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Viktor Fischer: « On grossissait tout ce qui me concernait »

Viktor Fischer (27 ans) a été le golden boy du football danois mais deux graves blessures ont entravé son éclosion. Il veut se retrouver à l’Antwerp. Découverte d’un talent spécial, dont les centres d’intérêt ne se limitent pas au terrain.

Le 4 février dernier, Sofie Lakmaker, une ancienne joueuse de football, a réalisé une interview remarquée pour le quotidien néerlandais NRC. Tout un après-midi, elle a parlé avec Viktor Fischer de football, de littérature, de cinéma italien. Le titre était poétique: « Le ciel enneigé de Viktor Fischer. »

Six mois plus tard, Fischer est en face de nous, au Bosuil. Il vient d’inscrire son premier but pour son nouveau club et est détendu. Quand nous lui rappelons l’article, il rit: « C’était un bon article d’une bonne journaliste mais très ciblé. »

Sur Viktor Fischer, le footballeur intellectuel.

VIkTOR FISCHER: Qui aurait mieux fait de ne pas jouer au foot? Ne me dépeignez pas ainsi!

Comment s’est déroulée ta jeunesse à Aarhus?

FISCHER: Un chouette coin. J’y ai tout eu: plage, bois, tranquillité et ville. Mon père et mon grand-père ont joué au football, en amateurs. Poul Pedersen, mon grand-père, compte cinquante caps mais c’était avant la professionnalisation du sport. Il a gagné la médaille d’argent aux JO1960 et pouvait rejoindre la Juventus et le Bayern, mais il voulait faire carrière en dehors du football.

« L’Ajax, c’était brutal mais beau »

L’Ajax était-il une destination de rêve pour un jeune Danois?

FISCHER: J’ai signé à seize ans et je l’ai rejoint un an plus tard, après le Mondial U17. L’Ajax est un club formidable. Il compte encore beaucoup de Danois en équipes d’âge. De mon temps, il y avait Boilesen et Eriksen, puis Poulsen et Schöne.

Par rapport à Aarhus, Amsterdam devait être brutale?

FISCHER: J’avais passé deux ans au FC Midtjylland. Je ne dirais pas que c’étaient des paysans mais c’était différent. Brutal mais beau. Chacun se battait pour une place en équipe première et je devais encore apprendre la langue.

Les Danois y parviennent vite.

FISCHER: Oui, parce qu’ils en font l’effort. On n’apprend pas en dormant. Deux heures avant l’entraînement et une heure après. La première année, je dormais dix ou onze heures par nuit tant j’étais fatigué.

Comment un talent peut-il réussir?

FISCHER: Bonne question. Ça dépend de multiples facteurs. Le talent, la force mentale, ce qui implique parfois de ne pas réfléchir alors que j’y suis enclin. Mais il m’arrivait aussi de bien jauger la situation et d’en tirer profit.

Un joueur créatif doit se sentir libre de faire ce qu’il veut. »

Viktor Fischer

Es-tu impulsif ou sais-tu ce qui va réussir?

FISCHER: Un peu des deux. Je dispute mes meilleurs matches quand je réalise l’action qui me vient en tête, mais je dois aussi réfléchir à ce qu’on attend de moi. Peu de gens réalisent que nous consacrons 80 minutes à la tactique: où presser, où se placer, comment gérer l’adversaire, les contrecoups et ses coéquipiers.

« Ma blessure m’a obligé à évoluer »

Comment es-tu dans le vestiaire?

FISCHER: Gai et prêt à épauler les autres dans les bons jours. Je ne suis pas le DJ de service. J’aime la musique de qualité mais je doute que mes coéquipiers partagent mes goûts.

Et dans les mauvais jours?

FISCHER: Je m’occupe plus de moi tout en plaçant les intérêts de l’équipe en premier.

L’entraîneur recommande alors de jouer simplement.

FISCHER: Il ne faut pas trop chercher à marquer ou à réaliser un mouvement. Dans les bons jours, on ne pense pas non plus qu’on doit marquer.

Estimes-tu avoir réussi à l’Ajax?

FISCHER: Oui. Je me rappelle de tous les bons moments. On me dit souvent que j’ai été décevant et dans ce cas, on ne peut trouver de grand club. Du point de vue de l’Ajax, on n’est bon que si on est un Wesley Sneijder ou un Frenkie de Jong mais moi, j’appréhende les choses d’un point de vue humain et sept ans plus tard, je suis beaucoup plus mûr. J’ai appris à gérer une blessure qui a traîné quatorze mois. C’est long, à 19 ans. Je me suis beaucoup entraîné à la gym mais le football se joue dehors, sur le terrain. Cette période m’a obligé à évoluer.

As-tu été en proie au doute?

FISCHER: Oui, un moment donné. J’ai vécu au jour le jour. Penser au mois suivant n’avait pas de sens puisque je n’aurais pas pu jouer. J’étais sans doute trop jeune pour avoir une blessure comme ça mais si elle s’était produite à trente ans, je ne serais peut-être jamais revenu.

« La Premier League, c’est Hollywood »

Middlesbrough n’était pas une étape évidente après l’Ajax.

FISCHER: Non, même si ça a été une bonne année car la Premier League, c’est Hollywood. Je n’ai jamais joué en Espagne ni en Italie mais ça ne peut pas être mieux qu’en Angleterre. J’aurais aimé y rester si Middlesbrough s’était maintenu. La saison a été pénible pour tout le monde. Le projet était bon. Un entraîneur espagnol, beaucoup de joueurs espagnols doués. Mais quand on perd, le coach préfère un joueur de 29 ans à un gamin de 21.

Tu as alors rejoint le FSV Mains 05, en Allemagne.

FISCHER: Je ne veux pas trop en parler mais c’était moche. Cette équipe ne me convenait pas, à ce moment-là.

Un footballeur est-il bien informé sur le club qu’il rejoint?

FISCHER: Pas toujours, c’est clair, même si on essaie de se préparer. Si je téléphonais maintenant à Christian Poulsen pour lui demander si signer à Schalke est une bonne idée, que peut-il me dire? Il y a joué quand ce club évoluait en Ligue des Champions et maintenant, il est en deuxième Bundesliga.

« Les gens comprennent que tu as été blessé pendant deux semaines, pas plus »

Retourner à Copenhague à 24 ans a dû être décevant?

FISCHER: C’est à la fois le choix le plus difficile et le plus beau. En signant à l’Ajax, j’avais cru ne plus jamais rejouer au Danemark mais à ce moment, je n’avais quasiment plus joué depuis un an. L’entraîneur m’a convaincu et a tenu parole. Puis je me suis blessé à la cheville. Six mois à l’infirmerie et à mon retour, je n’étais pas en forme. J’avais le choix: jouer en souffrant ou ne pas jouer en ayant quand même mal. J’ai décidé de jouer mais il m’a fallu beaucoup de temps pour redevenir moi-même. Ce fut la pire période de ma vie.

J’ai appris à gérer une blessure qui a traîné quatorze mois.

Viktor Fischer

Eden Hazard vit la même chose au Real Madrid.

FISCHER: Je ne peux pas me comparer à Eden Hazard mais un footballeur créatif qui veut faire la différence doit se sentir libre de faire ce qu’il aime, sans devoir réfléchir. Or, dans cette situation, on réfléchit à tout: je ne peux pas pivoter à gauche, ça fait mal. Donc on va toujours à droite mais on devient prévisible. Je ne parvenais plus à pivoter, je ne pouvais plus contrôler le ballon avec un homme dans mon dos. C’était horrible.

Parce qu’on te juge sur tes aptitudes sans savoir que tu es diminué?

FISCHER: Les gens comprennent que tu as été blessé pendant deux semaines, pas plus. Je l’ai expérimenté à Copenhague. J’étais bon mais pas assez. L’entraîneur, lui, a cru en moi jusqu’à son départ, mais les doutes des autres m’ont miné, même si j’ai évité de lire les journaux et les sites. Quand les gens parlent de ton ancien niveau, il vaut mieux que tu te taises et que tu travailles.

Eden Hazard en est à ce stade.

FISCHER: Tout qui connaît le football sait qu’il n’est pas à 100% mais il va retrouver son niveau. Au Real ou ailleurs, où il aura subitement un tout autre sentiment, comme moi à l’Antwerp. Je sens que je suis assez bon. Parfois, on est pris dans une spirale si longtemps qu’on n’en sort plus. Même si je marquais deux buts à Copenhague, on parlait de mon ancien niveau.

On raconte que tu aurais jeté une médaille d’argent. Elle n’était pas assez bonne pour toi?

FISCHER: Un accident. Elle était mal pendue pendant une interview et je l’ai oubliée en partant. Les journalistes se sont jetés sur l’incident. C’était mon problème: on grossissait tout ce qui me concernait.

Le golden boy était devenu arrogant.

FISCHER: Oui. Je l’étais peut-être sous certains aspects et certainement quand j’étais jeune. Faussement modeste, ce qui est encore pire. L’arrogance peut être positive.

« La présence de Priske a joué un rôle »

Pourquoi as-tu choisi l’Antwerp?

FISCHER: Je serais venu rien que pour le projet mais la présence de Brian Priske, un entraîneur danois, a joué un rôle. C’est lui qui a parlé de moi. Il a décelé en moi quelque chose qui ne s’est pas encore pleinement exprimé et que nous devons découvrir ensemble ici.

Dans un championnat dur, physique.

FISCHER: Je cours beaucoup. Beaucoup de jeunes joueurs de qualité prennent des risques. J’adore ça. Le rythme est plus élevé qu’au Danemark. J’ai dû retrouver ma vitesse. On court beaucoup dans mon pays mais pas assez vite. La preuve: en équipe nationale, il y a deux joueurs de Copenhague, les autres évoluent à l’étranger.

Un autre passage de l’interview de NRC: être acteur ne te déplairait pas.

FISCHER: On m’a demandé ce que j’aurais voulu faire si je n’étais pas footballeur. Ça ne veut pas dire que je vais me lancer dans le cinéma plus tard. Enfin, qui sait! ( Rires)

Comme Eric Cantona.

FISCHER: Une chouette personne. Enfin, je crois, je ne le connais pas.

Une personne complexe.

FISCHER: Être compliqué n’est pas grave, tant qu’on est honnête

« Nous sommes des gladiateurs »

Christian Eriksen est un des meilleurs amis de Viktor Fischer, qui était devant sa TV, en famille, au Nord du Danemark, quand l’international s’est effondré. « Il est en vie, c’est l’essentiel. Il se sent bien car il est le seul à n’avoir pas été témoin de ces terribles minutes. » Ne sous-estime-t-on pas la pression et le stress auxquels sont soumis les sportifs de haut niveau? « Si, il suffit de se rappeler les JO. Biles, une des meilleures gymnastes, et Osaka, une des meilleures joueuses de tennis, ont craqué. Mais nous sommes des gladiateurs. Les gens achètent des billets pour voir un spectacle. Internet ne fait que rendre tout encore plus pénible. On lit tous les jours ce que les gens disent de nous. S’y soustraire est impossible: le téléphone nous informe. Ding, ding, ding. Chaque fois. Et bien sûr, un sportif lit ce qu’on écrit sur lui. Eden Hazard doit en voir de toutes les couleurs. Il ne peut même pas rigoler avec ses anciens partenaires après un match. Ou CristianoRonaldo. C’est Viktor Fischer x10.000. »

Les burn-outs sont de plus en plus fréquents. En football aussi? « Oui. Mais si un travailleur normal en est victime, seuls son patron et ses amis le savent. Dans notre cas, tout le monde est au courant. C’est pour ça que je me fais suivre par un psychologue depuis quinze ans. Ceci dit, j’exerce le plus beau métier du monde. Je ne me plains pas! »

Viktor Fischer:
Viktor Fischer: « J’ai appris à gérer une blessure qui a traîné quatorze mois. »© KOEN BAUTERS
Viktor Fischer n'est à l'Antwerp que depuis quelques semaines mais il a déjà montré qu'il allait faire des dégâts.
Viktor Fischer n’est à l’Antwerp que depuis quelques semaines mais il a déjà montré qu’il allait faire des dégâts.© belgaimage
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Viktor Fischer: « Internet rend les choses encore plus pénibles. On lit tous les jours ce que les gens disent de nous. »© KOEN BAUTERS

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