mains, hyper-sympathique et jovial lorsqu’il a appris à mieux vous connaître. Mais personne ne lui tient rigueur d’avoir parfois un air renfrogné. A Banja Luka, Vranjes est un personnage culte, et au Borac une légende du club .

 » Aucun joueur de cette ville n’a atteint un tel niveau « , dit Memisevic.  » Lorsque Vranjes est monté au jeu contre l’Iran à la Coupe du monde au Brésil, il est devenu le premier footballeur de Banja Luka à disputer un match à ce niveau. Beaucoup de supporters du Borac proviennent du quartier où il a grandi et c’est la raison pour laquelle il a conservé une telle popularité, après toutes ces années.

Il est, de loin, le joueur le plus populaire de ces dernières années. Je ne dois pas vous raconter à quel point ils étaient fiers lorsqu’il est parti à l’Étoile Rouge. Ils trouvaient formidable le fait qu’il aille représenter Banja Luka au sein du plus grand club de l’ex-Yougoslavie. J’exagère peut-être un peu, mais Ogi est une légende. Ou, disons plutôt : il est le héros d’un conte moderne.  »

Damir Memisevic (à gauche) et Marko Maksimovic sont toujours actifs à Borac Banja Luka, l'ancien club de Vranjes.
Damir Memisevic (à gauche) et Marko Maksimovic sont toujours actifs à Borac Banja Luka, l’ancien club de Vranjes.© SARA ELISA GONZALEZ

 » Vranjes n’a jamais eu de problème avec de grands entraîneurs  »

Anderlecht est le 12e club en 12 ans dans la carrière d’Ognjen Vranjes. Depuis 2006, il a joué successivement au Borac Banja Luka (Bosnie-Herzégovine), à l’Etoile Rouge de Belgrade (Serbie), au Napredak Kru?evac (Serbie), au Sheriff Tiraspol (Moldavie), à Krasnodar (Russie), à Alania Vladikavkaz (Russie), à Elazi?spor (Turquie), à Gaziantepspor (Turquie), au Sporting Gijón (Espagne), à Tom Tomsk (Russie) et à l’AEK Athènes (Grèce). 12 clubs dans huit pays différents.

Selon ses amis, il a eu des problèmes avec ses entraîneurs au début de sa carrière, surtout.  » Mais il ne doit s’en prendre qu’à lui-même « , dit Marko Maksimovic.  » Lorsqu’il était jeune, il était plutôt introverti. Il ne parlait pas à ses entraîneurs, et inversement, ceux-ci ne faisaient pas l’effort de lui adresser la parole. La plupart des entraîneurs ne le comprenaient pas.

Je dirais plutôt : les entraîneurs modestes rencontraient des difficultés avec lui. Il n’a eu, en revanche, aucun problème avec Robert Prosinecki, le sélectionneur de l’équipe nationale. Ni avec Manuel Jiménez, l’entraîneur de l’AEK Athènes. Il n’a jamais eu de problème avec des entraîneurs d’un certain niveau, qui savent comment ils doivent communiquer avec leurs joueurs.

Ogi est bien disposé et est très intelligent. Il faut lui dire les choses droit dans les yeux. Il acceptera toujours lorsqu’un entraîneur se montre franc avec lui. Mais, si on lui cache des choses, on aura un problème ( il rit).  »

Le footballeur itinérant d’autrefois a surtout beaucoup appris de sa première expérience à l’étranger, à l’Etoile Rouge de Belgrade. Maskimovic :  » Lorsqu’il est parti à l’Étoile Rouge à 20 ans, il avait tout pour devenir un footballeur de très haut niveau. Son séjour à Belgrade n’a pas été une réussite. Et le fait d’être constamment prêté à un autre club ne l’a certainement pas aidé. Mais, pendant ces quelques années, il est devenu un autre homme.  »

Apparemment, Hein Vanhaezebrouck suivait déjà Vranjes il y a trois ans, lorsqu’il jouait au Sporting Gijón et a disputé 11 matches de Primera Division en une demi-saison. Vanhaezebrouck est donc fan de lui depuis longtemps, et lorsque son transfert a échoué en janvier, on pouvait se douter qu’il ne faudrait pas attendre très longtemps avant qu’il ne fasse une troisième tentative.

À 28 ans, l’international bosnien a enfin réalisé le transfert dont il rêvait. Les gens qui le connaissent bien, pensent que Vranjes a encore une belle marge de progression.  » Pour Ogi, Anderlecht est big « , conclut Maksimovic.  » D’un côté, il considère son transfert de l’AEK Athènes au Sporting comme un grand pas en avant. J’en suis sûr à 100 %. D’un autre côté, Anderlecht n’est pas le point final pour lui Il veut aller jusqu’au bout. « 

Ognjen Dubocanin, ami d'enfance d'Ogi, exploite un café des sports à Starcevica.
Ognjen Dubocanin, ami d’enfance d’Ogi, exploite un café des sports à Starcevica.© SARA ELISA GONZALEZ

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