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Veljkovic et la toile d’araignée malinoise

Dejan Veljkovic a fait des affaires avec de nombreux clubs pros. Mais depuis que le Parquet s’intéresse à ses pratiques, c’est surtout le FC Malines qui trinque. Ceux qui suivent le club de près ne sont pas surpris car, malgré sa réputation, le Serbe bénéficiait de beaucoup de latitude.

Après la mise en liquidation du club, il y a quinze ans, le FC Malines avait installé un panneau dans son stade : Remember 2002-2003. La famille malinoise était bien décidée à ne plus jamais vivre un tel fiasco sur le plan financier. Des milliers de fans avaient retiré chacun 1.000 euros de leur compte d’épargne afin que le club puisse repartir en D3 et le nouveau club devait fonctionner comme une véritable entité. L’ex-journaliste Mark Uytterhoeven, grand fan du club, s’était vu attribuer une place  » à vie  » au sein du conseil d’administration. C’est lui qui, avec l’ancien attaquant Piet den Boer et l’ex-entraîneur Fi Vanhoof, avait monté et assuré le succès d’une opération sauvetage médiatique. Outre Uytterhoeven, d’autres supporters auraient désormais leur mot à dire au sein du nouveau club. Certains pourraient même siéger au sein du conseil d’administration et avoir un droit de regard sur la comptabilité. Tout cela parce que Malines voulait désormais fonctionner de façon plus raisonnable.

Le président Johan Timmermans a toujours défendu ardemment la position privilégiée de Dejan Veljkovic au sein du FC Malines.

C’est pourtant à ce club que l’on pensait purifié que le Parquet fédéral s’est intéressé, découvrant des indices laissant supposer des pratiques mafieuses. On parle de montages financiers douteux et de corruption privée dans le cadre de la lutte pour le maintien en fin de saison dernière. Le Parquet cite les matches Antwerp-Eupen de la 29e journée et FC Malines-Waasland Beveren de la 30e journée. La semaine dernière, le juge d’instruction a ordonné l’arrestation de l’actionnaire principal, Olivier Somers, et du directeur financier, Thierry Steemans. L’agent de joueurs serbe Dejan Veljkovic a également été privé de liberté. C’est lui qui aurait tissé la toile d’araignée malinoise.

Cheval de Troie

Walter Mortelmans a été pendant des années l’agent le plus en vue à Malines mais, il y a cinq ans, il s’est rendu compte que Veljkovic lui coupait de plus en plus souvent l’herbe sous le pied. À partir de 2014, époque de l’arrivée d’Aleksandar Jankovic au poste d’entraîneur, le nom de l’agent serbe est revenu de plus en plus souvent dans les conversations.

Le fait qu’un pion de Veljkovic devienne entraîneur d’un club de D1 belge n’avait rien de particulier mais ce qui étonnait, c’est qu’à l’époque, Malines a aussi acquis plusieurs joueurs du portefeuille de l’agent serbe : le gardien Tome Pacovski, Benjamin Mokulu, les défenseurs Milos Kosanovic et Ivan Obradovic… Début mai 2014, Malines a également présenté un nouvel entraîneur des gardiens, Philippe Vande Walle, à nouveau une figure très proche de Veljkovic. Avec Jankovic, Veljkovic amenait donc un homme qui, désormais, allait décider chaque semaine des joueurs alignés ou non. Son influence devenait inquiétante d’autant que, à l’époque déjà, sa réputation était sulfureuse. Il était considéré comme un agent sur lequel les clubs avaient peu d’emprise et on parlait déjà de trucages de matches. Pour ceux qui étaient un peu introduits dans ce milieu, il était difficile de ne pas être au courant. Malgré cela, Thierry Steemans (directeur financier du FC Malines), Marc Faes (directeur commercial), Fi Vanhoof (directeur sportif) et Johan Timmermans (président) avaient ouvert grandes les portes du club à Veljkovic. Le quatuor répétait à qui voulait l’entendre qu’il avait tiré les leçons de la mise en liquidation mais il a laissé un cheval de Troie infiltrer le réseau. Timmermans, président et donc responsable, joue désormais les victimes mais c’est lui qui a toujours défendu fermement la position privilégiée dont Veljkovic jouissait au FC Malines.

Le président de Malines, Johan Timmermans, avec Aleksandar Jankovic. Lorsque ce dernier était l'entraîneur du club, l'influence de Dejan Veljkovic a pris de l'ampleur.
Le président de Malines, Johan Timmermans, avec Aleksandar Jankovic. Lorsque ce dernier était l’entraîneur du club, l’influence de Dejan Veljkovic a pris de l’ampleur.© BELGAIMAGE

Sans preuves tangibles, les journalistes ne peuvent parler d’éventuelles pratiques incorrectes de Veljkovic. Mais afin qu’on ne puisse pas lui reprocher d’avoir fermé les yeux, en mai 2014, Sport/Voetbal Magazine s’était intéressé à l’influence sans cesse grandissante de Veljkovic à Malines. L’article était intitulé KV Mechelen vist in Veljkovic vijver (Le FC Malines se fournit chez Veljkovic). Vanhoof y déclarait :  » Il y a encore des agents qui nous fournissent plus de deux personnes. Ce groupe ne doit pas être trop grand, nous allons y veiller.  »

C’est en grande partie grâce à la politique des transferts menée par le même Vanhoof que, après la mise en liquidation, le FC Malines est remonté de D3 en D1. Il a ensuite poursuivi sa marche en avant, obtenant chaque année un meilleur classement. Mais plus il gravissait les échelons, plus il était difficile de progresser avec la méthode Vanhoof. Il devenait pratiquement impossible de trouver dans les divisions inférieures des joueurs bon marché et capables de jouer à un tel niveau. Et puis, de plus en plus d’agents s’intéressaient au club. Ils flairaient la proie, d’autant que Vanhoof lâchait du lest. À 70 ans, il n’avait plus envie de prendre l’avion chaque semaine pour aller visionner des joueurs loin de chez lui. D’autres administrateurs du club se disaient également qu’ils étaient capables de permettre à Malines de franchir, sur le plan sportif, la dernière étape menant aux play-offs. Cela permettait aux agents de faire des affaires. Et comme le club n’était pas riche et ne voulait pas s’endetter, les montages financiers favorables étaient les bienvenus.

Veljkovic était difficile à maîtriser. Il se dit ainsi qu’il a fait pression sur Jankovic afin que celui-ci fasse jouer Pacovski.

Feu orange

En 2015, Sport/Voetbal Magazine s’entend confirmer qu’effectivement, Veljkovic est difficile à maîtriser. Il se dit ainsi qu’il avait fait pression sur Jankovic afin que celui-ci fasse jouer Pacovski, ce que Timmermans confirme :  » Veljkovic a en effet tenté d’imposer son gardien à l’entraîneur mais il a bien dû constater que cela ne marchait pas.  » Le président marque certes un point mais, pour les observateurs, les feux sont à l’orange. En interne, par contre, personne ne tire la sonnette d’alarme, au contraire. Anderlecht a dépensé beaucoup d’argent pour Obradovic et Malines n’avait jamais réalisé une telle plus-value. Autant dire que Veljkovic gagne du crédit.

Olivier Somers, l'actionnaire principal du FC Malines.
Olivier Somers, l’actionnaire principal du FC Malines.© BELGAIMAGE

Au fil du temps, son influence au sein du club grandit d’autant plus que des joueurs quittent leur agent pour rejoindre son portefeuille. C’est ainsi que Mats Rits, aujourd’hui au Club Bruges, laisse tomber Mortelmans pour Veljkovic. En soi, cela n’a rien de choquant mais Veljkovic essayait ainsi de cultiver l’impression qu’à Malines, rien ne se fait sans son accord. Il fait croire aux joueurs qu’ils ne peuvent plus progresser au sein du club si ce n’est pas lui qui défend leurs intérêts. Sport/Voetbal Magazine appelle alors Timmermans, qui confirme :  » Veljkovic a en effet tenté de défendre les intérêts d’un joueur ( Jordi Vanlerberghe, ndlr). Il sait qu’il ne doit plus recommencer.  »

Sport/Voetbal Magazine titre  » Veljkovic prend beaucoup de place à Malines  » et envoie l’article à Timmermans avant que celui-ci ne soit publié. Très vite, Veljkovic est mis au courant. Timmermans envoie un mail à la rédaction en disant qu’il espère que l’article ne paraîtra pas. Selon lui, ce n’est pas intéressant et Veljkovic agit comme d’autres agents. Le président malinois ajoute qu’il ne veut pas que son nom soit cité : un acte de panique qui ne peut qu’être dicté par la réaction de Veljkovic. Celui-ci tente d’ailleurs également de faire jouer son influence afin que l’article ne soit pas publié. Il menace de faire en sorte que ce magazine ne puisse plus jamais interviewer un joueur de Malines. Sport/Voetbal Magazine publie cependant l’article comme prévu, avec les déclarations de Timmermans. Peu après, Malines boycotte Sport/Voetbal Magazine. Olivier Renard, alors directeur sportif du club, motive cette décision par le fait que Timmermans a demandé à ne pas être cité et qu’il n’a pas été entendu. Mais qui a décidé : le club ou Veljkovic ? Ce n’est pas clair. Toujours est-il que les menaces de Veljkovic sont été mises à exécution et qu’on peut dès lors croire que le club faisait les volontés du Serbe.

Deuxième gros transfert

En 2016, après Obradovic, Malines touche à nouveau plusieurs millions pour la vente de Kosanovic, au Standard cette fois. Entre-temps, Renard est devenu directeur sportif du club de Sclessin. Pour Timmermans & Cie, ce nouveau gros transfert est la preuve que Veljkovic faisait plus de bien que de tort au FC Malines.

À chaque transfert entrant ou sortant du FC Malines, Veljkovic est là. En mai 2016, lorsqu’il commence à faire parler de lui, Sofiane Hanni apparait avec Veljkovic alors qu’avant, il avait un agent français. Sport/Voetbal Magazine le signale, ce qui énerve Timmermans :  » Veljkovic a également des joueurs dans d’autres clubs mais on n’en parle jamais.  »

Malines réagit à nouveau de la sorte lorsque, en 2016, ce magazine entend parler de l’implication de Veljkovic dans des montages financiers via Chypre. Des montages illégaux qui nous permettent de poser des questions. La direction malinoise semble comprendre que la prudence est de mise mais elle dit également que ça se fait ailleurs. À Malines, on se dit que, si les grands clubs le font, un petit poisson comme le Kavé n’a rien à craindre.

Entre-temps, imperturbable, Veljkovic tente de s’immiscer dans des dossiers avec lesquels il n’a, à première vue, rien à voir. Lorsque Malines s’intéresse à Siebe Schrijvers, qui évolue toujours au RC Genk, c’est lui qui traite l’affaire avec la direction du club limbourgeois alors que Schrijvers ne fait pas partie de son portefeuille. Un dirigeant en vue de Genk assure même que Veljkovic parle au nom du FC Malines. La réplique de Timmermans fuse :  » Je ne peux pas réagir car je ne sais pas si c’est vrai. Et si c’est le cas, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est la qualité du joueur.  » Veljkovic, lui, nie être intervenu dans le dossier Schrijvers.  » Dans l’affaire, Yohan Croizet, j’ai établi le contact entre OHL et Malines « , dit-il. Selon OHL, Veljkovic est intervenu à la demande de Malines. Ce à quoi Timmermans répond :  » Je n’en crois rien. En tout cas, je l’ignore totalement.  » Une nouvelle fois, Timmermans n’est pas très heureux de voir Sport/Voetbal Magazine révéler cette affaire…

Thierry Steemans, le directeur financier du Malinwa.
Thierry Steemans, le directeur financier du Malinwa.© BELGAIMAGE

Situation stressante

En août 2016, ce magazine pose des questions à Anthony Moris, alors gardien de Malines, au sujet de Veljkovic, avec qui il a collaboré. Peu après, Veljkovic appelle le journaliste et lui ordonne froidement de ne plus jamais citer son nom dans Sport/Voetbal Magazine. Le journaliste ne réagit pas. Un peu plus tard, le sujet Veljkovic revient sur le tapis au cours d’une interview avec Rits. Après avoir lu quelques passages délicats, la direction du FC Malines demande au rédacteur en chef de ce magazine d’écarter le journaliste en question de la couverture des événements au FC Malines.

Un peu plus tard, le club passe du statut d’A.S.B.L. à celui de S.A. Olivier Somers et Dieter Penninckx, deux hommes d’affaires, prennent le contrôle du club. Steemans saute sur l’occasion et investit également de l’argent, mais beaucoup moins que Somers et Penninckx qui, pour leurs débuts, découvrent un monde de requins au sein d’un club où Veljkovic jouit d’une position privilégiée. Et bien qu’ils affirment leur intention de ne pas collaborer avec un seul agent, Veljkovic a pris tellement d’importance qu’il est impossible de l’éliminer. De plus, peu après avoir investi et remplacé la tribune principale, Somers & Cie se retrouvent mêlés à la lutte pour le maintien, une des situations les plus stressantes du monde du football professionnel. Financièrement, ça sent le fiasco et, quand on connaît le football, on sait que les gens réagissent parfois de manière bizarre dans de telles situations.

Par Kristof De Ryck

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