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Ultra radical : qu’est-ce qui les motive ?

Thomas Bricmont

Depuis Standard-Anderlecht, ils sont au centre de toutes les attentions. Alors comment expliquer cette ultime provocation ? Et quelle est la situation à l’étranger ? Analyse.

Il est 17h, Sclessin se réchauffe à coups de pains-saucisses et de bières. Le temps aussi, entre deux bouffées ou gorgées, de refaire le match. Ca cause Defour, évidemment, de son retour, de son exclusion, de Laurent Ciman, de son but, de ses adieux. Le tifo déployé ne connaît pas le retentissement qu’il s’apprête à connaitre dans les médias. Preuve en est, une poignée de supporters regroupés en Tribune 3 n’a même rien vu, et vient seulement d’être mis au courant du dernier scandale. Certains parlent alors d’excès dans la provocation, d’autres le défendent sur base d’une caricature tirée d’un film (Vendredi 13).

Le foot belge n’a pas attendu la décapitation picturale de Defour pour s’émouvoir de ses tribunes. Dans les années 80-90 se sont les hooligans qui foutent la frousse et le bordel dans et hors des stades. On assiste même en 1990 à un Standard-Anderlecht qui se termine à coups de poings sur le terrain entre les deux noyaux durs. Une scène impensable, de l’ordre de la fiction, aujourd’hui.

Si elle n’est pas éradiquée, la violence est depuis plusieurs années en chute libre. Une sécurité accrue et mieux structurée oblige les irréductibles de la baston à se donner rendez-vous loin du terrain de jeu. Avec, comme conséquences, l’arrivée d’un public plus familial, plus féminin, motivé aussi par la disparition des places débout. Le folklore, la rivalité, les chants, la haine, n’ont pas disparu pour autant.

Depuis maintenant plus de 15 ans, ce sont les Ultras (terme apparu dans les années 60 en Italie) qui occupent le haut du pavé. Au Standard bien plus qu’ailleurs, même si Charleroi ou Genk a suivi le pas. Même Anderlecht, pourtant longtemps fidèle à une culture anglo-saxonne dans le supporterisme, a vu la culture ultra faire son trou dans ses tribunes.

La mainmise de ces « nouveaux supporters » dans les virages les plus chauds du pays a logiquement été accompagnée d’imposants tifos. Au Standard, on s’est longtemps félicité de ces marques de soutien qui, de l’avis de tous, galvanisent les joueurs, et donnent un coup de fouet à tout le stade.

Judas Mornar

Parfois, par contre, ça dérape comme le 28 octobre 2001 quand Ivica Mornar, dans la peau de « Judas », revient avec Anderlecht à Sclessin. Une banderole: « Ivica, nous jugeons les traîtres comme dans ton pays. » est déployée et scandalise l’assemblée. A côté de ça, des tifos contre le racisme (symbolisé par un grand drapeau africain) ou simplement diablement efficaces et impressionnants sont régulièrement déployés et applaudis par la presse.

Il y a un peu plus d’un an, en décembre 2013, lors de la venue d’Anderlecht, Tony Montana (Al Pacino dans Scarface) apparaît mitraillette à la main accompagné du slogan « Dites bonjour à votre pire ennemi » en T4 qu’occupe le PHK, autre groupe ultra du Standard. Le tifo fait déjà bondir certains mais n’éclipse pas, cette fois, le sportif.

« Je pense que notre chance, c’est d’avoir un responsable sécurité – Christian Hannon – qui comprend le monde des tribunes, puisque c’est un ancien du Hell Side. Pour Tony Montana, il était parfaitement au courant », raconte Renaud du PHK dans Moustique.

Le monde des tribunes, et ses codes -auxquels les médias seraient totalement hermétiques d’après les intéressés -serait un concept que seuls les initiés maîtrisent. « Un groupe Ultra, est un groupe constitué de Fans invétérés faisant partie à part entière de la vie du Club de football qu’ils supportent. Ils peuvent lui vouer un Amour indéfini, comme une colère redoutable quand le groupe estime que le Club ne le respecte pas à sa juste valeur ou se fout simplement des supporters en général », explique Max, président des Ultras Inferno sur le site Shoot me again.

Le 7 octobre 2012, ce contre-pouvoir s’exprime lors de la venue d’Anderlecht à coups de fumigènes balancés sur la pelouse. Cette saison, c’est lors de la venue de Zulte Waregem que ça s’enflamme à nouveau. Un envahissement de tribune, des sièges qui volent sur la pelouse, le ras-le-bol vis-à-vis de la direction s’exprime dans le chaos; le mouvement est, dit-on, spontané et ne porte pas la griffe des ultras.

Une seule identité

« Au contraire des hooligans, les ultras ne possèdent qu’une identité, la leur, qu’ils expriment également durant la semaine en dehors des matchs », explique Gunter A Pilz, sociologue allemand à l’université d’Hanovre. « Les ultras décrivent leur existence comme un mélange de tension et de détente. D’une part en tant que « travail » où ils sont concentrés en permanence et où ils doivent tout donner, verbalement comme physiquement ; d’autre part, en tant qu’expérience grisante, où ils oublient tout autour d’eux et se laissent guider par leur passion et leurs sentiments.

Ils se considèrent comme des personnes critiques qui disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas et auxquelles personne ne peut interdire de penser et de stigmatiser les abus actuels. Nous nous dressons expressément contre l’idée qui consiste à nous présenter comme la partie mal aimée de cet  » événement » qu’est le football. Nous sommes l’essentiel ! Nous sommes le match ; nous sommes le club. Nous sommes la raison pour laquelle le football exerce aujourd’hui comme hier une grande fascination sur les hommes. »

Un stade de foot est fascinant quand il explose de joie, quand il communie, quand il pousse son équipe vers la victoire. Il l’est aussi, quand il siffle et paralyse un adversaire, voire influence l’arbitre, qu’il devient ce fameux douzième homme. La venue de Defour devait être fascinante par son impact émotionnel sur ses ex-fidèles.

« Trois jours avant son transfert, il nous a dit sur Facebook qu’il était dégoûté, qu’il resterait Standardman à vie. Mais que professionnellement parlant, il devait passer par Anderlecht. Comme s’il n’y avait pas assez d’autres clubs dans ce putain de monde… Moi quand je vais au stade, je deviens binaire: le bien et le mal. Et Defour a glissé du bien au mal. Il porte les mauvaises couleurs, point », avouait Max, président des Ultras Inferno dans Moustique.

L’escalade dans la provocation, symbolisée par une caricature des plus gores, est malheureusement venue gâcher la bronca et les intimidations quasi culturelles.

Escalade ailleurs

Ailleurs, aussi, l’escalade dans le tifo provocateur, la banderole cinglante, ce jeu de celui qui ira le plus loin, a atteint des sommets. Un jeu qui, s’il n’heurte pas les ultras des deux camps pour qui tout est permis ou presque, affole souvent les médias et spectateurs passifs. Exemple parmi tant d’autres: « Les Gones (habitants de Lyon) inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans les mines », avait été déployé par les supporters de Lyon lors d’un derby face à Saint-Etienne. A Geoffroy-Guichard, c’est un énorme tifo avec comme sentence « La chasse est ouverte, tuez-les tous », entouré d’animaux qui avait heurté les sensibilités.

« L’expression « la chasse est ouverte, tuez-les tous comporte une incitation à une violence immédiate et dépourvue de tout caractère symbolique. En revanche, le fait d’organiser une scène de safari pour représenter un derby entre deux équipes de football n’est pas une incitation à la violence, elle n’en reste pas moins métaphorique et évocatrice d’une violence purement imaginaire. Cela n’excède pas les limites admissibles du folklore entourant ordinairement les rencontres sportives », pointe Jean-Pierre Vial, docteur en droit, dans son livre Le risque pénal dans le sport.

Où il n’est plus question du tout de folklore, c’est quand des croix gammées apparaissent dans les tribunes. Les Ultras Sur, groupe historique du Real Madrid, a longtemps affiché des positions proches des mouvements néo-nazis. Depuis cette saison, ceux-ci n’ont plus le droit de cité à Bernabeu ou à l’extérieur. Le gouverment espagnol via son secrétaire d’État aux Sports, Miguel Cardenal, s’est engagé à combattre les supporters « hors-la-loi ».

« Il nous a été proposé d’établir une liste des groupes ultras afin de les exclure de nos stades et d’établir un calendrier afin de mener l’action à bien. C’est une voie que certains clubs ont déjà prise et l’engagement est clair, fort et je suis convaincu qu’il sera effectif. »

Au coeur du débat

En Italie, le problème semble très profond et difficile à résoudre tant les groupes ultras sont puissants, organisés et au coeur du débat. Il n’est pas rare de voir un capitaine s’expliquer avec le capo (chef) des Ultras quand ceux-ci sont mécontents, à l’image de ce qui s’est passé lors de la dernière finale de Coupe d’Italie quand Marek Hamsik (Naples) s’était retrouvé à dialoguer avec le leader des Ultras afin que ça ne dégénère pas davantage (des fumigènes et bombes agricoles avaient été lancés) après qu’un supporter napolitain eut été blessé par balle plus tôt dans la journée.

En France, les violences dans le foot ont souvent rimé avec PSG. Des indépendants violents, des tribunes Auteuil et Boulogne ennemies, le Parc des Princes n’a que très rarement été un long fleuve tranquille entre 2000 et 2010. Au rayon provoc aussi, on s’y connaît avec un climax atteint en 2008 lors de la finale de la Coupe de la Ligue entre Paris et Lens avec cette banderole « chômeurs, consanguins, pédophiles: bienvenue chez les Chtis. » La suite prendra des allures d’affaire d’état: Nicolas Sarkozy, alors président de la république, fait part de son indignation à l’image de tout le foot français.

Les protagonistes de la banderole sont poursuivis pour « provocation à la haine et à la violence dans le cadre d’une enceinte sportive ». Pour leur défense, ils plaident la blague potache à la Charlie Hebdo. Six ans plus tard, la sanction tombe: 500 euros d’amende et un an d’interdiction de stade. Une quasi relaxe. Le PSG n’en a pourtant pas fini avec ses supporters. Loin de là.

En fin de saison 2009-2010, les violences entre supporters parisiens (!) atteignent un point de non-retour. Yann Lorence membre de la tribune Boulogne meurt lors d’affrontements autour du stade. S’ensuivent des sanctions et dissolutions de groupes de supporters. Naîtra également le plan Leproux (nom de l’ex-président du PSG avant le rachat par des Qataris) qui instaure notamment le placement aléatoire dans les travées du Parc des Princes ce qui conduira à la mort des groupes de supporters et de ses ultras. Toute tentative de remise en cause de sa politique, ainsi que toute velléité d’organiser l’ambiance et le soutien à l’équipe est bâillonnée. « On veut pouvoir choisir le public que l’on souhaite », déclarait le directeur général du club parisien, Jean-Claude Blanc. Et de fait le club a amené des stars, a renforcé son marketing, s’est « disneylandisé » (terme usité par certains ex-Ultras) et fait le plein malgré la hausse des prix.

Révolutionner Sclessin

Au Standard, on est encore loin de tout ça même si Roland Duchâtelet projette un jour de révolutionner le stade et ses alentours. En septembre dernier, pourtant, le public de Sclessin avait bien meilleure presse. Deux cinéastes français avaient vécu, dix-huit mois durant, au coeur du peuple rouche pour en extraire un film (Standard, le film). Tout le monde en avait fait alors des tonnes sur cette passion liégeoise si particulière.

Brieux Férot, producteur du film « Notre volonté était de faire ressentir, et comprendre aussi, à celles et ceux qui méprisent le foot, pourquoi les tribunes, c’est d’abord des moments de partage ( ndlr, les ultras du Standard distribuaient dimanche dernier des flyers afin de récolter des vivres pour les restos du coeur), et de famille, bref, autre chose que deux touristes coréens et un trader français qui font coucou à la caméra avec des maillots d’Arsenal sur le dos à l’ Emirates Stadium . Un film qui se passe à Liège mais une histoire universelle du lien social, au stade et autour, qui est de plus en plus mis à mal. » Espérons que ce qui s’est passé dimanche ne vienne pas gâcher l’essentiel…

Par Thomas Bricmont

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